jeudi 7 décembre 2023

Je parlerai des amélanchiers de Saint-Maxime-du-Mont-Louis, par Mathieu Hachebé, éditions de la Maison en feu

Comment rester indifférent à un tel titre? C'est effectivement de ce dont parle ce livre: d'arbres, de la mer de ce coin de planète (le nord de la Gaspésie) et de relations humaines. Le narrateur nous raconte sa vie dans une vieille maison déglinguée, louée à plusieurs, à proximité d'une pépinière où s'affairent plusieurs habitants de la maison. Y travaillent-ils ou y vivent-ils, tout simplement? Est-ce une commune ou la résidence de gens de passage?

Peu importe. Ce que raconte Mathieu Hachebé est à un niveau qu'on aborde rarement dans les romans: le niveau général des choses, celui le plus simple, sans tomber dans les détails, ni la psychologie des personnages, ne la profondeur des paysages. Il décrit les interactions d'un narrateur avec les autres, son travail, et sa perception de tout ça. C'est l'observation fragile et sensible d'une micro-société en retrait.

On perçoit quand même des esprits différents: des obtus, des libres, des angoissés, des résolus. Dans ce livre, chaque page se distingue. Chacune est un paragraphe, un ou quelques lignes qui flottent sur du blanc. Ça nous amène à lire lentement, une page à la fois, en méditant, ne serait-ce que quelques secondes, la portion d'histoire, la description, l'information ou le sentiment qu'on vient de lire.

Hachebé écrit comme un poème et ça se lit comme tel, mais pourtant, c'est bel et bien une histoire. C'est audacieux de publier un livre d'une telle facture. Il faut que le lecteur sache ou veuille s'arrêter. Disons, sourire en coin, qu'avec un tel livre, Mathieu Hachebé et son éditeur réinventent le page turner.

Ce livre s'inscrit bien dans cette époque de ma vie de lecteur où j'accumule les récits contemplatifs, qui portent un regard tendre sur ce qui les entoure tout en faisant réfléchir sur ce qui nous élève et ce qui nous abime, ceux qui nous inspirent et ceux qui nous découragent.

Le petit monde décrit ici m'a bien plu. Je le recommande particulièrement pour des jours de vacances.

mardi 5 décembre 2023

Un lac le matin, par Louis Hamelin, éditions Boréal

C'est son thème qui m'a attiré: la vie imaginée de Henry Thoreau dans sa cabane. Walden fait partie des livres qui m'ont le plus marqué. Si vous ne l'avez pas lu, Un lac le matin vous donnera envie de le lire.

Louis Hamelin imagine l'auteur en train de rédiger son livre. C'est l'histoire de l'histoire, l'idée que le lecteur Hamelin s'est fait de l'auteur Thoreau. Tout lecteur épris d'un auteur peut comprendre l'initiative. J'envie même Hamelin d'avoir osé.

Le Thoreau décrit est dans la fin de la vingtaine, idéaliste comme ça se peut pas, tellement qu'il frôle la naïveté. Mais est-ce le cas? Et si le gars était tout simplement convaincu que le retour à la terre est la seule solution pour ralentir le développement qui l'entoure? Le pays se bâtit. Thoreau déplore (déjà) la destruction de ce qui était là avant les villes, les maisons et les gens. Il regarde la forêt environnante et le lac avec le regard de l'admirateur devant le tableau d'un grand maître. Il plante des haricots, se les fait chiper par des marmottes: pas grave. C'est la nature, et pour lui, c'est là tout ce qui devrait être. Comme son personnage, ce livre est en bonne partie contemplatif, ce qui le rend paisible et plaisant à lire.

Les pensées de Thoreau cheminent au fil de ses rencontres, dont la famille de l'influent Waldo Emerson, d'un ami poète, et d'un bucheron d'origine canadienne-française, encore plus terre à terre qu'Henry lui-même, ce qui le sidère. Ces personnages tirés de Walden prennent une nouvelle tournure sous l'imagination de Louis Hamelin, qui nous suggère l'opinion que Thoreau a de chacun. Hamelin prend même le pari de faire passer Thoreau pour condescendant envers une famille d'immigrants sans le sou. Pourquoi pas? L'idéaliste a aussi ses ornières.

Hamelin se met parfois en scène en accolant quelques scènes de sa vie quotidienne à celles de son personnage. Si on perçoit certains parallèles, ce n'est pas toujours le cas, Hamelin s'emportant une fois ou deux sur des sujets qui semblent lui tenir à coeur mais qui s'éloignent un peu du sujet du livre. Sans dire de quoi il s'agit, je souligne seulement ce qui ressemble à de petites incartades qui m'ont laissé un peu dubitatif. Mais quand même: je n'avais jamais lu Louis Hamelin avant, et ce livre m'a beaucoup plu. Henry Thoreau est un fort beau personnage.

mercredi 22 novembre 2023

Le fils du Trickster, par Eden Robinson, VLB éditeur

C'est d'abord la chronique d'une communauté autochtone de l'ouest canadien de notre époque. Les personnages vivent les petites et grandes misères de vies rendues rudes par tout ce que la société peut avoir comme traversavec alcool et drogue omniprésents dans la vie de tous les jours et relations de couples bancales en tête de liste. Puis, vers le troisième tiers du livre, la chronique se transforme en une aventure pas banale avec de la magie et du fantastique.

Éden Robinson nous emmène dans un autre monde à plusieurs égards. D'abord, celui d'ados autochtones de la région de Kitimat, en Colombie-britannique. Le personnage autour duquel tourne toute l'histoire a 16 ans. Comme pour la plupart de ses amis, ses parents sont des gens qu'on dirait dénués de toute fierté. Séparés, chacun accumule les échecs financiers, les tromperies entre eux, tout ça dans des beuveries récurrentes, la vente de drogue, les petits boulots. Quant à ses amis, c'est à peu près pareil, mais en plus jeune. Pour eux, leurs parents sont des personnes plutôt inutiles, décourageantes, bref, des loosers. On dirait que les plus jeunes deviennent responsables de leurs parents tellement ces derniers sont perdus.

Le plus surprenant de ce livre, c'est le ton. Rempli de dialogues, souvent savoureux, l'ironie et le sarcasme pleuvent, tellement qu'à force, on se rend compte que c'était comme si personne n'avait de respect pour personne. ON se parle en pleine face, on s'envoie paître à qui mieux mieux, on se traite de tous les noms. Parfois, ça fait inévitablement sourire, mais souvent, c'est triste. C'est un portrait réaliste et trèes peu douceureux de cette communauté. Ça fait réfléchir.

Ici, l'espoir vient des plus vieux. Notre garçon mettra quelque espoirs en sa grand-mère et des voisins âgés pour qui il entretient un certain respect. Encore que... Puis, apparaissent des personnages et des situations hors normes, d'abord subtilement, qui nous emmènent dans le grand tourbillon de la fin du livre. Pas amateur de magie, j'ai aimé comment je me suis fait entrainer dans ceet autre monde. L'autrice est habile.

La traduction est efficace, la langue, souvent vulgaire, sans compromis, donne du punch aux dialogues. Des Européens pourraient s'y perdre un peu, les références culturelles étant souvent très nord-américaines. J'ai toutefois remarqué que certains dialogues rendaient mal ce qui devait être des jeux de mots ou des expressons propres à la langue d'origine du livre (l'anglais), certaines expressions tombant à plat. Mais ça n'enlève pas le ton mordant, coup de poing et très vif de ce livre vraiment pas ennuyant.

lundi 20 novembre 2023

Le fenêtre au sud, de Gyrdir Eliasson, éditions La peuplade

Si les livres avaient le pouvoir de se transformer en objet, je ferais de celui-ci une couverture chaude. Confortable, prétexte à prendre une pause, mais peut-être étouffante si utilisée trop longtemps, j'ai aimé m'envelopper de La fenêtre au sud. C'était une bonne idée de revenir rapidement à Gyrdir Eliasson peu de temps après Requiem, qui m'a procuré la même impression de réconfort.

