jeudi 31 octobre 2013

Le sel de la terre, par Samuel Archibald, éditions Atelier 10

L'homme a écrit un premier livre, un recueil de nouvelles en l'occurrence. Arvida était excellent, nouveau, frais. Il a pour ma part, réanimé mon goût pour ce genre de courtes histoires. On a salué la qualité du livre qui s'est mérité des prix, à juste titre.

L'homme est prof d'université. Dès ses premières entrevues, on lui a reconnu un certain bagout. De tribunes médiatiques se sont alors ouvertes à lui. On l'a invité à donner son avis, à intervenir sur différents sujets. Bien.

Tous talents littéraires et talents polémiques confirmés, l'auteur revient avec un essai. À moins qu'il ne s'agisse d'un pamphlet... Je laisse ce débat aux puristes. Donc, Samuel Archibald, cette fois-ci, écrit en donnant son avis. En sous titre du Sel de la terre, on peut lire: Confessions d'un enfant de la classe moyenne. Pour ma part, c'était bien mal parti. Ce contexte ci-haut décrit me décevait. Que l'auteur d'un premier livre s'adonne déjà aux commentaires, bon, d'accord, mais sur un sujet aussi commun?

Oui, justement le sujet est commun, et c'est bien là ce que déplore l'auteur en 86 pages. Cette classe moyenne et tous ses dénominateurs communs est sollicitée de part et d'autre. On se l'arrache à grands coups de pub et de promesses électorales. Pourtant, aussi moyenne qu'elle puisse l'être, elle est principale en tout, monolithique, commune, bref, c'est un peu n'importe quoi... et c'est un peu-beaucoup vous et moi. En récupérant une expression "à la monde" dans l'actuel scission gauche-droite, Archibald dresse un portrait de la société québécoise actuelle qui a un effet miroir indéniable. Et le miroir est grossissant. En effet, cet ouvrage est québéco-québécois mais pourtant, membres de la classe moyenne de tous pays, il est fort possible que vous vous y retrouviez. Quoi que...
On reconnait la force des mots de cet auteur. Sa façon anecdotique de décrire des situations laisse deviner le chroniqueur, le fin observateur de société. Il fait bon se faire parler de soi par son grand chum. C'est un peu ce que "Le sel..." nos donne comme impression finale, bien que l'opinion du grand chum en question ne soit pas nécessairement des plus roses. Vers où allons-nous? Bougeons-nous seulement? En fait, qu'est-ce qui nous fait bouger, justement?

À un certain moment, Archibald y va d'une lettre d'humeur adressée à un animateur anonyme de "radio-poubelle" québécois. On sent là l'exaspération, voir le règlement de compte. Bien tournée, cette section n'est pas la meilleure. Bien sur, ces chroniqueurs semeurs de pessimisme et de défaitisme ne cherchent qu'à provoquer, et pour rien. Mais à quoi bon en ajouter? N'y a-t-il rien de pire que l'indifférence? J'ai préféré le regard nouveau qu'Archibald porte sur lui, ses proches, et par le fait même, le monde qui l'entoure. Ses références à des personnages ou des situations de l'enfance et de l'imaginaire québécois touchent en plein coeur. Vraiment pas ennuyant.

"Le sel de la terre", vous vous en douterez, c'est cette classe de gens dits "moyens" sur qui repose non seulement l'avenir, mais aussi, et surtout, le présent. Et si c'est si lourd, comment alléger tout ça?

Belle initiative que celle de la revue Nouveau projet de donner la parole et de susciter la réflexion par un moyen aussi ludique que l'essai "abordable". Cette série de courts essais est prometteuse. Il fait bon de se poser des questions et de constater des faits en souriant, voir en riant très fort, en même temps que de se faire brasser. Gentille claque, que ce Sel de la Terre. Maintenant, on veut un nouveau livre de Samuel Archibald. Fallait pas nous titiller comme ça sans soulever d'attentes...

