vendredi 28 décembre 2007

Big Bang, par Neil Smith, Les Allusifs


Il doit être difficile de recevoir les critiques de qui a lu son recueil de nouvelles. C'est ce que j'imagine pour Neil Smith. À chaque fois, on doit lui dire quelque chose comme : "Moi j'ai préféré celle-là mais moins celle-ci", et ce décliné dans toutes les formulations possibles. Donc, au bout du compte, l'auteur pourtant fier de toutes ses histoires doit vivre, à chaque personne rencontrée, une petite déception. Celui-ci n'en mérite pourtant pas. Big bang est sans doute un des meilleurs recueuils de nouvelles que j'ai lus. Si personnages et contextes ont parfois l'air un peu "têtes en l'air", n'en reste pas moins, à chaque fois, une émotion très profonde lorsqu'on termine chacune des histoires. J'ai été ému face à une amitié qui ressemble à de l'amour, retourné par la sagesse d'une fillette trop précoce, tétanisé par l'aboutissement d'une grossesse engendrée sans amour, renversé par la narration que des objets font de leurs propriétaires.

Les thèmes abordés par Neil Smith sont aussi frais que son écriture. Tout ici est nouveau, et si rien n'est fantastique, rien non plus n'est commun. Bien entendu, on ne sort pas de chaque nouvelle sous le même effet, mais jamais n'a-t-on l'impression d'avoir lu du "remplissage". Nous faisons ici face à un auteur intelligent, sagace et très fin observateur de la faune et de la flore humaine avec une écriture qu'on dirait aussi contemplative qu'hyperactive.

Vivement un prochain album de Neil Smith, ne serait-ce que pour voir, cette prochaine fois, où il nous emmenera. Et à qui ne serait pas encore tenté de lire tout Big Bang (qui n'est pourtant pas bien long), je lui proposerais de ne lire que la première nouvelle, Incubateurs, pour comprendre qu'on assiste effectivement ici à l'arrivée d'un écrivain majeur, à Montréal.

dimanche 16 décembre 2007

Quand les cons sont des braves, par Martin Petit, VLB


Si je me suis tapé un essai c'est qu'il revêtait un caractère particulier: celui-là a été écrit par mon cousin. Martin, ce joyeux luron, très "Petit" par son éloquence, un brin baveux mais pas méchant, s'est enrôlé dans l'armée à 19 ans. Puis advint ce qu'il est devenu. la dernière fois où je l'ai vu, c'était au Jour de l'an il y a 4 ou 5 ans. Il se tenait dans son coin, coit, quiet, souriait et c'était à peu près tout. Ce changement, il le raconte dans "Quand les cons sont des braves". J'ai hésité avant de le lire. Je savais, pour avoir entendu Martin en entrevue lors de la sortie de son livre, qu'il s'agissait d'abord pour lui d'une thérapie puisque victime du syndrôme post-traumatique. Aussi j'ai eu peur de vivre ses tristes états d'âmes, de parcourir un recueuil d'impressions. Si tel est le cas, c'est fort bien fait et très à propos. Dans ce livre, Martin raconte, mais aussi explique. Son parcours qui l'a mené des Balkans au Koweit en passant par la Somalie se lit comme un livre d'aventures. À chaque nouvelle destination, il prend la peine d'expliquer le conflit, son envergure, sa petite histoire. Et s'il parle de niveaux hiérarchiques de l'armée ou d'exercices particulier, il les explique aussi. Et très bien. Comme un cousin l'expliquerait à un autre, devant un verre, avec attention.

Ce livre, on le termine un peu défait, mais instruit car il a la très rare capacité de susciter la pensée et très certainement les discussions, à en juger par la grande couverture médiatique dont il a jouit. Cet essai présente le destin d'un gars intelligent qui s'est retrouvé au mauvais endroit, et nous fait nous rendre contre de l'incongruité de l'armée canadienne, qui à tout prendre n'a que peu ou pas de raisons d'exister. Il nous fait réaliser que quiconque s'y enrôle ne le fait sans aucun doute à peu près jamais pour la "cause" mais plutôt parce qu'il y trouve une quelconque façon de continuer une vie au parcours jusqu'ici erratique.

Et viennent les abus, les humiliations, les injustices, bref, tout ce qui va avec un milieu où la hiérarchie prend le pas. "Au plus fort la poche", à la merci des power trips.

Pour avoir écrit ça, Martin a eu un cran du tonerre. Du cran pour parler ouvertement de choses qui ne se disent pas lorsqu'à l'intérieur de l'armée, du cran pour dire que oui, il s'agit bel et bien d'une institution qui n'a rien à cirer des "deux peuples fondateurs", aux détriments de celui qu'on sait, du cran, même, pour avouer avoir passé du temps à lire, oui, à lire parce que bien que mal vu, c'était là où il trouvait une certaine évasion.

Quand les cons sont des braves est à la portée de tous. En fait, au moins un membre de chaque famille devrait se le taper, histoire de passer le message aux autres: le meilleur don qu'on puisse avoir est celui de la liberté. Martin en dispose, et très bien. Puisse ses autres histoires être à sa mesure: brillantes et intéressantes.

J'ai vraiment très hâte de te revoir, Martin.

mardi 4 décembre 2007

Dawson Kid, par Simon Girard, Boreal


Après les 20 premières pages de Dawson Kid, je me suis dit: "Ah non, pas encore un livre que je vais lire à reculons, page par page, péniblement!" La misère dont est issu le personnage autour duquel tourne ce roman me titillait, et qui plus est, le monde de la boxe où on se retrouve après un certain temps ne me disait rien du tout. Je n'y connaissais rien, ça ne m'intéressait pas. Puis j'ai lu ce roman dans le bus et en métro, debout, mal assis, jusqu'à me rendre compte que j'avais hâte de retourner me faire transporter pour le continuer. Ce livre est inconfortable. Le personnage de Rose est une fille de 20 ans, ancienne danseuse au lourd passé qu'on devine à force de réflexions sur un certain désir de mourir. Elle parle des "heureux", ceux qui promènent leurs chiens tranquillement et qui dorment paisiblement, et elle, elle a envie de frapper. Et pourtant, la violence est ici dans la tête du personnage, rien de plus. Si Rose provoque la violence, on ne lui en veut pas. Quel personnage en fait! On se demande où un gars comme Simon Girard a bien pu la pêcher, comment il a pu inventer quelqu'un d'aussi atypique.

Je dirai de Dawson Kid que ce n'est pas un livre facile. Bien écrit, j'ai cru parfois y déceler un style qui ressemble à celui de Gaétan soucy, mais non. Simon Girard a développé son écriture à lui, tortueuse comme son personnage, mais belle comme on l'imagine, elle. Le tour de force réside aussi dans les analogies de cette histoire où la boxe permet à quelqu'un de s'extirper d'un monde violent et où l'expérience de la mort redonne le goût de vivre.

Dire qu'il s'agit d'un livre coup de poing serait trop facile. Dawson Kid est plutôt un livre dérangeant, inconfortable et beau comme un sentiment humain. Un livre à lire debout.