lundi 26 décembre 2011

Paul au parc, par Michel Rabagliati, éditions la Pastèque


Je me l'étais gardé pour Noël. C'est là tout le plaisir de connaître une oeuvre parce qu'on peut la placer dans le temps, se la réserver pour un moment précis. Celui-là était bien choisi.

N'en demeure pas moins qu'avec tout le battage médiatique entourant la sortie d'un livre de Rabagliati, ces dernières années, je me suis demandé s'il n'y avait pas quelque chose à suspecter, un peu comme je le fais lorsque je constate qu'on cherche à nous enfoncer un titre dans la gorge à grands coups de pubs et d'entrevues, peu importe le média portant le titre en question. Rabagliati, donc, utilise-t-il les médias pour mousser un autre produit trop gras, trop sucré ou carrément insipide? Son Paul et ses phylactères couvriront-ils bientôt les panneaux d'autobus et les derrières de boîtes de céréales? Franc avec vous, j'en serais bien surpris. Après avoir lu Paul au parc, j'en ai déduit qu'une quantité supplémentaire de Rabagliati sur les ondes et les imprimés de ce monde ou à tout le moins de ce pays, c'est une bouffée d'air frais passagère dans tout ce qui les pollue trop souvent. Comme Paul, comme les dessins qu'il contiennent, les albums de Michel Rabagliati ont la qualité de contenir une dose d'humanité si forte qu'on n'en revient pas encore. Paul, c'est le personnage bonenfant qu'on connaît tous dans notre entourage. Sans rien transcender, il a le pouvoir d'être vrai. Ainsi, quoi qu'il raconte, on le croit. Parce qu'il est ainsi, Paul, il est vrai. Pas de couleurs criardes mais pas tout noir non plus. Ce qu'il vit, on le comprend parce qu'on l'a vécu aussi.

Pas surprenant qu'un des personnages de Paul au parc soit un fameux conteur. Pas surprenant qu'un tel personnage ait inspiré et peut-être même influencé Rabagliati. Il faut un talent exceptionnellement fort de conteur pour faire d'une telle bande dessinée un succès aussi estimé. Ne nous le cachons pas, les dessins des Paul sont bons, oui, mais ils n'ont rien d'exceptionnels. Pour ma part, les premières fois que j'ai découvert ces albums, je n'étais pas spécialement appelé par le petit personnage un peu simplet, aux allures d'anti-héros et au prénom quelconque qu'il arborait en page couverture. C'est toutefois en le lisant que j'ai compris combien une bande dessinée faisait du bien, combien elle nous laissait une impression doublement plus forte qu'un roman lorsqu'elle nous rejoint. On a l'histoire en tête, et des images précises. Plus près de la réalité que ça, on tombe au rayon des albums photo. Rabagliati y est presque. Paul est la photo presque parfaite de moments d'histoires vécues par un Québécois moyen qui a le don d'être sympathique. Et cette fois-ci, il situe ses aventures dans une portion importante de l'histoire du Québec. Or voilà, se faire raconter une époque de cette façon a ceci de beaucoup plus réjouissant qu'un livre d'histoire ou qu'un documentaire qu'il nous la raconte dans les mots et les gestes quotidiens de ses contemporains. Rare point de vue.

Paul au parc, c'est du plaisir, des "ah oui, c'est bien vrai ça", très souvent des éclats de rire, et encore une fois, un pouvoir de vous embuer très sérieusement les yeux lorsqu'on en ferme les dernières pages.

Pourvu qu'il en produise autant qu'Hergé a produit de Tintin!

dimanche 25 décembre 2011

The Final Testament of the Holy Bible, par James Frey, éditions Gagosian


Je vous parle d'abord "d'édition spectacle". Le livre est vendu dans un coffret qui fait office de page couverture avec l'habituelle affiche criarde auxquelles les maisons d'édition anglo-saxonnes nous ont toujours habitué. À l'intérieur, le bouquin est noir, d'un genre simili-cuir et la bordure des pages est argentée. Le bouquin ressemble à peu de choses près aux éditions de la bible laissée dans les tiroirs de chambres d'hôtels américains. À l'intérieur, le texte référant aux paroles du personnage principal est imprimé en rouge, en opposition au reste du texte qui est en noir. Voilà, vous êtes fixés.

L'auteur n'est pas piqué des vers non plus. Il y a une dizaine d'années, il semait la contreverse pour avoir "avoué" publiquement avoir écrit une fausse auto-biographie. Il a mené en bateau la richissime star des médias américains Oprah Winfrey qui ne l'a pas pris du tout. Débats, haut cris dans les journaux, accusations de toutes sortes ont suivi. La réalité de James Frey a dépassé la fiction de l'info-spectacle. J'aime.

Or je n'avais rien lu de lui, et je tombe là-dessus. Des personnages très typés racontent chacun à leur manière comment ils ont connu un certain Ben. Chaque témoin est issu des idées que la moyenne des Terriens se font du peuple américain. Les personnages sont gros, sans subtilité aucune. Chacun se raconte à sa manière, dans sa propre langue. Les bons sont rares, les méchants sont évidents, les victimes sont partout. On dirait quasiment une histoire cartoonesque, quelque chose de super héros de bande dessinée. Or c'est passionnant. On avance. Chaque couleur de chaque personnage s'ajoute. On se croirait dans une quincaillerie où la palette de couleurs se résume aux couleurs du spectre, c'est tout. Chacune est typée, puis se dessine un lien. Qui est ce Ben? Quel est-il? Alors une couleur se démarque alors que les autres se mélangent. C'est très, très fort.

J'ai d'abord cru à un autre Bret Easton Ellis, mais non. Le show est gros, les coups de pinceaux donnent plutôt dans le coup de rouleau, mais pourtant... On se dit qu'il y va fort, très fort. Et oui, justement, il y va fort. James Frey prend ici un des mythes fondateur du peuple Américain, une des bases de ce qu'est en train de devenir ce peuple. Il enlève tout ce qu'il y a autour et zoome sa caméra direct dessus: et si on allait jusqu'au bout de tout ça? Et si justement, ça arrivait?

Je ne saurais en dire plus pour vous laisser là d'où je suis parti en commençant "The Final Testament...". Vous aurez compris qu'il est question de religion, mais attention, révisez vos clichés. Frey vous les montrera tels qu'ils existent dans votre imaginaire, dans vos idées, les soulèvera de chapître en chapître pour finalement les laisser tomber avec fracas au fur et à me mesure qu'il donnera la parole à son personnage principal. Au sortir de ce livre, on est knock-out. L'oeuvre est magistrale.

Soyez certains que ce roman ne sera jamais, au grand jamais porté à l'écran. Cette histoire en dérangera plusieurs et provoquera plusieurs choses tant hostiles que favorables. Pour ma part, ce livre provoque chez-moi des questionnements, mais aussi des désirs, et ça c'est très fort.


Découverte immense, je recommande chaudement "The Final Testament..." à qui veut se faire brasser, à qui veut découvrir le meilleur de ce que la littérature américaine a offrir, dans un style qu'on trouverait difficilement ailleurs sur la planète. Je reconnaît ici le talent immense de James Frey et me promet de ne pas rater ses prochaines productions.

Notez enfin que j'ai lu ce roman dans sa version originale en anglais. Traduit en français chez Flammarion, j'ai vu de mauvais commentaires sur sa traduction et aussi et surtout, sachez que le titre français a été rendu comme suit: Le dernier testament de Ben Zion Avrohom. Quiconque lira ce livre constatera l'insulte à l'intelligence que les éditeurs francophones ont réservé à leur public en utilisant un tel titre. Ce seul mauvais titre retire toute l'essence même de ce chef-d'oeuvre de James Frey. Aussi, même si vous choisissez la version française, laissez-moi vous prier de garder à l'esprit le titre anglais de cet ouvrage. Adressez ensuite une lettre d'explications à Flammarion.

J'ai bel et bien dit "chef-d'oeuvre", oui. Un de mes meilleurs livres de l'année. Quels beaux moments de lecture!

dimanche 4 décembre 2011

Melancholia II, par Jon Fosse, éditions Circé


Rien à voir avec le film de Von Trier. À tout le moins la coïncidence laisse-t-elle supposer qu'une certaine mélancolie fasse partie de l'âme scandinave.

Paru en 2002, ce livre-ci me permet de continuer ma découverte de Jon Fosse qui situe ses actions dans la Norvège d'il y a environ cent ans. Ici, il s'agit d'une journée dans la vie d'Oline. Elle montera la côte qui mène à sa maison, la redescendra puis la remontera enfin. Et tout ça lentement, car Oline a mal aux pieds. Elle est vieille, elle oublie tout mais qu'elle est vieille, ça, elle le sait.