Un homme vit temporairement dans la maison empruntée à un ami (comme dans Requiem). C'est une maison de vacances, sur la côte islandaise. Ses environs ne sont habités que pendant la belle saison, jusqu'à tard en automne. Autrement, notre homme est le seul résident du coin, et l'univers habité le plus près est le village, qu'il doit gagner avec sa voiture lorsqu'il en a besoin.

L'homme est là pour essayer d'écrire. Je dis "essayer" parce que l'exercice est difficile. Le livre raconte ses tentatives rarement réussies, et ses échecs qui se soldent par des marches dans les environs, vers un phare, sur le bord de l'océan, parfois au village, ou par des regards jetés sur la mer, qu'il entend de chez-lui. Constitué de courts paragraphes ou de demi-pages indépendants les uns des autres, le livre nous fait avancer lentement à travers quatre saisons que l'homme passera dans cette maison.

Avec lui, on se demandera un peu s'il est bien ou pas, s'il avance ou s'il recule, s'il va rester encore ou partir, si le temps est au soleil ou brumeux. On avance de réflexion en réflexion, on dépose le livre souvent, pour s'imprégner, et on le poursuit plus tard, sans avoir l'impression de l'avoir oublié.

Cet auteur me fait me questionner sur le temps, celui qu'on doit prendre, en se débarassant de l'impression de le perdre. Il nous fait faire un exercice subtil qui nous fait réaliser que si le passé laisse nostalgique et que le futur crée de l'angoisse, seul le présent contient du confort. C'est en tout cas ce que j'en retiens, en plus de l'univers paisible de la mer, des montagnes et des prés qui changent de couleur au gré des saisons. Le personnage semble parfois un peu perdu, mais au bout du compte, on se rend compte avec lui que son seul désir est de rester là, à vivre sa vie dans sa petite maison empruntée, loin du monde et des tracas. Rien n'est temporaire, du moment qu'on vit au présent. Vraiment, cet auteur me fait le plus grand bien, comme bien des auteurs islandais, d'ailleurs.

dimanche 5 novembre 2023

Le compte est bon, par Louis-Daniel Godin, éditions La Peuplade

Il arrive parfois que l'on décrit une oeuvre en soulignant qu'elle contient "un effet de style". Ce genre de critique exprime le plus souvent une opinion plutôt condescendante reprochant à l'auteur d'avoir utilisé un procédé hors de l'ordinaire pour un résultat qu'on trouve ordinaire. C'est souvent un prétexte pour dire qu'on n'a rien compris et que ça nous agace. "Effet de style" est une expression rarement positive. Mais attention. Lorsqu'un effet se produit, justement à la suite d'un style complètement champ gauche, on est soit interloqué, soit dérangé, soit emballé. C'est ce que je suis à la suite de ma lecture: emballé par l'effet d'un style hors pair.

La parole est d'abord donné à un enfant qui raconte sa vie compliquée avec des parents assez peu doués pour l'art d'être parents. Cette parole est nerveuse. Le narrateur parle en vrilles: il avance sur un sujet, revient un peu en arrière pour faire un lien avec quelque chose d'autre, puis revient à son histoire, pour revenir en arrière avec un autre prétexte, et ainsi de suite. Au début, on se demande quelle mouche a piqué cet enfant distrait et anxieux. Puis, l'enfant vieillit au fil de la narration et des anecdotes mais le style, lui demeure, et l'auteur se révèle peu à peu.
C'est l'histoire d'une vie pas si lointaine, passée dans des apparts de banlieue avec peu d'argent et une foule de préoccupations provenant de la mêre, bientôt séparée, et du fils qui se questionne sur tout et qui n'est jamais sur de rien. Alors il pense, et il fait des liens, il vit des anecdotes qu'il monte en épingle et à force, on entre dans sa tête et on suit le fil de ses pensées, jusqu'à ce qu'on découvre le fond de toute cette crainte de ne jamais être à sa place et de douter de soi.

On rit souvent, on est touché, aussi. L'écriture de Louis-Daniel Godin est presque mathématique tellement elle est étourdissante. Elle contient beaucoup de fragilité, qu'on ressent presqu'à chaque page. Et cette crainte, toujours. Louis-Daniel Godin a réussi à mettre par écrit la fameuse voix qui prend toute place pendant une nuit d'insomnie, cette voix aux allures de hamster qui n'arrête pas de courir. Pour moi, c'était exactement ça, et c'est complètement réussi d'avoir écrit un tel livre sans m'avoir épuisé. J'irais même jusqu'à dire que cette voix m'a bercé. Fallait le faire.

Une totale réussite, un beau et un grand livre.

lundi 16 octobre 2023

La version qui n'intéresse personne, par Emmanuelle Pierrot, éditions Le Quartanier

Ce livre contient un scénario hors pair. Tout est réuni pour captiver l'attention: un décor peu connu, une société qui dérange, des jeunes qui se cherchent. La montée dramatique est extrêmement efficace, et si le style n'a rien de particulier, les mots sont les bons, et le rythme, parfait.

Ce premier livre attire l'attention pour sa description d'une communauté plus ou moins punk établie à Dawson City, au Yukon, à la fin des années 2010. Mais c'est le drame personnel de la narratrice qui rend ce livre unique. Son histoire n'a rien d'étonnant au début du livre: deux amis quittent le Québec sur le pouce pour aller jusqu'au Yukon. Ils vivent dans des squats, des cabanes, boivent, fument, baisent, pas d'horaires, pas de conventions, c'est la bohème à la puissance mille, avec un fort penchant autodestructif.

Pour qui l'a lu, on fait des parallèles avec l'univers du Plongeur, de Stéphane Larue. Je me disais que Le Quartanier avait trouvé un filon. Mais lentement, Emmanuelle Pierrot fait basculer son histoire qui sombrera dans un horrible cauchemar... à cause d'une histoire d'amour. Des deux amis originaux, un des deux se sent trahi par l'histoire d'amour de l'autre. S'en suit une ostracisation sans limites, pleine et puissante par l'ami et par toute la communauté qui mènera la victime jusqu'au bout d'elle même.

C'est court de dire que ce livre décrit les affres du milieu punk. Pour moi, c'est plutôt l'histoire hyper bien décrite d'une ostracisation. Cette histoire aurait aussi bien pu se passer dans une communauté rurale, une secte, un groupe d'amis quelconques. Renfermé sur lui-même, ce groupe reproduira les pires côtés du genre humain, et c'est ce que raconte l'autrice avec un récit fort dans un décor aussi violent que ce qu'elle raconte.

Si la fin est sombre, c'est parce que le début est lumineux. Emmanuelle Pierrot décrit aussi bien le début de l'amour que la fin des amitiés, avec une superbe douceur lorsqu'il le faut, et des peurs chargées aux moments les plus durs.

Grosses angoisses pour le lecteur, mais une lecture sur le bout de ma chaise. Gros bravo! Quelle superbe lecture!

jeudi 5 octobre 2023

Occupez-vous des chats, j'pars; par Iris; éditions PowPow

Voilà une bédé feel good qui m'a fait beaucoup rire. Pleine d'autodérision, l'autrice y raconte des séjours à l'étranger. Motivés par la création, ce sont autant d'occasions pour elle de développer son réseau et sa découverte du monde. Personnel sans être trop intime, le ton est juste et les anecdotes racontées savent retenir notre attention.

