mardi 27 janvier 2015

Bienvenue aux dames, vlb éditeur

Ce recueil de nouvelles a pour thème, les plus sagaces l'auront compris, l'univers des tavernes québécoises. Équivalent des pubs, phénomène presque disparu, les tavernes sont prétextes aux histoires les plus hétéroclites, c'est un thème riche et son exploitation est une bonne idée en ce qu'il crée de belles attentes.

En passant, pour qui ne le saurait pas... l'expression "Bienvenue aux dames" réfère à un slogan qui est apparu sur les portes et fenêtres des tavernes québécoises aux environ des années 80. Établissements auparavant réservés à une clientèle exclusivement masculine, une loi en a ouvert l'accès à l'autre sexe à peu près à la même époque, ce qui fut prétexte aux slogans et illustrations les plus... typiques qui soient. Depuis, l'expression, comme ce type d'établissement, est plutôt tombé dans l'oubli, mais quand même voit-on encore parfois quelques vestiges de ces réclames faisant preuve d'ouverture...
Plusieurs auteurs (tous masculins... phénomène obligé?) y offrent leurs histoires. Aucune ne pourrait être qualifiée de mauvaise. À tout le moins certaines m'ont laissé soit sur ma faim, soit plutôt indifférent, ce qui est arrivé avec les deux nouvelles ayant à peine abordé le thème de la taverne, l'ayant même à peine effleuré. Bizarre que l'éditeur ait quand même laissé passer. Ainsi en est-il des deux derniers textes de ce recueil, soit ceux de Raymond Bock et de Daniel Grenier. Pas mauvais, non, mais comme perdus par les autres. J'espérais des histoires de tavernes et je n'en ai pas eu. Décevant.

Mes préférées vont aux deux premières. Edouard H Bond et William S Messier font partir le recueil en lion, avec ce dont on peut s'attendre avec un tel thème. Écriture et personnages "tout croches" vont de pair et sont habilement maniés. Simon Dumas et Fabien Cloutier donnent aussi de bon moments vraiment pas piqués des vers. Les autres ont moins retenu mon attention.

Un recueil de nouvelles à thème donnent de grandes attentes au lecteur. C'est un peu comme si on connaissait déjà le décor dans lequel on verra le film. Aussi est-ce décevant de constater que certaines scènes passent à côté dudit décor. L'occasion est toutefois excellente pour découvrir des auteurs jusqu'ici inconnus. Ainsi en est-il pour moi des Bond, Messier et Dumas dont je surveillerai désormais les prochaines parutions.

Belle idée, donc, avec peut-être juste un petit manque d'épices... ou quelques oeufs encore plus vinaigrés.

dimanche 18 janvier 2015

On ne voyait que le bonheur, par Grégoire Delacourt, éditions JC Lattès

C'est ma première lecture de cet auteur qui s'est pourtant fait connaître par d'autres titres précédant celui-là. Je lirai encore Delacourt, absolument, et très bientôt parce ce que ce livre là m'a tout simplement bouleversé. Et pas à peu près.

Qu'on me comprenne bien: j'ai entamé ce livre sans attentes. Je connaissais le nom de l'auteur et la quatrième de couverture m'a intéressé. C'est tout. Après ça, c'est une histoire, mais surtout une écriture qui ont fait le travail.

C'est l'histoire d'un homme qui raconte sa tristesse. Dit comme ça, ça n'a l'air de rien, et les adeptes du hop-là-vie ou de "choses joyeuses" ont déjà cliqué vers un nouvel URL. Pourtant, jamais n'ai-je lu la tristesse de cette façon. Comme la haine qui, dit-on, avoisine l'amour, la tristesse est jumelle du bonheur. Mais voilà, la première prend le plus souvent toute la place, et si on ne voit pas l'autre, les conséquences sont dramatiques. Comme le dit un personnage du livre :"Le bonheur, on ne le voit qu'après".

Cet homme raconte d'abord son enfance à lui, ses parents, ses soeurs, pour ensuite s'attarder à celle qui deviendra sa femme et à la famille qu'ils fonderont. De toute évidence, il y a un pattern, quelque chose comme une guigne qui suit notre bonhomme. Et pourtant, il a vécu des moments exaltants, des débuts de bonheur...

