dimanche 27 décembre 2015

Gratitude, par Oliver Sacks, éditions Knopf

Pour le jour de Noël, je me suis offert un superbe cadeau. Ce court livre de quelque 50 pages contient quatre textes écrits par un auteur dont je me suis surpris à connaître une bonne partie de l'oeuvre, alors que je croyais ne pas le connaître. Oliver Sacks, c'est Awakenings (le livre, pas le film) et L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau, entre autres choses. Médecin spécialiste en neurologie, il a tiré plusieurs de ses écrits d'expériences vécues par ses patients. Chercheur, passionné de science mais aussi auteur de talent, Sacks a commencé cet ouvrage en faisant le constat suivant: "à 81 ans, je viens d'apprendre que je souffre d'un cancer incurable. Or, avant de quitter ce monde, il me reste quelque chose à faire". Ce quelque chose, c'est ce livre où, sans faire un bilan exhaustif de sa vie, l'homme se raconte surtout dans ses dernières années, en mettant l'accent sur les derniers mois, et c'est tout à fait superbe.

Cet homme a aimé la vie, vivre, et c'est ce qu'il nous transmet. La vieillesse a rarement été aussi bien décrite que dans les mots d'Oliver Sacks. Conscient des limites que son corps lui impose, il ne demeure pas moins conscient de sa capacité de vivre encore, de participer au monde, et qui plus est, de se donner maintenant le choix de ne s'en tenir qu'à l'essentiel, et ce jusqu'au bout. "Gratitude" est un titre fort bien choisi. Voilà ce qui plane sur ce superbe constat fait par un être qui s'inspire de ce que la vie lui a donné de plus beau. Il est question d'amour, mais de rien de gna-gna. Il est aussi question de choix, de passions, d'apprentissages constants, et de beaucoup de respect. Un autre titre aurait fort bien être "Carpe diem", mais Gratitude, oui, c'est tout à fait ça.

Inspiré par plusieurs, Oliver Sacks est maintenant celui qui inspire. En refermant le livre, on ne peut que penser que son décès, survenu quelques semaines seulement après avoir terminé ces écrits, s'est sans doute passé dans la plénitude. Or n'est-ce pas ce qu'on se souhaite tous? Voilà pourquoi il faut lire ce livre qui m'a procuré un grand calme et beaucoup d'espoir.

Pas encore traduit en français, ce livre est rédigé dans un anglais très facile à lire. SI vous lisez en anglais, je vous recommande de vous faire ce cadeau vous aussi.

vendredi 25 décembre 2015

(portrait de) Jason Albert Guillaume, par Jason Albert Guillaume, éditions Traces

En fait peut-être faudrait-il plutôt dire "éditions du Projet Traces". Basé en Belgique, cet éditeur regroupe sous son nom une collection où chaque livre est un portrait. Les titres sortis et ceux à paraître sont déjà décrits sur leur site web.

Celui-ci est d'un petit format poche. En quelque 100 pages, il regroupe les pensées et épisodes de vie racontées par son auteur, Jason Albert Guillaume. Or, qui est Jason Albert Guillaume? Pour tout vous dire, avant de le lire, je n'en avais pas la moindre idée, et maintenant que je l'ai lu, que j'en sais un peu plus sur lui, je ne vois pas tellement pourquoi j'aurais dû le connaître. N'en demeure pas moins que j'ai adoré le lire.

Il s'agit donc là d'un superbe travail d'éditeur. Parce que trouver des histoires est sans doute plus facile que de trouver des gens qui se racontent, et ce d'autant plus lorsqu'il ne s'agit pas de personnages "connus". Mais voilà, il existe des gens qui, même sans avoir vécu sous le feu des projecteurs médiatiques, ont vécu. Ainsi en est-il de ce Jason Albert Guillaume, et il en a des histoires à raconter.

Rwandais d'origine, l'homme a vécu à divers endroit de par le monde: Kénya, Dubaï, États-Unis, Bruxelles et j'en oublie. Partout, il a exercé différentes professions et aussi, et surtout, a rencontré des gens, inévitablement. Et c'est surtout de ça dont il est question, des gens gens rencontrés, de pensées inspirées par telle ou telle rencontre, de ce qu'un ou une telle lui a apporté, etc. Le style d'écriture étant plus près de la langue parlée que littéraire, le personnage devient vient attachant. Et à force, il devient presque impressionnant. Il y a de ces gens, parfois, devant lesquels on se sent devenir tout petit au fur et à mesure qu'on les connaît. C'est ce qui arrive ici devant ce petit neveu du roi exil du Rwanda. Et quand on connaît l'histoire récente, on comprend que le personnage peut en avoir des choses à raconter. Pourtant, du génocide, mis à part quelques mentions ici et là, il ne ressort rien de précis. Pas de scène triste ou catastrophique. Juste un flottement, comme un nuage constant au-dessus de toute une vie passée à fuir quelque chose ou quelqu'un... et une façon de voir les choses, d'aborder la vie qui, moi m'a ravi.

