dimanche 25 août 2013

Limonov, par Emmanuel Carrère, éditions P.O.L., collection Folio

Pour moi, Emmanuel Carrère, c'était d'abord L'adversaire. Une histoire très forte tirée d'un fait vécu. Ce fut ensuite Un roman russe, un récit tiré de souvenirs de famille, qui ne m'a pas happé aussi fort sans pour auttant me laisser indifférent. Maintenant, Limonov, l'histoire d'un bonhomme toujours vivant. Ce n'est pas une bio ni un roman. C'est primé du prix Renaudot (2011). Sa lecture m'a confirmé le pourquoi de cette reconnaissance. Reste que ce bouquin me laisse un peu froid.

Pourtant, le personnage est unique, voir incroyable. Issu de la Russie profonde et communiste, il deviendra membre de l'underground national, sera expatrié aux USA, fera tous les métiers, puis écrira sa vie et deviendra star littéraire en France. La première moitié du bouquin est un feu roulant, son personnage, fascinant. Puis, vers le milieu, Limonov déjante et tombe dans le militaire en pleine guerre des Balkans dans les années 90. C'est là aussi où l'auteur embarque avec, pour prétexte, ses fréquentations de Limonov, bien qu'à distance, pour causer aussi du milieu littéraire français et par le fait même, de lui.

Carrère possède l'aisance qui lui permet de voltiger entre la quasi-fiction et la réalité, entre le romancé et le documentaire. C'est parfois déstabilisant, d'autres fois sacrément pertinent, comme ces fois où il explique, en même temps que la vie de Limonov, l'histoire de la chute de l'URSS et l'avènement de la nouvelle Russie. Pourtant, là où je décroche, c'est lorsque l'auteur laisse supposer ses préférences. En racontant ainsi quelqu'un, il semble difficile de demeurer objectif. Comme Carrère n'écrit pas de biographies, ses ouvrages n'ont pas de distance avec leurs sujets. Carrère se permet de les faire siens, ces personnages, et de les décrire avec des opinions pas toujours franches, mais souvent assez claires pour nous laisser une impression. Limonv est-il un salaud, un égoïste, une victime ou un grand naïf? On peut se plaire à se poser ces questions tout au long du livre. Ça devient toutefois agaçant lorsque l'auteur nous suggère ses réponses.

Quant aux passages sur la carrière de l'auteur, ses parallèles et ses croisements avec la vie de son personnage, pour tout vous dire, ce n'est pas ce qui m'a plu. Or, voilà que je vois là prétexte à la reconnaissance des pairs dont il est justement question. Pourquoi ce livre a-t-il valu un prix à Emmanuel Carrère? Je ne saurais dire exactement. De toute évidence, cet auteur n'en est pas à son dernier ouvrage. Son succès est mérité, ses histoires sont captivantes, son style, clair. Mais de tout ce qu'il a publié jusqu'ici, Limonov me semble le plus ordinaire. J'utilise ici ce dernier mot par opposition à "extraordinaire", qualificatif que j'accorde volontiers à l'Adversaire, que je recommande à quiconque ne l'a pas encore lu.

Reste que la vie de ce personnage original fait une bonne histoire. Dernièrement candidat à la présidence russe, son avenir semble aussi incertain que tout ce qu'il a entrepris dans sa vie. Je dois donc à l'oeuvre de Carrère de m'avoir intéressé à un personnage qu'il aurait suffit de laisser seul, en faisant abstraction de toute considération personnelle. Je ne sais si Emmannuel Carrère continuera dans cette veine d'inclure sa personne ou celle de ses proches à la vie de ses personnages. Si oui, c'est là un beau défi que de rendre toujours intéressant un style aussi original. Parce qu'il y a un risque, celui de tomber dans une formule, dans un style qui puisse devenir tellement personnel qu'à la fin il devienne trop prévisible. À un auteur de talent, on ne souhaite pas ça. Limonov, c'était bien, d'accord, mais on s,attend à plus fort la prochaine fois.

jeudi 1 août 2013

Nuit noire, étoiles mortes, par Stephen King, éditions Albin Michel

J'ai constaté, à mes derniers articles qui traitaient d'ouvrages de Stephen King, combien cet auteur générait de circulation sur un blogue comme celui-ci. Aussi en parler rend presque nerveux. Le lire aussi, surtout lorsqu'il excelle. Et lorsque tel n'est pas le cas, on reste déçu. Pas choqué, juste déçu.