Tour ça, une telle histoire, c'est pas nouveau. Dans la première des trois parties de ce livre, l'auteur intitule les chapitres avec des chiffres ou des montants d'argent, en référence au métier d'évaluateur d'assurance du personnage principal. C'est d'ailleurs une des raisons qui lui fait expliquer son "non-amour", une certaine froideur. Pas nouveau comme histoire, non, mais quelle façon d'en parler, quel phrasé! Sans tomber dans aucun style d'écriture ampoulé, sentimentalo-quelque chose ou ironique, Delacourt donne l'impression d'écrire doucement. Parce qu'il s'agit d'une histoire dure. Une des scènes, d'ailleurs, fait basculer le livre presqu'en plein milieu. Jamais je ne l'ai vue venir. Forte, cette scène vous fait un peu perdre le souffle à titre de lecteur, exactement comme pour les personnages. Mais la façon dont c'est amené vous fait vous rendre compte qu'inévitablement, vous serez encore surpris, malgré le sentiment ambiant qui reste le même tout au long du livre. Et en effet, avec la troisième partie, vous êtes soufflé à nouveau.
Dur, donc, triste, oui, mais dans tout ce que "triste et beau" a de vrai, ce livre est superbement réussi. Personnellement, j'ai souvent pris des pauses à sa lecture pour reprendre mon souffle, et je ne cache pas qu'en le terminant, parce que la fin est aussi forte que le livre, j'ai dû prendre deux ou trois grande respirations pour ne pas trop montrer à mes voisins dans l'autobus combien j'étais ému... en fait, j'étais catapulté. S'il est une toute petite corde que peu réussissent à saisir pour me faire vivre des émotions fortes, Grégoire Delacourt est venu la saisir avec ce livre.

Grande écriture par sa simplicité, fine expression des sentiments, voix justes, réaliste mais touchant: il faut lire Delacourt... enfin, je ne peux pas (encore) juger de ses autres oeuvres, mais On ne voyait que le bonheur est, pour ma part, un vrai grand livre.

lundi 12 janvier 2015

Truculence, par François Racine, éditions Québec-Amérique

Ah, écrire en langue parlée. Est-ce que des locuteurs d'une autre langue que la nôtre débattent autant que nous, francophones, la-dessus? Du côté Québécois, ça passe de mieux en mieux. Mais les résultats ne sont pas toujours heureux. Cet exemple-ci en est un excellent puisque la "transposition", si on peut dire, est très réussie. Les dialogues sont nombreux et pertinents. Mais une question se pose: si la forme est aussi bien réussie, en est-il de même du fond?

Quatre amis, dont trois profs de français au collège (c'est digne de mention) quittent Montréal pour la Gaspésie pour aller y chercher un autre ami en crise. Le but: l'aider. Tout ça se passe à l'été 2012. Bon. Été 2012 et profs de cégep laissent présager une toile de fond à caractère social incontournable. Tel n'est toutefois pas le cas. Si on y va parfois de quelques éditoriaux sur la question, Truculence tourne plutôt autour de la présence de quatre urbains (hyper-urbains?) en région, et aussi de l'amitié qu'ils se portent.

Ceci dit, oui, c'est écrit en langage parlé, tellement que pour certaines expressions, le plus québécois des Québécois devra s'y reprendre à deux fois pour bien comprendre l'agglomérat d'apostrophes qui constituent un mot jamais vu. Or, au fil des pages, ça coule de source. Cette transposition du langage écrit, pour la narration, au langage parlé, pour les dialogues, est fort bien faite. Tellement qu'on croirait presqu'à du théâtre ou à un scénario de film. Si tel était le cas, je crois que le scénario serait toutefois un peu court. Non, Truculence n'est pas ennuyant, loin de là, mais il ne s'agit pas non plus d'une histoire qui vous bouleversera. Avec ses personnages quasi caricaturaux (profs rebelle, comédienne angoissée, régionaux naïfs, on frôle parfois le cliché. Certaines scènes de bar, par exemple, rappellent inévitablement des scènes du genre vues dans des films ou des séries télé. Disons que c'est sans finesse. en ce sens, j'irais jusqu'à dire que c'est très américain comme scénario. Mais encore, je reviens sur la justesse de l'écriture.

