lundi 26 décembre 2011

Paul au parc, par Michel Rabagliati, éditions la Pastèque


Je me l'étais gardé pour Noël. C'est là tout le plaisir de connaître une oeuvre parce qu'on peut la placer dans le temps, se la réserver pour un moment précis. Celui-là était bien choisi.

N'en demeure pas moins qu'avec tout le battage médiatique entourant la sortie d'un livre de Rabagliati, ces dernières années, je me suis demandé s'il n'y avait pas quelque chose à suspecter, un peu comme je le fais lorsque je constate qu'on cherche à nous enfoncer un titre dans la gorge à grands coups de pubs et d'entrevues, peu importe le média portant le titre en question. Rabagliati, donc, utilise-t-il les médias pour mousser un autre produit trop gras, trop sucré ou carrément insipide? Son Paul et ses phylactères couvriront-ils bientôt les panneaux d'autobus et les derrières de boîtes de céréales? Franc avec vous, j'en serais bien surpris. Après avoir lu Paul au parc, j'en ai déduit qu'une quantité supplémentaire de Rabagliati sur les ondes et les imprimés de ce monde ou à tout le moins de ce pays, c'est une bouffée d'air frais passagère dans tout ce qui les pollue trop souvent. Comme Paul, comme les dessins qu'il contiennent, les albums de Michel Rabagliati ont la qualité de contenir une dose d'humanité si forte qu'on n'en revient pas encore. Paul, c'est le personnage bonenfant qu'on connaît tous dans notre entourage. Sans rien transcender, il a le pouvoir d'être vrai. Ainsi, quoi qu'il raconte, on le croit. Parce qu'il est ainsi, Paul, il est vrai. Pas de couleurs criardes mais pas tout noir non plus. Ce qu'il vit, on le comprend parce qu'on l'a vécu aussi.

Pas surprenant qu'un des personnages de Paul au parc soit un fameux conteur. Pas surprenant qu'un tel personnage ait inspiré et peut-être même influencé Rabagliati. Il faut un talent exceptionnellement fort de conteur pour faire d'une telle bande dessinée un succès aussi estimé. Ne nous le cachons pas, les dessins des Paul sont bons, oui, mais ils n'ont rien d'exceptionnels. Pour ma part, les premières fois que j'ai découvert ces albums, je n'étais pas spécialement appelé par le petit personnage un peu simplet, aux allures d'anti-héros et au prénom quelconque qu'il arborait en page couverture. C'est toutefois en le lisant que j'ai compris combien une bande dessinée faisait du bien, combien elle nous laissait une impression doublement plus forte qu'un roman lorsqu'elle nous rejoint. On a l'histoire en tête, et des images précises. Plus près de la réalité que ça, on tombe au rayon des albums photo. Rabagliati y est presque. Paul est la photo presque parfaite de moments d'histoires vécues par un Québécois moyen qui a le don d'être sympathique. Et cette fois-ci, il situe ses aventures dans une portion importante de l'histoire du Québec. Or voilà, se faire raconter une époque de cette façon a ceci de beaucoup plus réjouissant qu'un livre d'histoire ou qu'un documentaire qu'il nous la raconte dans les mots et les gestes quotidiens de ses contemporains. Rare point de vue.

Paul au parc, c'est du plaisir, des "ah oui, c'est bien vrai ça", très souvent des éclats de rire, et encore une fois, un pouvoir de vous embuer très sérieusement les yeux lorsqu'on en ferme les dernières pages.

Pourvu qu'il en produise autant qu'Hergé a produit de Tintin!

dimanche 25 décembre 2011

The Final Testament of the Holy Bible, par James Frey, éditions Gagosian


Je vous parle d'abord "d'édition spectacle". Le livre est vendu dans un coffret qui fait office de page couverture avec l'habituelle affiche criarde auxquelles les maisons d'édition anglo-saxonnes nous ont toujours habitué. À l'intérieur, le bouquin est noir, d'un genre simili-cuir et la bordure des pages est argentée. Le bouquin ressemble à peu de choses près aux éditions de la bible laissée dans les tiroirs de chambres d'hôtels américains. À l'intérieur, le texte référant aux paroles du personnage principal est imprimé en rouge, en opposition au reste du texte qui est en noir. Voilà, vous êtes fixés.

L'auteur n'est pas piqué des vers non plus. Il y a une dizaine d'années, il semait la contreverse pour avoir "avoué" publiquement avoir écrit une fausse auto-biographie. Il a mené en bateau la richissime star des médias américains Oprah Winfrey qui ne l'a pas pris du tout. Débats, haut cris dans les journaux, accusations de toutes sortes ont suivi. La réalité de James Frey a dépassé la fiction de l'info-spectacle. J'aime.

Or je n'avais rien lu de lui, et je tombe là-dessus. Des personnages très typés racontent chacun à leur manière comment ils ont connu un certain Ben. Chaque témoin est issu des idées que la moyenne des Terriens se font du peuple américain. Les personnages sont gros, sans subtilité aucune. Chacun se raconte à sa manière, dans sa propre langue. Les bons sont rares, les méchants sont évidents, les victimes sont partout. On dirait quasiment une histoire cartoonesque, quelque chose de super héros de bande dessinée. Or c'est passionnant. On avance. Chaque couleur de chaque personnage s'ajoute. On se croirait dans une quincaillerie où la palette de couleurs se résume aux couleurs du spectre, c'est tout. Chacune est typée, puis se dessine un lien. Qui est ce Ben? Quel est-il? Alors une couleur se démarque alors que les autres se mélangent. C'est très, très fort.