Rarement entrera-t-on aussi précisément dans la tête d'un personnage. L'écriture de Fosse, c'est du brut, de la matière d'origine, sans rien d'autre que les mots qui passent dans la tête d'Oline. Les mots, puis les images, les souvenirs, puis paf! retour à la réalité, elle marche, elle a mal, et où est elle, et qui est-ce là-bas?

Posé sur ma table de chevet, sur ma table, ce livre m'a appelé souvent. Juste deux pages, parfois, et j'étais là avec elle. Elle aura eu plusieurs enfants, oui, mais de ça, on n'en saura pas plus. Comme de ses 12 frères et soeurs. Deux seuls auront pris toute la place, dont un en particulier. Oline se souvient de Lars, le peintre, l'homme dérangé, différent. Et sans jamais juger quoi que ce soit, elle se souvient, les images s'enfilent difficilement, et ainsi vont les mots. Comme on souffle pour avancer, un mot, une phrase se répète. La mémoire vient puis part, et ainsi les mots, petit à petit. Car dans le monde de Jon Fosse, ce sont des gens de peux de mots. On ne s'explique rien. On constate, c'est tout. Et de là tout l'art de donner la parole à des gens peu bavards. Fosse les fait regarder, comprendre avec les yeux. Ici, des regards valent encore plus qu'un livre.

Une telle écriture est foudroyante. Moins de 150 pages vous chavirent. Et si, comme moi, vous désirez pousser peut-être un peu plus loin, vous découvrirez que la superbe image choisie pour décorer ce livre est de Lars Hertervig, un peintre norvégien du 19e siècle, et que cette histoire est la sienne, et que cette façon de raconter est unique.

À la limite de la poésie, mais pourtant racontée comme un récit, Melancholia II a confirmé Jon Fosse parmi mes plus grands, mes meilleurs, mes plus forts. Si vous aimez lire pour créer une ambiance, si vous aimez la lenteur avec des finales fortes, une écriture modeste, économe, sans grands mots, mais complètement hypnotisante, découvrez Jon Fosse vous aussi. J'aimerais pouvoir partager avec d'autres mon espoir de le lire encore.

dimanche 27 novembre 2011

Bicycle Diaries, par David Byrne, éditions Penguin


Plusieurs se souviennent peut-être du groupe Talking Heads, rendu célèbre dans les années ‘80 pour des succès hors normes. Puis, David Byrne a poursuivi une carrière de musicien et d’artiste visuel. En 2009, cette pieuvre artistique qui sait toucher à tout a publié Bicycle Diaries où il raconte ses visites de grandes villes vues du haut de la selle de son vélo. Ce mec devient de plus en plus essentiel.
Ce que je croyais être l’apologie du transport à vélo s’est avéré un recueil de voyage et un carnet de notes, de pensées sur ce monde. Berlin, San Francisco, Buenos Aires, Manille et New York sont quelques unes des destinations de Byrne. Chacune est prétexte à une réflexion, sur la densité des villes, sur la place de l’art dans la vie de tous les jours, sur le pouvoir des peuples, des individus, de l’union qui fait la force. Lumineux, Byrne décrit ce qu’il voit de son vélo qui lui donne cette vison à 380 degrés qui lui fait aimer les gens, le monde, qui lui fait tout regarder. De son vélo, David Byrne non seulement voit, mais entend, ressens, hume. Grand cri du coeur sur l’apprentissage de la vie ensemble, il explique sans juger, raconte sans moraliser. Plus témoin de son temps que ça...

David Byrne fait de la ville un habitat naturel. Là où vivent des gens, des choses bonnes, constructives, inspirantes émergent. Il en trouve partout, sans pour autant tomber dans la naïveté. Il constatera souvent les méfaits des travers de l’urbanisme laissé allé, des discours manipulateurs de peur véhiculés à tort et à travers qui ont fini par démoniser les villes pour glorifier les banlieues. Or voilà, David Byrne parle de vivre ensemble de la façon la plus naturelle qui soit, rassembleuse, créative. Il parle de quartiers avec des enfants, de maires visionnaires, de dictateurs honnis, et de gens rencontrés partout, des gens inspirants de tous les domaines.
J’ai lu les Bicycle Diaries avec bonheur. De telles voix sont absolument essentielles. Trop positifs pour avoir bonne presse, les Byrne de ce monde méritent pourtant l’attention de tous parce qu’ils parlent à tous. Ces chroniques n’ont rien de prétentieux ni de verbeux. Elles exposent simplement des idées, des “Et si on faisait ça...”, comme on s’en raconte autour d’une table avec des amis ou au coin d’un bureau avec des collègues.
Écrit en anglais, mes recherches ne m’ont pas permis d’en trouver une traduction. Dommage. Ces belles idées méritent de voyager dans toutes les langues.
Si vous lisez l’anglais et que vous croyez qu’il y a une façon de faire des villes un milieu de vie sain, plaisant et stimulant, mettez la main sur Bicycle Diaries. Éclairant, dynamique et réconfortant.

samedi 5 novembre 2011

La grande maison, par Nicole Krauss, éditions Boréal


Il y avait eu "L'histoire de l'amour", il y a quelques années. Nicole Krauss récidive avec la grande maison et j'ai encore craqué.

Quatre histoires se chevauchent. À première vue, on croit qu'on pourrait s'y perdre mais non. Dans chaque histoire traînent quelques cailloux des autres récits qui avancent en parallèle. Au centre de tout ça, il y a toutefois un objet commun: un bureau. Il se promènera de Jérusalem à New York en passant par Londres. Autour de lui, des personnages qui racontent leur vie ou un épisode et qui tous tournent autour de la même question: est-ce que je joue le bon rôle? Tout ça chacun dans leurs vies respectives. Et comme une spirale, comme dans "L'histoire de l'amour", tout se rapproche jusqu'à ce qu'on relie tous les fils.

Krauss écrit avec grâce. Elle ramène à la surface des choses profondes, fait poser par ses personnages des questions qu'on n'ose pas se poser soi-même. Oui, on parle un peu de tortures, de celles qu'on s'inflige à soi. Parce que voilà, côté auto-critique, di genre "je suis né; coupable" l'esprit juif s'y connaît. Krauss fait tremper ses histoires dans le passé et le présent de ce peuple encore considéré comme étrange, tant par les autres que par eux-mêmes. Ça pourrait sembler cliché, ça pourrait même taper assez sérieusement. On a beaucoup vu et lu sur un certain misérabilisme juif ces derniers temps, mais Krauss en traite autrement. En fait, chose rare, elle ne traite personne en victime des autres mais bien d'eux-mêmes. Aussi, inévitablement, ça vous rejoint. Que l'on traîne un héritage judéo-chrétien ou pas, on se reconnaît beaucoup dans ce qu'écrit Nicole Krauss.

J'ai hésité avant de me procurer ce livre parce que j'avais peur d'être déçu comme je l'ai été d'autres auteures féminines américaines qui, après un succès littéraire, sont ensuite tombé dans des espèces de fictions psychologiques vaguement freudiennes. J'ai retrouvé ça aussi dans ce livre. En fait, il s'agit de mon seul reproche: ces courtes scènes où l'auteure fait raconter leurs rêves à ses personnages. On dirait un tic d'écriture. Dans cette histoire en tout cas, les trois ou quatre fois où ça arrive, c'est à peu près inutile. À chacun sa religion, dirais-je... mais mis à part ça, La grande maison est un livre captivant qui contient des dialogues très forts, dont un en particulier où un un père parle à son fils, en fait ou il pourrait parler à son fils. Krauss fait dire à cet homme tout le non-dit, tous les mots qu'un père aurait pu dire à un fils... et qu'il ne lui dira jamais. L'approche est bouleversante, comme plusieurs autres scènes, dont la fin.

