mercredi 26 décembre 2012

Chroniques de Jérusalem, par Guy Delisle, éditions Delcourt

Avide et presque exclusif lecteur de romans, je m'empêche souvent de me procurer une bande dessinée. Pourquoi? Par peur, pas par snobisme. Peur de ne pas aimer, peur de perdre mon temps, peur de ne pas en avoir pour mon argent. Je sais, c'est con. La lecture des Chroniques de Jérusalem me l'a confirmé. J'ai mis la main sur cet imposant recueil parce qu'on en a beaucoup parlé. C'est sa notoriété qui m'a intrigué, pas le dessin, puisque je n'y connais pas grand chose. En fait, j'avoue qu'après le premier quart, je n'étais pas encore tellement convaincu. Je voyais se dérouler des scènes de la vie quotidienne d'un expatrié occidental installé à Jérusalem-Est avec sa petite famille. Raison: sa conjointe y était pour employés par Médecins sans frontières pour une période d'un an. Ce dessin, qui m'a semblé sommaire à première vue s'est ensuite ouvert au même rythme que mon esprit. J'ai fini par comprendre que plus qu'un recueil d'historiettes, j'avais là la transposition d'un regard. Sans aucune autre prétention, le personnage principal cherche les paysages sujets à croquis. Or, il faut bien vivre, et c'est là ce que raconte le chasseur d'images. Son oeil n'est pas celui du journaliste de guerre, du travailleur humanitaire, du diplomate ni même du Palestinien ou de l'Israélien. C'est celui d'un fin observateur qui nous rend compte de ce qu'il voit à partir de valeurs qu'il partage avec moi, occidental qui ne connaît rien d'autre du Proche-Orient que ce qu'on m'en raconte dans les médias.
Mille fois plus que tout diaporama de voyage, j'ai compris, avec ces Chroniques, le quotidien d'une partie du monde complètement étouffée. Le regard de Guy Delisle ne porte pas de jugement. Il rend compte. Et à force de pages, à force d'en apprendre à chaque épisode de deux à trois pages, on a hâte au prochain, et on continue, et on est bien heureux que le bouquin fasse 334 pages. En fait, dans une telle bédé, les images qui nous restent d'Hébron, de Naplouse, de Ramallah, de Jérusalem, ou de tous ces endroits que Delisle et sa famille traversent, ne sont pas nécessairement celles qu'on voit, et c'est la ce qui fait la force d'un tel ouvrage. Si le croquis d'une rue d'Hébron surplombé d'une grille jonchée de détritus m'a fait grand effet, comme celui de l'esplanade des mosquées de Jérusalem, ou encore des situations vécues par le proprio de l'immeuble où habite l'auteur/personnage principal, c'est l'impression de découvrir enfin ce qui se passe vraiment dans cette région qui m'a marqué. Ce que Deliste raconte, tant par ses propos que par ses images, nous permet de nous faire une idée de la Palestine et d'Israel qu'aucun reportage de deux minutes à la télé n'a jamais réussi à nous offrir. Ce livre divertit et renseigne. C'est rare, je dirais même que c'est essentiel.