À un certain moment, un des personnages cite "La canicule des pauvres" de Jean-Simon Gagné. Ce n'est sans doute pas un hasard. Il y a un potentiel de ça dans l'écriture de François Racine. Certains passages comportent de belles images, il y a là aussi, comme chez Gagné, quelque chose d'un mineur adroit qui sait aller chercher les pensées profondes d'un personnage pour les remonter en surface. Ce n'est pas donné à tout le monde. Racine le fait bien.

Bref, je lirai bien volontiers un autre livre de ce Racine québécois. D'ici là, si vous voulez mettre la main sur celui-ci, attendez-vous à une langue différente de pas mal tout ce que vous avez lu. Facile à lire pour qui connaît les particularités de la langue en question, un tel livre peut toutefois devenir une vraie plaie pour qui préfère le respect intégral de l'orthographe des mots.

dimanche 4 janvier 2015

Voyageur, de Pierre Graveline, éditions Fidès

Le titre ne ment pas. Il s'agit bien d'un récit de voyage. La bibliographie de cet auteur issu du monde syndical contenait jusqu'ici des essais sur la société québécoise et son histoire. Je ne le connaissais pas.

Ce récit, tout à fait personnel, raconte un périple d'un jeune de 19 ans. Quittant son Montréal natal pour la première fois de sa vie en direction d'Amsterdam, le voyageur (terme qui constitue, pour l'auteur, une distinction intéressante et pertinente du touriste) se rendra jusqu'en Inde par voie de terre. Fait particulier et non négligeable ce périple aller-retour s'est fait en quelque sept mois pendant les années 1971-1972. Ce contexte historique ajoute beaucoup à un récit écrit somme toute assez sobrement. On ne saurait en effet prêter aucune intention littéraire à un tel bouquin. Si tel en était parfois le cas, ce serait à travers quelques fioritures que le narrateur se permet ici et là avec plus ou moins de succès. En fait, l'intérêt réside ici justement dans la sobriété, voir la presque naïveté avec lesquelles ce voyage est raconté.

Au début, on croit à la découverte de l'Europe et de la vie par un jeune Québécois tout juste sorti, comme son peuple, d'un obscur passé. Mais tel n'est pas le cas, à tout le moins à partir d'Istanbul où commence un périple qui devient un réel récit de voyage. Les descriptions des lieux et un petit côté "wikipédia" tiennent tant de la carte postale que du blogue mais aussi et surtout, ce voyageur nous emmène en des contrées aujourd'hui bien mal connues. Qu'on pense seulement à l'Iran et à l'Afghanistan. Quant au Pakistan et à l'Inde, notons seulement que le Bengladesh voisin est devenu indépendant en 1971. Les tensions étaient alors à leur comble dans cette région, ce qui rend le contexte de certaines pièces du récit encore plus intéressantes.

Ajoutez à ça l'oeil et la débrouillardise d'un jeune de 19-20 ans, son insouciance prétexte à de nouvelles aventures et les clichés issus de souvenirs nostalgiques d'une jeunesse perdue (comme par exemple les passages obligés et pas toujours pertinents de conquêtes féminines...), et vous obtiendrez le récit d'un voyage en des lieux et une époque méconnus trop souvent victimes de clichés. Un tel ouvrage constitue une intéressante et différente vue de l'intérieur qui fait justement abstraction des préjugés qu'un lecteur de 2015 pourrait avoir sur cette région et sur cette époque. Bien sur, quelques révisions éditoriales auraient pu parfois resserrer le texte, mais celui-ci demeure facile à lire et le plus souvent captivant.

Ce récit méritait donc d'être publié. Je le recommande aux amateurs de voyages, ou aux lecteurs en mal de dépaysement dans "l'Histoire vraie".