jeudi 28 avril 2016

Envoyée spéciale, par Jean Échenoz, éditions de Minuit

Louis vit fort bien de ses royalties. Il y a une vingtaine d'années, il a "commis" un tube, vous savez, le genre de truc qui a joué tout l'été à la radio, et qu'on a traduit ensuite dans toutes les langues... Maintenant, il vit assez calmement avec sa femme, l'interprète du succès en question, tout en rêvant d'un éventuel retour sous les projecteurs.

Or voilà, sa femme est enlevée et on demande rançon. Un peu préoccupé, quand même, Louis demandera conseil à son demi-frère d'avocat qui lui suggérera d'attendre un peu. Puis, les choses faisant que, il en viendra à oublier la pauvre victime, sa vie n'était finalement pas si compliquée que ça, quoi que...

Pendant ce temps-là, la victime en question est séquestrée par des ravisseurs qui s'avéreront charmants, même si un peu gauches et pas très fiables aux yeux de leurs patrons, les commanditaires de l'enlèvement. Or, pendant que victime et bourreaux revisitent le syndrome de Stockholm, les commanditaires, eux, sont satisfaits. Mais pourquoi, au fait, on-ils commandité cette affaire bizarre?

La suite vous tiendra sur le bout de votre chaise. Outre les personnages ci-haut décrit, d'autres s'ajouteront à ce qui deviendra bientôt un espèce de James Bond à tendance burlesque où des destins se retrouveront liés d'étranges façons. Parce qu'il s'agit de Jean Échenoz, on ne s'ennuie pas côté narration. Le narrateur, c'est nous, c'est à dire, lui, l'auteur, et nous, le lecteur, aussi se passe-t-on souvent des commentaires sur les personnages, ce qui est en train de se passer, sur ce qui va peut-être se passer, etc.

Passé maître dans l'art de raconter une histoire, Échenoz tombe ici dans le genre policier. Différent de ce que j'ai lu de lui avant, cette Envoyée spéciale constitue, à mon sens, son oeuvre la plus désopilante. Dans un style qui me rappelle beaucoup Eduardo Mendoza, ou se retrouvera souvent à rire bien que le sang coule à flots à quelques occasions. Cruels, mais épouvantablement pathétiques, les personnages les "pires" ne vous empêcheront pas de dormir. À tout le moins voudrez lire encore quelques pages pour savoir ce qu'il pourra bien arriver à la pauvre fille qu'on finira par emmener dans un des environnements les plus inusités qui soient sur Terre, en même temps que ses ravisseurs, victimes eux-mêmes de gens bien plus mal intentionnés qu'eux.

Histoire hilarante et hyper-active basée sur les relations dominants/dominés, Envoyée spéciale, en plus de nous divertir un bon coup, nous montre que dans nos vies, quelles qu'elles soient, si on a quelqu'un sur le dos, c'est qu'on l'a généralement choisi... à moins de vivre dans un régime totalitaire... mais je n'en dis pas plus.

Divertissement garanti, pour les fans d'Échenoz autant que pour ceux qui le découvriront une première fois.

jeudi 7 avril 2016

La femme qui fuit, par Anaïs Barbeau-Lavalette, éditions du Marchand de feuilles

Depuis que je tiens ce blogue, c'est la première fois où tant de gens me parlent du même livre ou me le recommandent. Le fait est à noter, parce que la plupart de ces recommandations ne m'ont pas été faites à titre de blogueur mais de connaissance ou d'ami. Même une illustre inconnue, fait rare, a interrompu ma lecture dans le transport en commun pour me dire combien elle avait aimé ce livre.

Ce récit de la vie de l'aïeule de l'auteure n'a pourtant rien du scénario typique du best seller avec un happy end, parce qu'il s'agit d'une histoire dure, pas horrible, mais dure et aussi, et surtout, absolument fascinante.

La femme ici décrite a d'abord vécu des événements qui ont contribué à faire la société québécoise moderne, mais aussi l'américaine. Ces moments bien personnels de portions de l'Histoire collective me font inévitablement penser à L'année la plus longue, de Daniel Grenier, une oeuvre de fiction où un homme vit des moments marquants de l'Histoire nord-américaine... répartis sur environ 400 ans. Or ici, ça c'est bel et bien passé, mais sur quelque 80 ans, et ça c'est vécu fatalement, comme si cette femme avait été une espèce de bille dans une machine à boules, projetée dans le monde sans vraiment l'avoir voulu. Les conséquences seront tragiques pour elle et sa famille, oui, mais n'en demeure pas moins que ces circonstances auront aussi contribué à faire non seulement l'Histoire, mais aussi ces mêmes membres de sa famille, incluant l'auteure de ce récit. Hérédité, inspiration, je ne saurais dire, mais lorsqu'on regarde les oeuvres de la fille et de la petite fille de cette femme qui a fuit, on se dit qu'inévitablement, quelques chose a été transmis.

Femme d'un des signataires du Refus global, un manifeste réclamant plus de liberté au Québec, signé à Montréal à la fin des années 40 par des artistes considérés alors comme totalement dans la marge, la protagoniste se retrouvera ensuite en Europe et aux USA où elle participera à la Freedom Ride qui la mènera de New York jusqu'en Alabama. Riche de toutes ces histoires, revenue dans son pays natal, elle restera victime de la sienne, son histoire, et de l'interprétation qu'elle en fait, en fuyant constamment les gens et les événements. Voilà pourquoi ce récit réhabilite ni plus ni moins une femme qui s'est sans doute perçu comme une victime des mêmes gens et des mêmes événements. Incapable de vivre selon les normes de la société, elle donnera l'impression d'avoir été en avance sur son temps. Et pourtant non. Certains personnes comme elle sont seulement trop libres pour être portées par les conventions, et c'est d'autant plus remarquable lorsqu'il s'agit d'une femme ayant vécu les années 40 et 50 au Québec.

Cette histoire est donc racontée de la perspective de la petite fille de la femme en question. Le style surprend parce qu'écris au "tu". Au début, on se sent témoins d'un règlement de compte entre deux personnes assis l'une en face de l'autre. On ressent un malaise. Pour ma part, je ne savais pas trop si j'aimais ça. Puis l'histoire s'est développé, celle de la rencontre des gens du Refus global a embarqué et j'ai été totalement happé, jusqu'à ne plus être influencé par ce style particulier qui, avouons-le, ajoute au tragique. Oui, c'était un bon choix de la part de l'auteure.

Une dernière anecdote

Je suis content d'avoir lu Les maisons, de Fanny Britt, juste avant La femme qui fuit. Ces deux livres nous font vivre exactement les mêmes émotions de malaise en racontant pourtant des histoires tout aussi exactement opposées. Dans Les maisons, on a une femme trop en contrôle dans sa vie ordinaire qu'elle rêve de fuir en vivant plus de liberté. Dans La femme qui fuit, on en a une autre qui est tellement libre qu'elle ne veut que fuir tout ce qui pourrait l'empêcher de rester elle-même. Attendez... à moins qu'il ne s'agisse de la même histoire, mais raconté différemment? En tout cas, si vous pouvez lire les deux un à la suite de l'autre, je vous prédis une fort belle période de lecture.

Un livre de l'Histoire... avec une histoire à lire absolument.