Je dirais aussi que les geeks aimeront Iris. Le côté "documenté" de ce livre m'a charmé, ce qui rend le livre plus que simplement divertissant. Elle nous partage, avec beaucoup de candeur, des découvertes, et comme ça tourne le plus souvent autour de particularités culturelles, si on est curieux et qu'on s'ennuie de voyager, on embarque avec elle.

On se reconnaît en elle à travers ses réactions, tant de crainte que de joie, et ses questionnements. Le dessin est simple mais super efficace, et l'écriture très fluide, sans prise de tête, mais précise. Pour ma petite connaissance du grand monde de la bédé, c'était absolument parfait, d'autant plus que qu'Iris est du même coin du monde que moi et que ses références humoristiques me sont familières.

Un beau livre qui fait du bien, fort bien fait. À recommander pour qui ne se tappe pas de bédé trop souvent, mais aurait bien envie d'en parcourir une bonne.

jeudi 28 septembre 2023

Requiem, de Gyrdir Eliasson, éditions La Peuplade

C'est un livre qui m'a fait l'effet de ma couverture préférée: je me suis roulé dedans. Je l'ai laissé m'envelopper, tellement que sitôt terminé, je me suis aussitôt procuré celui que Gyrdir a écrit juste avant.

Un homme quitte la ville pour s'installer dans un maison de campagne prêté par un oncle de sa conjointe. La maison est dans un village, sa femme est restée en ville. Il travaille dans le milieu de la pub et il peut travailler à distance. Jusqu'ici, rien d'inconnu.

Son désir de se retirer du monde réside en celui de composer de la musique. Bien qu'il ne se dit pas musicien, il sait l'écrire. Alors il écoute les sons environnants, des oiseaux à la pluie, et il note tout ça dans son petit cahier. Il est bien.

Puis le temps passe, les pensées s'accumulent, quelques préoccupations par rapport à sa conjointe, au proprio de la maison, certains résidents du village, dont sa voisine, mais reste une certitude: l'envie de rester là où il est.

Des auteurs contemplatifs qui donnent toute la place à l'environnement et aux décors naturels, l'Islande produit sans doute les meilleurs. Gurdir Eliasson s'ajoute de superbe façon. Ses mots sont justes (superbe traduction de Catherine Eyjolfsson), mais surtout, le rythme est parfait. Lent, mais constant. On suit ce gars-là pas à pas, lorsqu'il s'assoit, se lève, lorsqu'il écoute, sans aucun ennui. Tout est beau, et, à mon sens, confortable.

Bien sûr, rien n'est parfait et il arrivera quelque chose d'inévitable. Malgré ça, ainsi que d'épisodes douloureux du passé qui donnent son nom au livre, reste un sentiment constant de prendre conscience de là où est vraiment soi-même, de l'accepter et d'aller jusqu'au bout. Et lorsque tout ça se passe dans une solitude choisie et un calme bienvenue, c'est encore meilleur.

Il faut souligner que les amateurs de musique et de sons se repaîtront de cet ouvrage. Plusieurs références musicales (mais pas trop) le parsèment, et cette façon qu'a Gyrdir Eliasson de traduire des ambiances sonores en mots est tout à fait réjouissante. Ça m'a énormément plu. Vivement un autre.

Je lirai donc la trilogie qui se termine par ce livre à l'envers. Pas grave. C'était trop confortable comme livre.

dimanche 17 septembre 2023

La blague du siècle, par Jean-Christophe Réhel, éditions Delbusso

Ce livre que j'ai dégusté tout d'une traite (à peu de choses près) m'a laissé une délicieuse impression de "wow", d'avoir assisté à un événement. Complètement charmé par le ton le le rythme, cette histoire pourtant pas particulièrement jojo m'a séduite pas tant par ce qu'elle raconte que par les émotions qu'elle m'a fait vivre. Jean-Christophe Réhel: mon nouvel auteur coup de coeur.

Le narrateur vit dans l'est de Montréal avec son frère schizophrène et son père rendu au stade avancé d'un grave cancer. Ce narrateur travaille dans un Tim Hortons, sort d'une peine d'amour, et s'intéresse au stand-up, assez pour envisager, parfois, une carrière dans le monde l'humour. Au-delà de tout ça, sans jamais le dire, le gars se sent responsable des deux membres de sa famille avc qui il partage une vie peu confortable dans un appartement triste, et on peut inverser les adjectifs...

Réhel raconte le naufrage de ces personnages avec un ton près de l'humour, de la dérision, mais aussi avec une compassion aussi belle qu'inattendue. Si certaines scènes sont dures, mais aucune n'est trash. L'auteur décrit ses personnages dans l'intime et les fait s'entourer de personnages qui ajoutent tant à la grisaille qu'à la bonté. L'environnement décrit est hyper-réaliste, sans exagération ni dans le "pire que pire" ni dans le "lunettes roses".

Ce ton est vraiment remarquable. Il m'a fait penser à cette définition qu'on donne parfois de la musique de Chopin: des canons enfouis sous les fleurs. C'est ce que j'ai ressenti de l'écriture de Jean-Christophe Réhel: la dureté d'avoir faire avec ce qu'on a, avec ce qu'on est, camouflée par la vision qu'on a de tout ça, de tous ces gens. La situation a beau dégénérer, un vortex a beau l'emporter vers le bas, lui et sa famille, le narrateur garde en lui une confiance en son amour pour eux. Quelque chose le fait persévérer, durer, et raconté de cette façon, c'est hyper beau.

On sort touché de ce roman très fort, sans aucune eau de rose, mais avec des mots percutants, des répliques magnifiques et des images tiré e l'imainaire d'un auteur qui sait reconnaître des traits de poésie là oèu ils peuvent se cacher le plus profondément.

Je sais que Réhel s'est fait connaître pour d'autres romans et recueils de poésie avant La blague du siècle. Je le découvre avec ce dernier livre, et j'invite ceux qu'un Chopin littéraire pourrait intéresser à faire la même expérience.

mercredi 13 septembre 2023

Rose à l'île, par Michel Rabagilati, éditions la Pastèque

Qu'importe le format, Michel Ragabliati crée le même bon contenu qui nous va droit au coeur. Avec cette histoire de relation entre un père en deuil du sien, de père, et de sa fille, l'auteur nous emmène dans un paysage digne de ses oeuvres: calme et sensationnel, et ça fait un bien fou.

Que le texte soit présenté ailleurs que dans des philactères ne change rien à l'ambiance sympathique. Si on lit plus avec ce roman graphique, peut-être qu'on regarde moins d'images, mais quels dessins! Les images de l'Île verte sont splendides, et les bouilles des personnages sont toujours aussi attachantes.

Il n'y a pas de "méchants" dans les aventures de Paul, juste des confrontations avec lui-même. Ici, la présence de sa fille emmène une énergie nouvelle à son père qui n'en n'avait plus, et la présence de ces deux personage fera qu'au moins deux générations se retrouveront dans Rose à l'île. Bref, on a là une autre réussite pour les fans de Rabagliati, et même pour ceux qui gagneraient à le connaître.

Est-ce à offrir à votre ado en cadeau d'anniversaire? Je sais pas. À votre parent vieillissant et un peu bougon? Peut-être. Mais les autres aussi y trouveront leur compte. Je crois qu'il faudrait encore plus de Rabagiati dans notre monde, pour l'apaiser un peu.

mardi 12 septembre 2023

L'invention d'un visage, par Mathieu Laca, éditions Leméac

C'est un livre déroutant à plusieurs égards.

