mercredi 24 octobre 2018

Walden, par Henry David Thoreau, éditions Gallmeister

Qu'un livre soit classé parmi les "classiques" le rend pompeux, impressionnant et souvent peu attrayant. Hors, le propos de celui-là m'appelait depuis longtemps. J'ai compris pourquoi. À partir de maintenant, Walden me suivra longtemps.

Généralement, ce qu'on sait de Walden est qu'il raconte l'expérience d'un homme qui part vivre dans les bois. C'est la première couche du livre. La seconde couche est superbe. C'est celle d'un homme qui propose sa version du bonheur, et c'est là où toutes mes appréhensions ont été chassées, d'autantplus qu'il n'y a rien là d'ésotérique.

Pourtant on sent que le bonhomme n'est pas parfait. Au début de son livre, on comprend que le monde qui l'entoure l'énerve parce que tous ne cessent de se plaindre, qui de ce que la vie est trop dure, on travaille trop, on n'a pas de temps pour autre chose, etc, qui parce que les autres sont trop rustres, pauvres, inintéressants alors qu'ailleurs c'est tellement mieux, etc. Les gens, selon Thoreau, ne sont jamais contents. Alors il leur propose cette démonstration: il ira, lui, vivre en autarcie dans la forêt, sur le bord d'un vaste étang, Walden, pas trop loin quand même de sa chère ville de Concord, Massachusetts, parce que ce monde-là, mes amis, il y a moyen de faire sans lui

Il racontera les petits métiers qui lui ont permis d'amasser assez d'argent pour se doter des matériaux avec lesquels il construit une petite cabane. Et il y a ses plants d'haricots qui lui tirent quelques profits. Puis viennent les chapitres où Thoreau décrit ce qui l'entoure, les saisons, l'environnement, mais aussi les gens qui lui rendent visite, bref, sa vie. Il y a dans ces pages d'étonnants ravissements.

Ce qui étonne d'abord, c'est l'oeil intéressé de l'observateur. Thoreau est l'exact contraire du blasé. Tout l'intéresse, car il faut dire que cet original est d'abord un érudit. Le bonhomme a lu plein de choses et il continue à le faire. Ce sont là ses voyages, et à travers le récit de sa vie solitaire, il raconte les parallèles qu'il fait entre son existence et ses connaissances. Écrit en 1845-47, Walden contient plusieurs références à des écrivains antérieurs à cette époque, tout particulièrement des passages de livres hindous. Moi qui n'y connaît rien, j'ai trouvé ça passionnant. L'édition de Gallmeister est particulièrement bien faite parce qu'elle contient des notes en bas de page juste assez nombreuses pour bien expliquer certaines références, voir certaines expressions de Thoreau. Du coup, le récit devient non seulement source d'inspiration, mais aussi de connaissances.

Et tout ça sans aucune prétention. C'est d'ailleurs un des mantras de Thoreau: les prétentieux n'ont rien d'intéressant. Rester vrai, être conscient de ce qui nous entoure, voilà toute la beauté du monde. Pour Thoreau, l'être le plus libre est le plus heureux, et qui que l'on soit, on choisit bien souvent ses propres chaines, qu'on soit pauvre comme Job ou riche comme Crésus. Il exprime ces idées en parlant de personnes rencontrées au gré de ses promenades ou des visites de curieux. Les classes sociales n'expriment rien pour lui. Seul le désir de vivre le moment présent et de savoir en retirer toute la richesse exprime la valeur d'une personne.

Pour terminer, il faut noter les dernières pages du livre, écrites par Ralph Waldo Emerson, un contemporain de Thoreau, qui parle de ce dernier et de son oeuvre. Le regard d'un ami aide à comprendre celui qu'on vient de lire. Le bonhomme n'était pas parfait, mais immensément sincère. L'apprendre ajoute à la valeur de ses mots.

Lire Walden plaira à qui sait qu'un temps d'arrêt n'équivaut pas pour autant à de l'immobilisme. J'ai pris mon temps pour le lire, et je suis content de l'avoir lu parce que oui, pour différentes raisons, il me suivra longtemps.

lundi 15 octobre 2018

À son image, par Jérome Ferrari, éditions Actes sud

C'est l'histoire d'une jeune femme à travers les photos qu'elle a prises. Ce sont aussi des histoires de photographes qui ont contribué à la reconnaissance de ce qu'est devenu la photographie. C'est enfin qui nous permet de distinguer ce qui dure, dans notre vie, en comparaison de ce qui passe ou de ce qui a passé, de l'éternel en fonction de l'éphémère, du long en comparaison à ce qui est court.

Décédée précocement dans un accident de voiture, et ce dès le début du livre, une jeune femme laisse dans le deuil des membres d'une famille tristement traditionnelle et de rares amis plus ou moins proches. De sa vie, on aura retenu son intérêt pour la photo, seule chose qui l'aura fait sortir du cadre très étroit de sa vie personnelle, où rien ni personne n'a su ni pu mettre une couleur particulière, si ce ne sont que quelques images qui sont restées après elle.

Cette histoire se passe en Corse, à l'époque où des mouvements indépendantistes faisaient sentir leur présence dans une population plus ou moins complaisante à leur égard. Mêlée à eux tant dans sa vie amoureuse que professionnelle, elle vivra les longues attentes et les espoirs inassouvis des choses qui durent sans jamais vouloir aboutir. Cette vie personnelle deviendra vite presque pathétique alors que du côté de son intérêt pour la photo, s'ouvriront des possibilités de s'en sortir.

Parallèlement à cette jeune femme, l'auteur met en scène son parrain, le jeune frère de sa mère, prêtre catholique qui, malgré sa profession, sera celui par qui arrivera le changement, genre de démon tentateur voulant faire le bien en détournant sa nièce de sa vie sans issue, dans un monde qui l'inspire, lui, de moins en moins.

Jérome Ferrari écrit magnifiquement bien. Chaque mot a sa place dans chacune de ses phrases, sans superflu, sans omission. C'est rare. Un tel style permet de décrire en douceur les pires atrocités et en détails les choses les plus enfouies. Documenté, il est allé chercher, pour cet ouvrage, des bribes peu ou pas connues de l'histoire de la photographie à travers des personnages vraiment captivants. Deux "histoires dans l'histoire" se démarquent particulièrement. Un peu déstabilisantes, parce que différents de l'histoire qu'on est en train de lire, ces portions du livre ajoutent toutefois à l'atmosphère générale de passion latente, de désir d'aller plus loin, de se laisser aller à découvrir le monde et de capter des images, comme on capte des instants de vie.

Étonnant à plusieurs égards, À son image ravira ceux qui avaient aimé les livres précédents de Jérome Ferrari, décidément un grand auteur à suivre.