Nicole Krauss est sans contredit une grande auteure. Ses livres sont rares. Je ne lui en connais que deux et jusqu'ici, je ne saurais que la recommander.

dimanche 9 octobre 2011

Solaire, par Ian McEwan, éditions Gallimard


Autre recommandation de mon libraire. Jusqu'ici, il ne s'est pas souvent trompé. "C'est drôle, très anglais, plein d'ironie" m'a-t-il dit en me présentant Solaire, d'un auteur prolifique que je ne connaissais pas encore. La jaquette parlait du "livre le plus dôle de McEwan". Eh bien les deux ne se sont pas trompés.
Anti-héros par excellence, Michael Beard est grassouillet, Nobel de physique, amant de la bonne chair dans tous les sens du terme. Au terme de son 4e mariage, sans enfants, il se verra rattrapé par sa vie jusqu'ici fortement débonnaire. Ayant accumulé les maîtresses malgré son physique désavantageux, il arrive ici que c'est sa femme qui le cocufie. Déstabilisé, il perdra pied progressivement à travers une suite d'événements prétextes à quantité d'anecdotes savoureuses. Jusqu'à une fin qui, justement, a tout de la fin de bien des choses...
Anecdotique est le mot. McEwan fait passer son bonhomme par tout plein de situations empreintes d'ironie, de sarcasmes et d'une bonne dose d'humour très British. Critique acerbe du monde des affaires et des médias, l'action se déroule au début des années 2000, les années Blair, qui, lui comme d'autres, passent à la moulinette. Souvent pathétique, le personnage principal passera pourtant à travers les humiliations avec une bonne dose de flegme, non sans être conscient de voir le ciel lui tomber sur la tête. J'ai ri, très certainement, oui, et de bon coeur.
Attention, il ne s'agit pas ici des Monthy Pytons ni d'un Mr Bean littéraire. Solaire est plutôt un divertissement qui a l'avantage non seulement de nous vulgariser des notions de physique qui auraient bien pu être des plus arides, mais aussi de nous faire réfléchir sur les conséquences de nos actes sans pour autant tomber dans le "moralisateur". D'où un côté franchement européen, en opposition aux introspections le plus souvent pleines de culpabilités des auteurs américains. Ici, de la culpabilité: pas du tout. Plutôt du fatalisme, beaucoup de fatalisme. Très bien traduit, d'un style qui coule bien, Solaire ne révolutionne rien mais fait passer de très bons moments entre l'Angleterre (les amoureux de Londres seront servis) et le sud-ouest des États-Unis, sans tomber dans aucun cliché concernant ces deux parties du monde.
Belle réussite. À lire avec un sourire en coin.

dimanche 25 septembre 2011

Le cimetière de Prague, par Umberto Eco, éditions Grasset


Ces derniers temps, lorsqu'on me parlait lecture, je répondais que je lisais Umberto Eco. Aux sourcils qui montaient le plus souvent vers le haut à ma réponse, je répondais d'un sourire. J'ai bien fait de ne pas trop en prétendre, parce qu'ils avaient raison. Je suis surpris moi-même d'avoir lu le Cimetière de Prague au grand complet parce qu'il est fort possible que je n'aie rien compris.

Un homme d'une soixantaine d'année se réveille un bon matin et constate que les habits d'un autre sont suspendus à un cintre dans sa chambre. À qui appartiennent ces fringues? Et si c'était les siennes? Pour découvrir qui est qui, l'homme plonge dans ses souvenirs, qu'il écrit, et à son réveil, "l'autre" poursuit son histoire, comme s'il la connaissait lui aussi.

Le fond est excellent, l'idée audacieuse. On voit là un écrivain qui sait comment lancer une histoire. Alors ça va ainsi: on part de 1897, et on descend dans le temps. L'homme est notaire, vit à Turin, et découvrira comment devenir un bon faussaire. Ses talents le mèneront à travers... l'Italie et la création de ce qu'elle est (Garibaldi, les guerres, etc.), et la France (la Commune de Paris, l'affaire Dreyfus, etc.) Historique, vous avez dit? Le mot est faible. C'est Umberto Eco après tout, monsieur "Nom de la rose". Mais on en est loin. Ici, l'histoire marine (c'est tout à fait le mot) dans les guerres intestines catholiques vs francs-maçons, où ces derniers représentent l'anarchie et le non-respect de l'ordre établi. Ajoutez à ça une forte, très forte dose d'anti-sémitisme ouvert du personnage principal et des deux narrateurs et vous en restez pantois, vous nagez dans les faits historiques détaillés, les anecdotes, les descriptions, les allusions, les personnages qui viennent et qui disparaissent et qui réapparaissent 20 ans plus tard. C'est plus de la lecture, c'est de l'exercice.


À quoi ce grand de la littérature a-t-il venu en venir? À une grande métaphore de la gauche vs la droite? À l'allégorie de "quand on crache en l'air..."? À du cynisme tellement tordu que le but de perdre le lecteur en est avoué? À un défoulement où il mes en scènes ses propres ressentiments? Je sais pas. Et ces images du 19e siècle qui parsèment le livre... elles sont belles, oui, et permettent parfois de souffler un peu, mais était-ce vraiment nécessaire?

Si Eco écrit pour divertir, cette fois-ci, il est, pour ma modeste part, passé bien à côté. Si par contre il écrit pour se faire plaisir, on imagine aisément qu'il a réussi.

Franchement, c'est à n'y rien comprendre.

dimanche 14 août 2011

Charly 9, par Jean Teulé, Éditions Julliard


Un roi de France mort à 23 ans. Déjà, le sujet promet quelques intrigues. Or, celles-là figurent sans doute parmi les pires que la France ait vécu. Charles IX, dont le règne fur marqué par le massacre de la St-Barthélémy, mourut un an plus tard à force de transpirer son sang. Sujet en or, traité ici façon "humour noir". Intéressant. Si l'histoire est horrible, franchement épouvantable, dirais-je, le style, lui, est quasiment débonnaire. Soit ça dédramatise, soit ça tape...

Tout ça commence de la meilleure façon: cour du roi, des dialogues truculents entre courtisans retors, politiques maniaques, une mère aussi malsaine qu'on puisse l'imaginer, et un roi qui serait resté sympathique s'il n'avait pas été si facilement manipulé. Et ça se termine par cette phrase qui restera attachée au personnage: "Tuez les tous!" Oui, mais comment ces mots-là sont vraiment sortis...? Vraiment Teulé joue bien avec l'Histoire. Son interprétation est théâtrale. À chaque tableau on voit la mise en scène, des chapeaux aux chandeliers, tout est à sa place, bien décrit. On entre facilement dans l'époque. Quant à savoir si chaque événement s'est véritablement déroulé comme décrit, on se permet d'en douter pour une seule raison: les dialogues, très, mais vraiment très "bandes dessinées". Rare qu'un romancier Français s'aventure autant dans les dialogues. Et ceux-là ne sont pas piqués des vers. Teulé rend chaque personnage extrêmement typé, non seulement par la description qu'il en fait, mais aussi et surtout par les mots qu'il leur met en bouche. Ici, les connétables parlent gras, les aristos sont mal engueulés, le roi jure comme un charretier. Non, on ne peut pas être contre, pas du tout même. Eh quoi, ces gens-là parlaient-ils tous comme des acteurs récitant Molière? Qu'on nous permette d'en douter. Teulé rend chacun très humain, souvent caricatural, mais on aime ça, c'est efficace.

Là où toutefois j'ai un peu accroché, c'est que l'historie de Charles IX est effectivement infâme. Le pauvre est mort honni de tous pour avoir été victime d'une cour vile, d'une famille de fous et d'une époque trouble. C'est à tout le moins ce que Teulé fait ressortir. Et à travers toutes ces vilenies, on assiste à la chute de la santé mentale du roi, qui va de folies en folies, et suscite par le fait même les commentaires méprisants, puis la haine, et ainsi va la spirale vers le bas. Or, l'auteur s'acharne beaucoup sur l'aspect "folie". Plusieurs tableaux exposent la perte de contrôle du roi, et ce ne sont pas les meilleurs. Là où on s'avance sur le bout de notre chaise, c'est lorsqu'entrent en scène les autres personnages, le frère complètement débile lui-même mais soutenu par sa vipère de mère pour succéder au roi, la mère, Catherine de Médicis, plus horrible que la plus hypocrite des créatures politiques que vous connaissiez, la soeur, la pauvre Margot qui danse avec la tête de son amant dans un bocal de formol. Vous voyez le genre? Très bande dessinée, et quelle bizarre d'impression de savoir que tout ça est tiré d'un fait historique!

Amateurs d'histoires de cours et de duchesses seront, à mon sens, déçus. Le traitement des têtes poudrées étant ici proche de l'impertinence. Quant aux amateurs d'histoires tordues, ils y trouveront un peu plus leur compte, tout en ayant peut-être parfois l'impression que la sauce s'étire juste un peu trop. Un bouquin à discuter en cercle de lecture!

dimanche 7 août 2011

Insomnie, par Jon Fosse, éditions Circé


Je parle souvent de voyages dans ce blogue, d'endroits visités par l'entremise d'auteurs. Ce sont parfois des mondes, parfois des contrées, des maisons, des têtes. Toutes ces destinations où Jon Fosse m'emmène, je les suis, les explore, les touche, puis j'en reviens dépaysé, étourdi, décalé.

Insomnie ne dure pas longtemps. Le voyage des deux personnages non plus. Ils ont 17 ans, et arrivent "en ville" après avoir quitté leur petit bled. Elle est enceinte, prête à accoucher et ils ne trouvent nulle place pour se loger. L'histoire vous dit quelque-chose? Celle-ci se passe en Norvège, dans une époque non définie, c'est la fin de l'automne et il pleut. En 100 pages ou à peu près, Jon Fosse souffle le chaud et le froid sur tout ça et réussit à trouver des trous dans les nuages les plus épais qui soient. On vit leur grande fatigue, on manque de souffle avec eux, puis on les regarde dormir.

