dimanche 29 novembre 2015

L'année la plus longue, par Daniel Grenier, éditions Le Quartanier

Première scène: un champ de bataille de la guerre de sécession américaine. Un curieux personnage au nom vaguement francophone s'y retrouve. Puis on se transporte au Tennessee dans les années 80. Avec l'histoire d'une petite famille dont le père est natif de la Gaspésie. Après, on est à Québec au temps où la colonie était menacée par les révolutionnaires américains. Plus loin on retournera aux USA au temps de la Prohibition, puis à Montréal aux détours du 19e et du 20e siècle, puis au Tennessee presqu'à notre époque, puis à Québec, etc.

Le fil: une lignée. La particularité, un seul personnage traverse à peu près toutes les époques, soit un peu plus de 200 ans. Il ne s'agit pas d'un vampire ni d'un miracle de la science. Le stratagème est audacieux. Maintenant, parle-t-on de science-fiction? De fantasy? Qu'importe le genre, on est bel et bien dans un roman québécois, et on va de surprise en surprise.

Grenier y va fort dans l'audace avec ce livre qui relate des moments forts de l'histoire de ce continent. Livre d'histoires plutôt que de l'Histoire avec un grand H, L'année la plus longue nous parle de la durée, de la nôtre, des souvenirs, des peuples, des inventions. On ratisse large, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est certainement une des histoires les plus originales que j'aie lues en roman québécois jusqu'ici. Je ne sais toutefois pas si c'est la raison pour laquelle je me suis senti perdu. Un peu comme les épisodes multiples du livre, j'ai décroché, attendu, puis raccroché. Puis j'ai re-décroché plus loin, remis le livre de côté, et l'ai poursuivi malgré tout. Il s'en est fallu de peu pour que je décide de ne pas le terminer. Je ne m'ennuyais pas, l'écriture m'allait, mais quelque chose faisait que je ne m'impliquais pas dans la lecture de ce livre. Mais je voulais l'aimer...

Il faut dire que j'ai surtout accroché sur l'histoire du dernier de la lignée, celui qui vit au Tennessee, dans une famille dont l'histoire fascine, tant la récente que l'ancienne, mais qui sera décimée par des événements que l'auteur décrit de belle façon. Daniel Grenier décrit particulièrement bien les sentiments humains, et c'est dans cette partie du livre où j'ai eu envie de prendre le personnage par la main et de l'aider, de le sauver. Ça n'est malheureusement pas arrivé pour l'autre, ce personnage qui flotte partout sur l'Histoire. Peut-être qu'un personnage ayant beaucoup vécu, mais alors là vraiment beaucoup vécu, ayant accumulé beaucoup d'histoires et de souvenirs devient, à force, un peu lourd... C'est en tout cas ce que j'ai ressenti à l'égard dudit personnage.

Il fallait pourtant le faire: traverser des moments charnières de l'histoire de l'Amérique du Nord avec un seul personnage et terminer tout ça en 2047 sur une note de science-fiction. Peut-être est-ce ce mélange de genre qui m'a déstabilisé. Pourtant, je lis exactement pour ça: être déstabilisé. Pourtant, Grenier a dû faire des heures de recherche pour arriver à ce livre. Pourtant, son recueil de nouvelles "Malgré tout on rit aussi à SaInt-Henri" m'avait énormément plu. Reste qu'il me manquait ici quelque chose, un liant, une émotion, je sais pas trop quoi, mais il m'a manqué quelque chose.

Mais L'année la plus longue reste à lire. Je crains que ce sentiment ne soit que tout personnel. Il y a quelque chose là qui a été écrit, tenté, réalisé, quelque chose dont je suis probablement passé à côté.

Si vous l'avez lu, n'hésitez pas à m'en parler. Le livre mérite certainement de soulever des débats.

lundi 16 novembre 2015

La dernière nuit du rais, par Yasmina Khadra, éditions Julliard

Yasmina Khadra s'est mis dans la peau, mais aussi, et surtout, dans la tête de Mouhammar Khadafi pour décrire ses dernières heures de vie. Tout le livre est écrit au "je" puisque c'est le personnage du rais en question qui parle. Or, justement, qui parle, l'auteur ou le personnage? C'est la question que je me suis posée tout au long de ce livre.

