mercredi 22 mai 2019

Mer blanche, par Roy Jacobsen, éditions Gallimard

Nouvelle découverte d'un auteur norvégien, nouveau coup de coeur. Écriture sèche mais colorée, descriptions magnifiques, sentiments profonds, avec peut-être un moins de poésie que ceux que j'ai lus jusqu'ici. N'empêche: ça fonctionne.

Sur une île de la côte du nord de la Norvège, la guerre sévit depuis déjà quelques années. On a beau vivre au nord du Nord, les occupants Allemands ont quand même tout bousculé. La vie d'Ingrid, que les événements ont emmenés à vivre presque seule sur son île, sera bouleversée par le naufrage d'un navire Allemand sur les côtes de son île, et plus particulièrement par un rescapé de ce naufrage. Pendant qu'elle doit réorganiser sa vie, c'est tout un pays qui est en train de faire de même. Se réorganiser, c'est aussi savoir s'adapter: aux saisons, aux privations, aux étrangers. Et qui sait s'adapter sait aussi survivre.

Bien que basé sur une tragédie, Mer blanche possède un côté lumineux qui vous fait le refermer en vous sentant bien. Non, ça ne se termine pas tragiquement, même si ça ressemble à ça. Si leur vie est dure, les personnages sont tous animés d'un désir d'aller par en avant.

Roy Jacobsen montre ici que "tragique" ne rime pas nécessairement avec "négatif", et c'est d'autant plus étonnant que ça se passe en pleine guerre. mais voilà justement ce qui distingue un auteur de ce genre: une façon de raconter qui crée un aura mystérieux et confortable autour de l'histoire. Voilà aussi pourquoi je reviendrai toujours régulièrement vers les auteurs scandinaves, tout particulièrement norvégiens et islandais. Ils ont ce dont d'assimiler décor et personnages pour qu'on en vienne à aimer, adorer ou détester autant l'un que l'autre, parce que justement, l'un ne va pas sans l'autre.

Avec Mer blanche, je découvre un auteur que j'espère relire.

mercredi 15 mai 2019

Fair-Play, par Tove Jansson, éditions La Peuplade

Deux dames âgées vivent leur retraite ensemble. Artistes, elles se livrent chacune à leurs passions le plus librement du monde.

Écrit comme une chronique, ce livre étrange est constitué de scènettes plus ou moins reliées les unes les autres. Si son sujet est superbe, son ton en laissera plusieurs dubitatifs.

Comme plusieurs livres de ce genre, il faut prendre conscience de son contexte historique. Écrit en 1989 en Finlande, son propos a dû en laisser plusieurs perplexes à sa sortie. Il me semble qu'on se sera posé des questions comme: "Qu'est-ce que c'est que ces deux dames âgées qui se parlent comme si elles étaient un couple?" "Qu'est-ce que c'est que ces deux artistes qui vivent dans l'oisiveté? Elles ne font que créer des oeuvres ou regarder des films."

Véritable ode à la liberté de l'esprit, c'est le genre de livre que je classerais dans la même catégorie que les Walden, de Thoreau, ou Sur la route, de Kérouac. Ça parle simplement, en des termes très personnels, presque anodins, à mots couverts, de se libérer de l'existence et de faire sa vie comme on l'entend. Qui plus est, la relation tendre des deux dames se devine au fil du livre. Bourré de mentions sur l'amour, mais en sous-texte, ce livre célèbre aussi l'amour avec une subtilité juste assez efficace pour qu'elle ne passe pas inaperçue.

Quant à l'écriture... Ce livre n'est pas le premier que je lis qui est traduit du suédois. C'est toutefois le premier dont j'ai l'impression de lire quasiment une traduction mot pour mot, un peu à la façon Google Translate. Pourtant, après vérification, je constate que la traductrice a aussi traduit plusieurs oeuvres de Mankell, un auteur que je ne connais que de réputation, et ma foi elle est excellente. Or peut-être est-ce l'époque qui ait rendue la traduction difficile? Lorsque je lis un texte écrit en français à une autre époque, fut-elle plus ou moins rapprochée comme les années 70 ou 80, je perçois des différences. Certaines expressions traversent mal le temps, tout comme les façons de parler de certaines choses. Par exemple, on ne parle pas de sexe maintenant comme on en parlait il y a 40 ans, ni de religion, ou même de liberté.

Pour ces raisons, la première moitié du livre est difficile à lire. On sent le ton sympathique, mais on trouve l'écriture sèche. C'est dans la deuxième moitié du livre que j'ai capté son esprit, enfin c'est ce que je crois. Soit qu'on s'adapte au style, soit que certaines scènes viennent particulièrement nous chercher.

Si vous êtes curieux... et que vous aimez déjà des auteurs scandinaves, poussez l'expérience de Fair-Play. Vous serez sans doute en pays de connaissance.

vendredi 10 mai 2019

The Storm Before The Storm, par Mike Duncan, éditions Public Affairs

En sous-titre: The Beginning of the end of the Roman Republic.

L'époque et le sujet me passionnent: je pars donc biaisé. Si j'ajoute à ça l'irrésistible tentation de comparer cette époque à la nôtre, j'ai là le parfait prétexte pour me délecter d'un essai.

