mercredi 14 février 2024

L'autre nom - Septologie I-II, par Jon Fosse, Christian Bourgois éditeur

Ce live figure sans aucun doute parmi mes plus belles expériences de lecture à vie. Et pourtant, j'ai failli le laisser tomber aprèes une bonne cinquantaine de pages.

C'est écrit "à la Saramago", avec des virgules pour toute ponctuation et à peu près pas de paragraphes. On tombe donc là-dedans sans repères, on est perdu dans ce monologue sans fin d'un homme qui raconte ses jours où il ne se passe pas grand chose. Il est assez âgé, vit dans un petit bled de Norvège, voit peu de gens. Il est peintre et se sait privilégié de vivre de sa peinture. Un jour, il revient de la ville, où il avait à faire. Passant à côté de la résidence d'un de ses rares amis, il poursuit son chemin. Rendu chez-lui, pris de remords de ne pas lui avoir rencu visite, il retourne, parce qu'il est inquiet.

Dans à peu près tout ce qu'on lit, le narrateur nous parle à nous, lecteur. Or, ici, le narrateur se parle à lui-même. C'est pourquoi, au début, on ne comprend pas, on est comme gêné, atteré. Je sentais que ses pensées, ses souvenirs et ses impressions ne me concernait pas. Puis, au fil des pages je me suis rendu compte que ça y était. J'ai comme vécu une symbiose. J'ai été hypnotisé. Et à partir de là, ce livre est devenu fascinant.

Ce style sans repère laisse toute la liberté au lecteur. On termine notre lecture n'importe où, n'importe quand. On reprend en lisant une phrase ou deux de ce qu'on a lu avant, puis on repart avec lui, dans ses souvenirs, ses impressions, mais aussi, et surtout, ses peurs, ses appréhensions.

Certaines scènes m'ont faite une forte impression, dont une en particulier où l'homme passe une nuit sans sommeil, à se demander s'il dort ou pas, à ressasser ses pensées, à s'imaginer des scénarios. On ne sait plus s'il rêve ou s'il pense, et à force, on ressent sa fatigue, lentement, progressivement, et c'est tout à fait hallucinant. Cette façon d'écrire m'a complètement subjugué. Jon Fosse nous emmène dans la psyché de son personnage, on devient lui à travers ses pensées. Vraiment, c'est très fort.

Vers la fin, le peintre parle de son art, avec modestie, mais aussi une lucidité qui m'a beaucoup touché. Jamais m'a-t-on parlé de "lumière dans l'obscurité" de cette façon. Et on comprend que son art est la lumière dans l'obscurité de ses angoisses, et c'est superbe.

Petit coup de chapeau en passant à Louis-Daniel Godin, dont le style de Le compte est bon se rapproche beaucoup de celui de Jon Fosse. J'ai eaucoup pensé à lui.

Prêt pour l'aventure? Installez-vous, préparez-vous, et tombez dans L'autre nom. Ça ne vous laissera pas indifférent, c'est certain.