Mathieu Laca est d'abord connu pour sa peinture (superbe, selon mes goûts). Comme auteur, je ne savais que la prémisse de base de son livre: un homme perd la mémoire des visages à la suite d'un accident. Il utilisera l'art pour la retrouver.

Le début du livre est prenant. Le narrateur raconte l'accident, les conséquences. C'est un monde inconnu tant pour lui que pour le lecteur. Le style est sobre, efficace. Au fil des événements, il découvrira par hasard l'autoportrait d'un peintre inconnu ayant vécu au début du 20e siècle. Cette découverte sera prétexte à des recherches tant sur l'auteur de ce portrait que du narrateur sur lui-même. L'auteur nous emmène alors dans le passé, aux environs de 1914, pour nous présenter ce peintre inconnu. Les chapitres entre le temps présent (l'histoire du narrateur) et le passé (celle du peintre) alternent, et c'est toujours intéressant.

Arrive la seconde partie du livre où le narrateur se voit projeté dans le passé, dans ce qu'il découvrira être un épisode de la vie du peintre dont il a découvert une oeuvre. Le procédé et déstabilisant. On est passé dans une histoire à la Lewis Caroll, fantastique, avec des personnages typés et des situations très mises en scène.

On retourne ensuite au rythme du début du livre. Le narrateur poursuit l'expérience de ses recherches sur le passé et sur lui. Comme lui, on est un peu perdus. Pendant ce temps, dans le passé, le peintre vit le drame de l'entrée du monde dans la Grande guerre, d'un amour impossible parce qu'avec un autre homme, et d'une maladie mentale. Là, on se croirait dans l'histoire d'Émile Nelligan : le personnage est jeune, d'une sexualité hors normes pour l'époque, et on voudra l'enfermer. Pendant ce temps, un autre personnage ira à la guerre, sera défiguré, et reviendra au pays avec un visage atrophié: paf!, on est en plein Pierre Lemaitre avec Au revoir là-haut.

La suite du livre a confirmé une impression que l'auteur s'est inspiré de ses fantasmes pour écrire cette histoire. Plusieurs scènes de sexe entre hommes se succèdent. Pas que ce soit choquant, mais autant... je sais pas. Et ce retour dans le passé aussi ressemblait à un désir de franchir le miroir rendu possible grâce à l’écriture. Des dialogues au ton descriptif, sons trop de couleurs, m’ont aussi laissé sur ma faim. Ce livre m’a semblé le reflet de l’intimité d’un auteur que je ne connaissais pas. Le scénario est excellent, mais la facture et le style me laissent dubitatif. Choix risqué de la part de l’éditeur.

mercredi 23 août 2023

Hotline, par Dimitri Nasrallah, éditions La Peuplade

C'est un livre que j'ai lu avidement et qui m'a laissé perplexe, comme on l'est parfois devant l'inconnu: on est choqué, sans savoir si on a aimé, mais l'impression est forte.

Années 80: une immigrante libanaise arrive à Montréal avec son fils. Elle décrit sa vie, d'où elle vient, famille, pays troublé, conjoint disparu dans un contexte de guerre. Elle s'installe dans un petit appartement d'étudiant dans le ghetto McGill et décrit sa vie. C'est presqu'un journal, par le ton et le rythme, mais ça ne l'est pas. Le ton est simple et le rythme si singulier qu'il nous hypnotise presque. On avance lentement dans le temps, pas à pas. Cette femme se raconte délicatement, avec une franchise fraîche, crédible, mais surtout naïve et déterminée. On la prendrait dans nos bras. Son histoire pourrait être un drame, mais elle avance comme si ça ne l'était pas. Si le personnage est naïf, son optimisme ne l'est pas, et c'est franchement stupéfiant de le découvrir.

Cette femme avance seule, avec son jeune garçon et ses fantômes. Tous les personnages qui l'entourent passent sans toutefois tisser de liens profonds avec elle. Pris individuellement, les personnages peuvent ressembler à des opportunités, des occasions d'ouverture, particulièrement d'autres personnages immigrés, comme elle. Une connivence, prude mais sincère, s'installe, et cette vision des choses est nouvelle pour moi. J'ai vu la vie d'une immigrante d'une perspective que je ne connaissais pas, et j'ai adoré ça. On voit notre société de sa perspective à elle.

Aussi, lorsqu'il s'est agit de la société prise dans son ensemble, ses allusions deviennent moins belles, grises, négatives. Certaines références au peuple de sa ville d'accueil sont presque politiques. Bien sur, comme ça me concerne, ça me touche, et à cette heure, une fois le livre terminé, je ne sais pas si j'ai perçu le ressenti du personnage ou celui de l'auteur du livre. C'est ça qui me laisse perplexe. Mais je me pose peut-être trop de questions...

Reste que cet auteur a un amour immense pour son personnage, une connaissance fine de sa psychée et de son histoire qu'il nous raconte sans fard et sans artifices. Rien n'est cru ni violent, mais sincère, oui. Des trois récents auteurs que j'ai lus qui sont ancrés dans la communauté libanaise vivant à Montréal (Farah, Chacour, et maintenant Nasrallah) , c'est dans Hotline que j'ai perçu le plus d'amertume. Mais au-delà de ça, j'ai aimé ce livre de Dimitri Nasrallah. La traduction de Daniel Grenier aussi, pour son efficacité, et sa précision. Je questionne toutefois le choix de garder le même titre qu'en anglais, question de sens. Mais bon, là aussi, je me pose peut-être trop de questions...

lundi 7 août 2023

Mon fils ne revint que sept jours, par David Clerson, éditions Héliotrope

Raconter une tristesse d'aussi belle façon mérite qu'on s'y attarde. Ce court livre est franchement superbe.

La narratrice est une mère qui observe, qui accepte de laisser aller, de ne retenir rien ni personne. Si son fils revint, c'est qu'il était parti depuis longtemps. Son conjoint aussi, disparu depuis encore plus longtemps et sa fille, pourtant restée plus près, lui est presque devenue étrangère.

Ce livre sur les relations familiales a tout des autres livres que j'ai récemment lus, mais avec un ton complètement différent. Ceux-là parlaient de relations entre membres de familles où les mères sont souvent prenantes, intenses, dont l'emprise sur la famille est à la vie et à la mort. Ici, c'est le contraire. Cette femme raconte comment tous se sont éloignés sans qu'elle ne les retienne. Elle les a laissé aller, laissés vivre leurs vies. Restent d'eux les souvenirs et l'amour. Son fils vit tous les tourments, sa fille s'affadit. Seuls ses petits enfants, peut-être, la remènent au désir et aux possibilités de partager des petits bonheurs.

Cette voix suscite l'empathie par sa retenue. On comprend ses peines, tout en ressentant aussi bien qu'elle que la vie est aussi ailleurs, autour. Parce que l'environnement immédiat de cette narratrice devient un personnage. La forêt qui entoure son chalet, le lac, de plus en plus peuplé, et le chalet lui-même, qui n'a pas changé de génération en génération. Tout ça, on le sent, devient sa nouvelle raison de vivre. On aime parcourir la forêt avec elle. Les descriptions en sont fantastiques.

L'auteur décrit fort bien une solitude confortable. Il en parle avec un respect quand même assez rare. C'est ce qui fait que ce livre, qui pourrait vous laisser triste, a quelque chose d'apaisant. Cette histoire se passe doucement, comme la vie de la narratrice qui acceptera, elle aussi, que sa vie passe et la quitte.

