dimanche 22 décembre 2013

The Circle, par Dave Eggers, éditions McSweeney's/Knopf Canada

Mae avait une petite vie morne, un petit emploi de rien jusqu'à ce qu'elle se fasse embaucher à The Circle par l'entremise de sa grande amie Annie. The Circle emploie plus de 9000 personnes. La compagnie développe plein d'applications pour le Web. Elle génère entre autres 90 % du trafic des recherches (ça vous dit quelque chose?), vient de développer un système de paiement, et se soucie énormément de rendre le monde plus sécuritaire. L'accueil de Mae dans la compagnie est incroyable. Les gens sont gentils, souriants, affables. Des réunions de motivation, des gyms, des cafétérias santé partout, des activités sociales, des dortoirs: c'est le paradis.

La table est mise. The Circle raconte l'ascension des médias sociaux dans notre civilisation. Egger nous projette d'abord dans un monde connu puis, au fur et à mesure que ça avance, qu'il nous décrit les intentions et les réalisations de The Circle, on tombe dans une presque science-fiction qui nous fait nous demander tout du long: et si ça nous menait jusque là?

J'ai lu que d'aucuns ont décrit The Circle comme le prochain 1984. Relativisions. Si Orwell nous a donné une histoire fictive à sa création qui s'avère presque vraie 60 ans plus tard, avec The Circle, on espère juste que tel n'est pas le cas. Alors pour le côté fiction: oui, ça a quelque chose de 1984. Mais, Dave Egger n'écrit pas spécialement bien. Le style est efficace, sobre. Ça sent inévitablement le scénario de film. Mais ça demeure froid. Si certaines scènes donnent justement froid dans le dos, c'est que Egger réussit à nous faire transposer son histoire dans nos vies quotidiennes. En ce sens, c'est très "cinéma américain" et c'est réussi. Sociologiquement, c'est très fort mais du côté littéraire, c'est correct.

Le livre commence lentement. C'est même un peu exaspérant, cette découverte d'un monde idéal, de ce monde meilleur dans lequel Mae tombe. On la trouve bien naïve ou un peu conne. Mais arrive une scène surréaliste, et encore là possiblement réelle, où Mae est rencontrée par une dame des Ressources humaines. Oui, Mae travaille bien, mais elle ne participe pas suffisamment aux activités. Pourquoi? La dame expose aussi à Mai la nécessité d'en dire plus sur elle dans les réseaux sociaux offerts de la compagnie. Il faut la connaître pour qu'on l'aime encore plus, qu'on puisse s'occuper d'elle encore mieux. Mae entrera dans le jeu, toujours certaine que, comme l'indique la devise de la compagnie: les secrets sont des mensonges. Et voilà qu'après un petit incident, Mae devient "transparente", c'est à dire qu'une caméra permet de la suivre partout et que les données de la vidéo de sa vie de tous les jours sont archivées à jamais. Mae découvre l'amour de ses "followers". Elle en donne plus, on l'aime encore plus. Puis la compagnie poursuit son programme d'installation de caméras partout, pose des chips aux enfants pour assurer leur sécurité, etc. etc.

Bien sur, il y aura des septiques dans l'entourage de Mae. On tentera de lui exposer ce qui est en train de lui arriver. Le reste, je l'avoue, est hallucinant.
Oui, c'est gros. C'est très gros comme histoire, mais la part de réalité fait peur. Et il est habile de montrer combien l'égoïsme et le désir de s'exposer, de se faire aimer, peut devenir le cauchemar des autres, voir même, le symptôme inquiétant d'une société qui vit dans le paraître plutôt que dans l'être.

Si vous avez déjà publié plus de trois statuts sur Facebook ou que vous twittez allégrement chaque jour, il vous faut lire The Circle. J'espère seulement que vous ne croirez pas à cette histoire, car si vous y croyez, vous risquez de vous trouver un nouveau loisir. Si vous n'êtes pas de cette faune branchée et hyper-exposée, lisez-le aussi pour voir dans quel cauchemar certains de vos amis pourraient tomber. Soyez charmants, ramenez-les ensuite à la réalité.

