mercredi 27 mars 2019

Ouvrir son coeur, par Alexie Morin, éditions le Quartanier

Alexie Morin termine son livre en nous expliquant pourquoi elle l'a écrit. À un certain moment, elle en parle comme d'un ouvrage "qui porte sur les plus grands moments de vulnérabilité de sa vie". C'est bien le cas, à la nuance près que mis bout à bouts, ces moments semblent résumer à peu près toute son enfance, de l'école primaire jusqu'à la fin du secondaire, et plus, pour certaines scènes. C'est dérangeant, lourd, pesant, et très souvent instructif.

Je dois noter toute de suite que je me découvre de plus en plus comme un lecteur très peu avide d'auto-fictions. Après "Le lambeau", j'avais envie de quelque chose d'autre. Tel ne fut pas le cas, à mon grand désarroi, je dois l'avouer. Alexie Morin raconte une vie dont l'apparence extérieure est tout à fait banale. Née dans les années 80 d'une famille ouvrière dans une petite ville québécoise, la narratrice se rend rapidement compte que ses rapports avec les autres sont compliqués, et que la cause, c'est elle-même. Évoluant entre maladresses et moments de honte envers elle-même, on en vient à se demander, au fil des pages, si elle n'a jamais vécu de moments heureux.

Pourtant, elle fait la part belle aux gens qui l'entourent. Personne n'est particulièrement méchant à son égard, si ce n'est à ses propres yeux. Lucide, voir même extra-lucide, elle sait reconnaître, au-delà de tout ce qu'on puisse imaginer, ses erreurs. Franche et sincère, la façon dont elle se dépeint nous fait rapidement sauter à une conclusion qui oscille entre l'anti-sociable ou, disons-le, la criss de folle. La raison de son désarroi sera identifiée à peu près aux deuxième tiers du livre. Après ça, on comprend mieux ce qui a entraîné cet enchaînement de déceptions, d'incompréhensions et de honte.

Non, c'est pas jojo. Son personnage, sa narratrice, enfin, elle, m'a tapé sur les nerfs je ne sais combien de fois. Mal écrit, ce livre m'aurait sans doute tombé des mains, mais Alexie Morin a choisi la meilleure forme qui soit pour dynamiser un récit qui, raconté linéairement, aurait pu devenir harassant. Ses chapitres sont courts (une, deux pages, parfois moins) et voyagent d'une époque à l'autre. Ça permet de faire des liens, de montrer que c'est justement en faisant de tels liens, en expliquant ceci par cela, qu'on en vient à bien comprendre une personne.

On juge les gens bien vite, surtout dans certains milieux comme ceux des petites villes. Plusieurs auteurs ont d'ailleurs basé leurs histoires sur ce socle rugueux mais ô combien immuable dans plusieurs des livres que j'ai récemment lus, et là où Ouvrir son coeur devient instructif, c'est justement dans sa description sans filtre de la société dans laquelle elle grandit. N'est-ce pas là, en fait, le terreau dans lequel une bonne partie du Québec de plus de 35 ans a grandi? On y reconnaît des généralités, des jugements et des philosophies (si on peut appeler ça comme ça...) qui font ce que ce coin de planète est devenu. Par exemple, à un certain moment, la petite fille qu'elle était se fait demander par une plus grande, un peu exaspérée par ses questions et ses remarques, si elle n'était pas une "bollée" (une intellectuelle), par hasard, ce qui, dans un tel contexte, est loin d'être une qualité apprécié par la majorité. Vous en tirez vos propres conclusions...

Bref, si le portrait de la personne m'a parfois paru s'étendre sur trop de pages à mon goût... c'est justement parce que c'est mon goût. Il y a, dans l'auto-fiction, quelques relents de misérabilisme ou d'auto-exploration de soi qui m'exaspèrent. Toutefois, le portrait de société est efficacement et écrit, dans la fraîcheur d'un style abordable et sympathique malgré le propos tellement lourd par moments.

À la toute fin du livre, Alexie Morin résume ses propos, et par le fait même, résume aussi à peu près tout le livre, par quelques pages d'une poésie que j'ai trouvée totalement lumineuse, belle, à propos. C'est comme si le papillon sortait de son cocon à ce moment précis.

Si Alexie Morin sort de son personnage et explore la fiction, je serai curieux de la lire.

dimanche 17 mars 2019

Le lambeau, par Philippe Lançon, éditions Gallimard

J'aurais dû aimer ce livre, pour toutes sortes de raisons, mais son évocation me transporte d'un malaise à l'autre. J'ai poussé un soupir de soulagement en le terminant. Or, ce livre a créé l'événement. Et pour cause: Philippe Lançon est un écrivain et journaliste qui a survécu à l'attentat de Charlie Hebdo. Parmi ses multiples blessures, une balle lui a fracassé la mâchoire. Dans ce livre, il raconte, le juste avant, le pendant et l'après attentat. Et il le raconte bien. Lançon écrit bien, finement, brillamment. Mais moi là-dedans? Je me dis que soit je suis passé à côté ou soit, au contraire, il m'est rentré dedans. Malaise.

