lundi 30 novembre 2020

Fantaisie allemande, par Philippe Claudel, éditions Stock

C'est Philippe Claudel, donc ça coule de source: c'est bien écrit. Ça vous happe, on ne perd rien. C'est un recueil de nouvelles, donc, on aime inégalement, mais au final, qu'on connaisse ou pas cet auteur formidable, on passe un bon, mais court, moment de lecteur.

Ça se passe en Allemagne, de nos jours ou dans un passé pas si lointain, ce passé si lourd de l'Allemagne, un passé qui semble bien difficile à contourner encore, surtout lorsqu'on plante un décor de fiction dans ce pays. Mais attention, ce n'est pas que ça. En fait, tout a à voir avec ce passé du peuple allemand, et chaque personnage y sera confronté, chacun à sa manière et en fonction de son époque.

Philippe Claudel est un auteur d'une sensibilité qui m'attire. J'aime ces personnes qui comprennent les autres et dont la vision du monde nous aide à faire abstraction de nos jugements. Comme dans ses autres oeuvres, il y a des bonnes et moins bonnes gens, mais aussi courtes que soient les nouvelles, chaque personnages en vient à révéler autant sa part d'ombre que de lumière.

En fan de l'auteur, je le préfère dans ses romans, où ils nous mène loin dans son imaginaire tellement agréable. Ici, les récits aboutissent rapidement, bien qu'un fil conducteur puisse faire en sorte qu'on fasse un trait entre chaque histoire. Oui, ça se passe en Allemagne et oui, ça réfère plus ou moins à son passé, mais il y a un élément de plus qui révèle l'habile romancier... dont j'ai bien hâte de lire la prochaine histoire plus costaude.

mercredi 18 novembre 2020

The Silence, par Don De Lillo, Scribner éditeur

Dans la catégorie "livres étonnants", on loge ici dans mon top 3 très certainement. Don De Lillo, le spécialiste des trames narratives "presque apocalyptiques" atteint son paroxysme dans ce court récit de 113 pages.


On est en 2022. Un couple est dans un avion. Ils atterriront bientôt pour ensuite aller rejoindre des amis pour écouter le match du Super Bowl avec eux. Tout va a peu près bien, leurs conversations sont plus ou moins intéressées, mais voilà que l'avion commence à avoir un drôle de comportement.

Pendant ce temps, les amis qui les attendent regardent la télé. Le match va bientôt commencer mais pouf!, on perd le match, l'écran devient blanc. Ils constatent bientôt que leurs téléphones et tout ce qui est technologique dans la maison ne fonctionne plus. Tout est déconnecté.

Alors ils se parlent. Comme souvent dans le monde de De Lillo, ils sont professeurs. Leurs propos sont pour le moins imagés, et au fil du temps de plus en plus erratiques. On dirait qu'eux aussi sont comme déconnectés des autres. En fait, ne l'ont-ils pas toujours été? Est-ce pire maintenant?

Puis, arrivent les amis qui étaient dans l'avion...

La force de cet auteur est de réussir à nous laisser nous imaginer une foule de choses. Mais qu'est-ce qui est en train d'arriver? Bien sur, les personnages se le demandent eux aussi et devisent là-dessus. Et on se questionne avec eux. Rien d'autre n'arrive que des dialogues, sauf un personnage qui sort à l'extérieur à un certain moment. Rien de violent ni de brutal à signaler, mais on se sent mal. 

Anxiogène, ce récit est fort bien ficelé. De Lillo est un maître de l'ambiance. Mais il fait travailler ses lecteurs. Il ne nous décrit rien que ce qui est essentiel. Une fois le cadre de l'histoire présenté, il utilise ses personnages pour nous faire une idée de ce qui leur arrive. La fin est ouverte, on imagine ce qu'on veut de ce qui est en train et de ce qui va arriver.

Étonnant, ça l'est. J'ai terminé ce livre en me disant qu'il faudrait que je le relise encore, pour m'imprégner encore plus de son ambiance étrange, et pour m'assurer de l'impression que j'avais en le terminant: et si la clé était dans le titre?

lundi 9 novembre 2020

La faim blanche, par Aki Ollikainen, éditions La Peuplade

Je termine mon second roman finlandais et j'ai le même sentiment qu'à la fin du premier, écrit pourtant par une autrice différente: il me semble être passé à côté. Et pourtant, il y a là beaucoup de choses à apprécier.

En 1867, des régions rurales de la Finlande vivent une famine causée par de mauvaises récoltes et une météo impitoyable. À cause de cette situation, des familles abandonneront leurs habitations pour prendre la route à la recherche de secours, en mendiant chez les plus riches, et en se dirigeant vers les villes. On verra un jeune couple avec deux enfants en bas âge se faire emporter par ce fléau. La mort d'un des membres de la famille entraînera les autres à prendre la route jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul des quatre personnages d'origine.

Bien sur, c'est un livre dur, et cette dureté provient d'abord de la nature, du temps. L'hiver est rugueux. L'auteur le décrit sous toutes ses coutures, toujours de très belle façon, mais dans ses traits les plus ténébreux, voir mortels. Puis, à travers le périple de ces nouveaux mendiants, il y aura les rencontres et là aussi, ils vivront certaines cruautés bien que la nature humaine est ici bien moins cruelle que celle dans laquelle elle évolue.

