mercredi 31 mars 2021

Les avenues, par Jean-François Sénéchal, éditions Leméac Jeunesse

Chris est à peine au début de la vingtaine. Avec Chloé, ils ont un petit garçon d'un an qu'ils ont appelé Joseph. Dans Les avenues, Chris raconte sa vie avec Chloé et Joseph à sa mère, partie vivre à Vancouver lorsque son garçon a eu 18 ans. Chris n'est pas dupe, il sait bien que si sa mère est partie à ce moment, c'était pour ne plus vivre avec lui, son fils. Mais pourtant il aime cette mère sans commune mesure, il le lui dit de toutes les façons au fil de son récit. La vie de sa mère n'a pas dû être facile, et Chris dit comprendre la raison de son départ même s'il est, comme il se décrit lui-même, "retardé".

Il fallait beaucoup de tact et sans doute d'audace pour écrire sur ce sujet. Chris et Chloé vivent, on le devine, avec une déficience légère. Ils en sont conscients. La vie qu'il nous raconte dans ce contexte est ordinaire, remplie de petits bonheurs sincères, sans grandes attentes envers la vie, sauf peut-être celle du retour de sa mère, ou à tout le moins, de quelques signes de vie de sa part.

Or, voir la vie du point de vue d'un tel personnage nous fait voir le monde sous un autre angle. Pour Chris, les choses simples sont rassurantes, les moindres contrariétés sont sources d'angoisse. Ses sentiments sont hyper développés envers ceux qui l'entourent et qui l'aiment, et on s'étonne de sa presque indifférence devant des situations inconnues qui nous auraient bien fait chavirer. Pour lui, tout est blanc ou noir. Il n'y a pas vraiment de zones grises.

Quel personnage attachant. L'auteur lui donne une parole franche mais dépouvue de toute malice. Si ses réactions sont sanguines à certaines occasions, on comprend vite toute la charge émotive qui le pousse à réagir de la sorte. Et si on le voit touché par quelque chose d'anodin, on comprend aussi, au fur et à mesure de son histoire, que son système de jugement de valeurs est différent du nôtre.

Sénéchal nous apprend très habilement ce que c'est que d'être différent. Chris raconte des scènes d'intimidation vécues pendant son enfance, sa relation trouble avec sa mère désemparée, laissée seule à elle même avec un enfant qu'elle ne comprend pas. Mais il nous montre aussi la force de la solidarité. Chris et Chloé sont bien entourés et les personnages secondaires qui gravitent autour d'eux sont aussi attachants, et, il faut le dire, intéressants que le narrateur. Du papa de Chris à la mère de Chloé en passant par des intervenants ou des voisins d'une résidence pour personnes vivant avec des handicaps comme les leurs, on découvre un monde dont on entend très peu parler.

Les avenues est écrit avec sensibilité, mais aussi beaucoup de franchise. La place des personnes handicapées, leur sexualité, l'importance de services de soutien, les défis d'une mère célibataire sont autant de thèmes qui le rendent tout aussi recommendable pour un adulte que pour un adolescent. C'est une histoire écrite avec acuité et lucidité, qui, on le comprend, a sans doute demandé à son auteur de la recherche et beaucoup d'empathie. Les dialgues, entre autres choses, sont souvent savoureux. Tiens, j'aimerais bien lire un roman "pour adulte", c'est à dire adressé à un public large, de Jean-François Sénéchal. J'aimerais retrouver son imaginaire et ses mots dans un autre contexte.

Je suis heureux d'avoir eu l'opportunité de lire Les avenues, qui m'a beaucoup touché. Recommendez-le à de jeunes lecteurs, mais faites-vous plaisir en le lisant avant... ou après.

mardi 16 mars 2021

La mémoire est une corde de bois d'allumage, par Benoit Pinette, éditions La Peuplade Poésie

Je lis depuis si longtemps, c'est sans doute la première fois que j'achète un recueil de poésie. Il y a longtemps que je me dis qu'il le faudrait, que je devrais m'essayer. Il a aussi longtemps que je résiste. J'avais peur de ne rien comprendre, de rester insensible. Ah la la... Y'a des préjugés qui ont la couenne dure, je suis là pour en témoigner.

Mais j'ai fait un bon choix pour commencer à lire de la poésie. Chapeau bas à mon instinct.

Benoit Pinette est connu au Québec sous son nom de chanteur: Tire le coyote. Qui est captivé par sa voix le devient vite par les textes de ses chansons. C'est plein d'images de choses qu'on connaît pour parler de choses qu'on dit peu. Bref, c'est par ses chansons que j'ai osé me lancer dans ses textes pris seuls. Attention, il ne s'agit pas de textes de ses chansons.

