mercredi 22 février 2023

V13, par Emmanuel Carrère, éditions P.O.L.

Un écrivain devient journaliste et fait le récit d'un procès fleuve. Et ce qui est décrit comme une chronique judiciaire devient un récit. Comme l'événement qu'il a couvert, ce livre fera l'Histoire, avec une grande hache (...), pas tant à cause de ce qu'il raconte que de la façon dont c'est raconté. Il faut un grand écrivain pour rapporter un événement aussi puissant sans tomber dans le cliché, ou dans le pathos.

On aura parlé de ce livre principalement pour sa première partie, qui couvre les témoignages des "parties civiles", c'est à dire, des victimes survivantes des attentats du 13 novembre 2015, à Paris. Carrère couvre les événements du procès chronologiquement, pas dans son intégralité, mais dans ce qu'il a d'essentiel. Il relate pour nous les témoignages, mais aussi le ressenti qu'ils créent. Il décrit les gens venus témoigner, les forts, les intimidés, les résilients, les brisés. Mais parallèlement, étant sur place, il rencontre aussi des parents de victimes défuntes, des proches, d'autres journalistes, quelques uns des innombrables avocats qui ont chacun des bouts d'histoire à raconter. Il nous présente chacun, leur apport à ce qu'on pourrait appeler les "post-événements". Il y a les bons et les moins bons, les pertinents et les inutiles, voir même les imposteurs, et bien sur, les héros.

Puis viennent les accusés, leurs histoires, leurs affects. Sans les juger, Carrère les décrit tels qu'ils sont sur place, tels qu'ils se présentent ou se défendent.

Et c'est passionnant. De chronique judiciaire, ça devient vite une chronique de notre temps, de ce qu'il a de dur, mais aussi de possible. Parce que oui, il y a aussi de l'espoir dans ce récit.

Malgré tout, je ne cacherai pas que j'ai pris le temps de lire V13. Je l'ai fait par petites étapes parce qu'on le veuille ou non, c'est chargé d'émotions, mais qu'est-ce que c'est bon. Et ce qui fait que c'est si bon, c'est qu'on en ressort avec un désir de paix, tant pour tous ceux qu'on vient de connaître que pour le monde et pour soi.

Si vous hésitez encore à le lire, vous manquez quelque chose. Pour comprendre le monde, et peut-être même se réconcilier un peu avec lui, je vous le recommande vivement. Ce qui est raconté est dur à certains endroits, oui, mais c'est Emmanuel Carrère qui le raconte et franchement, vous pouvez lui faire confiance.

lundi 6 février 2023

Ça leur apprendra à sortir la nuit, par François Gravel et Martine Latulippe, éditions La courte échelle - noire

Classé dans la catégorie "Horreur" pour 9 ans et plus de la maison d'édition, ce livre raconte la découverte que font deux jeunes de 14 ans sur un chantier de construction. Quelque chose qui avait été enfoui a été déterré et un mystérieux personnage s'en rend compte. Il n'apprécie pas qu'on ait découvert cet objet et il le fera savoir aux deux principaux intéressés.

Pour qui lit peu de littérature jeunesse, ce qui frappe d'abord, c'est le contenant. Ce livre est un bel objet, avec une mise en page élaborée, où des pages ressemblent à des notes de dossier, d'autres à des feuilles de cahier, et d'autres sont écrites en blanc sur fond noir. Ajoutez des croquis, des cartes, des photos en noir et blanc et vous avez un texte bien entouré, où chaque page a sa personnalité. J'ai pensé aux enluminures des premiers livres de l'Histoire. Les moines copistes avaient sans doute la même intention que les éditeurs jeunesse de maintenant: attirer l'attention avec autre chose que simplement du texte. Dans tous les cas, ça crée de jolis résultats.

Quant à l'horreur, oui, c'est de ça dont il est question, mais pas de gore. Juste quelque chose d'horrible en toile de fond, qu'on devine au fil des pages. Ici, le mal est mal, sans demi-mesure. Les autres personnages, eux, nous sont sympathiques sans qu'on ait aussi à expliquer pourquoi.

Et on apprend des choses. Les auteurs font la part belle au travail d'enquêteurs de police, ceux dont on n'entend pas nécessairement parler lorsqu'il est question de chroniques ou de nouvelles judiciaires. Tout ça est d'ailleurs joliment formulé vers la fin du livre. Assez pour attirer l'attention de futurs enquêteurs en devenir.

Pour jeunes lecteurs qui aiment le changement, prèts à comprendre que le monde a sa part d'ombre, mais pas seulement. En fait, c'est avec de tels livres qu'on en vient à comprendre qu'il faut de tout pour faire un monde.