dimanche 20 septembre 2009

Tarmac, par Nicolas Dickner, Éditions Alto


Un conteur, un vrai, c'est rare. Un vrai conteur saura capter votre attention en saupoudrant l'histoire la plus ordinaire de succulentes incises, d'expressions imagées, de mots insérés juste aux bons endroits. Si on identifie plus souvent le conteur à la tradition orale, on le repérera aussi en littérature. Il s'agira plus souvent d'une plume narrative. Vous aurez l'impression qu'on vous parle, vous entendrez la voix de l'auteur. Il vous fera sourciller et rire. De toute évidence, Nicolas Dickner est de ceux-là.

Tarmac, même s'il couvre un vaste territoire géographique (bien que concentré en majeure partie à Rivière-du-Loup, au Québec, une ville qui, de toute évidence, ne paie pas de mine), n'est pas de la trame "road movie" de Nikolski, le premier ouvrage de Dickner. Avec ce dernier, on suivait un périple. Là, on est plutôt immobile. Plutôt que d'avancer, on observe, ou plutôt, on écoute car l'auteur sait donner du coffre aux personnages qui pourraient de prime abord nous sembler bien ordinaires.

Il est ici question de fin du monde, dans tout ce que le thème a de caricatural, souvent de grotesque, voir de pathétique. Mais voilà que l'obsession devient touchante, autant que Michel et Hope, les personnages principaux. Raconté au "je", Tarmac séduit comme un conte de Dickens ou d'Andersen en version moderne. Il happe.

Si au début j'ai cru à un roman sans trop d'éclat, je me suis vu embarquer dans son bateau. Il est de ces romans sans trop d'images qui nous bercent par la seul voix de l'auteur, par ces mots pétillants, ces petites remarques ou exclamations qui viennent épicer le récit, un peu comme le font un Échenoz ou un Jean-Paul Dubois.

Nicolas Dickner a, avec Tarmac, confirmé à ses fans qu'il est de l'étoffe de ceux dont on attend déjà impatiemment le prochain ouvrage. Encore!

lundi 7 septembre 2009

Cercle, par Yannick Haenel, Éditions Gallimard


L'envie de tout lâcher, de laisser là sa vie, son conjoint, son boulot. Laisser passer le train ou l'autobus un bon matin et s'en aller, lancer sa serviette dans le fleuve et errer ça et là. Se sentir libre. Voilà ce que suggérait la quatrième de couverture de Cercle. Tentant. Or, l'expérience fut diffficile, pour l'auteur comme pour moi, bien que concluante à certains points.

L'histoire commence à Paris, se continue à Berlin et aboutit en Pologne. Le mec se promène, vagabonde, rencontre un peu de monde et ô Lueur, découvre l'écriture. Alors le mec raconte son histoire, celle de son errance, de ses amours et surtout, mais alors là surtout, de ses pensées profondes. Loin de moi l'idée de reprocher à un auteur d'exprimer ses pensées, mais celles-ci peuvent devenir lourdes si elles sont accompagnées de tics d'écriture. Sur les deux cent pages et quelques du livre, de quarante à cinquante fois ai-je lu "Je me disais...". Il marche, pense à quelque-chose: "Je me disais...". Il est malade, ça va mal: "Je me disais...". À la longue, ça tappe un peu. Et c'est sans compter les quelques scènes de baise du style "tu la sens ma queue". Bon, ok, l'érotisme a sa place, mais dans Cercle, ça sonne un peu mal.

Et pourtant, le parcours du bonhomme est intéressant. Sa quête est celle de sa vraie vie, de la liberté au sens le plus personnel. Le narrateur cherche le bonheur, la voie, SA voie. Si sa quête est noble, sa façon d'y arriver est bonne parce que souvent anecdotique, mais la façon de la raconter laisse supposer une écriture en apprentissage. On dirait une bonne chanson, mais avec quelques accords faux. Intéressant, certes, foisonnant d'idées, absolument, mais peut-être un peu trop lourd dans sa forme.

Digeste, mais à petites doses à la fois.

dimanche 6 septembre 2009

The Road, par Cormac McCarthy, Éditions Vintage


Fréquentez-vous parfois les librairies anglophones? C'est un autre monde. On dirait un club vidéo. Les couvertures de livres y sont souvent affichées en format poster et les bouquins eux-mêmes exposent des illustrations aux titres immenses avec des images aux couleurs criardes qui rendent les rayons étourdissants. On dirait qu'on incite le consommateur à faire son choix en fonction de l'image. Curieux marketing.

En main, le bouquin, même s'il est énorme, est plus souvent qu'autrement incroyablement léger, d'une reliure toute simple et imprimé sur un support qui fait souvent penser au papier journal. Dernière chose qui surprend: le prix. En moyenne, un bouquin en langue anglaise coûte près de la moitié d'un équivalent (en notoriété) en français. On a entendu toutes les raisons de la part des éditeurs francophones pour invoquer ces différences, mais qu'il me soit permis de questionner le format. Oui, un bouquin de Gallimard, c'est joli, imposant, littéraire jusque dans sa parure. Mais si les formats étaient, dès la sortie, comparables à ceux des éditions en anglais, paierait-on un peu moins cher? Intéressant débat. En fait, j'espère qu'il s'agit toujours d'un débat. Le sujet semble tabou dans le monde de l'édition francophone. Vivement un nouveau débat public sur le prix des livres.

Ceci dit, prenons The Road. Il m'a fallu lire cet ouvrage, paru il y a deux ans, dans sa langue originale. Raison principale: rarement m'en a-t-on autant parlé dans mon entourage. Tant de gens l'ont lu avant moi, et autant m'en ont parlé avec tant de ferveur que je ne voulais pour rien au monde en manquer l'essence. Mon choix fut excellent, les références de mes amis aussi. Ce livre fera sans doute l'Histoire.

Un homme et son fils marchent sur une route. Ils sont seuls. Vraiment seuls. Il n'y a plus rien autour d'eux, de vivant, ou si peu. Quelque chose s'est passé dans le pays traversé par les deux personnages. Jamais McCarthy n'en fera mention. Il laisse à l'intelligence et a l'imagination du lecteur le loisir de mettre en scène les scènes précédant son récit. Parce que ce vide, ce rien, cette fin que l'homme et son enfant parcourrent, c'est tout simplement le personnage principal. Ici, espoir et désespoir se chevauchent, un faisant la place à l'autre, et nous transportent en montagnes russes. On atteint parfois lentement un sommet et survient l'espoir. Puis, on descend rapidement jusqu'au désespoir, l'estomac tordu, les doigts appuyés fort sur les pages aussi grises que la cendre qui recouvre tout.

Certaines scènes vous font fermer les yeux de tant de cruauté, d'autres vous bercent de tant de tendresse. Cette écriture est majeure, majuscule, dure, mais polie.

Il n'y avait pas besoin d'en faire un film. Les bandes annonces laisser présager une adaptation faisant fi de tout ce qui stimule, dans le livre, l'imagination et le désir d'avancer avec eux. Mais bon, j'imagine que si les paroles, et avec elles les images, s'envoleront, les écrits, eux resteront.

Époustouflant.