J'ai trouvé encore peu d'équivalents à cette écriture. À ce que d'aucuns pourraient qualifier de poétique, je parlerai plutôt de lenteur, de mots sortis un par un, jour après jour. J'imagine une phrase à l'heure sorties d'images qu'envieraient n'importe quel producteur de cinéma, de réflexions, de contemplation du monde, des gens, du temps. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une écriture aride pour autant et recommanderais Insomnie même à quelqu'un qui lit peu. Si l'histoire peut paraître sombre, les personnages n'en sont pas moins lumineux. Et non, ça ne se passe pas à Oslo. Il s'agit ici d'une ville norvégienne dont je ne veux pas savoir si elle existe, de peur de la ramener sur terre. J'aime les images que je m'en suis faite. Même si Fosse n'est pas bavard, il sait dire les choses essentielles. Ses descriptions tant des gens que des choses sont sans équivoques, précises et rendent belles ce qui n'aurait aucune raison de l'être.

Pour vous dépayser, sortir du mouvement, vous évader ailleurs que là où vous n'êtes peut-être jamais allé et n'irez sans doute jamais. À lire doucement, à l'abri.

lundi 4 juillet 2011

L'homme blanc, de Perrine Leblanc, éditions Le Quartanier, collection Polygraphe


Lorsque j'entend parler de "roman russe", généralement, je m'imagine quelque chose de triste, de nostalgique, d'un auteur qui l'a eue difficile et qui nous raconte ses malheurs plus ou moins ironiquement. Bon, vous me direz que j'exagère, que tout ce qui est russe tire fort, que y'a qu'à penser à Dostoï, Tchekov, Soljenystine et compagnie. Pour tout vous dire, je n'ai lu que le premier et le jeune adulte que j'étais préférait mille fois mieux les petites félonies de Balzac aux angoisses existentielles des frères Karamazov. Or maintenant, parmi les auteurs russes, on a qui? D'un si grand pays, si peuplé, connaît-on, nous lecteurs en français, l'âme russe des années 2000 par sa littérature? Qu'on me permette d'en douter. J'en vois peu de traduits. Pour ma part, y'a Makine, mais Makine, mais c'est bien peu. C'est bon, Makine, c'est grand, c'est immense, même, mais c'est sûrement pas tout.

Or voilà, arrive une auteure québécoise, nouvelle, jeune, qui écrit une histoire russe. Ça commence en Sibérie dans un camp, ça se transporte à Moscou et ça se termine dans un cirque. Personnellement, tout mon imaginaire russe y a passé. J'ai ressorti de vieilles images d'une contrée du monde que je ne connais pas autrement. Perrine Leblanc m'a transporté là où Makine, justement, m'avait porté, et peut-être d'autres que j'oublie. donc, côté images et décors: rien de nouveau. Mais oui, j'y reviens, l'auteure est Québécoise. Je ne sais rien de son parcours: a-t-elle une babouchka quelque part dans son arbre généalogique, des études post-doctorales dans une université russe, une collection de têtes de Lénine, je ne sais pas, je n'ai que peu lu sur elle. Or elle a dû tout lire, elle, de ce qui est russe, traduit ou pas. Ça se sent.


L'image que j'ai du Russe a quelque chose de sec, de pas tellement jasant, de mots rares et d'imaginaire débordant que la vodka fait ressortir, et c,est tout. Voilà, c'était ça: des phrases courtes, sans détours, un personnage qui a tout de la fleur poussée dans le gravier, une vie à se débrouiller, et s'en foutre et finalement à s'en sortir sans pour autant s'en rendre compte. Très russe, dirais-je, et on aime ça.

J'ai constaté que la critique a accueilli Perrine Leblanc avec beaucoup de bons mots. J'abonde, sans pour autant parler de révolution. Leblanc écrit fort bien et possède une sagacité rare. L'histoire ici racontée, si elle navigue sur des eaux connues, des images déjà décrites, laissent supposer une belle continuité. J'aimerais que Perrine Leblanc me raconte la Russie d'aujourd'hui. Oui, elle le fait à la fin de l'Homme blanc, mais c'est pas suffisant. N'empêche, je compte sur elle, Russe ou pas, pour m'emmener là bas, loin dans leurs têtes, leurs rêves, leurs envies.

À lire, parce qu'à suivre. Belle découverte.

dimanche 3 juillet 2011

Le sablier des solitudes, par Jean-Simon Desrochers, éditions les Herbes rouges


Après La canicule des pauvres... j'ai découvert, parce que je n'avais rien su de sa sortie, ce nouveau titre de Jean-Simon Desrochers en réprimant une forte envie de battre des mains en pleine librairie. Je rencontrais une autre occasion de me plonger dans l'atmosphère de Desrochers, j'étais prêt pour une autre dégelée du type de La canicule...

Bon.

Après quelque 10 pages, je retrouvais l'oeuvre "chorale" qui marquait La Canicule...: plusieurs voix, plusieurs personnages, un montage serré, des chapitres courts. Après quelque 20 pages, je me suis dit qu'il était sans doute trop tôt pour être déçu. Le temps m'a à peu près donné raison.

Jean-Simon Desrochers écrit comme de la dynamite. Sa langue, ses formulations, en fait, tout ce qu'il exprime avec des mots m'apparaît encore unique. Il y a quelque chose dans cette écriture d'aussi marquant qu'un Michel Tremblay, pas tant dans le style que dans la portée. Desrochers dérange, j'en suis absolument certain, pas tant par ses histoires que par sa façon d'écrire, connectée directement sur la langue parlée, ou plutôt la langue pensée, celle qui sort directement de la tête de n'importe quel parlant français né et vivant en Amérique du Nord (on ne me reprochera quand même pas de manquer de rectitude politique... ). Avec Le sablier..., Desrochers nous ramène à d'autres réalités aussi crues qu'une photo prise en pleine rue, qu'une caméra cachée chez son voisin. Les portraits de personnage, lorsqu'on les lira dans 20 ans, deviendront des références pour se remémorer notre époque. Cet écrivain est vraiment très, très fort.

Ceci dit, hormis le style, il y a l'histoire. Alors que dans La canicule... le lien entre les personnages était un lieu, avec Le sablier..., il s'agit d'un événement. Les amorces sont efficaces, oui, les personnages divers, mais voilà... vous dire combien certains m'ont tapé, ... OK. On dira que l'auteur m'a eu, que c'est lui qui a provoquée mon exaspération. Or je ne crois pas, et voici pourquoi: il y a, parmi les personnages du Sablier... un Américain qui se retrouve mêlé à l'événement. Or, dans chaque chapitre qui lui sont consacrés, Desrochers marque les dialogues et les pensées en anglais. Ce tic d'écriture se retrouvait aussi dans La canicule... à un moindre degré. Dans Le sablier..., cette récurrence est assez fortement présente pour en parler ouvertement. Maintenant, suis-je un méchant nationaliste borné, un inconscient volontaire de la mondialisation ambiante, un puriste du français dans le genre "Académicien"? Pas du tout. Je suis un amateur de littérature et d'histoires de partout. Je lis l'anglais et le français, et si je le pouvais, je lirais certainement dans d'autres langues. En lisant un bouquin, j'aime percevoir le plaisir de l'auteur d'utiliser la langue, les mots, comme le ferait un peintre avec ses couleurs. Or, pour moi, l'utilisation de l'anglais, dans n'importe quelle littérature nationale non-américaine qui soit, relève de la paresse intellectuelle. Oui, cette culture est partout, plus encore dans certaines contrées que d'autres. Oui, elle nous entoure. Oui, elle détermine beaucoup de choses, en commençant par des manières d'être et de penser. Est-ce une raison pour la magnifier, lui donner une place qu'elle n'a jamais offerte aux autres cultures? Lui donner autant de place, est-ce courber le dos devant elle? Si le personnage avait été Danois, les dialogues auraient-ils été en danois? Qu'on me permette d'en douter. Mais comme les personnages sont Américains...

Je ne peux taire ma déception. Jean-Simon Desrochers demeure un auteur au sommet de mes préférences et je ne vois pas comment il pourra en redescendre. Je ne le veux pas parfait. En fait, comme tous ceux que j'aime, auteurs, amis, proches, je le veux imparfait, provoquant et libre. Surtout libre. J'espère Jean-Simon Desrochers libre. Le tic d'écrire des dialogues en anglais ressemble à un lien, un boulet. C'est pas laid, c'est juste triste. Me fallait le dire.

Je noterai enfin un autre personnage, une militaire, que Desrochers a fait donner dans le cliché du bon soldat dont la mort violente mérite description sur plusieurs page", alors qu'à côté de ça, de méchants talibans meurent par dizaines en 3 seuls mots. Histoire de rester digne, je ne ferai ici aucune référence aux influences d'une certaine culture sur non seulement le divertissement, mais aussi l'information...

Vous voyez? Jean-Simon Desrochers n'a pas fini de me faire réagir. J'avoue qu'y faut l'faire.

