samedi 20 décembre 2014

Le météorologue, par Olivier Rolin, éditions Seuil/Paulsen

Tout juste sorti du Royaume de Carrère, me revoici dans l'histoire vécue d'un personnage, racontée à la troisième personne, truffée des impressions de l'auteur écrivant cette histoire, et ce à la première personne. Ce n'était pourtant pas prévu que deux styles aussi ressemblants se succèdent. Tendance?

Ici, Olivier Rolin nous ramène dans l'URSS du temps de Staline. Le météorologue en question a été, comme des millions de gens, arrêté pour des raisons obscures, puis déporté dans un camp avant d'être tué. Ce livre est d'abord le récit de ce personnage en particulier, qui sert aussi de prétexte pour raconter toute une époque. Ce qu'Olivier Rolin nous raconte, en fait, concerne un pan de l'histoire méconnu, soit celui dit de la "Grande Terreur", qui se situe à la fin des années 30. Staline et ses sbires régnaient par la terreur dans ce qui se voulait pourtant un nouveau modèle social. Toute personne jouissant de ne serait-ce qu'une influence infime hors du cadre du "Parti" était arrêtée puis fusillée. Ainsi en fut-il de ce scientifique sans trop d'histoire, un vrai geek, qui volait vers le succès, ce qui déplut.

Maintenant, pourquoi raconter son histoire à lui? De toute évidence, une correspondance à peu près intacte et un legs de dessins exécutés pendant sa capture ont inspiré l'auteur. Ces lettres sont adressées à sa femme et les dessins, à sa petite fille d'à peine quatre ans. Les lettres sont touchantes, les dessins encore plus, et si l'histoire mérite d'être racontée, elle m'a semblé trop sommaire. Bien sur, Rolin raconte en supposant plusieurs choses au sujet de son personnage (exactement comme Carrère pour les siens...), et à travers ces suppositions, il en profite pour raconter l'époque en URSS en même temps que sa relation avec ce qu'est devenue la Russie. C'est beaucoup de choses pour un seule livre, au demeurant pas tellement long.
Raconter une histoire et sa relation avec cette histoire est un exercice très ambitieux. Rolin est parvenu à me renseigner sur un pan de l'Histoire que je connaissais très mal et je l'en remercie. Sa connaissance des institutions et des personnages marquants de l'époque sont probants. Quant au personnage dont l'existence est le prétexte du livre, j'ai été touché, mais à peine. Le traitement de cette histoire, s'il est bien fouillé, m'a dérangé dans sa forme. Rolin passe, dans le même paragraphe, d'une phrase à la troisième personne à une suivante à la première, tout ça sans guillemets ou quelque forme de ponctuation que ce soit pour distinguer qui parle. Or n'est pas Saramago qui veut. Passer outre aux règles élémentaires de la ponctuation se fait, à mon sens, dans un exercice de style qui a pour but de déstabiliser le lecteur. Ce n'est pas le cas ici. Il faut simplement relire certains paragraphes deux fois, ce qui est désagréable. Dommage, parce que l'époque racontée est fascinante, le personnage choisi, intriguant, et la relation de l'auteur avec l'histoire, pertinente bien qu'accessoire.

Bon livre, donc, mais mauvais timing pour ma part. L'auto-fiction dans la docu-fiction, c'est bien, mais y'a pas que ça. J'ai, ces derniers temps, besoin qu'on me raconte autre chose que soi.

lundi 8 décembre 2014

Le royaume, par Emmanuel Carrère, éditions P.O.L.

Lorsque lire un livre devient une expérience, que sa période de lecture devient un petit bout de vie dont on veut se rappeler, je crois qu'on peut en conclure que le livre était bon. Et pourtant, Le royaume a commencé si difficilement...

On le sait maintenant, les livres de Carrère ne sont pas des romans "conventionnels". Dans ce qu'il raconte, cet auteur s'ajoute, se met lui-même en scène. Faut aimer, tant le style que le personnage.

Le personnage, c'est lui, Emmanuel Carrère qui nous raconte, dans la première partie du livre, les quelques années de sa vie où il s'est réfugié (si on peut appeler ça ainsi) dans le catholicisme. C'était dans sa trentaine, jeune père de famille. L'auteur nous raconte le pourquoi et le comment de cette "conversion": les hauts, les bas, les lignes droites, les travers, etc. C'est Carrère, donc c'est joliment raconté, mais à force, ça s'alourdit. Au fil des pages, j'avais de plus en plus une impression de "je, me, moi", quoi que souvent atténuée par certaines confessions qui me rendaient le présumé écrivain narcissique un peu plus sympathique. Mais quand même... Je craignais une oeuvre surestimée d'un auteur au faîte de sa carrière, jusqu'à ce que commence la deuxième partie du livre. Alors là, ça décolle, et pas à peu près.

Fort de réflexions qu'il a couché par écrit lors de ses années religieuses, l'auteur décide, quelques années plus tard de pousser plus loin sa réflexion. Un concours de circonstances l'emmène se poser la question: mais qu'est-ce qui a fait que des gens en sont venus à se bâtir une religion autour de l'idée de résurrection? Comment, en fait, en est-on venu à croire à ça? Pour y répondre, il se penchera non sur Jésus lui-même, mais bien sur ceux qui, les premiers, ont rapporté ses propos. Comment, donc, s'est propagé cette histoire? Pour l'expliquer, Carrère s'arrêtera particulièrement sur deux personnages, soit Luc, l'un des évangélistes, et Paul, le fameux Saint-Paul, celui qui, à la suite d'une chute à cheval, décide que dorénavant, sa foi, sa façon de vivre, sa façon de voir les choses, eh bien c'est tout le monde qui devrait l'adopter. Propagande, candeur, opportunisme lié au contexte historique d'alors, il est question de tout ça, et beaucoup plus. Avec le regard d'un historien mais aussi d'un chroniqueur, l'auteur nous raconte, à coups de suppositions et de faits historiques, les débuts de la chrétienté: histoire du peuple juif, de la Palestine, de l'empire romain, de la chute de Jérusalem, de Rome qui brûle... c'est toute cette époque. Et c'est absolument passionnant.

