lundi 18 février 2019

Un poignard dans un mouchoir de soie, par Robert Lalonde, éditions Boréal

Il est âgé, érudit, et il rencontre ce jeune garçon venu de nulle part qui semble vivre dans la rue. C'est le coup de foudre entre eux deux.

Elle joue encore au théâtre malgré son âge avancé et elle rencontre ce jeune dépenaillé qui se drogue dans les ruelles. C'est le coup de foudre entre eux deux.

Par divers subterfuges, le personnage commun aux deux autres plus âgés les fera se rencontrer, eux qui ne se connaissaient pas. Ce sera le coup de foudre entre eux deux. Et nous voici transporté dans un univers romantique où la fiction est telle qu'on la dirait refléter des fantasmes. Je m'explique.

Le personnage principal du jeune entremetteur vit plus ou moins dans la rue. Victime d'un lourd passé qu'on découvrira au fil de l'histoire, il vit de criminalité et de prostitution, mais cite par coeur des pans entiers d'ouvrages de poésie, écrit aussi bien que ceux qu'il cite et dessine avec un talent inouï. On pense immanquablement au fameux personnage de la Bête de David Goudreault, mais en beaucoup plus romantique, justement, un genre de chevalier noir de notre époque, à qui deux autres personnages, des enfants que les circonstances feront s'attacher à lui, donneront un surnom tiré d'un roman russe qu'il leur aura raconté. Beau, brillant mais brisé, on le croira presque sorti d'un livre de Stendhal.

La rencontre qu'il provoquera entre les deux personnages âgés se fera aussi facilement que tout ce qu'on a pu imaginer dans nos pires moments de solitude, avec des mots tendres et un coup de foudre instantané. Si on ajoute le facteur âge, on a là un genre de scénario parfait de rencontre amoureuse pour de belles perspectives de fin de vie.

Ces personnages fantasmés vivront toutefois ensemble un événement tragique qui sera prétexte à revenir sur le passé trouble de celui qui les a réuni, et le livre se terminera même avec une scène qui vous surprendra parce qu'empruntée à une autre époque, pas si lointaine, où une épidémie a été le prétexte à combien de récits tragiques parce que vrais.

Or ici, on est dans la pure fiction. Bien sur, c'est gros, mais l'écriture douce de Robert Lalonde rend tout ça très digeste. ON dirait de la naïveté, mais il me semble être bien condescendant en affirmant ça. Lalonde n'est pas un naïf, j'en suis convaincu. J'en ai pour preuve le très beau récit de la vie de sa mère que j'ai lu il n'y a pas si longtemps. Pourtant, c'est un peu ce qu'on ressent en lisant ce Poignard dans un mouchoir de soie, comme si l'auteur avait décidé de se laisser aller totalement, en se foutant de ce que les gens penseront de ses personnages bons, tragiques et intenses.

Il a raison parce que le trait commun à tous est l'amour, un amour si pur qu'il nous semble naïf, presque trop facile. Et si c'était juste ça, l'amour: des personages bons dans des situations tragiques mais avec des sentiments vrais. Juste pour cette question qui reste en suspens, ce livre mérite d'être découvert. Mais vous serez avertis, il faut aimer la fiction, la fiction totale, celle tout juste avant les contes, dont on se dit que bon, oui, une histoire comme celle-à, peut-être que ça aurait pu arriver, finalement.

mercredi 6 février 2019

Trois jours et une vie, par Pierre Lemaitre, éditions Albin Michel (Le livre de poche)

C'est l'histoire d'un cauchemar total, d'une épée de Damoclès attachée avec un cheveu, d'un oeil de Caïn indélébile. Venant de Pierre Lemaître, ça m'a surpris, et pas vraiment agréablement, et aussi parce que c'est lui, ça m'a totalement chaviré. L'écrivain est certainement irréprochable. Mais ici, le scénariste a peut-être, à mon sens, un peu poussé la note.

C'est l'histoire de quelqu'un qui vivra avec un meurtre sur la conscience pendant toute sa vie, et c'est d'autant plus vrai que le meurtre est commis à l'enfance. On est fixés dès le début du livre: un pré-ado tue un plus jeune que lui, qui sera bientôt porté disparu. Plus que les circonstances du meurtre, c'est l'environnement du drame qui est intéressant. L'affaire se passe dans un petit village français où tout le monde connait tout le monde bien entendu. Le jeune meurtrier vit seul avec sa mère. On est à la fin de l'année 1999, c'est Noël et dans la tête du jeune protagoniste, c'est carrément l'enfer.

Qui a lu Pierre Lemaitre sait combien ses mots sont aiguisés, précis. C'est comme ça qu'il a charmé avec Au revoir la-haut et Couleurs de l'incendie où drames et portraits de personages forts se succédaient de page en page. Ici, c'est la même plume, mais où l'action est remplacé par une tension constante. Pour ma part, c'est le genre de livre, pourtant assez court, où il m'a fallu parfois m'arrêter un peu pour reprendre mon souffle. Pas que ce soit sordide, non. Seulement lourd, un malaise constant.

Or le temps passe, le meurtrier reste avec son secret, mais rien ne va pour lui. Paranoïa, peur, angoisse: pensez à tout ça, il les vit. Mais voilà qu'au bout de quelques jours, le ciel lui tombe littéralement sur la tête parce que les éléments (ouui oui, la météo) qui se déchainent sur le village avec pas une mais deux tempêtes mémorables qui s'abattent sur le village coup sur coup. Résultat: l'attention est détournée parce que maintenant, tout va mal pour tout le monde, puis, paf, on est projeté 12 ans plus tard.

Tous ont vieilli, mais quand même, y'a de ces sentiments qui ne meurent pas. Comment ça finira pour cette âme tourmentée, je ne vous le dit pas. Il faut toutefois relater une chose: j'ai eu l'impression que l'auteur a réglé, avec ce livre, quelques comptes avec une société qu'il n'aime pas et qu'il dépeint d'abominable façon. Dans ce petit village, ceux qui restent ne font pas envie. Les plus près du bonheur sont les plus naïfs, voir pire. Or, le personnage central s'y retrouve aspiré comme dans un vortex et c'est, à mon sens, la plus grande cause de son malheur. Ce portrait d'uns société fermée et bornée m'a beaucoup fait penser à L'archipel du chien de Philippe Claudel, mais en plus hyper-réaliste. C'est comme si le repli sur soi devenait une nouvelle source d'inspiration, comme si la fin du monde s'annonçait non plus par une grande explosion, mais par une inévitable implosion.

Dans le genre, j'ai préféré Claudel. Pierre Lemaitre reste un grand auteur, mais je crois préférer ses fictions historiques à un tel portrait très peu optimiste de notre époque contemporaine.