dimanche 23 décembre 2012

14, de Jean Echenoz, éditions de Minuit

Jean Echenoz reste un de mes auteurs préférés. Sa façon de raconter est unique. son écriture est carrément une voix qui parle, quelqu'un qui raconte et qui crée le silence autour de lui, qui sait attirer l'attention en plaçant les intonations aux bons moments, qui vous regarde doit dans les yeux en vous parlant. Ses mots sobres sont toujours les bons. Aussi, les portraits qu'il nous avait préalablement servis sortaient-ils de l'ordinaire par leur traitement. Rarement se fait-on raconter l'histoire de quelqu'un aussi bien que par Echenoz. Cette fois, avec 14, terminés les portraits de figures connues. Plutôt qu'un Ravel, un Zatopek ou un Tesla, Echenoz nous présente plutôt une poignée d'inconnus d'une petite ville française. Bientôt, ils iront à la guerre. Reste voir qui en reviendra, et dans quel état. C'est là l'essentiel de 14. Comme ses derniers livres, Échenoz a fait de 14 quelque chose de court. Traverser quatre ans de guerre en 124 pages, ça surprend. J'avoue ne pas y être habitué parce que habituellement, les histoires de guerre, c'est long. Bon, toute la littérature de guerre ne se résume pas aux Bienveillantes, mais quand même. L'expérience que nous propose Echenoz, est celle de suivre un personnage caméra à l'épaule. Les plans ne sont pas très larges. On se concentre sur l'action qui survient là maintenant. Pas de survol historique. Que l'histoire crue, sans trop de fioritures, de la traversée de la guerre par ces natifs d'une même contrée. C'est du Echenoz, donc c'est bon, c'est bien dit, écrit, senti, mais voilà, c'est court. Peut-être est-ce le choc de sortir de ses trois derniers livres qui proposaient une facture commune, peut-être est-ce la surprise de se faire parler d'un conflit dont on parle peu, si on le compare à celui qui a suivi, et de façon aussi brève. Peut-être aussi est-ce, sujet oblige, le gris qui entoure une histoire ou rien, ou si peu, est prétexte à sourire. Reste une impression bizarre, à la fin du livre, un genre de frustration, quelque chose qui fait que j'en aurais voulu plus, ou que j'aurais espéré autre chose. 14 est un livre triste et beau. Comme pour une personne humaine qui posséderait les mêmes qualificatifs, il m'a touché et m'a retourné un peu, sans toutefois me laisser une bonne impression. 14 est un livre dur. Mais, je le répète, c'est du Echenoz. Les habitués apprécieront.

jeudi 13 décembre 2012

L'embellie, par Audur Ava Olafsdottir, éditions Zulma

Le deuxième livre qu'on lit d'un auteur est sans aucune doute celui sur qui repose les plus grandes attentes, et ce d'autant plus si on a particulièrement aimé le premier. Rosa Candida m'est apparu comme une nouvelle saveur du rayon des livres étrangers. Frais, rempli d'une sage naïveté comme on en avait peu vu jusque là, l'Islandaise a ravi les coeurs et les prix, et c'était bien mérité. Elle nous revient cette fois avec une histoire dont le décor est beaucoup plus rude que le jardin de rose de son ouvrage précédent. Avec l'Embellie, on traverse plutôt la rude Islande sous la nuit pluvieuse de novembre. Donc, côté décor: du nouveau. Côté narration, le personnage principal est une femme qui quitte mari et amant pour aller se vider la tête de l'autre côté du pays, dans sa région natale. On la suit sur une route pas facile où divers personnages pimenteront son périple. Comme pour Rosa Candida, on a donc un autre voyage plus ou moins initiatique. C'est différent quand à la route, mais moins quand au traitement. Restent les personnages. Si Rosa Candida finissait par être éclairé par la venue d'un enfant, on a le même phénomène avec l'Embellie. Le petit personnage arrivera de façon originale dans la vie du personnage principal et la suivra à travers le reste de son histoire. Encore là, même lumière. Comment, en fait, ne pas s'enticher d'un enfant, surtout s'il est affligé d'un handicap... Il faut dire que dans le premier tiers du livre, avant l'arrivée de l'enfant, la dame quitte son amant puis son mari... et moi foi, c'est interminable. Alors lorsqu'elle embarque avec l'enfant de son amie pour un voyage de quelques semaines, on ne peut que s'en réjouir. Et comme l'enfant n'apportera que du bon... Bon d'accord, on est heureux pour elle. En fait, ce livre est heureux, tellement qu'à la fin on se dit: "Ah? Encore?". De toute évidence, la formule du livre positif sied bien à Audur Ava Olfasdottir. Son style sans méchanceté fait réfléchir et porte à l'introspection, ce qui n'est pas donné à toutes les histoires. Toutefois, le vent frais qui m'a transporté avec son premier livre a un peu tiédi avec son second. L'Embellie porte bien son nom, oui, mais je ne crois pas qu'elle dure autant que la quête de Rosa Candida. Peut-être aurait-il fallu une ou deux surprises, un retournement, enfin, quelque chose de plus pour dire qu'il s'agissait d'un livre différent de son premier. Trop de bons sentiments? Peut-être même trop féminin? Je ne saurais dire. L'Embellie est belle, mais ne dure pas. Vivement un autre, juste pour voir...