mardi 20 décembre 2016

Règne animal, par Jean-Baptiste Del Amo, éditions Gallimard

Voici le livre le plus suffoquant qu'il m'ait été donné de lire. Règne animal est un livre qui, comme pour ses personnages, se referme sur nous, nous écrase, nous prends à la gorge. Quant à Jean-Baptiste Del Amo, on parle d'une écriture rare, d'un vocabulaire et d'une narration si forts que même les pires misères deviennent, sous sa plume, terriblement fascinantes. Seul un écrivain de ce calibre peut se permettre un roman aussi noir, aussi foncé et aussi excellent. Parce que l'entreprises était casse-gueule pour son auteur. C'est plutôt la nôtre, notre gueule de lecteurs, qui se disloque à la fin de ce livre.

La première moitié raconte la vie d'une famille de petits agriculteurs français du début du 20e siècle. La vie est dure, les gens sont durs, mais pourtant rien ne semble leur arriver. Ils vivent, seulement, du mieux qu'ils peuvent. Terre et animaux font partie du quotidien des humains. Terre et animaux sont partout, dans la maison, sur la ferme, dans leurs têtes. La vie, c'est de survivre. L'auteur pose sa loupe sur un tableau qu'on connaît trop peu. La vie paysanne à cette époque était dure oui, mais sait-on à quelle point? Et pour qui, et pourquoi? L'homme parle peu et s'use au travail, la femme aussi, mais plus encore, elle endure une vie qui ne lui va pas. Puis l'enfant, une petite fille, arrive et se fond à ce décor, cette vie. Elle deviendra la même chose. Puis vient un nouveau personnage, un garçon de ferme issu de la famille d'un des deux parents, venu pour aider, et enfin arrive la guerre de 14-18. Les tableaux décrits tant de la vie sur la terre que de la guerre sont hypnotiques tellement ils sont bien décrits. Rien, ici n'a de couleur. Tout n'est que boue, terre, grisaille. Et à travers ça, un désir de survivre, de se hisser la tête hors de l'eau, de dominer quelque chose comme la nature, par exemple, ou un ennemi qu'on ne connait pas.

Deuxième partie du livre, on est projetés en 1981. Sur la même ferme, la même terre, vivent les descendants de la famille décrite précédemment. la petite fille d'alors est maintenant la matriarche. Son fils, devenu grand-père, mène ses deux fils dans l'exploitation d'une ferme porcine. Là, l'auteur décrit le quotidien de chacun des membres de la famille et de leur relation, voir même, de leur vie avec l'entreprise familiale. C'était dur avant, mais maintenant, est-ce vraiment mieux? Il faut lire Règne animal pour connaître les détails d'une entreprise d'élevage de porcs dans les années 80. Par le détail, Del Amo décrit un autre monde qu'on connaît trop peu et qui, pourtant, n'avait l'air de rien. La misère a changé de format, mais elle existe encore. En fait, c'est comme si la guerre se poursuivait. Et c'est là où le titre de ce livre prend tout son sens: on est en plein règne animal. Mais qui sont les animaux? Où est l'humain là dedans? Et si on avait tout raté?

On m'aurait décrit ce livre par le détail que jamais je ne l'aurais lu. Le sujet est d'une dureté incroyable. On y parle de soumission, d'exploitation, de vulnérabilité, et partout, on se demande pourquoi tout ça, pourquoi une telle vie. En fait, est-ce vraiment une vie?

Et pourtant, sa lecture nous mène à un miracle opéré par l'auteur. Del Amo m'avait complètement eu avec Une éducation libertine. Le revoici avec son écriture fine, ses descriptions précises, ses mots si bien choisis qu'il donne l'impression d'avoir lu des pages et des pages d'encyclopédies avant de choisir les bons termes. Ça a l'air lourd comme ça, mais ça se lit tellement bien qu'on en vient à ne pas croire qu'on se laisse happer par une histoire aussi dure. On étouffe, et on aime ça. On plisse les yeux d'horreur ou de dégout mis on ne voit pas comment arrêter sa lecture. Tout ça sans meurtres, sans intrigue sadique ou sans science-fiction. Tout ça, dans la vie ordinaire grossit tellement de fois qu'on n'en voit que les germes, les microbes, et encore une fois, les ratées.

Ça, mais alors là, ça, oui, c'est de la littérature, et un réel un divertissement en plus. Ce livre me restera longtemps en tête, pour toutes sortes de raisons. Chapeau à Jean-Baptiste Del Amo. Vivement un autre!

dimanche 4 décembre 2016

L'accordeur de silences, par Mia Couto, éditions Métailié

Ce joli titre est une belle idée soit de la maison d'édition, soit du traducteur de Mia Couto (Elisabeth Monteiro Rodrigues, qui a fait un excellent travail), un écrivain lusophone mozambicain qui écrit magnifiquement bien. Cet Accordeur... est remarquable à plusieurs égards.

Un homme a quitté la ville, le monde, avec ses deux fils et un accompagnateur. Ils vivent loin de la civilisation, dans un ancien camp de chasse, dans la savane. Pour cet homme, le monde, ailleurs, ça n'existe pas. Le monde, désormais, c'est eux. Ayant fait abstraction de son passé, il imposera la même chose à ses enfants, comme plein d'autres choses. En fait, cet homme imposera sa vision du monde à son entourage, qui comprend aussi un ravitailleur, qui leur apporte des vivres de temps en temps. Or, un événement brisera cet ordre établi par le père tout puissant, et la réalité reviendra le frapper.

C'est le fils le plus jeune qui raconte l'histoire. Cette histoire est la sienne, sa relation avec son père, son frère et l'autre, un aide de camp bizarre. Au fil du temps, on découvrira combien cette réclusion pèse à l'ainé, qui parlera à de leur mère à son petit frère. Et il y a les autres, l'aide de camp, le ravitailleur... qui sont-ils vraiment?

Le petit narrateur a connu peu de choses de leur vie d'avant, aussi le suit-on, au début, dans sa découverte naïve du monde. Puis, l'influence de son frère et la tyrannie grandissante de son père le fera rêver d'un autre monde. Et arrivera ce qui devait arriver: quelqu'un de nouveau. Et ce quelqu'un est une femme...

D'une grande intelligence, cette histoire fait autant sourire qu'elle choque. Il y a quelque chose d'un conteur, chez cet auteur, qui nous tient captif. Il y a aussi beaucoup de poésie, la relation avec la terre et tout ce qui entoure les personnages est vraiment belle. Puis, lorsqu'on comprend le passé qui les a mené là, on assiste à une scène d'une violence qu'on n'avait pas vue venir. Entre tout ça, on retrouve certains chapitres écrits sous la forme de lettres qu'un des personnages adressera à un autre personnage qui lui est cher. On ira alors, avec ces lettres, vivre des émotions diverses écrites dans des mots super bien choisis.

Ce livre nous ramène à la place que nous occupons dans l'univers, dans le monde, dans notre monde, et sur nos rapports avec les autres. L'histoire, enlevante, emmène à ces réflexions, sans toutefois nous perdre dans des pensées trop profondes. Bref, c'est très habile.

Et il y a le décor, l'Afrique de nos jours, celle dont on n'entend pas parler, calme et parfois cruelle, comme cette histoire, qui est vite devenue une très belle découverte. Mia Couto est un écrivain très reconnu dans son pays, en Afrique et dans le monde lusophone. Il a écrit plusieurs livres qui ont été traduits dans plusieurs langues. Avec raison. C'est à découvrir, pour le dépaysement, tant dans la façon de raconter que par les décors présentés et les émotions suggérées.