Publié en français aux éditions Stock sous le titre de "Qu'avons-nous fait de nos rêves?", j'ai lu cet ouvrage de Jennifer Egan en anglais. Faut dire que le titre anglais était difficilement traduisible. Celui choisi en français n'est pas mal, mais la connotation vaguement ésotérique qu'il peut contenir est à mille lieux de l'atmosphère de ce livre. "A Visit..." est une autre de ces bombes américaines qui font de la littérature de ce pays un de ses meilleurs produits, voir LE meilleur produit culturel exportable. On est ici à des années-lumières du cinéma américain, à des trillions de kilomètres de la culture pop jetable qui vous vient de cette partie du monde. Et pourtant, ça se lit sur le bout de sa chaise, c'est bourré de personnages, de scènes improbables mais fortes, et loin du happy end, ça nous laisse sur un questionnement on ne peut plus sain: faut-il vraiment s'en faire pour l'avenir de notre société?
Le livre regroupe une dizaine d'histoires à première vue indépendantes l'une de l'autres. Différentes époques sont visitées, des années 80, environ, jusqu'à nos jours. Géographiquement, bien qu'on quitte parfois la Home of the Braves, on n'en sort pas vraiment puisque tous les personnages sont des natifs. Or voilà, on avance, et on découvre que tous sont reliés par un seul personnage. Celle-ci revient en hanter certains, en embêter d'autres, ou carrément en subir encore d'autres. La plupart sont du milieu du divertissement et des communications: relations publiques, producteurs de disques, musiciens, acteurs, toute la smala y passe. L'auteur n'habite-t-elle pas Brooklyn, (elle aussi), après tout? Mais c'est là le seul cliché qu'on puisse lui reprocher. Autrement, Jennifer Egan nous brosse un tableau de gens dont l'intérêt, le centre de leur vie, réside bien souvent au sein de leurs propres personnes. Mais qu'arrive-t-il lorsque d'autres vies qui leurs sont liées, qui pourraient leur servir, les aimer, les aider, qu'ils soient amis, parents ou enfants, deviennent des étrangers? Tous les malentendus ne seraient-ils tous pas dus au seul temps qui passe? Et si, enfin, certains vieillissaient mieux que d'autres?
Je le disais plus haut, certains tableaux sont forts, parce que menés par des originaux, mais aussi parce qu'ils sont exposés très crûment. Le plaisir de la littérature, par rapport au cinéma, c'est qu'il n'y a pas d'imbroglio au sujet de la psychologie des personnages. Dans un livre, on lit leurs pensées, on ne les devine pas. Elles nous sont montrées en pleine face. Les personnages de Jennifer Egan pourraient être tordus, mais ils ne le sont pas. Ils ont beau essayer de jouer un jeu, de se fabriquer une façade, comme les personnages qu'ils essaient parfois de jouer, ça ne prend pas. L'auteur nous montre leur vraie nature. La starlette insipide est peut-être plus brillante qu'il n'y paraisse; la communicatrice fonçeuse est peut-être plus vulnérable que ce qu'on perçoit d'elle; le chanteur sans ambition est peut-être celui à qui l'avenir sourira le mieux!
De l'ami qui apporte un poisson dans le bureau d'un vieux pote rendu célèbre, jusqu'au concert publicisé par un wannabe producteur qui utilise ses amis de médias sociaux somme véhicules publicitaires sans qu'ils s'en rendent compte, on assiste, à travers les mots de Jennifer Egan, à ce qui se passe dans les coulisses de la société américaine. On regarde derrière le vernis, on laisse tomber les masques et même si ce n'est pas toujours beau, c'est tout aussi fascinant que ce qui se passe sur scène. Egan a remporté le Pullitzer Price en 2011 pour ce bouquin. Ma foi, c'est amplement mérité.
À lire, pour se divertir et pour réfléchir en souriant... et en grinçant un peu des dents.
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