dimanche 9 mars 2014

Deuil, par Gudbergur Bergsson, éditions Métaillé

Gudbergur Bergsson est un auteur islandais, né en 1932. Bien que sa bibliographie soit imposante, c'est là son second ouvrage qui ait été traduit en français. Éric Boury, traducteur aussi de Jon Kalman Stefansson, entre autres, nous l'a transmis. .

Non, c'est pas jojo. Avec un tel titre, on ne s'attend pas à rire. Ce court ouvrage est dur et triste, mais absolument pas rébarbatif. Bien au contraire. Cette voix est très juste pour parler d'une réalité que notre société fait tout, absolument tout pour nous faire oublier. Bergsson fait mal, mais plutôt que de nous faire souffrir, il nous apprend..

Un homme est couché dans son lit. On le devine âgé. Il peine à se lever, il somnole, on le croit qui rêve, mais non, il ressasse des souvenirs tout en constatant le présent: il est seul, sa campagne est récemment entrée dans la mort.

Les derniers jours vécus par sa compagne constituent le fil conducteur des souvenirs du narrateur. Plus qu'un deuil, en fait, l'homme raconte la vieillesse, tant la sienne que celle de la défunte, mais aussi d'autres gens qui l'ont entouré. La mort des autres lui fait prendre conscience de la sienne. Voila ce autour de quoi tournent ses pensées, son existence, tant son passé que son futur, si court soit-il. Vieillir, nous montre-t-il, c'est prendre conscience de la mort, et pas juste de la sienne. D'où le titre, sans doute.

J'ai rarement entendu parler de la vieillesse de cette façon. On dirait le récit d'un soldat en plein coeur d'une bataille. Ça ressemble au récit de Stalingrad raconté de l'intérieur dans Les Bienveillantes, de Jonathan Littel. Rien, ici, n'est enjolivé ou coloré de quelconque façon. C'est cru, parfois choquant parce dit tel quel. Vieillir fait mal au narrateur et aux personnages qui l'entourent. Il y a quelque chose de cruel à constater que plus rien ne va.

La narration est simple et belle. On est vite happé par le narrateur, on est dans son esprit et on a mal. Les malaises s'accumulent, la tristesse aussi. Mais il s'agit d'une belle tristesse parce que racontée doucement, au rythme lent des déplacements du vieillard. Le propos même du narrateur fait en sorte qu'il nous est difficile d'être empathique à son égard. Accepter de mourir est une chose, accepter de vieillir en est une autre, aussi ne nous est-il pas naturel de "comprendre" les descriptions qu'un vieux fait à propos d'autres que lui qui, à l'évidence, verront la mort avant lui. Y'a quelque chose au fond de nous qui fait en sorte qu'on ne veut pas savoir ça, on dirait. Et pourtant...
La langue de Bergsson est belle, très nordique en ce qu'elle part parfois dans le monde parallèle des pensées en même temps qu'une action très concrète se déroule. La lecture exige toutefois beaucoup de calme puisqu'on entre, en tout cas pour ma part, dans un monde très peu connu. Aussi faut-il quelque concentration pour bien saisir la portée des propos du narrateur.

Triste et beau, dur et utile, Deuil de Gudbergur Bergsson ne devrait pas vous effrayer. Il m'a aidé à saisir ce que d'autres entrevoient peut-être, à moins qu'ils ne le vivent de la même façon. Peut-être ressortirai-je ce livre plus tard à quelque époque à venir de ma propre vie.