Ah bah. Continues, mec. Dérange-moi encore.

lundi 13 juin 2011

Objets de guérison, par Jacques Lazure, vlb éditeur


Recueil de nouvelles d'un auteur québécois, Objets de guérison m'a ramené à mes lectures de jeune adulte alors que je découvrais Edgar Allan Poe avec des émotions en montagnes russes. Tantôt j'étais éberlué par tant d'intelligence, tantôt j'étais étonné de n'avoir à peu près rien compris. Rares, sans doute, sont les recueils de nouvelles où toutes procurent la même émotion. Cette déroute des sentiments m'a fait m'éloigner du genre. À moins d'un auteur que je connais, je me risque sur ce terrain.

Cette fois n'a pas fait exception aux autres. J'ai découvert là un univers où l'étrange règne. La plupart des nouvelles, toutes courtes, flottent sur un aura assez lugubre. Sans pour autant tomber dans le sordide, quelques pièces donnent plutôt du côté du mortel que celui du vivant. Il ne s'agit pas de contes fantastiques, mais plutôt d'histoires où des personnages sont aux prises avec un phénomène qu'on pourrait qualifier "d'inexplicable". À travers ça, quelques nouvelles plus douces, un peu comme des pauses, où le monde de l'enfance tient une bonne place.

Sans être expert en matière de recueils de nouvelles, j'ose quand même avancer que celui-ce saura plaire aux amateurs du genre. Écrit sans flafla, efficacement, Objets de guérison s'est avéré un beau détour dans le monde du court.

dimanche 22 mai 2011

The Imperfectionists, par Tom Rachman, éditions Anchor Canada


Je ne sais pas à quel point TOUT LE MONDE en a entendu parler. Comme tout succès (ou potentiel de succès) littéraire anglo-saxon qui ait été, on a monté ce titre en haut de toutes les scènes marketing efficaces et populaires. Est-ce que le lecteur du Da Vinco Code et de Harry Potter a eu envie de se procurer The Imperfectionists pour autant? Si non tant pis pour lui, c'est dommage, il aurait aimé. Et la couverture... je ne peux m'empêcher d'en parler. L'illustration sur les versions en français et en anglais est la même. Seule différence: sur l'édition anglaise que je me suis procurée, il y a les 4 ou 5 inévitables citations des médias du style "Ashtonishly good" - The New York Times. "Brilliant!" - The Washington Post. Mais pourquoi y font ça?? Les clients n'ont pas l'impression que c'est comme des rires pré-enregistrés, ça, que c'est n'importe quoi? Dites, avez-vous déjà choisi un livre parce que les citations de journalistes inconnus sur le dessus étaient écrites en 72 points, caractère gras? Non mais on nous prend pour qui?

La littérature anglo-saxonne fascine dans sa proximité avec le monde des écrans. Lorsque je lis le roman de la plupart des auteurs européens, québécois ou de toute autre nationalité qu'américaine, je n'en projette pas instantanémentl'histoire sur un écran. Or, voilà ce qui m'est arrivé pour The Road il y a quelque temps, et maintenant, pour The Imperfectionists. Écrit pour la télé ou pas, on retrouve un montage serré, des personnages grossièrement découpés et aussi et surtout des dialogues aussi aiguisés qui soient. Résultat avec le livre de Rachman: on rit haut et fort devant son livre, on marche avec lui et lorsqu'on le referme... ben voilà, c'est terminé. ne reste plus rien. C'est pas transcendant, ça ne va pas me trotter dans la tête pendant 24 heures, mais j'ai passé un bon moment.

Ici, Tom Rachman décrit le milieu schizophrène des communications, plus particulièrement d'un journal. D'entrée, le titre est brillant, totalement brillant: les Imperfectionistes (c'est le titre de la traduction française chez Grasset). Dans un milieu où l'atteinte de la perfection n'a de valeur que la façon dont on parle de son propre perfectionnisme, on comprend vite que chacun travaille dans le sens de maquiller ses imperfections, d'où la constante impression de travailler avec des cas lourds de bipolarité ou de mésadaptés sociaux. Rachman prend le journal comme prétexte pour décrire, à chaque chapitre, une série de personnages reliés entre eux par le travail. Chacun est présenté sommairement à travers un tableau fort et souvent à la limite du rocambolesque, tout ça parsemé de dialogues comme seuls les auteurs américains savent en faire. Mettez-moi tout ça dans un gabarit d'une maison de production, filmez chaque tableau et vous en ferez une série à succès, c'est certain. Un seul des tableaux, où un correspondant à l'étranger junior sorti de l'université reçoit le correspondant senior du style Rambo, qui a tout vu, tout fait, tout vécu... absolument tordant.



La valeur littéraire d'une telle entreprise est quand même valable. Le style de Rachman ne réinvente rien mais montre bien combien un texte "bien épuré", sans métaphores, sans pensées profondes, mais tout en action, fonctionne. J'ai peut-être terminé le livre un peu lentement, les deux derniers tableaux n'ayant pas été mes préférés, même que bon... j'ai retrouvé là un bon vieux cliché du cinéma américain avec ses personnages "étrangers" complètement fêlés ou tout bonnement cons, et le bon mec américain un peu maladroit, victime des autres, et finalement, un modèle à suivre parce que eh, après tout, c'est lui le bon gars parce qu'il est comme vous et moi, non?

M'enfin... Pour un bon divertissement pendant les vacances, offrez-vous The Imperfectionists. Si par contre le bling-bling, les scripts de film et ce monde qui va trop vite vous tapent, passez à autre chose.

dimanche 8 mai 2011

Matin et soir, par Jon Fosse, Éditions Circé


Titre bien choisi, Matin et soir résume deux épisodes dans la vie d'un seul personnage. Plus qu'un roman, parlons plutôt d'un tableau. Touchant, beau, jamais peut-être n'ai-je lu quelque chose d'aussi silencieux.

Matin et soir est un voyage au sein des émotions. C'est entrer à l'intérieur de la vie, se la faire expliquer par un cahier d'images poétiques. Fosse est un Norvégien dont il ne s'agit que du troisième titre à avoir été écrit en français. Il décrit un coin de Norvège qui vaut à lui seul le dépaysement.

Dans Matin et soir, Fosse fait abstraction de tout ce qui n'est pas la vie. Il déstabilise en montrant un homme à l'état brut, dans son essence d'homme qui aime, croît, regarde, constate.

Si ce livre était un tableau, je le dirais hyper-réaliste. Si premières pages sont déconcertantes, on comprend plus tard à quoi Fosse fait référence, on saisit là où il est, puis on embarque avec lui dans un roman sans bruits, vraiment, sans pression mais dense, très dense, avec une langue accessible, simple qui rejoindra n'importe quel lecteur.

Amateurs de polars s'abstenir. Les scandinaves ont, d'après moi, beaucoup souffert d'avoir été réduits à des romans policiers populaires. Il y a, dans cette partie du monde, une manière d'écrire tout à fait particulière que ne me lasse pas de découvrir et qui me jette par terre à chaque fois. Je vois une aurore boréale, un hiver long penché sur une histoire, un été sans nuit passé à profiter de la lumière. Vraiment incroyable comme écriture.

Un livre aussi fort que le silence d'une foule, aussi puissant qu'une cathédrale millénaire et aussi simple que le soleil qui se lève et qui se couche.

J'ai terminé Matin et soir attablé à un café, complètement bouleversé, fortement ému, avec la sensation d'avoir vécu quelque-chose de fort et de très beau.

J'espère lire encore Jon Fosse. Jusqu'ici, l'air scandinave me va très bien, bien assez pour recommander chaudement de vous procurer Matin et soir pour les mêmes raisons que Rosa Candida, un peu plus tôt cette année. Vous y découvrirez quelque chose d'aussi beau, qui vous fera autant de bien, mais avec moins de couleurs et le seul son de votre pulsation cardiaque pour vous accompagner.

Renversant.

dimanche 24 avril 2011

Caïn, par Jose Saramago, Éditions Seuil


Adam et Êve revus par Saramago: déjà, pour qui a déjà lu quelques pages de cet auteur portugais, ça promet. Parce que de son vivant, Saramago n'a jamais penché du bord des grandes institutions. La pseudo-démocratie, le capitalisme idiot, les incongruités de la religion chrétienne, tout y a passé. Dans ce dernier ouvrage, Saramago règle ses comptes avec la religion. Si on a essayer de le bourrer de son vivant, insulté, il répond par encore pire. C'est tiré par les cheveux, c'est plus ironique que tout ce qu'on puisse imaginer, et c'est bon.