C'est le ton de ce livre qui m'a plu, le calme de la forêt qui étouffe les cris dans la tête du fils. L'écriture de David Clerson est efficace, belle et invitante. J'ai bien envie de lire autre chose de lui. C'est à lire, tant sous la pluie que le soleil.

jeudi 3 août 2023

Grandeur nature, par Erri De Luca, éditions Gallimard

Ce recueil de nouvelles m'a attiré par son thème: les relations père-fils, mais aussi père fille, et d'autant plus que l'auteur dit que puisqu'il n'a jamais eu d'enfants, il est donc toujours resté un fils. Le un point de vue du "vieux" fils m'a semblé intéressant.

Les nouvelles sont courtes, sauf une, plus longue. Comme toujours dans les recueils, on aime chaque histoire différemment. La première m'a particulièrement plu, où il est question du peintre Chagall, juif bielorusse exilé à Paris, qui hésite à faire le portrait de son père. Faire ce portrait de mémoire ressucite justement des souvenirs confondants. C' une très belle expérience, d'autant plus que l'auteur interrelie cette histoire avec celle d'Abraham à qui son dieu lui demande d'immoler son propre fils, Isaac. Ces deux portraits apportent un regard original sur les relations entre un fils et son père. C'est érudit, mais facile à lire, et tendre, malré les apparences.

Les autres nouvelles vont dans différentes directions, d'une expérience personnelle de l'auteur au récit de Moïse qui entend une voix, qu'il identifiera à son père, puis à son dieu. Celle là est particulièrement belle. Ce n'est pas tant le contexte religieux que le symbole de la voix intérieure, de l'obligation d'être ou de faire on ne sait quoi sous l'influence d'une force qu'on ne sait où. Mais si un appel ou une voie est tracée par son père, ça rend tout plus évident. Mais est-ce pour autant plus simple?

Erri De Luca est un grand auteur, d'une grande expérience, et ça se sent. Ces histoires sont profondes, belles et portent à réflexion. C'est peut-être moi, mais il m'a semblé que la traduction était parfois ardue. Mais c'est peut-être la langue de l'auteur qui m'a forcé à travailler. Allez savoir. Mais rien de pénible. Juste un ou deux accrochages.

Bref, pour qui le thème est d'actualité, pour une raison ou une autre, ce livre plaira, ou sera à propos. Ce n'est pas un livre "de vacances", mais il ne contient rien de lourd non plus. Il offre une belle occasion de réfléchir un peu sur ce qui a bien porté la nôtre, de relation avec son père.

dimanche 16 juillet 2023

Ce que je sais de toi, par Éric Chacour, éditions Alto

C'est certainement une grande oeuvre, de celles qui méritent des prix et beaucoup de reconnaissance. Ce sera un titre dont on se souviendra, chacun à sa façon, et c'est là toute sa force.

C'est quand même étonnant que nous arrive, en assez peu de temps, une 2e histoire issue de la communauté libanaise d'Égypte émigrée à Montréal. Avec Alain Farah, on était à Montréal tout du long, avec une envolée vers La Caire à la fin. Avec Chacour, on est surtout au Caire, et ne serait-ce que pour ça, c'est un voyage totalement réussi tellement on ressent la ville. Avec Farah, encore, on était dans le total psychodrame, le mélodrame, l'anxiété extrême, les crises. Pas avec Chacour, où des scènes importantes se jouent derrière des portes closes et où ce qui n'est pas dit prend plus d'importance que ce qui se dit.

Dans l'un comme dans l'autre, aussi, les liens familiaux sont autant des bouées de sauvetage que des étaux qui broient leurs membres. Ici, Éric Chacour fait la démonstrration que l'honneur et la respectabilité ne sont pas des sentiments sur lesquels on bâtit toute une vie. Alors on veut bien croire que l'amour sera ce ciment, cette base, et on le croit longtemps, tout au long du livre, alors qu'on bascule entre amour filial et amour charnel. Mais par une fin habile, en une seule formule, l'auteur nous brosse un tableau de ce que peut être l'amour s'il n'est vécu que dans un seul sens.

Un autre exploit de ce livre, c'est de changer non seulement les atmosphères, mais aussi les tons. On commence par une histoire racontée au "tu", qui bascule ensuite au "il" pour se terminer, superbement, au "nous". C'est vraiment très beau.

Avec ce livre où chaque personnage vit avec une blessure, on ne voit pas comment tout ça pourra bien se finir. Il y aura des morts, on ressentira souvent des sanglots nous monter à la gorge pour toutes sortes de raisons, mais on tournera la dernière page avec un sentiment de paix, dernier exploit, et pas le moindre, d'un scénario 'une redoutable efficacité.

Ce que je sais de toi est écrit finement, avec des mots justes, beaucoup de philosophie, mais surtout beaucoup d'amour, soi-t-il destiné à une ville, un amant, une soeur ou un père. Ce livre décrit délicatement des orages dont on ne réussit pas toujours à s'habriter, de maladresses blessantes, et du désir commun de vouloir être aimé. C'est vraiment trs beau.

mercredi 5 juillet 2023

Le silence et la colère, par Pierre Lemaitre, éditions Calmann-Levy

Si ce titre ne révolutionne rien, ce livre confirme la décision de Pierre Lemaitre de nous offrir une deuxième trilogie de suite. En tout cas, ceux qui l'ont aimé ne seront pas déçus: c'est aussi bon qu'avant eet c'est loin d'être ennuyant.

Lire le cinquième livre d'un auteur, c'est sans doute comme vivre une cinquième année avec une personne. On a fait le tour de ses défauts et de ses qualités, et l'ensemble nous va. Lemaitre écrit toujours avec autant de vivacité, de fougue, et ses personnages sont toujours aussi vifs, leurs aventures toujours aussi hyperactives.

On dit de cette trilogie que l'auteur veut en faire un portrait d'une époque: les fameuses trente glorieuses. Pour moi, ce n'est pas tant l'évolution du temps que celle de personnages qui font les histoires de Lemaitre. Il y a défivitivement quelque chose d'un Balzac chez-lui. Les relations de chacun comptent, et les conséquences de chacune de ces relations aussi. Ici, c'est de l'amour, difficile, mais naturel, là, c'est de la soumission la plus malsaine qui soit et là encore, c'est une vengeance qui se déguste étape par étape.

Et quels personnages! Tout tourne encore autour d'une fratrie dont les parents tirent leur origine de la première trilogie de l'auteur. Parmi eux, Lemaitre a donné naissance au personnage féminin le plus immonde qu'on puisse imaginer, dont les intentions nous choquent, mais dont les réparties uniques nous font souvent pouffer de rire. Et les autres sont loins d'être banals. En fait, je sais pas pour vous, mais il me semble assez nettement que les personnages féminins ont une envergure particulière, soient-elles ignobles, acharnées ou aidantes, et ça ajoute beaucoup de piment à tout ce qui arrive.

Enfin, qu'il soit dit qu'avec Le silence et la colère, l'auteur a déplacé du début vers la fin l'habituel ouragan d'événements qui nous font nous tenir sur le bout de notre siège. Ici, ça commence plus paisiblement, mais ça se termine en un feu d'artifice de scènes qui nous confirment que justement, l'histoire n'est pas terminée. Il en reste encore un... et je ne bouderai certainement pas mon plaisir cette sixième fois!

lundi 29 mai 2023

Crépuscule, par Philippe Claudel, éditions Stock

La façon Philippe Claudel a encore fonctionné pour moi. Plus que jamais, même. Prenez une petite société fermée, inventez des personnages très typés, avec de gros traits, dans un environnement pas très confortable, et faites-en un conte qui raconte le monde, le nôtre, vu à travers le sien, celui de Philippe Claudel.