Oui, Carrère continue à exposer les faits et ses théories en regard de son expérience personnelle. Ça peut paraître prétentieux, mais non, ça ne l'est pas, enfin pas trop. Et si ça l'est, on en vient à le comprendre, et ce même si, à quelques occasions, l'auteur nous avoue prétendre être en train de rédiger ce qu'il croit être son livre le plus percutant. Carrère a le mérite d'être sincère et franc... mais aussi, et surtout, érudit et ça, c'est du bonbon.

Maintenant, un tel livre saura-t-il intéresser le commun des immortels (et même des immortels) en 2014-2015? Personnellement, je ne crois pas, quoi que... Il ne s'agit pas ici de connaître la vie des saints par coeur pour apprécier Le royaume. À tout le moins est-il utile de connaître les fondements de la religion chrétienne. À partir de là, on lit ce livre non seulement pour en savoir plus sur cette école de pensée, mais aussi sur la sienne propre, et c'est ce qui fait la force de ce livre. N'étant absolument pas religieux moi-même, je ne m'en intéresse pas moins à ces phénomènes importants de notre monde que sont les religions. Ayant, comme tout le monde des principes, j'en suis aussi parfois à me demander où je me situe par rapport à telle ou telle école de pensée. Carrère nous emmène là, à faire une réflexion ludique, dirais-je, et instructive par le fait même. Non, Le royaume n'a aucune velléité prosélyte, ni aucun arrière-goût new-age. Il nous emmène seulement à nous questionner sur le sens qu'on donne à notre vie en prenant pour exemple celle de gens qui croyaient tellement fort à leur histoire qu'ils voulaient la partager avec d'autres. Pris dans leur contexte historique, peut-être avaient-ils raison, à vous de voir. En même temps, vous vous ferez votre propre définition, vous aussi, du Royaume en question. Celle proposée par Emmanuel Carrère est, à mon sens, jubilatoire.

Esprits curieux, amateurs d'Histoire, fans de bonnes histoires: c'est à lire absolument. Je vous souhaite que sa lecture soit aussi jouissive que fut la mienne.

vendredi 5 décembre 2014

Chevrotine, par Éric Fottorino, éditions Gallimard

Sentant qu'il va bientôt mourrir, un homme veut raconter à sa fille comment sa mère est disparue, alors que l'enfant avait tout juste deux ans.

Remarié après le difficile deuil d'une première épouse aimée, l'homme en question tombe (mot choisi...) sous l'emprise d'une femme qui, petit à petit, empoisonnera sa vie et celle de tous ceux autour d'eux. Portrait parfait d'une personne toxique, on a ici un genre de polar à l'envers où est expliqué le mode d'emploi d'un terrible aboutissement. Le personnage principal raconte le tissage d'une toile d'araignée dans laquelle il est tombé. Sans être carrément horrible, Chevrotine n'est certainement pas jojo. Bien écrit, raconté froidement, il siérait bien à une soirée d'Halloween.

On a en effet à faire avec un genre de sorcière moderne. Misérabiliste à l'extrême, cette femme aura tout pour se faire haïr. En fait, ne pas connaître Éric Fottorino, on pourrait presque crier au roman misogyne. Outre la quasi-sorcière en question, on remarque que les autres personnages de femmes, secondaires, sont soit mièvres (la première femme), soit peu signifiants. Or, des personnages ont-ils à être sympathiques pour faire une bonne histoire? Non, bien sur. N'en demeure pas moins que force est de reconnaître leurs principales caractéristiques. Dans ce cas, le mauvais rôle des personnages féminins est flagrant, d'autant plus que celui des hommes n'est pas spécialement mauvais. À peine les trouvera-t-on un peu mous, pas assez surs d'eux, manipulés. On navigue dans un monde d'ouvriers, d'anciens pêcheurs reconvertis en travailleurs manuels. Leurs vies, comme les décors, sont teintés du gris du bord de la mer, et du vent. C'est un monde qui ne l'a pas facile, comme notre bonhomme et ça, Fottorino le décrit bien. Comme décor, comme mise en scène, c'est tout à fait réussi.
Quant à l'histoire, c'est tout aussi bien ficelé. On assiste à la lente chute d'un couple qui creuse sa tombe à deux, multipliant les victimes autour d'eux, et c'est d'autant plus triste qu'il s'agit de leurs enfants.

Fottorino raconte une histoire de désoeuvrement, de gens qui n'ont eu cesse de faire des mauvais choix. Et pourtant, notre homme, le personnage principal, était porté par son coeur. C'est pourtant ce qui l'a coulé.

Excellent romancier, Éric Fottorino surprend ici par le propos et par les ingrédients utilisés: ses personnages féminins peu aimables, sauf peut-être la fille du couple dont il est question, qui sera peut-être sauvée par sa jeunesse, et ses personnages masculins victimes d'une vie dure. Chevrotine est un roman sombre, de belle facture et qui, sans révolutionner le genre, ne laisse pas indifférent non plus.