J'ai d'abord cru à un autre Bret Easton Ellis, mais non. Le show est gros, les coups de pinceaux donnent plutôt dans le coup de rouleau, mais pourtant... On se dit qu'il y va fort, très fort. Et oui, justement, il y va fort. James Frey prend ici un des mythes fondateur du peuple Américain, une des bases de ce qu'est en train de devenir ce peuple. Il enlève tout ce qu'il y a autour et zoome sa caméra direct dessus: et si on allait jusqu'au bout de tout ça? Et si justement, ça arrivait?

Je ne saurais en dire plus pour vous laisser là d'où je suis parti en commençant "The Final Testament...". Vous aurez compris qu'il est question de religion, mais attention, révisez vos clichés. Frey vous les montrera tels qu'ils existent dans votre imaginaire, dans vos idées, les soulèvera de chapître en chapître pour finalement les laisser tomber avec fracas au fur et à me mesure qu'il donnera la parole à son personnage principal. Au sortir de ce livre, on est knock-out. L'oeuvre est magistrale.

Soyez certains que ce roman ne sera jamais, au grand jamais porté à l'écran. Cette histoire en dérangera plusieurs et provoquera plusieurs choses tant hostiles que favorables. Pour ma part, ce livre provoque chez-moi des questionnements, mais aussi des désirs, et ça c'est très fort.


Découverte immense, je recommande chaudement "The Final Testament..." à qui veut se faire brasser, à qui veut découvrir le meilleur de ce que la littérature américaine a offrir, dans un style qu'on trouverait difficilement ailleurs sur la planète. Je reconnaît ici le talent immense de James Frey et me promet de ne pas rater ses prochaines productions.

Notez enfin que j'ai lu ce roman dans sa version originale en anglais. Traduit en français chez Flammarion, j'ai vu de mauvais commentaires sur sa traduction et aussi et surtout, sachez que le titre français a été rendu comme suit: Le dernier testament de Ben Zion Avrohom. Quiconque lira ce livre constatera l'insulte à l'intelligence que les éditeurs francophones ont réservé à leur public en utilisant un tel titre. Ce seul mauvais titre retire toute l'essence même de ce chef-d'oeuvre de James Frey. Aussi, même si vous choisissez la version française, laissez-moi vous prier de garder à l'esprit le titre anglais de cet ouvrage. Adressez ensuite une lettre d'explications à Flammarion.

J'ai bel et bien dit "chef-d'oeuvre", oui. Un de mes meilleurs livres de l'année. Quels beaux moments de lecture!

dimanche 4 décembre 2011

Melancholia II, par Jon Fosse, éditions Circé


Rien à voir avec le film de Von Trier. À tout le moins la coïncidence laisse-t-elle supposer qu'une certaine mélancolie fasse partie de l'âme scandinave.

Paru en 2002, ce livre-ci me permet de continuer ma découverte de Jon Fosse qui situe ses actions dans la Norvège d'il y a environ cent ans. Ici, il s'agit d'une journée dans la vie d'Oline. Elle montera la côte qui mène à sa maison, la redescendra puis la remontera enfin. Et tout ça lentement, car Oline a mal aux pieds. Elle est vieille, elle oublie tout mais qu'elle est vieille, ça, elle le sait.

Rarement entrera-t-on aussi précisément dans la tête d'un personnage. L'écriture de Fosse, c'est du brut, de la matière d'origine, sans rien d'autre que les mots qui passent dans la tête d'Oline. Les mots, puis les images, les souvenirs, puis paf! retour à la réalité, elle marche, elle a mal, et où est elle, et qui est-ce là-bas?

Posé sur ma table de chevet, sur ma table, ce livre m'a appelé souvent. Juste deux pages, parfois, et j'étais là avec elle. Elle aura eu plusieurs enfants, oui, mais de ça, on n'en saura pas plus. Comme de ses 12 frères et soeurs. Deux seuls auront pris toute la place, dont un en particulier. Oline se souvient de Lars, le peintre, l'homme dérangé, différent. Et sans jamais juger quoi que ce soit, elle se souvient, les images s'enfilent difficilement, et ainsi vont les mots. Comme on souffle pour avancer, un mot, une phrase se répète. La mémoire vient puis part, et ainsi les mots, petit à petit. Car dans le monde de Jon Fosse, ce sont des gens de peux de mots. On ne s'explique rien. On constate, c'est tout. Et de là tout l'art de donner la parole à des gens peu bavards. Fosse les fait regarder, comprendre avec les yeux. Ici, des regards valent encore plus qu'un livre.

Une telle écriture est foudroyante. Moins de 150 pages vous chavirent. Et si, comme moi, vous désirez pousser peut-être un peu plus loin, vous découvrirez que la superbe image choisie pour décorer ce livre est de Lars Hertervig, un peintre norvégien du 19e siècle, et que cette histoire est la sienne, et que cette façon de raconter est unique.

À la limite de la poésie, mais pourtant racontée comme un récit, Melancholia II a confirmé Jon Fosse parmi mes plus grands, mes meilleurs, mes plus forts. Si vous aimez lire pour créer une ambiance, si vous aimez la lenteur avec des finales fortes, une écriture modeste, économe, sans grands mots, mais complètement hypnotisante, découvrez Jon Fosse vous aussi. J'aimerais pouvoir partager avec d'autres mon espoir de le lire encore.