lundi 31 janvier 2011

La première guerre de Toronto, par Daniel Marchildon, éditions David


Il m'a été donné de lire un roman destiné à un public adolescent. C'est à tout le moins ce que j'en déduis par le nom de la collection, 14/18, des éditions David. J'ajouterai à cette constatation un ton simple, d'une droiture sans reproche, qui rend la lecture facile d'un épisode tourmenté de la ville de Toronto.

Marchildon y raconte la période 1916-1918 où non seulement la première guerre mondiale occupait tout l'espace de la vie des résidents de l'époque, mais aussi et surtout, l'épisode épidémique de la grippe espagnole. Napoléon Bouvier, un membre de la communauté franco-torontoise d'environ 8 000 âmes à l'époque, traverse des aventures personnelles déterminantes du haut de ses 17 ans. Le boxeur devient soldat en Europe, puis est démobilisé au Canada pendant l'épidémie. Sa détermination s'exprimera non seulement face aux enjeux provoqués par la guerre et la maladie, mais aussi du fait de sa nationalité francophone dans une ville et une époque où le fait français provoquait bien des tourments.

C'est toujours un plaisir d'apprendre en lisant, et ce livre y porte de la meilleure façon. Les événements historiques sont racontés clairement à partir des têtes et des coeurs de personnages fort attachants. Un livre pour adolescents, ce sont des descriptions précises et des sentiments francs. Parler d'un sujet aussi peu couvert, pas tellement "à la page" peut s'avérer risqué côté ventes. Il n'en demeure pas moins que la qualité de l'écriture et du propos méritent qu'on porte attention à ce bouquin.


Bon, d'accord. On pourra reprocher quelques erreurs d'édition, comme des guillemets placés de façon erratique, par exemple, ce qui peut confondre un peu, mais rien de majeur.

Bref, aucune raison de snober ce joli récit pour toute personne avide d'Histoire. Ce pan de l'histoire du Canada français est fort bien raconté.

mardi 11 janvier 2011

Contre Dieu, par Patrick Sénécal, éditions Coups de Tête


Quand la lecture d'un roman devient un roman elle-même...

Je n'avais rien lu de Sénécal, auteur prolifique dont les romans noirs et les polars ont souvent été adaptés à l'écran par des réalisateurs québécois, souvent avec succès. Sans dénier d'aucune façon l'auteur, je dois seulement préciser que le genre ne me plaît pas. Horreur, romans noirs et affaires sordides ne m'attirent pas. N'en demeure pas moins que je me suis procuré Contre Dieu parce qu'on en parlait comme d'un roman noir, oui, mais peut-être moins sordide, donnant moins dans l'horreur que ses ouvrages précédents. Ça, je ne saurais dire. Reste que j'ai longtemps hésité avant d'ouvrir le court bouquin de quelque cent pages. J'ai rapidement compris pourquoi.

Précisons que Contre Dieu est une longue phrase qui dure du début à la fin. Écrit à la deuxième personne: "Tu te lèves, tu te regardes dans le miroir et tu pars... etc.", il ne laisse aucun répit. dès les premières pages, il vous prend votre souffle. Il s'agit habituellement d'un style qui m'énerve au plus haut point. Là, je pense particulièrement à Putain, de Nelly Arcand, que je n'ai jamais réussi à finir. Mais pour Sénécal, je dois avouer qu'après 30 pages lues tout d'une traite un soir avant le dodo... j'ai rêvé de ce bouquin. Un rêve étrange et très angoissé. C'est pour dire combien c'est fort. Non, ça ne m'arrive pas souvent et oui, ne vous en faites pas, je vais bien!

Un homme apprends la mort de sa famille, femme et enfants, dans un accident d'auto. Affecté, touché, défait, il déjante puis s'enfonce et s'enfonce encore. Noir? Le mot est faible. Mais attention: il n'y a pas ici de scènes sordides, d'horreur à l'hémoglobine jaillissante. Non, ou sinon très peu. En fait, le plus dur dans ce livre, c'est son hyper-réalisme.


Fort heureusement (et le terme ici n'a d'heureux que le mot), arrive une scène à peu près à mi-chemin qui nous fait nous dire qu'il s'agit bel et bien d'un roman, que non, voyons, ça peut pas arriver quelque chose comme ça. N'empêche. Il y a longtemps que je n'ai eu envie de terminer un livre comme ça. Chaque plongeon dedans me frappait comme un coup de poing. Et pourtant il me fallait aller jusqu'au bout, comme le personnage du livre. Ce livre vous défait. Peut-être suis-je trop réceptif aux histoires, je sais pas. Ça ne m'empêche pas d'en souligner le caractère absolument remarquable. En fait je suis stupéfait. Cette histoire est, de loin, une des pires, en termes de conséquences, de tristesse, de malheur, et tout ce que vous voulez dans le genre, que j'aie lue. Seul, peut-être, L'Adversaire, d'Emmanuel Carrère, m'a laissé une même impression d'horreur, mais certainement pas aussi forte que Contre Dieu dont le titre, en passant, même s'il paraît un peu fort, prend tout son sens dans les deux derniers mots du roman.