Un beau livre d'apprentissage sur la fin d'un monde, le sien.

dimanche 2 mars 2014

Pourquoi Bologne, par Alain Farah, éditions Le Quartanier

On commence dans l'espace intergalactique. D'entrée de jeu. "Bon, science-fiction" on se dit. Soit. Quelques lignes plus loin, on est en 1962. Pourtant encore quelques lignes plus loin, y'a quelque chose qui accroche parce qu'il nous semble avoir vu passer une référence à notre époque actuelle. Pourtant on retombe dans les années 60. Environnement de l'université McGill, à Montréal. Oups, changement de siècle, on raconte les débuts de l'institution vers 1800-quelque chose. Une ligne plus tard, non, ce sont les années 60, et on est dans la tête de l'auteur. De l'auteur? Mais le personnage principal, c'est qui? L'auteur? Le personnage principal est Alain Farah? Ben oui. Oui mais dans quel siècle sommes-nous alors?

Le roman fait environ 200 pages. Après 100 pages, je me suis demandé si je continuais. Je sortais d'Au revoir là-haut, de Pierre Lemaître, un roman qui suit l'Histoire finement, logiquement. Là, on me brassait comme une pinball dans une machine à boule d'une époque à l'autre en l'espace d'une phrase où deux. Puis un psychiatre entre dans l'histoire et là, on comprend qu'on est en plein délire parano de l'auteur/personnage principal.

Mais qu'est-ce que c'est que ça? Une auto-fiction écrite dans un sous-sol ou une thèse universitaire sur le surréalisme?

Et pourtant j'ai continué, d'abord parce que je voulais répondre à cette question précise, à savoir ce que j'étais en train de lire, mais aussi parce qu'au bout du compte, ça se lisait bien. Étais-je victime d'une grosse farce? Quel sera le punch final? Lire ce texte de Farah, c'est un peu comme lire du Boris Vian sur l'acide. C'est complètement pété, sympathique, mais plutôt angoissant. Alors comme lui, on se pause plusieurs questions...

J'ai accroché avec une épisode où l'auteur/personnage raconte une scène de son enfance. Thérapie? Le mec est en train de nous faire nous taper sa thérapie, moi qui déteste ces scènes? Non, ce serait trop... évident. Quelques pages avant la fin, je me suis demandé si je ne me faisais pas carrément rire de moi ou si je n'étais pas en train de lire quelque chose qui ne ressemble à rien et qui, au bout du compte, me captive. Parce ce que lire Pourquoi Bologne, c'est comme regarder un inconnu se taper une crise de délire en pleine rue: on est gênés, mal l'aise. Au début on est choqué mais avec le temps, on comprend ce qui se passe. Alain Farah nous fait carrément vivre un délire. On embarque dedans avec lui, il nous fait une place dans sa tête, et ma foi, ça fonctionne.

Oui, j'ai failli lancer ce livre on fond de la pièce à un certain moment, mais je ne pourrais dire que je n'ai pas aimé. Bien que le scénario soit tout sauf limpide, l'écriture est belle, absolument pas lourde, ce qui rend le tout digeste. Bien écrit, il nous tient par la main pour une visite guidée d'une tête sans dessus dessous. Or, le délire parano est dû à quelque chose, on le découvre, et si la cause de ce désarroi (parce que c'est, à mon sens, de ce dont il est question) a bel et bien existée, eh bien Farah a réussi à nous faire sentir combien l'épisode sombre de l'histoire des sciences qu'il relate a été sombre.

Comment on appelle ça: un roman déconstruit? Je ne saurais dire. À qui le recommander? Là, j'hésite. Qui aime lire et a envie de se faire déranger sera servi. Qui veut découvrir un auteur Québécois hors normes aussi. Entre le quartier de Cartierville et l'université McGill, vous serez accompagné d'un guide plutôt déconcertant, usrtout lorsqu'on s'aperçoit que le temps, ici n,a rien à voir avec ce qu'on a connu de lui jusqu'ici. Et pour qui lit peu et a envie de nouveau... c'est difficile à dire. À prime abord, je ne recommanderais pas Pourquoi Bologne à un lecteur occasionnel... ni surtout conventionnel. Quant à moi, je lirai encore Alain Farah. Je dirais que dans ma vie de lecteur, cette bibitte a jouit d'un bon timing. À détester avec emphase ou à délecter avec ravissement.

Recommandé aux curieux.