Caïn, le fils d'Adam et Êve, a fait la gaffe de tuer son frère Abel. Ne vous en faites pas, la scène dure deux lignes. Paf!, c'est fait. Sauf que voilà, dieu, grand rancunier devant l'Éternel, si l'on peut le dire ainsi, a tôt fait de marquer Caïn et de le punir à l'errance. Quoi? L'errance? Eh oui, la non-sédentarité, le non-bungalow, le non-immobilisme, bref, le non-conformisme. Ce Caïn voyagera non seulement de par le vaste monde, mais aussi dans le temps. Ainsi rencontrera-t-il d'autres personnages bibliques comme lui: Abraham en train d'immoler son fils, Noé en train de se monter un bateau, Job en pleine crise économique, les partouzeurs de Sodôme et Gomorhe, etc. etc. Partout, l'anti-conformiste Caïn, défiant dieu et ses représentants de toutes les façons, constatera les sinistres desseins de l'humanité, condamnée d'adorer un dieu qui, au bout du compte, n'en a rien à foutre de son peuple avec qui il se distrait en lui inculquant des notions guerrières. Maintenant, faut-il avoir lu la Bible pour apprécier Caïn? Je ne saurais dire. Personnellement, je n'ai pas lu la Bible, mais par un intérêt pour les histoires sordides et incroyables, je connaissais les personnages cités. Qui plus est, je connaissais aussi l'esprit caustique de Saramago. Aussi bien avouer que pour un tel livre, il faut peut-être partir d'un peu plus loin pour apprécier. Vous dire franchement, je n'aurais trop su qu'en penser si jamais je n'avais lu Saramago ni connu les personnages de l'Ancien Testament. Ceci, dit, tout ça mis ensemble, avec l'esprit d'un auteur aussi tordu que brillant, sa verve, son style unique, acoquinés à une histoire toute aussi tordue et dont on connaît les conséquences pour qui les a prises au pied de la lettre, ça crée de fortes scènes et s'il y a beaucoup à réfléchir, il y a tout autant à rigoler.

José Saramago est un écrivain immense. J'ai n'ai pas lu la moitié de son oeuvre et le place quand même parmi mes meilleurs. L'aveuglement est une de ses oeuvres qui, pour ma part, restera inclassable en même temps qu'inatteignable. Je vous la propose vivement et si vous avez aimé, si vous vous êtes retrouvés dans le style particulier de Saramago, offrez-vous les autres, dont La lucidité, puis Caïn. Vous verrez que seul cet auteur brillant pouvait choisir l'histoire du début de toutes choses pour marquer sa propre fin à lui. Pour l'intelligence et la pertinence.

Ah, et bon, qu'on me permette certains rites... Fier de l'habitude que j'ai prise de présenter les auteurs avec une photo, qu'on me permette ici un respect post mortem en éludant la photo de l'écrivain récemment décédé.

samedi 9 avril 2011

Des éclairs, par Jean Echenoz, Éditions de Minuit


Echenoz.

Bon ok, je dois l'avouer: je suis biaisé. Depuis mon premier Échenoz jusqu'à Des éclairs, j'ai cessé de le lire. Maintenant, je l'écoute. Pas que mon édition soit sonore, non. C'est juste que cet auteur, maintenant, me parle. Je m'assois, je saisis le livre, et Echenoz se met à raconter. Il décrit, il parle. Dans Des éclairs, il va même jusqu'à parler à son personnage. Et quel personnage!

Après Ravel et Zatopek, Echenoz fait l'honneur à Nikolas Tesla de s'intéresser à lui. Inventeur puissant, image parfaite du savant fou, Tesla a tout de l'univers des livres de Jean Echenoz. En fait, avec ces trois courtes histoires, on retrouve trois portraits de personnages au-dessus de la mêlée. De talents innés, ces trois-là sont tellement pris par ce qu'ils sont qu'ils en sont prisonniers, voir victimes. Des fous admirables qu'on plaint de ce qu'ils n'ont pas conscience du reste du monde. Que ce soit en musique avec Ravel, en sport avec Zatopek ou en sciences avec Tesla, à chaque fois Echenoz nous emmène au plus profond de passions que d'aucuns désigneraient par le "karma". Plus naturel que ça...

Grégor (le nom donné au personnage de Tesla par Echenoz) est brillant. En fait, l'homme est si intelligent qu'il en a l'air dingue. Naïf, le monde, qu'il croyait refaire, le détruira. Il finira petitement, comme Ravel et Zatopek avant lui. Si ces histoires suivent toutes la même courbe, elles n'en demeurent pas moins incroyables. Issus de milieux quelconques, chacun a atteint une gloire que seuls quelques humaines ont pu expérimenter de leur vivant, pour terminer leur vie de façon misérable ou retranchée, voir cachée. Dans Des éclairs, on comprendra le génie de Gregor/Tesla jusqu'à s'en éprendre, le plaindre, s'en exaspérer, et finalement le pleurer un peu.

Jean Echenoz, ce fameux conteur, figure parmi les rares qui puissent se permettre de raconter en plaçant un "je" propre au narrateur. Rares aussi sont les paroles aussi claires, la langue aussi parlée, pas dans le sens du commun, mais dans celui de l'adresse. Raconter, chez Echenoz, est un échange. Il vous donne son histoire, vous tape sur l'épaule à l'occasion, vous ajoute des "non, mais l'auriez-vous cru?", tape du pied, soupire bruyamment. Et il rit avec vous. Une expérience, vous avez dit?

Heureux qui, dans quelques années, découvrira Jean Echenoz en se procurant ce qui sera sans doute un coffret regroupant Ravel, Courir et Des éclairs et les lira de bout en bout. Ce sera, à coup sur, quelques jours inoubliables.

Vivement les histoires d'Echenoz et ses jolis tordus. N'importe quand!

dimanche 3 avril 2011

London Orbital, par Iain Sinclair, Penguin Editions


Absence un peu plus longue pour me permettre un voyage à Londres. Si le corps n'y était pas, la pensée, elle y a vécu pleinement. Dans les presque 600 pages de London Orbital, sorti en 2003, Sinclair fait un tour de Londres... en suivant son boulevard périphérique, l'autoroute M25. Or, à Londres, le périphérique est beaucoup plus excentré que celui de Paris. Les 102 miles de route à 8 voies traversent banlieues, forêts, aéroports, golfs et j'en passe.

L'expérience de Sinclair est d'autant plus intéressante qu'il fait le chemin à pied. Ça se passe en 1999. Il part du Millenium Dome, édifice et symbole honni, pour remonter sur la M25 et la suivre en sens anti-horaire. Il espace ses marches de quelques semaines et à chaque fois, il s'adjoint la compagnie d'amis artistes ou journalistes tout aussi férus de leur ville que lui. Photos et images filmées sont accumulées par les comparses, en plus de forces commentaires. Ici, Sinclair racontera une histoire sur un personnage actuel ou passé du lieu. Là, il racontera ses enquêtes sur un propriétaire foncier. Ailleurs, il vous décrira sa traversée d'un immense centre d'achat, etc. etc. Tout y passe: références historiques, anecdotes, et surtout, impressions. Traverser une ville en faisant le tour de sa lointaine banlieue: quelle meilleure façon de découvrir sa vraie nature, ses travers, ses faces cachées. Autour de la ville, on compte quantité d'hôpitaux psychiatriques, de sites d'enfouissements travestis en développements domiciliaires, d'anciens sites industriels reconvertis en espaces voués à la culture. C'est pleinement beau et horriblement laid. En fait, c'est la description même de notre temps. Un tel livre constitue l'exemple même de ce que tout politicien, lobbyiste ou riche investisseur pourvoyeur de parti politique abhorre. Un tel livre vaut tous les articles, tous les discours criés dans le désert de n'importe quel paysage médiatique national. C'est, à mon sens, l'expression même de la subversion.


La meilleure façon de dénoncer, à l'évidence, n'est pas d'interpréter mais bien de décrire. C'est ce que Sinclair fait sans aucun tabou, tout à fait naturellement et d'une manière toute britannique, avec humour, ironie, beaucoup de sarcasmes et de diplomatie.

C'est une photo d'une autoroute la nuit vue dans un magazine d'information qui a attiré mon attention sur cet ouvrage. je l'ai parcouru en utilisant Google Maps pour marcher moi-même sur les boulevards et sentiers décrits. Vivement la technologie au service de la littérature! Cet heureux hasard qui m'a permis non seulement la découverte de quelque chose de très stimulant, mais aussi de m'offrir une petite pause de littérature romanesque. Maintenant, j'y replonge aussi heureusement que je rendrais visite à un vieil ami que je n'aurais pas vu depuis longtemps.

Incontournable pour les amoureux de Londres, fortement recommandable pour les amoureux du milieu urbain, London Orbital aura été une vraie découverte, un genre de grande poussée dans le dos pour quantité de mes convictions. Comme quoi y'a pas que les nouveautés de l'année qui méritent le détour. Je devrais faire ça plus souvent.

samedi 12 février 2011

Rosa Candida, par Audur Ava Olafsdottir, éditions Zulma


Je sais pas pour vous, mais j'ai, avec les livres, le même type de rapport qu'avec les gens. Par exemple, on peut passer plusieurs heures, voir plusieurs jours avec quelqu'un avant qu'il ne s'efface et que rien ne reste de lui ou d'elle. Oublié. Parfois on le recroise ou on en entend parler et on se dit "Ah oui, je l'ai déjà croisé", sans plus.