On est il y a un peu plus de 100 ans dans ce qu'on devine être quelque part dans les Balkans. Dans la petite ville, chrétiens et musulmans cohabitent depuis des siècles. Jusqu'ici tout va bien. Mais voilà qu'on retrouve le curé assassiné. Le policier, un drôle de type effacé mais vantard, besogneux mais lubrique, mènera l'enquête avec son adjoint, un gentil géant taciturne, pas très allumé, au lourd passé qui le rattrape parfois de vilaine façon. Qui a tué le vieux prètre qu'on n'aimait pas trop mais qui, mort, devient prétexte à toutes les suppositions? À cause de lui, certains en accusent d'autres, un autre meurtre suit, et vous pouvez imaginer que par la suite, ça s'emballe, et ça vous rappelle bien des situations actuelles.

L'hiver est rude dans cette histoire, les personnages aussi. Mais le printemps n'en est que plus beau, et les coeurs tendres aussi. C'est là tout l'art de Philippe Claudel, de raconter des scènes épiques et de décrire des personnages qui sont à eux seuls tout un roman. Oui, c'est glauque, et il arrive des choses odieuses, mais jamais on est dégoutés. Fascinés, oui, mais pas déprimés. Parce qu'encore ue fois, en lisant cet auteur, je suis plongé dans un univers de bande dessiné tellement les images qui m'habitent sont bien dessinées, rondes, avec de fortes couleurs. C'est tout à fait ce que j'aime: un voyage dans le temps, mais aussi dans l'imaginaire, et les émotions.

Comme dans ses autres histoires, on part avec l'impressions que dans cette petite ville, personne n'est vraiment beau ni bon, puis en même temps que la méchanceté, son contraire se révèle, une bonté pure qu'on rouve en fouillant bien. Alors malgré les scènes dures, à la fin du livre, on est tout retournés. BIen que triste, la scène finale nous réconcilie avec quelque chose comme de l'espoir. En tout cas, c'est ce que j'ai ressenti. Et je vous convie fortement à lire Crépusculem ne serait-ce que pour cette douce sensation, quelle qu'elle soit que vous ressentirez la fin.

Un beau, très beau conte, qui me fait rester fidèle à Philippe Claudel. Vivement un autre!

jeudi 4 mai 2023

Vivre vite, de Brigitte Giraud, éditions Flammarion

Certains livres vous font vous remettre en question. Avec celui-là, je me suis sérieusement demandé si j'avais du coeur, si je devenais insensible, bref, si j'avais un problème. Parce qu'il faut le dire: le livre me tombait des mains.

Ce récit est celui des derniers jours vécus par l'autrice avant le décès tragique de son amoureux en 1999. Elle revient sur les événements par une formule où chaque chapître est un pan de l'histoire qui aurait changé le dénouement s'il n'était pas arrivé, ou si quelque chose d'autre était survenu. Bref, Giraud écrit sur la fatalité. Elle profite de la description de chaque geste, chaque situation, pour pointer ces petits riens qui font la vie, ces grands coups qui la changent, les habitudes, ce qui bâtit la confiance, bref, une foule de choses qui, mises bout à bout, deviennent des souvenirs qui, eux, nous font tels que nous sommes devenus.

C'est bien, super bien écrit, et la fin est superbe, en un bel hommage à cet amoureux qui marque encore ses souvenirs et qui, l'a fait, elle, à travers l'histoire qu'elle a vécu avec lui.

Mais mon dieu que j'ai peiné. J'avais parfois l'impression d'une personne inconnue qui s'assoit à côté de vous et qui vous raconte sa vie difficile. À d'autres occasions, je tiquais sur le fait que lorsqu'elle parlait de leur enfant à tous les deux, elle disait "son fils", et non "le nôtre, notre fils". Cette impression que la narratrice se met de côté...

Et il y a eu cette impression générale de " mais pourquoi elle revient là-dessus puisque c'est arrivé il y a si longtemps? Pourquoi tant de tourments? " Bon. Bien des livres partent d'un fait vécu dans l'enfance, ou dans une période antérieure. C'est pas le premier. Alors pourquoi cette histoire, pourtant touchante et racontée sans flafla m'a tant tapé à certaines occasions? Étais-je dans le déni de la fin inéluctable, qui serait triste parce que mortelle? Peut-être, mais je crois avoir trouvé la vraie raison: avec Brigitte Giraud, qui a pourtant remporté le Goncourt avec ce livre, c'est quand même pas rien, j'ai atteint ma limite avec l'autofiction.

J'aime lire pour m'évader de la réalité, fut-elle passée ou présente. J'aime les histoires. C'est donc pas la faute de Brigitte Giraud, à qui je m'excuse bien sincèrement. C'est juste que là, les histoires écrites au "je"... faudrait que je prenne une pause.

mercredi 3 mai 2023

Stella Maris, de Cormack McCarthy, éditions Knopf

C’est probablement un livre de génie. Je le saurai à ma deuxième lecture. Parce que je devrai relire ce livre qui ne ressemble à rien d’autre.

Il s’agit d’une conversation entre un psychiatre et sa patiente. Il n’y a aucun décor, aucune action. Il lui pose les questions, elle répond.

Cette patiente prétend converser avec des êtres qu’elle seule peut voir. Le médecin l’interroge aussi sur une certaine tendance suicidaire. Or, tout sera remis en question: s’agit-il il de pathologies ou pas?

La patiente est mathématicienne. Son père fait partie de l’équipe qui a créé la première explosion nucléaire à Los Alamos. Dire que cette personne est intelligente est un euphémisme. Avec son intervieweur, elle remettra tout en question par ses réponses parfois acerbes, parfois émotives.

Les deux parleront du monde, de la vie, de ses origines, de son but, à travers mle spectre des mathématiques, de la science et de la perception du monde de ce personnnage singulier.

Oui, c’est un livre où on relit souvent des passages parce qu’on n’a pas compris. On se reprend, c’est difficile, mais on continue. Puis, on se rencontre que c’est probablement le but de ce livre, et à la fin, on est plein de gratitude et on est bouleversé, et secoué. Parce qu’en plus de penser le monde, McCarthy le provoque en s’attaquant à deux grands des tabous actuels. J’en suis certain: peu de pour et plusieurs contre, mais comme tout le livre, c’est brillamment mené.

Ce livre n’est pas encore traduit en français.

dimanche 2 avril 2023

Cabale, par Michael Delisle, éditions Boréal

L'homme est célibataire et mène une vie qu'il décrit en tous points comme ordinaire. Prof au cégep, il n'est pas plus heureux au travail que dans sa vie. Il a tendance à boire et sa vie sociale se porte au plus mal. L'histoire commence d'ailleurs par la relation ratée avec un collègue de travail qui aurait pu devenir un ami. Habile début.

Puis, surgit son père, rendu vieux. Père et fils ne se sont pas fréquentés depuis des années. Le paternel tentera de renouer avec ses deux fils, notre homme et son frère. Or, le personnage principal ne porte pas son père dans son coeur. Alors ce père, sans trop de scrupules et avide de reconnaissance, trouvera le moyen de gagner la sympathie de son autre garçon.

Aucune relation, dans ce court livre, n'est confortable. Tout est soit difficile, soit lourd, tant dans la vie professionnelle que personnelle du personnage principal, et on voit vite venir la cause de tout ça avec un père prodigue qui est loin de faire figure de héros.

C'est fou de constater combien Cabale est l'antithèse de Mille secrets mille dangers, d'Alain Farah, que j'ai lu juste avant. C'est facile de comparer les deux puisque chacun tourne autour de l'histoire d'un gars qui n'arrive pas à se défaire de l'empreinte de son père. Alors que Farah est dans l'expression pleine et puissante de sa douleur, de son mal être et de ses tares, le personnage de Delisle est dans l'effacement, l'absence de tout bruit, le repli sur soi.

