dimanche 16 juillet 2023

Ce que je sais de toi, par Éric Chacour, éditions Alto

C'est certainement une grande oeuvre, de celles qui méritent des prix et beaucoup de reconnaissance. Ce sera un titre dont on se souviendra, chacun à sa façon, et c'est là toute sa force.

C'est quand même étonnant que nous arrive, en assez peu de temps, une 2e histoire issue de la communauté libanaise d'Égypte émigrée à Montréal. Avec Alain Farah, on était à Montréal tout du long, avec une envolée vers La Caire à la fin. Avec Chacour, on est surtout au Caire, et ne serait-ce que pour ça, c'est un voyage totalement réussi tellement on ressent la ville. Avec Farah, encore, on était dans le total psychodrame, le mélodrame, l'anxiété extrême, les crises. Pas avec Chacour, où des scènes importantes se jouent derrière des portes closes et où ce qui n'est pas dit prend plus d'importance que ce qui se dit.

Dans l'un comme dans l'autre, aussi, les liens familiaux sont autant des bouées de sauvetage que des étaux qui broient leurs membres. Ici, Éric Chacour fait la démonstrration que l'honneur et la respectabilité ne sont pas des sentiments sur lesquels on bâtit toute une vie. Alors on veut bien croire que l'amour sera ce ciment, cette base, et on le croit longtemps, tout au long du livre, alors qu'on bascule entre amour filial et amour charnel. Mais par une fin habile, en une seule formule, l'auteur nous brosse un tableau de ce que peut être l'amour s'il n'est vécu que dans un seul sens.

Un autre exploit de ce livre, c'est de changer non seulement les atmosphères, mais aussi les tons. On commence par une histoire racontée au "tu", qui bascule ensuite au "il" pour se terminer, superbement, au "nous". C'est vraiment très beau.

Avec ce livre où chaque personnage vit avec une blessure, on ne voit pas comment tout ça pourra bien se finir. Il y aura des morts, on ressentira souvent des sanglots nous monter à la gorge pour toutes sortes de raisons, mais on tournera la dernière page avec un sentiment de paix, dernier exploit, et pas le moindre, d'un scénario 'une redoutable efficacité.

Ce que je sais de toi est écrit finement, avec des mots justes, beaucoup de philosophie, mais surtout beaucoup d'amour, soi-t-il destiné à une ville, un amant, une soeur ou un père. Ce livre décrit délicatement des orages dont on ne réussit pas toujours à s'habriter, de maladresses blessantes, et du désir commun de vouloir être aimé. C'est vraiment trs beau.

mercredi 5 juillet 2023

Le silence et la colère, par Pierre Lemaitre, éditions Calmann-Levy

Si ce titre ne révolutionne rien, ce livre confirme la décision de Pierre Lemaitre de nous offrir une deuxième trilogie de suite. En tout cas, ceux qui l'ont aimé ne seront pas déçus: c'est aussi bon qu'avant eet c'est loin d'être ennuyant.

Lire le cinquième livre d'un auteur, c'est sans doute comme vivre une cinquième année avec une personne. On a fait le tour de ses défauts et de ses qualités, et l'ensemble nous va. Lemaitre écrit toujours avec autant de vivacité, de fougue, et ses personnages sont toujours aussi vifs, leurs aventures toujours aussi hyperactives.

On dit de cette trilogie que l'auteur veut en faire un portrait d'une époque: les fameuses trente glorieuses. Pour moi, ce n'est pas tant l'évolution du temps que celle de personnages qui font les histoires de Lemaitre. Il y a défivitivement quelque chose d'un Balzac chez-lui. Les relations de chacun comptent, et les conséquences de chacune de ces relations aussi. Ici, c'est de l'amour, difficile, mais naturel, là, c'est de la soumission la plus malsaine qui soit et là encore, c'est une vengeance qui se déguste étape par étape.

Et quels personnages! Tout tourne encore autour d'une fratrie dont les parents tirent leur origine de la première trilogie de l'auteur. Parmi eux, Lemaitre a donné naissance au personnage féminin le plus immonde qu'on puisse imaginer, dont les intentions nous choquent, mais dont les réparties uniques nous font souvent pouffer de rire. Et les autres sont loins d'être banals. En fait, je sais pas pour vous, mais il me semble assez nettement que les personnages féminins ont une envergure particulière, soient-elles ignobles, acharnées ou aidantes, et ça ajoute beaucoup de piment à tout ce qui arrive.

Enfin, qu'il soit dit qu'avec Le silence et la colère, l'auteur a déplacé du début vers la fin l'habituel ouragan d'événements qui nous font nous tenir sur le bout de notre siège. Ici, ça commence plus paisiblement, mais ça se termine en un feu d'artifice de scènes qui nous confirment que justement, l'histoire n'est pas terminée. Il en reste encore un... et je ne bouderai certainement pas mon plaisir cette sixième fois!