Pour d'autres, une rencontre au hasard ou le plus souvent par personne interposée vous fait réaliser après ne serait-ce que deux minutes passées avec cette personne qu'elle vous suivra toujours, que vous ne la perdrez pas. Sans savoir pourquoi, cette personne s'imprime quelque part en vous et fait dès lors partie de ce que vous êtes, peu importe la durée du temps que vous aurez passé avec elle. Ainsi en est-il de Rosa Candida.

Présentée par mon libraire (encore un fois), cette deuxième incartade dans le monde de la littérature islandaise avait tout pour me rappeler Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefasson. Pas besoin de dire combien mes attentes étaient élevées. Ce dernier titre m'habite encore très puissamment.

Or voilà, autant le livre de Stefasson tournait autour de la mort, autant ce dernier, de Olafsdottir, éclate de vie. Aussi, j'ai reçu le premier tiers du livre un peu comme un coup de mauvais magazine qu'on aura roulé pour vous donner une claque derrière la tête. Pas que ça fait mal, mais ce n'est pas nécessairement agréable, d'autant plus que le magazine en question semble un peu niais. Au fil des pages, ce que j'ai d'abord pris pour ma transformation en midinette s'est métamorphosé en un grand sourire: je m'étais fait avoir. Un livre, causant de fleurs, d'amours de jeune adulte et d'émancipation des parents, bref, de tout ce qui d'ordinaire me taperait sur les nerfs, était en train de m'émouvoir, oui oui, le mot est dit, "émouvoir" à presque chaque page.

Un mec de 22 ans quitte son Islande natale. À cette âge-là, on n'a jamais une très haute opinion de son pays ni de sa famille. Sans les détester, ils nous tapent. Tel est le cas de son père, déjà vieux et un peu ringard. Sa mère est décédée accidentellement et son frère souffre de maladie mentale. Pas jojo, d'autant plus que le mec en question se retrouve père après avoir passé, comme il le dira souvent, une demi-nuit avec une fille. L'enfant naîtra, la fille l'élèvera tout seul, le garçon connaîtra sa fille puis, il partira pour travailler comme horticulteur dans un jardin autrefois réputé pour ses roses. En passant, jamais le pays visité ne sera nommé. On le devinera et l'interprétera comme on le veut: quelle élégance de l'auteure!

Or voilà, la mère de l'enfant lui demande de garder la petite l'espace d'un mois. Il accepte, et elle débarquera dans la nouvelle vie qu'il essayait de se construire. Je ne vous dit pas la suite, mais laissez-moi vous en énumérer quelques qualités: lumière, naïveté, sagesse, et lumière encore. Sans doute inspiré par des heures et des heures de soleil nordique, Rosa Candida saura ravir les plus grognons. La traduction est impec parce que limpide. On ne bute sur rien et sa lecture coule de source. J'irais jusqu'à le recommander à qui file un mauvais coton, histoire de lire quelque chose de beau, simple et franchement, oui, lumineux. Une belle histoire sur la vie, sur la découverte de ce que l'on est, intrinsèquement, lorsqu'on arrête de tout se cacher soi-même.

Vivement l'Islande, vivement Audur Ava Olfasdottir, et dites, ces auteurs islandais, traduit-on toutes leurs oeuvres ou seulement leurs meilleures? C'est à se demander. Jusqu'ici, je constate qu'il y aurait de la place à en avoir beaucoup plus. Traducteurs de l'islandais au français, vous faites là un beau métier. Continuez!

mercredi 2 février 2011

La bascule du souffle, par Herta Müller, éditions Gallimard


Suggestion de mon libraire. D'entrée, ceci donne le ton. Si le spécialiste recommande, c'est sans doute que c'est bon. Or oui, la Bascule du souffle tient du livre rare, mais...

Herta Müller a remporté le Nobel de littérature en 2009. On imagine alors la voix puissante. À mon sens, pour remporter un prix littéraire international, il faut certainement être percutant pour rejoindre toutes les cultures du monde. Voilà un ouvrage qui se qualifie ainsi: percutant. Un jeune homme d'origine allemande vit en Roumanie. Après la 2e Guerre, il est déporté, avec d'autres congénères, vers un camp de travail russe. Le crime: avoir été d'origine allemande pendant la guerre. La Bascule du souffle est un récit au "je" qui décrit cinq années de vie au camp. Lui et quelques autres s'en sortiront et reviendront chez-eux. Ce retour, dans le dernier quart, devient le point culminant du récit.

Car voilà, il s'agit d'un texte fort et d'une sensibilité difficile à décrire. Par "sensibilité", j'entends ici l'éveil à tout ce qui se vit, se ressent. Le narrateur partage avec nous un genre d'hyper-conscience de ce qu'il vit, de ce que les autres font, et cette hyper-conscience le sauvera sans doute. Prendre conscience des désirs des autres, de l'odeur du vent, des rêves, en fait, de chaque chose qui existe, surtout lorsqu'on n'a presque rien, rend la vie moins lourde. Aussi, dans ce livre, chaque mot devient important. Le seul titre, très beau et lourd d'un sens qu'on met du temps à découvrir, en est la preuve. Or voilà, ces mots, parfois, voir même souvent, m'ont perdu.

J'ai d'abord crû qu'il s'agissait du ton, me disant que l'esprit allemand m'était sans doute juste assez éloigné pour que je me perde un peu dans le sens des pensées du narrateur. Ça ne coulait pas de source. Je relisais parfois un paragraphe ou toute une page. N'en demeure pas moins que même en avançant difficilement, j'appréciais. Puis, à force d'accrochages, j'ai rejeté la faute ailleurs: la traduction.

À sentir la force de ce texte de loin sans vraiment la vivre, j'ai compris que le fond me convenait mais pas la forme. Je m'explique. On parle ici de la vie dans un camp de travail. Tout y est sale, industriel, gris, même si parfois, comme je le disais, le narrateur va chercher les couleurs là où on ne s'y attend pas. N'empêche. Dans cet univers de travail, de dureté, de laideur, j'ai trouvé anormal de buter sur autant de mots. L'univers était connu, mais pas le lexique. J'ouvre le livre au hasard et je tombe sur des mots du camp: un chalis, des parpaings, un terril, du mâchefer. Oui ces mots existent. Oui, sans doute, ce sont les bons pour désigner ce qu'ils désignent. Or, ces mots ne m'appartiennent pas. J'ai cherché quelques uns de ces mots pour me rendre compte que je nommais les objets qu'ils désignent autrement, qu'il en a toujours été ainsi et que je ne suis pas plus con pour autant. J'ai lu suffisamment de livres pour faire la différence entre une traduction accessible et une autre trop ampoulée. Est-ce là une question de culture nationale, de classe sociale ou simplement de vocabulaire personnel? À vous de juger. Je pencherais du côté de la première option.

Je vis à Montréal, une ville où la traduction est une industrie florissante. Ma vie quotidienne est pavée de textes traduits, aussi puis-je distinguer un travail de forme académique d'un autre rendu plus actuel. À moins que les opinions sur la traduction d'oeuvres cinématographiques soient en train de rejoindre la littérature? Est-ce une question d'accent, d'environnement, de société? Peut-être. J'ouvre le débat.

Un livre fort, donc, et très beau, mais ardu.

lundi 31 janvier 2011

La première guerre de Toronto, par Daniel Marchildon, éditions David


Il m'a été donné de lire un roman destiné à un public adolescent. C'est à tout le moins ce que j'en déduis par le nom de la collection, 14/18, des éditions David. J'ajouterai à cette constatation un ton simple, d'une droiture sans reproche, qui rend la lecture facile d'un épisode tourmenté de la ville de Toronto.

Marchildon y raconte la période 1916-1918 où non seulement la première guerre mondiale occupait tout l'espace de la vie des résidents de l'époque, mais aussi et surtout, l'épisode épidémique de la grippe espagnole. Napoléon Bouvier, un membre de la communauté franco-torontoise d'environ 8 000 âmes à l'époque, traverse des aventures personnelles déterminantes du haut de ses 17 ans. Le boxeur devient soldat en Europe, puis est démobilisé au Canada pendant l'épidémie. Sa détermination s'exprimera non seulement face aux enjeux provoqués par la guerre et la maladie, mais aussi du fait de sa nationalité francophone dans une ville et une époque où le fait français provoquait bien des tourments.