À travers cette histoire, la mort sera partout, tellement qu'elle hantera les rêves des vivants, qui prendront une part importante du roman. En fait, c'est là où j'ai été le plus déstabilisé. On y fait plusieurs passages entre la réalité vécue par les personnages et leurs visions, des images de rêves qu'ils font éveillé sous le coup d'une immense fatigue ou d'autres rêves que de mauvaises nuits de sommeil leur apportent. Ces rêves sont entre la vie et la mort, on le voit bien. Ce sont autant de transitions vers la mort pour quelques uns des personnages qui mourront.


Aux trois quarts du livre, on se retrouve chez un notable de la capitale qui y sera pour quelque chose dans la survie d'un seul des personnages d'origine. Bien portant, comme son entourage, ce notable n'en a pas moins perdu des amis, lui aussi, et il voit bien que le pays souffre. Politicien, il s'opposera à un projet de construction de chemin de fer qu'il verra comme une autre façon de mourir pour les miséreux qui donneront leur vie pour le profit. On se demandera avec lui si c'est bien ce dont ce pays a besoin dans ces circonstances...

Ces deux tableaux, celui de la famille et celui du notable, forment un roman facile à lire, mais avec certaines clés qu'il me reste encore à trouver. J'ai bien senti qu'il s'agissait d'un récit tiré d'une époque tragique qui a vraiment eu lieu, mais peut-être étais-ce trop peu pour que j'en ressente complètement toute la tragédie. Un Finlandais partira sans doute avec une longueur d'avance puisqu'il s'agit d'une époque qui a marqué ce territoire. Le lecteur étranger que je suis trouve qu'il a manqué de contexte. 

N'en demeure pas moins qu'on a là une ambiance rare par sa dureté silencieuse, où la famine devient aussi meurtrière et sordide qu'une guerre, et où l'hiver, sans vivres, se transforme en bourreau. Les amateurs de romans du Nord y trouveront leur compte.



dimanche 1 novembre 2020

Transcendant Kingdom, par Yaa Gyasi, Bond Street Books éditeur


Il y avait longtemps que je n'avais pas terminé un livre dans un tel état. C'est un sentiment proche du deuil, un genre d'anéantissement temporaire où on se retrouve replié sur soi à la suite d'un choc. Mais un tel choc, bien que violent émotionnellement, se révèle souvent salutaire et c'est souvent ça qui nous dépasse. On n'en revient pas, mais au bout du compte on en revient, justement, on en ressort transformé. Voilà l'histoire racontée par Yaa Gyasi de sublime façon.

La narratrice est née en Alabama de parents immigrants du Ghana. Dans son laboratoire dans une université américaine, elle travaille avec des souris à des recherches en neuro-sciences. Son sujet de prédilection est l'addiction et ce qui l'a mené là est un désir de se dépasser, pour oublier. Être la meilleure est ce qui la tient en vie.

Son père a quitté la famille alors qu'elle était très jeune. Quelques années plus tard, son frère ainé succombera à une surdose d'opioïdes. Elle reste seule avec sa mère, une aide familiale qui travaille sans relâche pour gagner une vie qui lui pèse de plus en plus et dont le seul mais puissant exutoire sera la religion.

La narratrice nous raconte la petite fille pieuse qu'elle a été, la petite afro-américaine qui découvrira au fil du temps que la seule personne si qui elle pourra se fier, ce sera elle. Rien ne viendra de la communauté évangélique sur laquelle sa mère comptait tant. Bigoteries et condescendance lui feront apprendre que le racisme qui l'entoure a contribué aux malheurs de ses parents, de son père parti, de sa mère qui se demande ce qu'elle fait dans ce pays, et de son frère, avalé par un système trop fort pour lui.

Gyasi crée une héroïne hors normes, introvertie, fragile, mais déterminée. Allumée, elle trouvera la force là où il a semblé en exister, comme dans les prières ou l'amitié, autant de refuges éphémères sur lesquels elle comptera lorsqu'il le faudra. Mais qui est vraiment dieu, et qui sont les vrais amis? On se le demandera avec elle.

Ce livre raconte une personne de notre époque qui se construit à travers les écueils de notre époque. De la fragilité, on verra surgir une force rare de ce personnage malmené pour qui le tunnel est d'une obscurité ahurissante, mais qui s'accroche à la petite lumière qu'elle y voit tout au bout. En fait, cette lumière, c'est peut-être un miroir.

Raconté sobrement mais vraiment efficacement, Transcendant Kingdom vous paraîtra parfois violent par les mots, et les attitudes, et salvateur par la résilience de ce personnage extraordinaire de Gifty. Ce livre est une autre découverte d'une société dont on connaît trop la superficialité et dont on s'étonne toujours de constater l'envers sombre, boueux, mesquin. Il n'en demeure pas moins que la société américaine produit, depuis quelques années, de grands auteurs de littérature. Yaa Gyasi figure parmi ceux que je compte suivre. Quel livre remarquable.

Transcendant Kingdom est paru en français sous le titre de Sublime royaume, aux éditions Calmann-Lévy.