Il faut dire que le style de Delisle est lui aussi toute en retenue. L'écriture est sobre, directe et efficace parce qu'on s'attache au personnage. On essaie de trouver avec lui d'oû pourrait venir une espèce de rédemption, ou de calme, que de toute évidence il n'arrive pas à trouver.

C'est mon premier roman de Michael Delisle. L'impression qui reste est bonne, mais pas forte, ce que je relie à la sobriété de son ton. Bon, faut dire que le sujet n'est pas spécialement ancré dans le positivisme non plus, mais il n'y a rien là de déprimant ou de triste. Juste un sentiment de ratage (celui de la vie du personnage, pas du livre), quelque chose qu'on a l'impression d'avoir déjà vécu et qu'on se plait à ne pas ressentir trop souvent. En tout cas, pas dans sa vie. Dans le livre de Michael Delisle, par contre, le sentiment est habilement rendu, ce qui en fait un livre réussi.

mardi 21 mars 2023

Mille secrets, mille dangers, par Alain Farah, éditions Le Quartanier

En terminant ce bouquin, je me suis senti en lendemain de veille, hang over, étourdi, pas vraiment bien physiquement, mais avec un sentiment que quelque chose de bon devrait prendre le dessus une fois l'inconfort terminé, quelque chose comme le souvenir heureux d'un moment fort. C'est un peu tout ça, Mille secrets mille dangers, un des livres les plus anxiogènes que j'aie lu jusqu'ici, mais que j'ai pris un plaisir presque masochiste à lire.

"Masochiste", parce que je m'étais promis que je ne me ferais plus prendre par l'autofiction. Or ici, elle est à la puissance 10. Le personnage principal a le nom de l'auteur, qui parle au "je" et raconte sa vie. Tous les souvenirs et événements passés aboutissent à son mariage, pivot du livre autour duquel tournent les flashbacks.

La construction du livre est excellente. De l'événement du mariage, on part vers un passé très proche, comme les quelques heures précédant l'événement, ou plus loin vers l'enfance du narrateur/auteur, et même celle de ses parents. Mises ensemble, ces bribes de passé créent le présent et à ravers elles, on comprend le personnage, on se l'approprie, tellement qu'on en vient à penser avec lui et ressentir les mêmes choses que lui.

Parce qu'en termes de "ressenti", Farah frappe fort. Si vous pensiez que votre entourage vous parlait souvent de ses angoisses, depuis quelque temps, ce n'est rien à côté de celles du personnage d'Alain Farah dans le livre d'Alain Farah. Ce gars-là est l'incarnation humaine de l'anxiété, et il a tôt fait de nous expliquer comment et pourquoi, à tel point que la sensation incofortable mais grisante d'un trop plein vous saisi au fil de ses malaises. En tout cas, c'est comme ça que j'ai lu ce livre: avec la nécesssité de prendre des pauses, et le désir de replonger dedans pour vivre encore d'autres scènes souvent très fortes.

Dans Mille secrets, l'amour n'est pas facile. C'est un sentiment qui se gagne à grande peines, mais lorsqu'il surgit, c'est un remède miracle, un jet d'air frais dans une pièce surchauffée, un calmant après une grande douleur.

L'écrite de Farah est efficace et dynamique. C'est ce style qui m'a fait fait tourner chaque page d'un livre que j'avais pourtant tout pour détester. J'ai attendu longtemps avant de le lire et finalement, j'ai bien fait. Pendant un bout de temps, j'ai cru à quelque chose comme Knausgaard, mais non, c'est bel et bien original, et qu'elle soit vraie ou pas, c'est une sacré histoire, et moi, les bonnes histoires comme celles-là, j'en redemande.

Âmes sensibles, ne pas s'abstenir, ne serait-ce que pour vous rendre comte que vous n'êtes pas seul dans votre fragilité. Fortement recommandé.

mercredi 22 février 2023

V13, par Emmanuel Carrère, éditions P.O.L.

Un écrivain devient journaliste et fait le récit d'un procès fleuve. Et ce qui est décrit comme une chronique judiciaire devient un récit. Comme l'événement qu'il a couvert, ce livre fera l'Histoire, avec une grande hache (...), pas tant à cause de ce qu'il raconte que de la façon dont c'est raconté. Il faut un grand écrivain pour rapporter un événement aussi puissant sans tomber dans le cliché, ou dans le pathos.

On aura parlé de ce livre principalement pour sa première partie, qui couvre les témoignages des "parties civiles", c'est à dire, des victimes survivantes des attentats du 13 novembre 2015, à Paris. Carrère couvre les événements du procès chronologiquement, pas dans son intégralité, mais dans ce qu'il a d'essentiel. Il relate pour nous les témoignages, mais aussi le ressenti qu'ils créent. Il décrit les gens venus témoigner, les forts, les intimidés, les résilients, les brisés. Mais parallèlement, étant sur place, il rencontre aussi des parents de victimes défuntes, des proches, d'autres journalistes, quelques uns des innombrables avocats qui ont chacun des bouts d'histoire à raconter. Il nous présente chacun, leur apport à ce qu'on pourrait appeler les "post-événements". Il y a les bons et les moins bons, les pertinents et les inutiles, voir même les imposteurs, et bien sur, les héros.

Puis viennent les accusés, leurs histoires, leurs affects. Sans les juger, Carrère les décrit tels qu'ils sont sur place, tels qu'ils se présentent ou se défendent.

Et c'est passionnant. De chronique judiciaire, ça devient vite une chronique de notre temps, de ce qu'il a de dur, mais aussi de possible. Parce que oui, il y a aussi de l'espoir dans ce récit.

Malgré tout, je ne cacherai pas que j'ai pris le temps de lire V13. Je l'ai fait par petites étapes parce qu'on le veuille ou non, c'est chargé d'émotions, mais qu'est-ce que c'est bon. Et ce qui fait que c'est si bon, c'est qu'on en ressort avec un désir de paix, tant pour tous ceux qu'on vient de connaître que pour le monde et pour soi.

Si vous hésitez encore à le lire, vous manquez quelque chose. Pour comprendre le monde, et peut-être même se réconcilier un peu avec lui, je vous le recommande vivement. Ce qui est raconté est dur à certains endroits, oui, mais c'est Emmanuel Carrère qui le raconte et franchement, vous pouvez lui faire confiance.

lundi 6 février 2023

Ça leur apprendra à sortir la nuit, par François Gravel et Martine Latulippe, éditions La courte échelle - noire

Classé dans la catégorie "Horreur" pour 9 ans et plus de la maison d'édition, ce livre raconte la découverte que font deux jeunes de 14 ans sur un chantier de construction. Quelque chose qui avait été enfoui a été déterré et un mystérieux personnage s'en rend compte. Il n'apprécie pas qu'on ait découvert cet objet et il le fera savoir aux deux principaux intéressés.

Pour qui lit peu de littérature jeunesse, ce qui frappe d'abord, c'est le contenant. Ce livre est un bel objet, avec une mise en page élaborée, où des pages ressemblent à des notes de dossier, d'autres à des feuilles de cahier, et d'autres sont écrites en blanc sur fond noir. Ajoutez des croquis, des cartes, des photos en noir et blanc et vous avez un texte bien entouré, où chaque page a sa personnalité. J'ai pensé aux enluminures des premiers livres de l'Histoire. Les moines copistes avaient sans doute la même intention que les éditeurs jeunesse de maintenant: attirer l'attention avec autre chose que simplement du texte. Dans tous les cas, ça crée de jolis résultats.

