samedi 18 mai 2013

On ne rentre jamais à la maison, par Stéfani Meunier, éditions Boréal

Un petit garçon de douze ans apprend avec stupéfaction que ses parents vont vendre leur maison, leur belle vieille maison de Montréal, avec ses mystères et ses airs qui en font, pour lui, la référence numéro un de sa vie. Or, il y a aussi sa meilleure amie, Charlie, une fille de son âge, qui décide avec lui qu'ils doivent percer ensemble le secret de la maison avant qu'elle passe entre d'autres mains. L'enquête n'est pas déjà commencée que Charlie disparaît.

Fin de la première partie. Début de la deuxième: le petit garçon a près de 40 ans et parallèlement à son histoire, on découvre celle de Clara, l'enfant que les parents de Charlie auront après la disparition de leur premier enfant. Cette dernière vivra dans l'ombre de la disparue qu'elle n'a jamais connue, alors que l'autre est lui aussi hanté par le fantôme de celle qu'il a fini par mettre sur un piédestal.

Belle, très belle histoire que celle de Stéfani Meunier. L'auteur s'est aventuré sur des terrains glissants, ceux de l'identité et de la disparition d'un enfant. L'amalgame donne un roman court où l'essentiel est dit et d'où il sort une lumière rare. Les mots sont simples, le récit aussi. Stéfani Meunier raconte une histoire le plus naturellement du monde. Ce récit pourtant chargé d'émotion est raconté de façon quasi pragmatique, et c'est ce qui charme et surprend. Il me semble ne pas avoir lu une telle simplicité d'écriture depuis longtemps. Moi qui aime les envolées et les histoires métaphoriques, je me suis laissé emporter par des voix si vraies que je les entendais presque.



Et l'histoire, qui saute dramatiquement d'une époque à une autre en plein coeur du livre, vous happe parce que racontée avec rythme en donnant la parole aux principaux personnages alternativement, de façon à vous tenir en haleine à la fin de chaque segment. Habile, aussi, la capacité de revêtir tant la peau d'une femme dans la vingtaine que d'un homme dans la fin trentaine. Chacun est pourvu de questions et d'expériences différentes, et l'auteur les rend aussi crédibles l'un que l'autre, sans parti pris. Pas évident, à mon sens.

On imagine toutes sortes de choses pour la fin de ce roman. Tout pourrait vraiment arriver. Et pourtant, j'ai été surpris, pas renversé, mais charmé par cette fin choisie et habile.

Vraiment une belle voix que celle de Stéfani Meunier. Je vous recommande cette histoire bien ficelée, bien racontée et franchement très belle à la fin de laquelle vous vous sentirez bien.

jeudi 9 mai 2013

Maus, par Art Spiegelman, éditions Flammarion

Ce blogue contient peu de classiques. Enfin... je parle de "classique" au sens de "qui a déjà fait sa marque" ou "dont la renommée n'est plus à faire". C'est une chaude recommandation d'un membre de mon entourage qui m'a fait lire ces deux recueils, Maus I et II, sans quoi, le septique un peu fatigué des histoires de shoah, thème maintes et maintes et maintes et maintes fois abordé en littérature, la plupart du temps du temps pour le meilleur, mais trop souvent pour le pire, aurait passé par dessus sans en demander son reste.

C'est le traitement du dessin qui m'a attiré. Dans cette histoire où un survivant des camps de la mort raconte son histoire, les Juifs sont des souris. Chaque autre peuple aura sa caractéristique animale propre. Peu de place pour les mélanges, ça va de soi. Spiegelman résout cette question par une interprétation personnelle. Ainsi, une Française qui n'est pas née juive sera souris. Il y a de quoi: c'est la compagne de vie du narrateur et auteur de cet ouvrage.

En plus de raconter l'histoire de son père, Spiegelman présente en parallèle l'histoire de la narration de ce récit d'un père à son fils. Aussi voyage-t-on régulièrement d'une époque à l'autre. Tout ça est très bien fait, sans perdre le lecteur, bien au contraire...

La force de l'oeuvre de Spiegelman est de réussir à raconter une histoire passé et de démontrer en même temps ce qu'il en reste au temps présent. La mémoire joue ici un rôle central, pas qu'elle soit glorifiée, mais elle s'impose. Certaines choses ne s'oublient pas, ne disparaissent pas. Certaines choses nous font, nous forment, pour le reste de notre vie et c'est souvent ça le drame. En fait, les Maus nous font comprendre une grande part de l'âme d'un peuple. Sans que les générations actuelles aient vécues le drame historique d'il y a quelque 70 ans, il n'en demeure pas moins qu'elles en subissent encore peut-être les conséquences, bonnes comme mauvaises. Tel est le constat du narrateur, exaspéré par les comportements d'un père du genre maniaco-obsessif qui a vécu sans doute les pires affres, mais pris lui aussi avec ses doutes, ses tiraillements. Il comprend et supporte à la fois ce père difficile à comprendre et à supporter.



