dimanche 27 novembre 2011

Bicycle Diaries, par David Byrne, éditions Penguin


Plusieurs se souviennent peut-être du groupe Talking Heads, rendu célèbre dans les années ‘80 pour des succès hors normes. Puis, David Byrne a poursuivi une carrière de musicien et d’artiste visuel. En 2009, cette pieuvre artistique qui sait toucher à tout a publié Bicycle Diaries où il raconte ses visites de grandes villes vues du haut de la selle de son vélo. Ce mec devient de plus en plus essentiel.
Ce que je croyais être l’apologie du transport à vélo s’est avéré un recueil de voyage et un carnet de notes, de pensées sur ce monde. Berlin, San Francisco, Buenos Aires, Manille et New York sont quelques unes des destinations de Byrne. Chacune est prétexte à une réflexion, sur la densité des villes, sur la place de l’art dans la vie de tous les jours, sur le pouvoir des peuples, des individus, de l’union qui fait la force. Lumineux, Byrne décrit ce qu’il voit de son vélo qui lui donne cette vison à 380 degrés qui lui fait aimer les gens, le monde, qui lui fait tout regarder. De son vélo, David Byrne non seulement voit, mais entend, ressens, hume. Grand cri du coeur sur l’apprentissage de la vie ensemble, il explique sans juger, raconte sans moraliser. Plus témoin de son temps que ça...

David Byrne fait de la ville un habitat naturel. Là où vivent des gens, des choses bonnes, constructives, inspirantes émergent. Il en trouve partout, sans pour autant tomber dans la naïveté. Il constatera souvent les méfaits des travers de l’urbanisme laissé allé, des discours manipulateurs de peur véhiculés à tort et à travers qui ont fini par démoniser les villes pour glorifier les banlieues. Or voilà, David Byrne parle de vivre ensemble de la façon la plus naturelle qui soit, rassembleuse, créative. Il parle de quartiers avec des enfants, de maires visionnaires, de dictateurs honnis, et de gens rencontrés partout, des gens inspirants de tous les domaines.
J’ai lu les Bicycle Diaries avec bonheur. De telles voix sont absolument essentielles. Trop positifs pour avoir bonne presse, les Byrne de ce monde méritent pourtant l’attention de tous parce qu’ils parlent à tous. Ces chroniques n’ont rien de prétentieux ni de verbeux. Elles exposent simplement des idées, des “Et si on faisait ça...”, comme on s’en raconte autour d’une table avec des amis ou au coin d’un bureau avec des collègues.
Écrit en anglais, mes recherches ne m’ont pas permis d’en trouver une traduction. Dommage. Ces belles idées méritent de voyager dans toutes les langues.
Si vous lisez l’anglais et que vous croyez qu’il y a une façon de faire des villes un milieu de vie sain, plaisant et stimulant, mettez la main sur Bicycle Diaries. Éclairant, dynamique et réconfortant.

samedi 5 novembre 2011

La grande maison, par Nicole Krauss, éditions Boréal


Il y avait eu "L'histoire de l'amour", il y a quelques années. Nicole Krauss récidive avec la grande maison et j'ai encore craqué.

Quatre histoires se chevauchent. À première vue, on croit qu'on pourrait s'y perdre mais non. Dans chaque histoire traînent quelques cailloux des autres récits qui avancent en parallèle. Au centre de tout ça, il y a toutefois un objet commun: un bureau. Il se promènera de Jérusalem à New York en passant par Londres. Autour de lui, des personnages qui racontent leur vie ou un épisode et qui tous tournent autour de la même question: est-ce que je joue le bon rôle? Tout ça chacun dans leurs vies respectives. Et comme une spirale, comme dans "L'histoire de l'amour", tout se rapproche jusqu'à ce qu'on relie tous les fils.

Krauss écrit avec grâce. Elle ramène à la surface des choses profondes, fait poser par ses personnages des questions qu'on n'ose pas se poser soi-même. Oui, on parle un peu de tortures, de celles qu'on s'inflige à soi. Parce que voilà, côté auto-critique, di genre "je suis né; coupable" l'esprit juif s'y connaît. Krauss fait tremper ses histoires dans le passé et le présent de ce peuple encore considéré comme étrange, tant par les autres que par eux-mêmes. Ça pourrait sembler cliché, ça pourrait même taper assez sérieusement. On a beaucoup vu et lu sur un certain misérabilisme juif ces derniers temps, mais Krauss en traite autrement. En fait, chose rare, elle ne traite personne en victime des autres mais bien d'eux-mêmes. Aussi, inévitablement, ça vous rejoint. Que l'on traîne un héritage judéo-chrétien ou pas, on se reconnaît beaucoup dans ce qu'écrit Nicole Krauss.

J'ai hésité avant de me procurer ce livre parce que j'avais peur d'être déçu comme je l'ai été d'autres auteures féminines américaines qui, après un succès littéraire, sont ensuite tombé dans des espèces de fictions psychologiques vaguement freudiennes. J'ai retrouvé ça aussi dans ce livre. En fait, il s'agit de mon seul reproche: ces courtes scènes où l'auteure fait raconter leurs rêves à ses personnages. On dirait un tic d'écriture. Dans cette histoire en tout cas, les trois ou quatre fois où ça arrive, c'est à peu près inutile. À chacun sa religion, dirais-je... mais mis à part ça, La grande maison est un livre captivant qui contient des dialogues très forts, dont un en particulier où un un père parle à son fils, en fait ou il pourrait parler à son fils. Krauss fait dire à cet homme tout le non-dit, tous les mots qu'un père aurait pu dire à un fils... et qu'il ne lui dira jamais. L'approche est bouleversante, comme plusieurs autres scènes, dont la fin.

Nicole Krauss est sans contredit une grande auteure. Ses livres sont rares. Je ne lui en connais que deux et jusqu'ici, je ne saurais que la recommander.