Nuit noire... contient quatre nouvelles. Si chacune dispose d'un décor différent, toutes se rejoignent dans le style très Stephen King, oui, mais aussi dans leurs prémices de base. Chaque histoire laisse entendre qu'en chacun de nous existe un "autre", avec lequel il faut composer, qui nous surprend, nous dirige, parfois, vers de tristes desseins. En fait, c'est un peu l'image de bande dessinée du petit ange et du petit démon qui se disputent l'assentiment du personnage. Vers qui tendre? Et à partir du moment où on a fait son choix, à quoi s'en attendre?

Si la première question laisse toutes les possibilités ouvertes, la seconde tend presque inévitablement vers le cliché judéo-chrétien: la bonne action mérite récompense, et la mauvaise, un châtiment. On est quand même aux États-Unis, avec King. En plein dedans, même, mais avec une touche toute particulière, la sienne. Prévisible, mais spectaculaire.

Première histoire: le Nebraska, un fermier qui tue sa femme, les voisins, les commérages. La métaphore est tellement grosse qu'on s'attend à quelque aboutissement complètement déjanté. En fait, ça se termine on ne peut plus sombrement,sans trop de surprise. Mais c'est gore. Très gore. Bon, mais laisse septique.

On est ensuite transporté en Nouvelle-Angleterre (le territoire de chasse de King). Une écrivaine (tiens tiens) donne des conférences dans des patelins pas trop loin de chez-elle. Sur le chemin du retour de l'une de celles-ci, elle se fait prendre dans un guet-appends où elle subit un viol. Son agresseur la laisse pour morte, or, elle ne l'est pas. Vengeance... Ici aussi, l'horrible, le laid, en fait, a beau jeu. Histoire classique qui, comme les autres vous tient tout de même captif. Jusqu'où ira-t-elle? À la fin, pourtant... non, pas encore.

Un homme atteint d'un cancer incurable rencontre un vendeur itinérant qui lui demande de lui vendre son âme en retour de quoi, il lui sauvera la vie. Si l'histoire semble banale, le traitement ne l'est pas, ni l'aboutissement de l'intrigue qui tient de la plus pure, de la plus puissante ironie. J'ai adoré celle-là, qui a quelque chose de grinçant, de critique, même. On y voit bien ce qu'on veut y voir. J'y ai vu une belle critique de la société de l'auteur.

On termine avec une dame qui découvre la vraie identité de son mari après 27 ans de mariage. Évidemment, c'est très laid. Elle devra s'en accommoder, jusqu'à ce qu'elle n'en peuve plus. Un peu prévisible, mais bien ficelé et tout aussi captivant.

Bref, c'est du Stephen King, maître de l'horreur. À la fin du livre, l'auteur s'explique dans une postface. Étonnant et à mon sens plutôt inutile. King nous y explique préférer les personnages ordinaires dans des situations extraordinaires aux personnages extraordinaires en des situations ordinaires. Intéressant. Maintenant, fallait-il vraiment se justifier de "faire de l'argent" avec son métier d'écrivain? Non. Pas à mon sens. Le talent, quel qu'il soit, n'a pas de prix. J'y ai vu quelque règlement de compte avec des commentateurs locaux.

Réconciliation avec Stephen King? À peu près, oui. Dans le genre, il reste un des meilleurs. À tout seigneur, tout honneur. Quant à tout lire de lui, là, c'est une autre histoire.