Une histoire, c'est ça: un divertissement qui nous fait oublier la nôtre, notre histoire. Comme quoi lire un portrait est une peu comme en regarder un, mais avec l'avantage de tous les détails qu'apportent les mots. Tiens, ça me fait beaucoup penser à Mr Gwynn, de Barrico.

Cette série de livres-portraits fait penser à celle de Nouveaux projets où les sujets abordés sont plutôt des essais, voir des réflexions sur différents sujets. C'est, très certainement, un bon filon. Car si on aime, on a envie de continuer l'exploration. Mais attention, seulement si on aime...

N'empêche, c'est recommandé!

mardi 15 décembre 2015

Numéro zéro, par Umberto Eco, éditions Grasset

À Milan en 1992, un homme fonde un journal. Financé par un éditeur obscur mais haut placé, l'homme embauche six journalistes dont la carrière vivote. C'est l'un d'eux qui raconte l'histoire. Le journal s'appellera "Demain". Le but de son directeur: raconter ce qui se passera demain. Devant le scepticisme de ses engagés, il expliquera que ce que le lecteur veut, ce sont des fait présumés. Au diable les faits avérés. Mais avant de sortir une édition officielle, l'homme propose un "Numéro Zéro", un peu comme un essai. S'ensuivent des propositions de contenus que les journalistes prennent de leurs passés caverneux: ici des chroniques "pipeul", là des filatures inventées de personnages connus, et là encore des opinions présumées sur d'autres.

On assiste ni plus ni moins à un procès tordu du journalisme, de ses relations avec les pouvoirs, le marketing et parfois, la vérité. Tout ça enrobé de la culture et de la verve d'un Umberto Eco: c'est tout simplement succulent.

Sauf que...

Un des six journalistes engagés s'avère être un genre de parano à la puissance dix qui voit des théories du complot partout. Là encore, c'est intéressant. On se demande ce qu'Eco fera d'un tel personnage.
Bien sur, le mec s'avèrera particulièrement tordu lui aussi, surtout dans ses histoires qui, au début, semblent fascinantes. En effet, celui-là suggérera des scoops reliés à la présumée fausse mort de... Mussolini. Avec ce récit, commence un segment du livre où Eco racontera à sa façon une bonne partie de l'histoire politique de l'Italie de 1945 à environ 1990. Or je sais pas si vous savez, mais en Italie, il en est passé et il en passe encore du monde au pouvoir. Et si on y ajoute les groupes terroristes des années 70, le Vatican et un peu de CIA, on obtient une liste de noms de personnages connus des Italiens seulement (en tout cas j'espère qu'au moins les Italiens les connaissent), et on en vient à se perdre un peu, voir beaucoup. Ça sent le règlement de compte avec une certaine frange de la société publique nationale, mais on ne comprend pas tout.

Vu de l'extérieur, c'est à dire, n'étant pas Italien, j'ai d'abord vu une critique des relations presse/pouvoir, un genre de satyre d'un milieu lui même à la limite du satyrique. Mais voilà qu'au-delà de tout ça, j'ai eu l'impression d'écouter une conversation où on parlait de situations truculentes vécues par des personnages décrits avec des adjectifs que je ne comprenait pas parce que je ne les connaissais pas, d'où une certaine frustration.

On a parfois l'impression que des auteurs connus sont traduits... parce qu'ils sont connus. En voilà un bon exemple. Je crois qu'il s'agit là d'un excellent livre, mais surtout pour un Italien. Pour qui connaît moins les moeurs politiques du pays, Numéro Zéro est moins engageant, un peu frustrant, mais pas choquant pour autant. Juste un brin décevant.

dimanche 6 décembre 2015

Chien, par Samuel Benchetrit, éditions Grasset

L'image du livre est vraiment bien choisie puisqu'il s'agit d'un homme qui devient un chien. Peut-être imaginez-vous maintenant un genre de Tarzan? C'est pas ça. La Métamorphose de Kafka? Pas vraiment non plus. Une métaphore, alors? Peut-être.