Ce recueil en trois parties traverse trois périodes de vie et trois atmosphères. Bon ici, il me faut préciser: j'avance dans cette description comme dans une forêt vierge. Je n'ai aucune référence, aucun comparatif. Ce résumé est celui d'un lecteur de romans qui lit un recueil de poésie en entier pour la première fois. Tenez-vous le pour dit.

Ceci dit... j'ai adoré ça. En le feuilletant, j'ai constaté que chaque page contenait quelques vers, seulement quelques courtes phrases. Bref, je craignais la prose poétique. Je sais pas si je suis prêt...

Si le début du livre est dur, âpre, douloureux, même, la fin est lumineuse. L'auteur nous allume justemenet comme un feu de foyer, d'abord avec lenteur, en nous soufflant dessus, pour qu'à la fin on s'embrase.

On commence dans une enfance pleine d'angoisses, de peurs, puis, avec lui, on retrouve le calme. De peu d'amour, on passe à beaucoup. Et le plus beau, dans tout ça, c'est que grâce au peu de mots, on le ressent plus qu'on le lit. Si le roman nous décrit une sensation, la poésie nous la suggère, et c'est ce qui m'amènera à d'autres recueils. On lit plus doucement aussi, on respire entre deux pages, on en dévore trois ou quatre, puis on s'arrête. Puis on recommence.

Ouais bon, est-ce que ce sera toujours comme ça? Je sais pas. Faudra vraiment lire d'autres auteurs. Mais merci Benoit Pinette. Tu as emmené quelqu'un à lire de la poésie.

Terminons ça en beauté avec une de mes chansons préférées de Tire le coyote. Si vos ne le connaissez pas encore, ça vous donnera une idée. Si vous aimez la chanson... vivement les autres, et le livre!

samedi 13 mars 2021

Le dernier enfant, de Philippe Besson, éditions Julliard

Faut-il pleurer Faut-il en rire Fait-elle envie ou bien pitié? Je n'ai pas le coeur à le dire On ne voit pas le temps passer

C'est le privilège du blogueur de faire un lien entre les mots de Jean Ferrat et le roman de Philippe Besson, où il n'est nullement question de la chanson ci-haut citée. Ce sont seulement ces mots qui me viennent en tête à la fin de ce roman dont je ne sais trop que penser. Le dernier enfant se lit tout seul, facilement, parce que l'histoire est racontée avec limpidité et efficacité. Mais j'ai ressenti un tel malaise...

Celle quon raconte voit son petit dernier quitter la maison. Les parents vont aider fiston à emménager dans son petit studio, puis ils partent, lui disent au revoir, et reviennent à la maison. Elle, la mère, n'en revient pas d'elle même: elle s'effondre.

Jusqu'ici tout va bien. C'est un récit universel, on le sait. Toute mère a vécu ça, tout enfant a fait vivre ça à sa mère (enfin... sauf les Tanguy...) Cette femme s'apperçcoit que sa raison de vivre vient de la quitter. Alors, à quoi bon vivre maintenant? C'est là où nait mon questionnement.

Comme toute époque de la vie, celle-ci mérite pourtant d'être racontée. C'est un déchirement pour certains, le début de quelque chose pour d'autres. On a vu des mères touchées, mais qui s'en remettent parce que leur vie continue, elles ne sont pas que mères. On en a vu d'autres se désintégrer, plus on moins lentement parce qu'ayant mis tous leurs oeufs dans le panier de la maternité. Les deus modèles sont prétextes aux plus grandes histoires.

Celle-ci est très forte. Le déchirement est brutal pour la mère, qui vit ça sans que ça paraisse trop, tout en finesse, comme une mère sait faire pour ne pas blesser quiconque, comme elle a toujours fait. Besson entre dans la tête de ce personnage d'une façon étonnante. On dirait que c'est lui qui a vécu ce drame. Mais...

Provenant d'un milieu on ne peut plus "classe moyenne", cette famille n'a rien pour attirer l'attention. La mère travaille dans un commerce, ce qui est secondaire, pour elle. Autrement, elle fait les courses, la cuisine, le ménage, s'occupe des enfaits avec bonheur. Elle se sait un peu "trop", mais elle assume. Elle est bien là-dedans. Et son mari? Bah, son mari... Il est gentil, pas violent, me parle pas beaucoup, n'exprime pas ses sentiments, mais c'est un bon bougre. Ils vivent en banlieue, leur pelouse est impec, les haies sont bien taillées, l'intérieur est propre... bon voilà, moi, pour tout vous dire, ces trucs là m'énèrvent.