Dans un style sobre et efficace, l'historien Duncan raconte une époque qui s'étend sur environ 200 ans. Formulé clairement, ce récit de ceux qui ont fait l'Histoire d'alors est absolument captivant pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il raconte un temps plutôt mal connu. On connaît surtout les empereurs romains et juste avant eux, le fameux Jules César. Or, ce dernier est justement l'un des derniers personnages connus du temps de la république romaine, qui s'est terminée dans un tel tumulte (d'autres parleront de véritable bordel) qu'il a fallu qu'un homme fort (Auguste, le premier empereur) se donne toutes les prérogatives de l'état pour ensuite mettre celui-ci en ordre et à sa main. Mais avant lui, Rome était gouverné par des institutions publiques dont les représentants étaient élus ou nommés pour une période donnée. Outre le Sénat, on avait aussi des assemblées de marchands, des magistrats élus et à la tête de l'état, deux consuls nommés pour une année. Plusieurs centaines d'années ont prévalues dans ce système, période pendant laquelle le territoire de Rome s'est étendu, et ainsi sa richesse... et ainsi les privilèges.

C'est alors que surgissent des tribuns qui plaident pour des droits supplémentaires pour les simples citoyens en dénigrant la classe dirigeante. On dira ce qu'on voudra, ça nous rappelle quelque chose, et ce d'où qu'on soit.

C'est le lecteur qui se chargera de faire des parallèles entre les époques puisque l'historien ne relate que les faits, basés sur les écrits de chroniqueurs de l'époque, sans pour autant les interpréter. Pour ma part, le constat est hyper intéressant:

- notre époque en a encore pour longtemps à se demander où on s'en va, mais surtout comment, et avec qui?

- comme les gens, les systèmes politiques ont leurs limites, et bien que la démocratie soit un bel idéal, elle ne sera jamais aussi forte et puissante que la fameuse loi du plus fort qui reviendra toujours en s'imposant, le plus naturellement du monde, quel que soit le plus fort.

Ceux qui, à cette époque, ont plaidé pour le peuple ont tous fini lapidé par ce même peuple. Il a fallu des têtes fortes, assez fortes pour se doter de réseaux puissants, pour se hisser au pouvoir en se faisant couronner par un peuple pris à la gorge. Là comme après et comme maintenant, il me semble que l'histoire se répète: les révolutions mènent le plus souvent aux despotes, qu'ils soient tyranniques ou éclairés, à coups de 200 ou 300 ans.

Pour qui s'intéresse à l'avenir du monde, il n'est rien de mieux que de connaître son passé. Voilà pourquoi je recommande vivement cet essai, malheureusement pas (encore?) traduit en français.

mardi 7 mai 2019

Sérotonine, par Michel Houellebecq, éditions Gallimard

C'est excellent, mais si vous êtes politiquement correct, vous détesterez ça. Bref, c'est pas génial, mais c'est foutrement bon.

C'est un plaisir de parler d'un auteur qui soulève la polémique. Disons-le d'emblée: on est déjà dans un domaine vraiment plus intéressant que le consensuel. Sérotonine, c'est l'histoire d'un gars qui raconte sa vie ratée. C'est le récit captivant d'une histoire sans histoire.

Miné par une relation plutôt toxique de plus en plus délétère, un homme décide d'y mettre fin en filant à l'anglaise vivre sa vie anonymement ailleurs. Cet ailleurs, c'est d'abord un autre quartier de Paris, puis, la Normandie. Et sa vie, désormais, c'est de se rappeler de celle qu'il a vécu antérieurement. Le gars nous raconte comment, professionnellement, il n'a rien foutu d'exceptionnel, comment, personnellement, il n'a pas abouti à grand chose et comment, amoureusement, il a franchement merdé. Désabusé, cynique, le narrateur se remémore ses amours antérieurs. Si la plupart ont donné dans l'ordinaire ou le pathétique, il y en a un qui l'a peut-être transporté plus haut que les autres. Du côté de l'amitié aussi, cette liberté retrouvée est prétexte à renouer avec un ancien ami proche. Dans un cas comme dans le l'autre, le résultat mènera aux mêmes résultats consternants: c'est raté, y'a plus rien à en faire.

Sur ce fond de décor un peu beige, c'est le feu d'artifices: Houellebecq tire sur (presque) tout ce qui bouge. La profession d'agronome de son personnage principal mène à une critique acerbe des modes de production industriels. Et si vous croyez que le bien pensant l'emporte, détrompez-vous, parce que l'auteur en a aussi contre le green washing. Le bien commun en prend pour son rhume... et le capitalisme sauvage aussi.

Visionnaire, Michel Houellebecq? N'allons pas jusque là. Disons que le gars sait observer sa société. Une scène de ce livre paru en septembre 2018 fait inévitablement penser aux fameuses manifs des Gilets jaunes français. C'est là où s'observe le caractère exceptionnel de cet auteur: décrire l'état de la société occidentale par l'entremise d'un personnage. C'est très habile, et ça relève de la grande écriture. Maintenant, jusqu'où sa description est-elle fidèle? La question se pose lorsqu'on pense à ce qu'on lui reproche...

Dans Sérotonine, les personnages féminins sont épouvantables: control freak, alcolo/nympho/pathétique, bimbos nunuches, mère étouffante, toutes constituent autant de clichés qu'on aime exploiter au cinéma... ou dans l'oeuvre d'un écrivain à polémique. Maintenant, une question se pose: Houellebecq est-il misogyne ou est-ce son personnage franco-français qui l'est? À constater le regard que l'auteur porte sur son environnement, j'aurais tendance à opter pour le personnage du livre. Bon, ceci dit, je ne connais pas Houellebecq personnellement... N'empêche que Sérotonine parle d'amour, celui qui est si fort que même perdu, il nous obsède. C'est ce que vit le personnage principal qui, voyant ce à côté de quoi il est passé, décide de cesser de lutter et de se laisser aller vers le bas.

Obsédant, divertissant, acerbe, chiant, touchant: il y a beaucoup à en dire. J'ai pas tout lu Houellebecq, mais c'est sûrement là un bon titre pour le découvrir.

Fortement recommandé.