Le personnage se terre avec sa garde rapprochée dans un édifice abandonné d'une ville en guerre où le but est de le trouver et de l'éliminer. Aigri mais imbu jusqu'à l'os de lui-même, le rais crache sur à peu près tout ce qui a existé et existe encore autour de lui, parce que selon lui, lui-seul est parfait, tout puissant et digne de respect. Monstre d'égocentrisme, le président/roi déchu dépeint ici porte un regard cynique sur un monde qu'il a créé et qui, maintenant, se referme sur lui. Parce qu'au moment de recueillir ces propos, tout va mal pour notre bonhomme, c'est le moins qu'on puisse dire.

Khadra utilise donc la chute de Khadafi comme décor, et Khadafi lui-même comme tête-d'affiche. Il lui fait porter l'allure détestable qu'on a fini par lui donner au fil des ans et des rapports médiatiques à son sujet. Mais il donne à aussi son personnage une certaine fatalité qui lui fera voir l'éventualité de la mort comme inévitable. Sans être serein face à sa fin éventuelle, l'homme traqué tirera des conclusions souvent éclairées sur l'existence et sur la fatuité de ce qu'on a été lorsque vient le moment de regarder la mort en face.

Si ces derniers éléments sont parfois touchants et font réfléchir, ceux concernant le peu de considération que l'homme a pour autrui en vient à choquer, bien sur, voir même à énerver. Loin de moi l'idée de vouloir défendre le personnage de Khadafi, mais j'ai un gros "mais", parce que tout du long, je me demandais si l'auteur n'était pas allé trop loin, ou pas assez.

De se mettre à la place d'un personnage disparu il y a si peu de temps demandait une certaine audace de la part de l'auteur. Habituellement, lorsque quelqu'un décède, une certaine pudeur, ou plus simplement le respect, font en sorte qu'on n'utilise pas aussitôt son nom ni son personnage pour lui prêter des propos ou des idées supposés. On a l'habitude de s'en tenir à ce qu'il a dit et fait. Dans ce cas, l'auteur prend la liberté de donner la parole au défunt. Bien sur, le personnage réel était détestable et non, je ne crois pas qu'il n'y ait quelque raison que ce soit à lui rendre hommage. N'empêche. J'ai ressenti un malaise à lire ce livre. J'avais parfois l'impression d'assister à un règlement de comte, à un déferlement d'injure de Yasmina Khadra à l'adresse d'un autre qu'il a ligoté et jeté au fond d'un trou. Qu'importe la qualité des personnes mises en cause, il y a là quelque chose... d'injuste.

Ai-je bien lu les pensées profondes de Khadafi? Non. Alors, ai-je lu l'opinion de Yasmina Khadra sur Khadafi? Non plus, puisqu'il est bien écrit "roman" sur la couverture. Bien écrit, ou ça l'est. Percutant: aussi. Autant d'horreurs commises et pensées donnent froid dans le dos. Maintenant, que reste-t-il d'un tel livre lorsq'on le termine? Quant à moi, j'ai haussé les épaules. Cette "non-réalité" basée sur une "réalité supposée" me semble assez difficile à avaler.

Quelque chose, pour moi, n'a pas fonctionné avec ce livre. En fait, peut-être en suis-je simplement sorti déçu.

dimanche 8 novembre 2015

Le géant enfoui, par Kazuo Ishiguro, éditions Fides

Un soir où ils se retrouvent dans le noir parce qu'ils se sont fait voler leur chandelle, Axl et Béatrice décident qu'ils doivent quitter le village pour aller rejoindre leur fils qui vit plus à l'est sur une île. Elle connaît un peu le chemin puisqu'elle est déjà allée au village voisin. Alors ils prennent leur courage à deux mains et partent, non sans craintes parce qu'ils voient bien qu'ils n'ont pas l'âge pour les longues distances.

