dimanche 14 août 2011

Charly 9, par Jean Teulé, Éditions Julliard


Un roi de France mort à 23 ans. Déjà, le sujet promet quelques intrigues. Or, celles-là figurent sans doute parmi les pires que la France ait vécu. Charles IX, dont le règne fur marqué par le massacre de la St-Barthélémy, mourut un an plus tard à force de transpirer son sang. Sujet en or, traité ici façon "humour noir". Intéressant. Si l'histoire est horrible, franchement épouvantable, dirais-je, le style, lui, est quasiment débonnaire. Soit ça dédramatise, soit ça tape...

Tout ça commence de la meilleure façon: cour du roi, des dialogues truculents entre courtisans retors, politiques maniaques, une mère aussi malsaine qu'on puisse l'imaginer, et un roi qui serait resté sympathique s'il n'avait pas été si facilement manipulé. Et ça se termine par cette phrase qui restera attachée au personnage: "Tuez les tous!" Oui, mais comment ces mots-là sont vraiment sortis...? Vraiment Teulé joue bien avec l'Histoire. Son interprétation est théâtrale. À chaque tableau on voit la mise en scène, des chapeaux aux chandeliers, tout est à sa place, bien décrit. On entre facilement dans l'époque. Quant à savoir si chaque événement s'est véritablement déroulé comme décrit, on se permet d'en douter pour une seule raison: les dialogues, très, mais vraiment très "bandes dessinées". Rare qu'un romancier Français s'aventure autant dans les dialogues. Et ceux-là ne sont pas piqués des vers. Teulé rend chaque personnage extrêmement typé, non seulement par la description qu'il en fait, mais aussi et surtout par les mots qu'il leur met en bouche. Ici, les connétables parlent gras, les aristos sont mal engueulés, le roi jure comme un charretier. Non, on ne peut pas être contre, pas du tout même. Eh quoi, ces gens-là parlaient-ils tous comme des acteurs récitant Molière? Qu'on nous permette d'en douter. Teulé rend chacun très humain, souvent caricatural, mais on aime ça, c'est efficace.

Là où toutefois j'ai un peu accroché, c'est que l'historie de Charles IX est effectivement infâme. Le pauvre est mort honni de tous pour avoir été victime d'une cour vile, d'une famille de fous et d'une époque trouble. C'est à tout le moins ce que Teulé fait ressortir. Et à travers toutes ces vilenies, on assiste à la chute de la santé mentale du roi, qui va de folies en folies, et suscite par le fait même les commentaires méprisants, puis la haine, et ainsi va la spirale vers le bas. Or, l'auteur s'acharne beaucoup sur l'aspect "folie". Plusieurs tableaux exposent la perte de contrôle du roi, et ce ne sont pas les meilleurs. Là où on s'avance sur le bout de notre chaise, c'est lorsqu'entrent en scène les autres personnages, le frère complètement débile lui-même mais soutenu par sa vipère de mère pour succéder au roi, la mère, Catherine de Médicis, plus horrible que la plus hypocrite des créatures politiques que vous connaissiez, la soeur, la pauvre Margot qui danse avec la tête de son amant dans un bocal de formol. Vous voyez le genre? Très bande dessinée, et quelle bizarre d'impression de savoir que tout ça est tiré d'un fait historique!

Amateurs d'histoires de cours et de duchesses seront, à mon sens, déçus. Le traitement des têtes poudrées étant ici proche de l'impertinence. Quant aux amateurs d'histoires tordues, ils y trouveront un peu plus leur compte, tout en ayant peut-être parfois l'impression que la sauce s'étire juste un peu trop. Un bouquin à discuter en cercle de lecture!

dimanche 7 août 2011

Insomnie, par Jon Fosse, éditions Circé


Je parle souvent de voyages dans ce blogue, d'endroits visités par l'entremise d'auteurs. Ce sont parfois des mondes, parfois des contrées, des maisons, des têtes. Toutes ces destinations où Jon Fosse m'emmène, je les suis, les explore, les touche, puis j'en reviens dépaysé, étourdi, décalé.

Insomnie ne dure pas longtemps. Le voyage des deux personnages non plus. Ils ont 17 ans, et arrivent "en ville" après avoir quitté leur petit bled. Elle est enceinte, prête à accoucher et ils ne trouvent nulle place pour se loger. L'histoire vous dit quelque-chose? Celle-ci se passe en Norvège, dans une époque non définie, c'est la fin de l'automne et il pleut. En 100 pages ou à peu près, Jon Fosse souffle le chaud et le froid sur tout ça et réussit à trouver des trous dans les nuages les plus épais qui soient. On vit leur grande fatigue, on manque de souffle avec eux, puis on les regarde dormir.

J'ai trouvé encore peu d'équivalents à cette écriture. À ce que d'aucuns pourraient qualifier de poétique, je parlerai plutôt de lenteur, de mots sortis un par un, jour après jour. J'imagine une phrase à l'heure sorties d'images qu'envieraient n'importe quel producteur de cinéma, de réflexions, de contemplation du monde, des gens, du temps. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une écriture aride pour autant et recommanderais Insomnie même à quelqu'un qui lit peu. Si l'histoire peut paraître sombre, les personnages n'en sont pas moins lumineux. Et non, ça ne se passe pas à Oslo. Il s'agit ici d'une ville norvégienne dont je ne veux pas savoir si elle existe, de peur de la ramener sur terre. J'aime les images que je m'en suis faite. Même si Fosse n'est pas bavard, il sait dire les choses essentielles. Ses descriptions tant des gens que des choses sont sans équivoques, précises et rendent belles ce qui n'aurait aucune raison de l'être.

Pour vous dépayser, sortir du mouvement, vous évader ailleurs que là où vous n'êtes peut-être jamais allé et n'irez sans doute jamais. À lire doucement, à l'abri.