Parce qu'il y a matière à cliché, c'est indéniable. Si la peine est profonde, le vernis, lui, est trop lisse. Besson peint ici des personnages tellement classiques qu'on pourrait les décrire nous mêmes. Oui, ces gens existent... encore. Mais sont-ils nombreux? Sont-ils de cette époque? Sont-ils heureux?

Bref, je suis agacé et impressionné en même temps. Les sentiments décrits sont si précis qu'on les ressent sans aucun filtre, ils entrent droit au coeur. Ceci dit, à force, j'en suis venu à trouver leurs traits un peu trop gros, sans nuances. Mais bon, et si c'était vrai, comme dirait l'autre...

Besson est un grand chroniqueur de cette époque. Les autres livres de lui que j'ai lui m'ont parfois jeté par terre tellement ils dépeignaient précisément des personnages ou des situations qu'on s'efforce de ne pas voir. C'est peut-être ce qu'il vient de faire encore ici. C'est ambigüe. Peut-être dénonce-t-il un modèle de femme pour qui on ne peut rien, qui s'auto-détruit à la fin de la fonction "mère au foyer". Peut-être, aussi, honore-t-il le même modèle en nous faisant ressentir toute sa douleur.

Suis-je condescendant en disant que j'ai trouvé la fin prévisible? Il faut le lire pour le savoir, car ça en vaut la peine. Philippe besson est une valeur sure. Ses livres sont captivants. Faudrait juste que je sache jusqu'à quel point il a aimé son personnage, celui de la mère du Dernier enfant.

Faut-il pleurer, faut-il en rire? Pour ma part, je n'ai pas trop le coeur à vous dire...

dimanche 7 mars 2021

L'ami arménien, par Andrei Makine, éditions Grasset

Il est bon, au sortir d'un livre, d'avoir envie d'aller prendre un café ou un verre avec l'auteur pour qu'il vous raconte, qu'il vous parle, qu'il vous fasse entendre en direct ces images qu'il vous a imprimées en tête grâce à ses mots. C'est ainsi que je me suis senti au sortir de L'ami arménien, un livre touchant, qui raconte doucement la cruauté mais qui donne quand même l'envie de croire en l'humain.

Bien que décrit comme "roman" par l'éditeur, on devine ici un récit. Makine raconte l'épisode d'une amitié de fin d'enfance, alors qu'il vivait encore dans une grande ville russe. Le narateur, orphelin d'environ 13-14 ans, se lie d'amitié avec un jeune gars de son âge originaire d'Arménie, une partie lointaine de l'immense URSS d'alors. Cet ami vit avec les membres d'une petite communauté de la même origine que lui, installés temporairement dans cette grande ville de la lointaine Sibérie pour épauler des membres de leur famille qui y sont emprisonnés, en attente de procès.

Mais ce n'est pas une raison pour se faire un ami lorsqu'on a 13 ans. L'orphelin russe aime d'abord le caractère étrange de son ami, sa maturité, son stoïcisme devant les inévitables intimidateurs à l'école. Puis, c'est la découverte des gens qui l'entourent, de leur monde et de son histoire.

L'ami arménien raconte la découverte du monde, de l'autre, de la différence. L'adolescent narrateur est orphelin. Le garçon étrange qui deviendra son ami est atteint d'une étrange maladie et vit dans un quartier peu fréquentable et laid. C'est justement en entrant dans l'espace habité par cette communauté étrangère que l'orphelin découvrira des atmosphères inconnus, des attentions envers lui, une curiosité, de l'écoute. Il découvrira aussi un pan de l'Histoire relié au passé trouble des Arméniens. Il faut du doigté pour raconter l'horreur d'un génocide en quelques paragraphes. Andrei Makine y parvient le plus sobrement, mais efficacement du monde.

Le narrateur découvrira donc la cruauté, celle du monde, de l'époque. On pourrait parler de "cruauté systémique". Reste que c'est écrit par Andrei Makine, un auteur à l'écriture souple, fluide, et sans prétention. En terminant L'ami arménien, on est touché. C'est un livre court, mais très enveloppant dont on aurait aimé parler avec l'auteur. En attendant, vous avec ici une bonne entrevue d'une vingtaine de minutes d'Andrei Makine qui nous parle de l'Ami arménien, un beau livre que vous lirez avec plaisir.