C'est toujours un plaisir d'apprendre en lisant, et ce livre y porte de la meilleure façon. Les événements historiques sont racontés clairement à partir des têtes et des coeurs de personnages fort attachants. Un livre pour adolescents, ce sont des descriptions précises et des sentiments francs. Parler d'un sujet aussi peu couvert, pas tellement "à la page" peut s'avérer risqué côté ventes. Il n'en demeure pas moins que la qualité de l'écriture et du propos méritent qu'on porte attention à ce bouquin.


Bon, d'accord. On pourra reprocher quelques erreurs d'édition, comme des guillemets placés de façon erratique, par exemple, ce qui peut confondre un peu, mais rien de majeur.

Bref, aucune raison de snober ce joli récit pour toute personne avide d'Histoire. Ce pan de l'histoire du Canada français est fort bien raconté.

mardi 11 janvier 2011

Contre Dieu, par Patrick Sénécal, éditions Coups de Tête


Quand la lecture d'un roman devient un roman elle-même...

Je n'avais rien lu de Sénécal, auteur prolifique dont les romans noirs et les polars ont souvent été adaptés à l'écran par des réalisateurs québécois, souvent avec succès. Sans dénier d'aucune façon l'auteur, je dois seulement préciser que le genre ne me plaît pas. Horreur, romans noirs et affaires sordides ne m'attirent pas. N'en demeure pas moins que je me suis procuré Contre Dieu parce qu'on en parlait comme d'un roman noir, oui, mais peut-être moins sordide, donnant moins dans l'horreur que ses ouvrages précédents. Ça, je ne saurais dire. Reste que j'ai longtemps hésité avant d'ouvrir le court bouquin de quelque cent pages. J'ai rapidement compris pourquoi.

Précisons que Contre Dieu est une longue phrase qui dure du début à la fin. Écrit à la deuxième personne: "Tu te lèves, tu te regardes dans le miroir et tu pars... etc.", il ne laisse aucun répit. dès les premières pages, il vous prend votre souffle. Il s'agit habituellement d'un style qui m'énerve au plus haut point. Là, je pense particulièrement à Putain, de Nelly Arcand, que je n'ai jamais réussi à finir. Mais pour Sénécal, je dois avouer qu'après 30 pages lues tout d'une traite un soir avant le dodo... j'ai rêvé de ce bouquin. Un rêve étrange et très angoissé. C'est pour dire combien c'est fort. Non, ça ne m'arrive pas souvent et oui, ne vous en faites pas, je vais bien!

Un homme apprends la mort de sa famille, femme et enfants, dans un accident d'auto. Affecté, touché, défait, il déjante puis s'enfonce et s'enfonce encore. Noir? Le mot est faible. Mais attention: il n'y a pas ici de scènes sordides, d'horreur à l'hémoglobine jaillissante. Non, ou sinon très peu. En fait, le plus dur dans ce livre, c'est son hyper-réalisme.


Fort heureusement (et le terme ici n'a d'heureux que le mot), arrive une scène à peu près à mi-chemin qui nous fait nous dire qu'il s'agit bel et bien d'un roman, que non, voyons, ça peut pas arriver quelque chose comme ça. N'empêche. Il y a longtemps que je n'ai eu envie de terminer un livre comme ça. Chaque plongeon dedans me frappait comme un coup de poing. Et pourtant il me fallait aller jusqu'au bout, comme le personnage du livre. Ce livre vous défait. Peut-être suis-je trop réceptif aux histoires, je sais pas. Ça ne m'empêche pas d'en souligner le caractère absolument remarquable. En fait je suis stupéfait. Cette histoire est, de loin, une des pires, en termes de conséquences, de tristesse, de malheur, et tout ce que vous voulez dans le genre, que j'aie lue. Seul, peut-être, L'Adversaire, d'Emmanuel Carrère, m'a laissé une même impression d'horreur, mais certainement pas aussi forte que Contre Dieu dont le titre, en passant, même s'il paraît un peu fort, prend tout son sens dans les deux derniers mots du roman.

À ne pas prendre avec des pincettes, absolument pas, ni lire en vacances. Mais à lire, quand même, pour découvrir une voix vraiment très forte et qui fait très mal. Aoutche, mais bravo.

dimanche 9 janvier 2011

Si la tendance se maintient, par Pierre-Marc Drouin, Éditions Québec-Amérique


Les éléments, les étoiles, le hasard et autres aléas de la vie font que les romans québécois que j'ai parcouru, ces derniers temps, tombent dans un pattern commun. Je parlerais ici de "livres de gars", pas tant dans le sens macho du terme que de celui de l'anecdote. Voyons le portrait de l'écrivain type du livre de gars québécois des années 2000: dans la vingtaine ou la jeune trentaine, l'auteur chronique les frasques rêvées ou autobiographiques d'un mec le plus souvent tourmenté socialement, mais pour qui les éléments de reconnaissances sociales donnent au roman tout son caractère irréel. Généralement, le gars ne se fait pas trop chier sexuellement, côté fric: pas trop de problèmes non plus. Restent de bien grandes questions existentielles à régler.

Or chacun possède son caractère propre. Celui-là a la particularité de raconter ses frasques en suivant un modèle historique. Mais voilà, le sacripant sait être original. La trame des titres de ses chapitres suit des événements reliés à l'histoire du Québec moderne, ce qui n'est pas sans retenir notre attention.

Et l'histoire suit son cours: enfance difficile, divorce de parents, amis malhabiles, amours incohérentes. L'écriture est simple, bonne bien qu'elle s'égare parfois entre style populaire et littéraire. Mais rien de désagréable. On sourira parfois des remarques d'un personnage ou de la situation vécue. Vraiment, la chronique du temps est bonne. Mais là où nos sourcils se circonflèxent, c'est à la fin où, ans sa postface, Drouin nous explique son livre. C'est ainsi qu'on constatera qu'il fait de son personnage principal une métaphore du Québec contemporain. Il fait vivre à l'échelle personnelle de son personnage des sentiments ressentis à l'échelle collective du Québec à travers l'histoire récente. Intéressant, mais était-ce essentiel d'avoir à l'expliquer, ça et le choix de l'écriture, pour l'auteur, que des études en cinéma destinaient à un autre type de création? Drôle de choix de l'éditeur qui, à mon sens, en met un peu trop. Bien sur, il s'agit d'un premier roman, mais quand même. Bien sur, on n'a pas à lire la postface, ni le commentaire de l'éditeur sur son nouveau jeune poulain. N'empêche. Tant de marketing dilue un peu la sauce et c'est dommage. Un livre, une histoire, est là pour stimuler notre imaginaire, ce que Drouin a bien sû faire avec sa seule histoire. Pas besoin d'un "making of" à la fin. Vraiment pas. Enfin, peut-être après une quinzième publication et une entrevue en profondeur avec un auteur estimé, mais après un premier roman, franchement, non.

Éditeurs, continuez à faire confiance à l'intelligence de vos lecteurs.

jeudi 6 janvier 2011

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, par Mathias Enard, éditions Actes-Sud


C'est rare, mais bien avant de le lire, j'en avais déjà une bonne impression. Or je n'avais jamais rien lu de Mathias Enard. Faut dire qu'avec un titre pareil... Et y'avaient aussi ces quelques impressions lues ici et là à l'époque où le livre était en nomination pour le Goncourt. On y parlait d'un voyage en Orient de Michel-Ange. Alors me revenaient en mémoire les voyages épiques des personnages d'Amin Maalouf.

Eh bien voilà, quelques fois, des impressions sont si fortes qu'elles n'en peuvent que devenir réelles. Oui, Mathias Enard a envoyé Michel-Ange en Orient. Pour quelques semaines à peine. À Istanbul. Pour bâtir un pont d'après une commande du Grand Sultan de l'époque.

Du pont, je ne dirai rien, ni d'Istanbul alors appelée Constantinople. De Michel-Ange, je ne mentionnerai que le mythe. On connaît l'artiste par ses oeuvres, oui, mais on le savait aussi fougueux, passionné par tout ce qui est beau. Or voilà, tout ça se matérialise dans situation où la légende devient humain. L'homme menacé et anxieux n'en demeure pas moins un prétexte, pour le lecteur, à voyager dans l'univers de deux yeux qui voient plus profondément que quiconque avant ou même après lui. Ajoutez à ce regard lumineux une part de mystère, des frôlements de corps et d'âmes, une écriture aussi lumineuse que ses personnages, et vous aurez une courte histoire qui vous tiendra en haleine le temps de le dire.

Il fait bon de découvrir encore des auteurs qui possèdent aussi bien le sens du merveilleux. J'adore voyager ainsi, tant dans le temps que dans les têtes. Enard le rend si bien que sitôt terminé ce dernier ouvrage au titre interminable mais ô combien juste, je me suis procuré un de ses bouquins antérieurs.

Pour qui aime les belles histoires, la justesse des mots sans absolument aucune prétention, je propose chaudement ce petit épisode des Mille et une nuits d'un personnage haut, très haut, et certainement tout en couleurs. Quelle belle histoire! Pour vous réconcilier avec la vie, rien de moins!