Que cette histoire soit racontée avec des dessins et des phylactères ne la rend pas plus facile pour autant. À tout le moins stimule-t-elle plus, pour ne pas dire "mieux", notre imaginaire. L'anthropomorphisme ajoute aux sentiments qu'on éprouve à l'égard des personnages. Et chaque animal se ressemble. Mis à part ses vêtements et accessoires, chaque souris ressemble à aux autres. Aussi on se rend compte que finalement, c'est bel et bien un peuplequ'on raconte, et non des individus. Le dessin n'est pas spécialement beau. Pas qu'il soit laid, mais c'est sans artifice, quoi qu'on s'attache vite aux petites bêtes dont l'auteur sait nous rendre les tréfonds de l'âme par d'habiles coups de crayon. Les images les plus dures (et certaines le sont particulièrement) passent-elles mieux de cette façon? C'est possible. Elles ne laissent pas indifférent pour autant. Ainsi, à un certain moment donné, les personnages prendront "tête humaine" et porteront des masques d'animaux. À nous, lecteur, de s'en faire une interprétation.

En bref, tout, dans Maus, est matière à réflexion, parce que plus que l'histoire d'un simple fait historique, il nous fait penser à ce qui advient après, à ce qui arrive maintenant, et à ce qui pourrait bien arriver ensuite.

Très, très fort. Un classique, quoi.

mardi 7 mai 2013

Le coeur de l'homme, par Jon Kalman Stefansson, éditions Gallimard

"... les mots produisent certains effets sur les gens, tu devrais le savoir, surtout lorsqu'ils sont écrits, en réalité ils entrent au plus profond de toi et ne te laissent plus aucun répit, c'est difficile, et pendant ce temps-là on doit continuer de vivre sa vie comme si de rien n'était."

Voilà, je crois que tout est dit. J'ai cru bon retenir cette portion de texte parce qu'elle résume non seulement l'état du lecteur amoureux des mots de Jon Kalman Stefansson, mais aussi l'essence même de ce que sont les trois livres qui racontent les aventures du personnage principal appelé "le gamin". S'il frôlera la mort régulièrement, il la côtoiera tout autant, ce qui lui fera d'autant plus apprécier la vie. On le verra devenir ce qu'on voudrait qu'il devienne. On lui souhaitera de pouvoir pousser tout ça plus loin, son talent, son amour. Mais la mer est encore là, jusqu'à la dernière page...

Cette épopée se passe dans l'Islande des premiers bateaux à vapeur. Dans le premier livre, un homme trouvait la mort à cause d'une distraction causée par une lecture. Cet homme était un pêcheur en haute mer, comme d'ailleurs la plupart des personnages. Ces contradictions apparentes donnent une idée des romans de Jon Kalman: dans des décors durs, vivent des âmes douces. Ne jamais se fier aux apparences.

Dans Le coeur de l'homme, le troisième d'Une trilogie, le second opus étant la tristesse des anges, un capitaine fort et fier périra dans son bateau avec son chat, son amante veillera à s'affranchir des jugements de la société qui l'entoure, et le gamin sera confronté à deux types de vagues: celles de la mer glaciales, et celles de la société bien pensante. Des scènes fortes se succèdent ici aussi, mais au contraire des deux livres précédents, l'action se déroulera cette fois en majeure partie dans un village, en un milieu qu'on pourrait qualifier "d'urbain".

Cet auteur décrit d'une façon onirique les paysages les plus déserts, rend diserts les êtres les plus renfrognés. Il décrit un monde fascinant, souvent terrifiant, dont on ne sait s'il tend vers le bonheur ou le malheur. Cette écriture est respectueuse du lecteur parce qu'intelligente et franche. On a beau frôler la poésie, on peut quand même être compréhensible. Je sais, c'est un peu fort d'écrire ça, mais vous lisez ici le commentaire d'un lecteur avide de beaux mots et de bonnes histoires pour qui la poésie pure n'a que rarement opérée. J'associe souvent poésie avec art contemporain. J'y vois souvent des énigmes que seule de rares initiés parviennent à déchiffrer. Or, on dirait que l'amalgame de descriptions que je m'avance à décrire comme "poétiques" avec l'atmosphère d'un roman à l'histoire on ne peut plus concrète et tangible, eh bien ça fonctionne. Jon Kalman est de la famille des Barrico, Saramago, Kundera, Fosse: ces auteurs racontent en peignant. Chacun de leurs mots, chacune de leurs couleurs sont francs eet franches. Les romans de l'Islandais se déroulent dans un pays rude que ses mots transforment en terres parfaites pour des histoires de quêtes de bonheur, de la vie, de sa vie. Pas besoin de me demander si j'apprécie...

"Rien n'est difficile lorsqu'on est libre", dira une des personnages du Coeur de l'homme. Sa seule quête vaut à elle seule le livre, et pourtant, elle n'en constitue qu'une petite partie. Plusieurs autres sont à découvrir.

Si vous avez déjà lus Entre ciel et terre ainsi que La tristesse des anges, installez vous confortablement et partez en voyage avec Le coeur de l'homme. Et si vous ne connaissez pas encore Jon Kalman Stefansson, sachez seulement que sa seule lecture aurait pu, à elle seule, justifier la tenue de ce blogue.

Et encore, à souligner, l'exceptionnelle et juste et remarquable qualité de la traduction d'Éric Boury, sans qui ces superbes histoires ne seraient pas parvenues jusqu'à nous. Quel superbe travail.

Pourvu qu'il y en ait d'autres, avec ou sans "le gamin".