jeudi 15 juillet 2010

Entre ciel et terre, par Jon Kalman Stefansson, Éditions Gallimard


"Les soirées d'hiver sont longues chez-nous, elles tendent l'obscurité entre les sommets des montagnes, les enfants s'endorment et alors l'agitation retombe, nous avons le temps de lire, le temps de réfléchir".

L'Islande, il y a environ une centaine d'années. C'était ça. Un monde qu'on a maintenant peine à imaginer. Comme on ne pourrait comprendre qu'un pêcheur meurt d'avoir voulu lire un poème sans avoir lu Entre ciel et mer. Comme on ne pourrait imaginer pire peine que celle de la perte d'un ami en ces temps rustres, en cet endroit où les gens se font rares. Un monde sans rien où il nous est difficile de penser que les mots, les histoires et la musique peuvent prendre place.

Dès les premières pages, vous tanguerez. C'est une histoire de gens simples qui ne connaissent rien d'autre qu'eux mêmes et quelques livres. Des gens qui vivent dans un silence où des mots vous retournent, où l'appel des pêcheurs est retenti par un air de trompette à 3h du matin sur une plage froide d'Islande en mars, où marcher est plus dangereux que naviguer.

Et ces mots: "Nulle chose ne m'est plaisir en dehors de toi". Ça vous suit partout. rien que de les écrire et j'en ai la chair de poule. Des mots qui ne s'adressent pourtant à personne, mais qui sont beaux de leur seule résonance dans un futur où on pourrait enfin les dire.

Je ne saurais exprimer toute la beauté de ce livre. Peut-être réside-t-elle dans la narration, unique en son genre. Elle n'est ni au "je" ni au "il", mais au "nous". Et quand on comprend enfin qui raconte, qui est ce choeur, alors on s'enfonce encore plus dans les peurs et les joies de Barour, de Sesselja, de Porvaldur, de Geirpruour, et d'autant de noms qui nous emmènent là où sans doute nous ne sommes jamais allé.

J'avais déjà entendu parler de la quantité d'écrivains par habitants de de fruit accroché au cercle polaire qu'est l'Islande, mais jamais n'avais-je rien lu qui en provenait. Merci au traducteur, Éric Boury, dont les mots sont justes et beaux comme ce qu'il décrit, comme les gens que Stefansson raconte. Les traducteurs de l'islandais au français ne doivent pas courir les rues. Quelle chance que nous, francophones, puissions en disposer d'un excellent! Merci aussi à mon libraire pour cette inqualifiable recommandation sans laquelle je n'aurais jamais mis la main sur ce livre, sans laquelle je n'aurais jamais fait ce beau voyage.

Un livre rare que trop excluront par peur de l'hiver et de la morne réputation d'une îlot gelé. À ceux-là je dis "tant pis". Ils manqueront une des plus belles histoires des dernières années. Ils manqueront une occasion de constater combien la poésie réside derrière les yeux du lecteur lorsque l'écrivain sait bien tourner les mots pour qu'il en soit ainsi, au bout du compte, avec un grand bonheur.

Exceptionnel.