Faites comme moi. Fuyez vos appréhensions pour le genre. Ça en vaut la peine.

lundi 14 octobre 2013

A Visit From The Goon Squad, par Jennifer Egan, éditions Anchor Books

Publié en français aux éditions Stock sous le titre de "Qu'avons-nous fait de nos rêves?", j'ai lu cet ouvrage de Jennifer Egan en anglais. Faut dire que le titre anglais était difficilement traduisible. Celui choisi en français n'est pas mal, mais la connotation vaguement ésotérique qu'il peut contenir est à mille lieux de l'atmosphère de ce livre. "A Visit..." est une autre de ces bombes américaines qui font de la littérature de ce pays un de ses meilleurs produits, voir LE meilleur produit culturel exportable. On est ici à des années-lumières du cinéma américain, à des trillions de kilomètres de la culture pop jetable qui vous vient de cette partie du monde. Et pourtant, ça se lit sur le bout de sa chaise, c'est bourré de personnages, de scènes improbables mais fortes, et loin du happy end, ça nous laisse sur un questionnement on ne peut plus sain: faut-il vraiment s'en faire pour l'avenir de notre société?

Le livre regroupe une dizaine d'histoires à première vue indépendantes l'une de l'autres. Différentes époques sont visitées, des années 80, environ, jusqu'à nos jours. Géographiquement, bien qu'on quitte parfois la Home of the Braves, on n'en sort pas vraiment puisque tous les personnages sont des natifs. Or voilà, on avance, et on découvre que tous sont reliés par un seul personnage. Celle-ci revient en hanter certains, en embêter d'autres, ou carrément en subir encore d'autres. La plupart sont du milieu du divertissement et des communications: relations publiques, producteurs de disques, musiciens, acteurs, toute la smala y passe. L'auteur n'habite-t-elle pas Brooklyn, (elle aussi), après tout? Mais c'est là le seul cliché qu'on puisse lui reprocher. Autrement, Jennifer Egan nous brosse un tableau de gens dont l'intérêt, le centre de leur vie, réside bien souvent au sein de leurs propres personnes. Mais qu'arrive-t-il lorsque d'autres vies qui leurs sont liées, qui pourraient leur servir, les aimer, les aider, qu'ils soient amis, parents ou enfants, deviennent des étrangers? Tous les malentendus ne seraient-ils tous pas dus au seul temps qui passe? Et si, enfin, certains vieillissaient mieux que d'autres?

Je le disais plus haut, certains tableaux sont forts, parce que menés par des originaux, mais aussi parce qu'ils sont exposés très crûment. Le plaisir de la littérature, par rapport au cinéma, c'est qu'il n'y a pas d'imbroglio au sujet de la psychologie des personnages. Dans un livre, on lit leurs pensées, on ne les devine pas. Elles nous sont montrées en pleine face. Les personnages de Jennifer Egan pourraient être tordus, mais ils ne le sont pas. Ils ont beau essayer de jouer un jeu, de se fabriquer une façade, comme les personnages qu'ils essaient parfois de jouer, ça ne prend pas. L'auteur nous montre leur vraie nature. La starlette insipide est peut-être plus brillante qu'il n'y paraisse; la communicatrice fonçeuse est peut-être plus vulnérable que ce qu'on perçoit d'elle; le chanteur sans ambition est peut-être celui à qui l'avenir sourira le mieux!

De l'ami qui apporte un poisson dans le bureau d'un vieux pote rendu célèbre, jusqu'au concert publicisé par un wannabe producteur qui utilise ses amis de médias sociaux somme véhicules publicitaires sans qu'ils s'en rendent compte, on assiste, à travers les mots de Jennifer Egan, à ce qui se passe dans les coulisses de la société américaine. On regarde derrière le vernis, on laisse tomber les masques et même si ce n'est pas toujours beau, c'est tout aussi fascinant que ce qui se passe sur scène. Egan a remporté le Pullitzer Price en 2011 pour ce bouquin. Ma foi, c'est amplement mérité.

À lire, pour se divertir et pour réfléchir en souriant... et en grinçant un peu des dents.