Le personnage principal vit un mauvais moment. Sa femme le laisse, son employeur le tasse, son banquier le liquide. Ça va vraiment mal. Un jour, notre homme va acheter un chien dans une animalerie, ce qui mènera à un autre désastre et on dirait qu'à force, le mec abandonne, il laisse aller. Tour commence à un cours de dressage auquel il s'était inscrit avec son chien, et tout se finit roulé en boule sur un sofa. Mais entre les deux, on en aura vécu des choses!

Ce livre n'est pas long et c'est exactement ce qui fait sa force. Véritable tourbillon de scènes et d'émotions vives, ce roman est tout en dualité. D'abord par son ton. La première moitié, voir même un peu plus, est presqu'un texte de stand up comique. On rit inévitablement à gorge déployée en le lisant tellement les scènes sont loufoques. Puis, plus on avance, plus on découvre une autre dualité, soit celle du personnage même. Même que parfois on se demande un peu qui il est, ou qui il est en train de devenir. Parce que la transformation se fait progressivement, au fil de relations où, on le voit bien, il y a toujours un dominant et un dominé. Or, encore là, à forces de se faire dire quoi faire...
Le Chien de Benchetrit est une superbe réflexion sur le monde humain. Bien sur, il sera question de notre part d'animal,mais justement, est-ce bien la pire si on la compare à ce qu'on a (ou ce qu'on est censé avoir) d'humain? Bref, une réflexion, oui, mais très finement racontée, d'abord dans la dérision, mais ensuite, au fur et à mesure qu'on avance, dans le drame. Même que la fin m'a littéralement surpris parce que son ton est complètement inversé par rapport au début du livre. En fait, en terminant ce livre, on se demande presque si on a terminé celui qu'on a commencé sous la même couverture. Or, comme le ton, et comme le personnage du livre, nous, lecteur, avons aussi changé notre perception, et c'est là tout le génie de l'auteur.

Bref, sans tomber dans les comparaisons citées en début d'article, je dirais l'histoire de ce Chien plus près de celle d'Alice au Pays des merveilles, où le personnage principal va voir ce qui se passe de l'autre côté du miroir. Celui-là est tout aussi surpris qu'Alice, mais plus actuel et moins moraliste, et très questionnant. Possible qu'on voit les animaux autrement après ça. Quant aux humains...

Excellent divertissement!

mardi 1 décembre 2015

Fenètres sur la nuit, par Dan Vyleta, éditions Alto

Vienne, 1940. On connaît l'époque, peut-être un peu moins la ville, en tout cas c'est mon cas. À la fin de Fenêtres sur la nuit, on n'en connaît peut-être pas beaucoup plus ni sur l'un ni sur l'autre, mais on est convaincu que la conjugaison des deux constitue un décor parfait pour un polar.

En fait, tant pour l'époque que pour le lieu, Dan Vyleta s'en est tenu à des portions, puisque son histoire se situe sur une période de temps assez courte, soit une saison, l'automne, et la grande majorité des personnages habitent tous le même immeuble. "Thème connu", direz-vous. Peut-être, mais ici, c'est très joliment utilisé. Un jeune médecin, un vieux fonctionnaire corrompu, sa gouvernante et sa jeune nièce de passage, une enfant handicapée, un mime taciturne et sa soeur paralysée, un musicien japonais, et bien d'autres: tous se distinguent tant par leur personnalité propre, leurs vies respectives que leurs appartements. Certains sont riches, d'autres sont simplement aisés, d'autres carrément pauvres. Mais bien sur, tous s'observent, et certains plus que d'autres, d'autant plus que certains événements sont prétextes à se tenir sur ses gardes. Qu'on parle du meurtre d'un chien ou de celui d'un étudiant inconnu, de celui d'un habitant de l'immeuble ou d'un inspecteur de police, on a toutes les raisons de suspecter tout le monde pour toutes sortes de raisons, surtout lorsqu'on connaît les petits travers de chacun. Parce qu'en plus de jouer avec le mystère, l'auteur manipule très bien la psyché humaine. Les impressions, les suppositions, les jugements, tout y passe, tout ça sur fond de crainte des autorités et des événements du temps. Bref, l'inconfort est général et l'intérêt du lecteur, constant.
Je ne crois pas que l'intention ait été de créer une atmosphère de bande dessinée, avec ces personnages très typés, presque caricaturaux. C'est pourtant l'impression que j'en ai eue, et c'était fort bien. Pas drôle mais très divertissant, un brin sordide mais pas gore, sombre à souhait avec quelques traits de lumière tirés de personnages aussi sympathiques qu'angoissants, Fenêtres sur nuit a tout pour plaire aux amateurs d'intrigues... et aussi à ceux qui visitent moins souvent le genre, comme moi.

Je lirais volontiers un autre Dan Vyleta.