À ne pas prendre avec des pincettes, absolument pas, ni lire en vacances. Mais à lire, quand même, pour découvrir une voix vraiment très forte et qui fait très mal. Aoutche, mais bravo.

dimanche 9 janvier 2011

Si la tendance se maintient, par Pierre-Marc Drouin, Éditions Québec-Amérique


Les éléments, les étoiles, le hasard et autres aléas de la vie font que les romans québécois que j'ai parcouru, ces derniers temps, tombent dans un pattern commun. Je parlerais ici de "livres de gars", pas tant dans le sens macho du terme que de celui de l'anecdote. Voyons le portrait de l'écrivain type du livre de gars québécois des années 2000: dans la vingtaine ou la jeune trentaine, l'auteur chronique les frasques rêvées ou autobiographiques d'un mec le plus souvent tourmenté socialement, mais pour qui les éléments de reconnaissances sociales donnent au roman tout son caractère irréel. Généralement, le gars ne se fait pas trop chier sexuellement, côté fric: pas trop de problèmes non plus. Restent de bien grandes questions existentielles à régler.

Or chacun possède son caractère propre. Celui-là a la particularité de raconter ses frasques en suivant un modèle historique. Mais voilà, le sacripant sait être original. La trame des titres de ses chapitres suit des événements reliés à l'histoire du Québec moderne, ce qui n'est pas sans retenir notre attention.

Et l'histoire suit son cours: enfance difficile, divorce de parents, amis malhabiles, amours incohérentes. L'écriture est simple, bonne bien qu'elle s'égare parfois entre style populaire et littéraire. Mais rien de désagréable. On sourira parfois des remarques d'un personnage ou de la situation vécue. Vraiment, la chronique du temps est bonne. Mais là où nos sourcils se circonflèxent, c'est à la fin où, ans sa postface, Drouin nous explique son livre. C'est ainsi qu'on constatera qu'il fait de son personnage principal une métaphore du Québec contemporain. Il fait vivre à l'échelle personnelle de son personnage des sentiments ressentis à l'échelle collective du Québec à travers l'histoire récente. Intéressant, mais était-ce essentiel d'avoir à l'expliquer, ça et le choix de l'écriture, pour l'auteur, que des études en cinéma destinaient à un autre type de création? Drôle de choix de l'éditeur qui, à mon sens, en met un peu trop. Bien sur, il s'agit d'un premier roman, mais quand même. Bien sur, on n'a pas à lire la postface, ni le commentaire de l'éditeur sur son nouveau jeune poulain. N'empêche. Tant de marketing dilue un peu la sauce et c'est dommage. Un livre, une histoire, est là pour stimuler notre imaginaire, ce que Drouin a bien sû faire avec sa seule histoire. Pas besoin d'un "making of" à la fin. Vraiment pas. Enfin, peut-être après une quinzième publication et une entrevue en profondeur avec un auteur estimé, mais après un premier roman, franchement, non.

Éditeurs, continuez à faire confiance à l'intelligence de vos lecteurs.

jeudi 6 janvier 2011

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, par Mathias Enard, éditions Actes-Sud


C'est rare, mais bien avant de le lire, j'en avais déjà une bonne impression. Or je n'avais jamais rien lu de Mathias Enard. Faut dire qu'avec un titre pareil... Et y'avaient aussi ces quelques impressions lues ici et là à l'époque où le livre était en nomination pour le Goncourt. On y parlait d'un voyage en Orient de Michel-Ange. Alors me revenaient en mémoire les voyages épiques des personnages d'Amin Maalouf.

Eh bien voilà, quelques fois, des impressions sont si fortes qu'elles n'en peuvent que devenir réelles. Oui, Mathias Enard a envoyé Michel-Ange en Orient. Pour quelques semaines à peine. À Istanbul. Pour bâtir un pont d'après une commande du Grand Sultan de l'époque.

Du pont, je ne dirai rien, ni d'Istanbul alors appelée Constantinople. De Michel-Ange, je ne mentionnerai que le mythe. On connaît l'artiste par ses oeuvres, oui, mais on le savait aussi fougueux, passionné par tout ce qui est beau. Or voilà, tout ça se matérialise dans situation où la légende devient humain. L'homme menacé et anxieux n'en demeure pas moins un prétexte, pour le lecteur, à voyager dans l'univers de deux yeux qui voient plus profondément que quiconque avant ou même après lui. Ajoutez à ce regard lumineux une part de mystère, des frôlements de corps et d'âmes, une écriture aussi lumineuse que ses personnages, et vous aurez une courte histoire qui vous tiendra en haleine le temps de le dire.

Il fait bon de découvrir encore des auteurs qui possèdent aussi bien le sens du merveilleux. J'adore voyager ainsi, tant dans le temps que dans les têtes. Enard le rend si bien que sitôt terminé ce dernier ouvrage au titre interminable mais ô combien juste, je me suis procuré un de ses bouquins antérieurs.

Pour qui aime les belles histoires, la justesse des mots sans absolument aucune prétention, je propose chaudement ce petit épisode des Mille et une nuits d'un personnage haut, très haut, et certainement tout en couleurs. Quelle belle histoire! Pour vous réconcilier avec la vie, rien de moins!