Sur leur chemin, les deux Bretons rencontreront un preux chevalier Saxon, un jeune homme qu'on dit avoir été mordu par un ogre et un neveu du roi Arthur. S'ajouteront ici et là d'autres personnages tout aussi colorés les uns que les autres, toujours bien placés, qui interviendront au fil de l'itinéraire des deux marcheurs.

On dirait du fantastique, mais ce n'en est pas. Ou peut-être que si, puisqu'il sera bien question d'un dragon dont le souffle a le pouvoir de faire oublier les souvenirs. On dirait un roman de chevalerie mais ce n'est pas ça puisque... mais qu'en sais-je. Ai-je jamais lu un roman de chevalerie? En tout cas, si c'est quelque chose comme ce qu'a écrit Ishiguro, je veux bien en lire d'autres.

Véritable "road movie" littéraire, ce bouquin nous transporte dans une époque et un paysage trop souvent galvaudés. L'idée qu'on se fait du pays du roi Arthur a quelque chose de flamboyant et de noble. Ici, il n'est question que de montagnes et de vallées, rien de bien faste. Et quant aux personnages, tout comme cette histoire, on ne sait comment les prendre. S'agit-il de modestes voyageurs tels qu'ils se décrivent? Ce vieux chevalier a-t-il tout vécu ce qu'il décrit? L'autre a-t-il vraiment vaincu des géants et des ogres? Pour tout vous dire, ce contexte, ces personnages superbes, cette action lente mais enlevante rendent ce roman absolument fascinant. Jamais n'avais-je été dans ce monde brumeux entre réalité et fiction, et j'y retournerais bien.

Toute cette histoire tourne autour d'un but: mais qu'est-ce qui mène ces deux voyageurs? Vers quoi ou qui se dirigent-ils? On se pose inévitablement la question de page en page. Les deux vieux donnent l'impression d'aller à la rencontre de leur fils parti depuis longtemps. Ils veulent le revoir parce qu'ils sont en train de l'oublier. Leur quête semble donc noble et juste, comme eux. Mais tout n'est pas tout noir ni tout blanc dans ce livre, et c'est ce qui nous fait le lire avec avidité.

Et le ton mérite d'être souligné. C'est d'ailleurs ce ton qui nous fait nous demander si on n'est pas en train de lire la parodie de quelque chose, à moins qu'il ne s'agisse d'un vrai roman de chevalerie, mais sinon... qu'importe. Les personnages du Géant enfoui se parlent avec égards, se donnent du "monsieur" et du "madame" malgré leur modestie. Au début, ça déstabilise un peu, mais au fil de l'histoire, on comprend qu'il s'agit d'une façon adroite de placer le décor. Oui, on a souvent une idée romanesque de cette période de l'histoire et oui, ça peut jouer sur notre façon d'apprécier ou pas un récit qui se déroule en ce temps. L'auteur a pris le pari de nous faciliter la tâche en tombant quasiment dans le cliché avec ce même ton, tout en nous menant dans une histoire intrigante dont la fin nous laisse tout retourné. Tragique et touchant, ce livre en est d'abord un d'aventures, et c'est écrit d'une main de maître. Le dernier quart nous laisse pantois. On se rend compte qu'on s'est laissé entrainer dans quelque chose qu'on n'attendait pas. En fait, comme au début du livre, on se demande si ces dragons et des elfes ont bel et bien existé ou s'il s'agissait de quelque chose d'autre, si on les a utilisé pour décrire autre chose. Qui a vu quoi, qui a fait quoi? Au sortir du livre,on pourrait en parler longtemps, d'où ma recommandation pour un club de lecture!

En manque de nouveauté? Besoin de quelque chose de déstabilisant mais de divertissant? Voilà exactement ce qu'il vous faut. Je connais peu Ishiguro, qui, malgré son nom, est beaucoup plus britannique que japonais, si on se fie à sa biographie. N'en demeure pas moins qu'on reconnaît ici deux sensibilités propres, tant la japonaise que l'anglo-saxonne, et ma foi, le mélange est absolument fabuleux... mot choisi.

Gros coup de coeur!