D'abord, l'auteur se raconte et se présente en relatant sa journée, celle de l'attentat, avant qu'il ne survienne. Pour se définir et pour raconter, Lançon décrit des objets, présente de gens et relie des émotions à chacun ainsi qu'aux souvenirs. Évidemment c'est très personnel et bien entendu, c'est écrit au "je". C'est à travers toute cette introspection qu'il nous emmène jusqu'à l'événement lui-même. Peut-être est-ce une question de personnalité, mais je n'avais pas hâte d'arriver là. Or, sur ce point, j'avais tort. Avec lui, on vit un cauchemar éveillé, violent, horrible, du point de vue de l'émotion bien plus que de la froide et pragmatique réalité. Ses sensations enveloppement les chocs physiques, ce qui rend cette portion du livre douloureuse, oui, mais humaine parce qu'émotionnelle, presque irréelle. Et pourtant...

"Émotion" est un mot qui définit bien ce livre. La suite des choses ne sera qu'émotions, sensations, évocations. En décrivant sa longue période d'hospitalisation, Lançon continue à nous alléger nos souffrances en nous référant aux gens qui l'entourent, aux choses, à ses expériences passées. C'est là où, croirais-je, le roulis du train dans lequel il nous fait monter nous emporte et nous berce ou nous dérange jusqu'à nous exaspérer.

Pourtant j'aime lire. Lançon aussi. Il lit énormément pendant sa convalescence, souvent les mêmes passages de livres qui vont de Proust à Mann en passant par Kafka. J'aime la musique, j'en ai besoin pour vivre. Lançon aussi. Dans sa chambre d'hôpital, qui devient son milieu de vie, presque sa maison, il écoute les Variations Goldberg, et beaucoup de Bach, et d'autres classiques. Dans un environnement sans télé et sans téléphone, le patient qu'il est devenu a opté pour les musiques et les mots qu'il aimait pour s'évader. J'aurais bien fait pareil, tiens. Mais pourquoi j'ai trouvé que c'était trop, trop e livres, trop de musique? C'est bizarre...

Sa convalescence s'est déroulé de chirurgies en chirurgies. C'est qu'il fallait lui refaire la moitié du visage et un bras. On comprendra que les personnes qui se sont occupées de lui ont pris une importance capitale pour lui. L'hommage rendu au personnel soignant est à la mesure du drame qu'il a traversé avec eux. Mais il en est une qui prendra une grande place: sa chirurgienne. Elle contribuera à lui refaire le visage et ils développeront ensemble une belle complicité soignant/soigné. On croira même à l'amitié. Et il y a aussi son frère, toujours présent, genre d'ange gardien insoupçonné, et sa conjointe, et son ex. C'est beaucoup de monde et pas. Lançon nous dévoile tous les sentiments qu'il leur porte. Tous. C'est beaucoup.

Bon Ce gars-là a vécu une tragédie pire que tout ce qu'on peut imaginer et il a le talent pour en parler, alors il en parle sur un ton très personnel, de la confidence, il a bien le droit. Il faut du talent pour écrire comme ça, et ça rejoindra sans doute plusieurs lecteurs. Suis-je insensible, méchant ou terrifié si à la fin je n'en pouvais plus, si j'ai terminé ce livre délivré de lui?

Les récits du genre sont rares. On parle ici de sensibilité à l'extrême, de lucidité malgré la douleur et, c'est criant, de courage. Je me suis parfois dit, au fil des pages du Lambeau, que Lançon avait écrit ce livre pour les siens, ses pairs journalistes, ses nombreux amis. "Mais non, voyons, c'est plus que de l'auto-fiction", me suis-je souvent dit. Bon, me voilà qui parle de moi. Comme lui...

Philippe Lançon a écrit Le lambeau pour tous, incluant moi. Grâce à lui, j'ai vécu quelque chose de dur par personne interposée, avec son langage à lui, ses idées, ses interprétations à lui. C'est peut-être mieux ainsi. Moi, aurais-je pu? Je sais pas. Je lui lève mon chapeau, m'incline devant les prix qu'il a reçus (le Femina, prix spécial du Renaudot, mais pas le Goncourt, comme plusieurs le lui auraient souhaité), et incite ceux qui aiment les livres-événements à mettre la main dessus. Il ne vous laissera pas indifférent.

PS: j'ai l'habitude de mettre la photo de l'auteur lorsque j'en parle pour la première fois. Pas ici. Parce qu'au-delà de l'image, il y a les mots, il en est le meilleur exemple. Respect, Philippe Lançon.