Lorsque lire un livre devient une expérience, que sa période de lecture devient un petit bout de vie dont on veut se rappeler, je crois qu'on peut en conclure que le livre était bon. Et pourtant, Le royaume a commencé si difficilement...
On le sait maintenant, les livres de Carrère ne sont pas des romans "conventionnels". Dans ce qu'il raconte, cet auteur s'ajoute, se met lui-même en scène. Faut aimer, tant le style que le personnage.
Le personnage, c'est lui, Emmanuel Carrère qui nous raconte, dans la première partie du livre, les quelques années de sa vie où il s'est réfugié (si on peut appeler ça ainsi) dans le catholicisme. C'était dans sa trentaine, jeune père de famille. L'auteur nous raconte le pourquoi et le comment de cette "conversion": les hauts, les bas, les lignes droites, les travers, etc. C'est Carrère, donc c'est joliment raconté, mais à force, ça s'alourdit. Au fil des pages, j'avais de plus en plus une impression de "je, me, moi", quoi que souvent atténuée par certaines confessions qui me rendaient le présumé écrivain narcissique un peu plus sympathique. Mais quand même... Je craignais une oeuvre surestimée d'un auteur au faîte de sa carrière, jusqu'à ce que commence la deuxième partie du livre. Alors là, ça décolle, et pas à peu près.
Fort de réflexions qu'il a couché par écrit lors de ses années religieuses, l'auteur décide, quelques années plus tard de pousser plus loin sa réflexion. Un concours de circonstances l'emmène se poser la question: mais qu'est-ce qui a fait que des gens en sont venus à se bâtir une religion autour de l'idée de résurrection? Comment, en fait, en est-on venu à croire à ça? Pour y répondre, il se penchera non sur Jésus lui-même, mais bien sur ceux qui, les premiers, ont rapporté ses propos. Comment, donc, s'est propagé cette histoire? Pour l'expliquer, Carrère s'arrêtera particulièrement sur deux personnages, soit Luc, l'un des évangélistes, et Paul, le fameux Saint-Paul, celui qui, à la suite d'une chute à cheval, décide que dorénavant, sa foi, sa façon de vivre, sa façon de voir les choses, eh bien c'est tout le monde qui devrait l'adopter. Propagande, candeur, opportunisme lié au contexte historique d'alors, il est question de tout ça, et beaucoup plus. Avec le regard d'un historien mais aussi d'un chroniqueur, l'auteur nous raconte, à coups de suppositions et de faits historiques, les débuts de la chrétienté: histoire du peuple juif, de la Palestine, de l'empire romain, de la chute de Jérusalem, de Rome qui brûle... c'est toute cette époque. Et c'est absolument passionnant.
Oui, Carrère continue à exposer les faits et ses théories en regard de son expérience personnelle. Ça peut paraître prétentieux, mais non, ça ne l'est pas, enfin pas trop. Et si ça l'est, on en vient à le comprendre, et ce même si, à quelques occasions, l'auteur nous avoue prétendre être en train de rédiger ce qu'il croit être son livre le plus percutant. Carrère a le mérite d'être sincère et franc... mais aussi, et surtout, érudit et ça, c'est du bonbon.
Maintenant, un tel livre saura-t-il intéresser le commun des immortels (et même des immortels) en 2014-2015? Personnellement, je ne crois pas, quoi que... Il ne s'agit pas ici de connaître la vie des saints par coeur pour apprécier Le royaume. À tout le moins est-il utile de connaître les fondements de la religion chrétienne. À partir de là, on lit ce livre non seulement pour en savoir plus sur cette école de pensée, mais aussi sur la sienne propre, et c'est ce qui fait la force de ce livre. N'étant absolument pas religieux moi-même, je ne m'en intéresse pas moins à ces phénomènes importants de notre monde que sont les religions. Ayant, comme tout le monde des principes, j'en suis aussi parfois à me demander où je me situe par rapport à telle ou telle école de pensée. Carrère nous emmène là, à faire une réflexion ludique, dirais-je, et instructive par le fait même. Non, Le royaume n'a aucune velléité prosélyte, ni aucun arrière-goût new-age. Il nous emmène seulement à nous questionner sur le sens qu'on donne à notre vie en prenant pour exemple celle de gens qui croyaient tellement fort à leur histoire qu'ils voulaient la partager avec d'autres. Pris dans leur contexte historique, peut-être avaient-ils raison, à vous de voir. En même temps, vous vous ferez votre propre définition, vous aussi, du Royaume en question. Celle proposée par Emmanuel Carrère est, à mon sens, jubilatoire.
Esprits curieux, amateurs d'Histoire, fans de bonnes histoires: c'est à lire absolument. Je vous souhaite que sa lecture soit aussi jouissive que fut la mienne.
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