Quant à l'horreur, oui, c'est de ça dont il est question, mais pas de gore. Juste quelque chose d'horrible en toile de fond, qu'on devine au fil des pages. Ici, le mal est mal, sans demi-mesure. Les autres personnages, eux, nous sont sympathiques sans qu'on ait aussi à expliquer pourquoi.

Et on apprend des choses. Les auteurs font la part belle au travail d'enquêteurs de police, ceux dont on n'entend pas nécessairement parler lorsqu'il est question de chroniques ou de nouvelles judiciaires. Tout ça est d'ailleurs joliment formulé vers la fin du livre. Assez pour attirer l'attention de futurs enquêteurs en devenir.

Pour jeunes lecteurs qui aiment le changement, prèts à comprendre que le monde a sa part d'ombre, mais pas seulement. En fait, c'est avec de tels livres qu'on en vient à comprendre qu'il faut de tout pour faire un monde.

mercredi 25 janvier 2023

Le monde se repliera sur toi, par Jean-Simon DesRochers, éditions Boréal

Jean-Simon DesRochers confirme son style atypique et performatif avec ce roman. Ses courtes histoires qui s'enchevètrent les unes aux autres donnent ici un roman kaleidoscopique qui, curieusement, réussit à capter notre attention sans toutefois susciter de vives émotions.

Chaque personnage en emmène un autre. En 3 ou 4 pages, on a un tableau de la vie d'une personne reliée, de près ou de loin, à celle dont il était question dans le tableau d'avant et à celle qui suivra. Et ainsi de suite. C'est ainsi qu'on fait le tour du monde deux fois, via un tas d'endroits, où se parlent un tas de langues, et où se vivent des tas de situations. J'appelle ça "un roman de geek".

DesRochers parle de lieux pas nécessairement connus, fait des citations dans plusieurs langues, enchaine décors et personnages jusqu'à ce qu'une boucle se fasse, puis il repart dans une autre direction pour revenir ensuite aux personnages de départ. C'est par cette technique qu'il m'avait fasciné une première fois avec La canicule des pauves, et m'avait fait peur à en refermer le livre avant la fin avec Les inquiétudes, tome 1. Cette fois, il m'étonne moins, mais réussit quand même à capter mon attention. Le procédé est efficace. Cet auteur est un grand raconteur.

Toutefois, avec tous ces personnages qui ne font que passer, on développe peu de sentiments pour eux. Il y a quelque chose de clinique dans cette écriture, pas nécessairement froide, mais pas nécessairement chaude non plus. On veut voir où on ira ensuite, et comment, un peu comme on enchaîne les tableaux sur un jeu vidéo, ou même, comme on zappe d'une chaine à l'autre un soir où la télé hypnotise sans nous faire pleurer ni rire.

Attention le procédé demande une certaine concentration. Si on le reprend après un certain temps, il nous faut revenir un peu en arrière pour comprendre où on est, et pourquoi.

Tout ça fait un roman hors norme, mais facile à lire, captivant, mais sans nous faire perdre le souffre, coloré mais sans nous aveugler.

mercredi 4 janvier 2023

Rang de la dérive, par Lise Tremblay, éditions Boréal

C'est comme si quelqu'un de votre entourage proche vous faisait une révélation, vous informait d'une chose que vous auriez préféré ne jamais savoir. Entre la tristesse, la peur, l'émoi et la surprise, vous êtes désemparés. C'est le sentiment que je retiens de ma sortie du Rang de la dérive.

Écrivaine majeure que j'adore, Lise Tremblay me jette ce livre à la figure en me disant de me débrouiller avec lui. J'en ressort avec des émotions mêlées, sans avoir nécessairement pris de plaisir à le lire. Mais reste une intense fascination pour ces portraits de femmes qui ont en commun de vivre une fin de relation alors qu'elle sont en moyenne au début de la soixantaine.

Adroite dans son écriture, Lise Tremblay nous fait nous rendre compte qu'il est aussi difficile de lire la honte que d'en parler. Parce qu'il s'agit beaucoup de ça, mais aussi de réveils brusques ou les femmes racontées dans chacune des cinq nouvelles sortent de relations où un homme a pris trop de place. Quoi qu'il en soit, les constats que chacune font sont lourds. Sans parler de vies gâchées, elles constatent que de recommencer à zéro n'st pas si simple.

Bref, comme une confidence qu'on aurait préféré ne pas recevoir, ce livre ne laisse pas indifférent. Facile à lire, comme tout ce qu'écrit cette excellente autrice, il se révèle quand même d'une froideur presque clinique.

Devrait-on parler d'un public cible, dont je ne suis pas? Pas nécessairement. Ce serait condescendant, mais surtout méprisant. Ces portraits de personnes sans fards nous entourent sans aucun doute sans qu'on le sache ou sans qu'on veuille le savoir. Lise Tremblay nous les mets en pleine face, et on dira ce qu'on voudra, mais c'est réussi. J'ai préféré ses ouvrages antérieurs, mais peut-être que c'est celui-là qui m'aura le plus marqué.

Faut le faire.

lundi 2 janvier 2023

La shéhérazade des pauvres, par Michel Tremblay, éditions Leméac/Actes sud

C'est comme si Michel Tremblay avait fait un cadeau à ses lecteurs de longue date en ressortant un de ses anciens et illustres personnages. Il n'en fait pas moins un fleur au temps présent par la présence d'un autre personnage de notre époque, et c'est tout à son honneur.

C'est du bon, du beau Michel Tremblay, avec de l'amertume à la puissance 10, de l'auto-dénigrement, des moments magiques et grandioses, des épiphanies, des haines viscérales, et beaucoup de respect. Je l'ai lu d'une traite, et j'en aurais pris encore.

Premier ahurissement: Hosanna s'est retiré de la vie publique depuis presque 50 ans, et il vit toujours. Un apprenti journaliste l'a retracé et l'interroge sur son passé connu. Car si le connu a fait la part belle au personnage, l'inconnu le relègue à quelque chose de beaucoup moins beau, voir même, de scrap. En voulant se faire raconter un passé glorieux, le jeune enquêteur découvre un présent sans envergure et défait.

On pourrait croire à du "c'était mieux avant", mais non. On est plutôt devant du "j'ai pas pu". Ce manque d'envergure est récurrent chez cet auteur qui a sû raconter à sa manièere, à s'en faire aduler ou détester, l'histoire populaire de son coin de planète. De la fierté, oui, Claude, dit "Hosanna" en a encore, mais pas autant que de l'admiration, tant pour ce qui est (le jeune journaliste) que pour ce qui a été (lui et ses vieux amis). Chez Michel Tremblay, on se compare beaucoup avec plus grand que soi. On regarde par toutes les fenètres et on fuit les miroirs. C'est ce que chacun vivra, l'intervieweur et l'intervieuwé, le temps de quelques jours à se raconter.

Le cadeau à ses vieux fans, Tremblay le fait en bouclant la boucle au sujet d'une scène majeure d'Il était une fois dans l'Est, un film de son fidèle acolyte André Brassard, dont le scénario met en scène des personnages cultes de Tremblay, dont l'innefable Hosanna, Sandra, Manon, et bien d'autres. Vous ne les connaissez pas? Pas grave, vous verrez le fin de l'histoire autrement. Peut-être même la trouverez-vous encore plus belle parce qu'au bout du récit de cette shéhérazade des pauvres, il y a beaucoup de rêves, d'amour et de liberté, la vraie, celle nous fait nous sentir bien parmi les autres, celle qui nous pousse par en avant.

Un réel plaisir.