Un cauchemar bien ficelé, réaliste, commercial, et inquiétant, En souhaitant que The Circle ne fasse pas l'histoire.

Le livre n'est pas encore paru en français.

lundi 18 novembre 2013

Le rapport de Brodeck, par Philippe Claudel, éditions Stock

Dans son village, Brodeck est le seul qui puisse écrire un rapport sur les derniers événements. Le seul étranger du village vient de mourir. Il faut le rapporter, et on mandate Brodeck pour le faire. Il s'acquittera de sa tâche de la meilleure façon qui soit, et pour cause. Brodeck est presqu'un étranger lui-même, et si l'autre est mort en victime du reste du village, Brodeck aussi aurait pu prétendre l'avoir été.

Dans le village, on parle un dialecte allemand. On s'apercevra rapidement qu'une grande guerre s'est terminée et que Brodeck y a survécu encore plus que les autres. Ce roman est fort parce que subtil. Jamais Claudel ne nomme un événement ni un pays. Seuls ses personnages ont des prénoms. Il nous laisse deviner le décor. Bon, oui, ça ressemble drôlement à l'Autriche, à l'Anchluss, à la seconde guerre mondiale, mais ne seraient-ce là que des prétextes pour parler de différence, de l'inclusion, de l'exclusion et aussi, et surtout, de la peur de l'autre? C'est fait finement. Très finement. C'est sans doute un livre qui vieillira très ben.

Dès le début, les descriptions de Claudel nous plongent dans une atmosphère très "Délicatessen", le film des années '90. Les personnages sont sombres, le village est reculé, les chaises et les portes craques. Sans être caricaturaux, les personnages sont très typés, et c'est parfait. Brodeck en est le meilleur exemple. Dans un village où tout le monde semble être coupable de quelque chose, lui seul semble "normal". Hors qui l'est vraiment?


Rarement ai-je lu un personnage aussi attachant que Brodeck. L'auteur lui a donné une voix qui m'est allé droit au coeur. Difficile d'être indifférent à ses propos. Et pourtant, oui, Le rapport... est le ixième livre sur le sujet de cette grande guerre. Celui-là est raconté sous la presque forme d'une fable. Son originalité réside dans son ton, très simple, presque naïf, malgré la dureté du propos. Brodeck vit entouré de la cruauté du monde. Tout le porte à condamner ce monde dans lequel il vit, ce qu'il ne fera pas, et ça, juste pour ça, pour l'aboutissement de ce livre, eh bien il faut absolument le lire. Pas besoin de vous dire combien j'ai aimé Le rapport de Brodeck. Je n'ai rien lu d'autre de Philippe Claudel, ne sait trop ce que je devrais lire de ses oeuvres antérieures, mais j'attends avec hâte ses prochaines histoires.

lundi 4 novembre 2013

Dernier voyage à Buenos Aires, de Louis-Bernard Robitaille, éditions Notabilia

Sachez-le d'entrée de jeu: ce titre est une totale imposture. Dans cet ouvrage, il n'est fait mention de Buenos Aires que dans trois ou quatre phrases, maximum. Ce livre se passe à Paris, totalement à Paris. Complètement. Bon ok, on y sort peut-être un peu à un certain moment donné mais dans votre vie de lecteur, peut-être n'aurez-vous jamais rien lu d'aussi parisio-parisien, s'il est permis de le dire ainsi. Faut aimer.

Le narrateur est un jeune américain qui va faire son apprentissage (à travers des études universitaires) à Paris dans les années 60. Le mec écrit, ou le prétend. Il fera la connaissance d'une belle Allemande qui le bouleversera. Elle lui fera connaître des gens, ils emménageront ensemble, elle lui racontera sa vie tragique.

Jusqu'ici ça va. Ce sont des souvenirs d'un amour de jeunesse racontés par un vieux beau, comme l'aurait dit Balzac. Vous me trouvez prétentieux de citer Balzac? C'est vrai, ça pourrait l'être. J'aurais pu vous citer ses personnages, des titres, vous faire état de ma culture. Robitaille, lui, ne cite personne mais Paris, ah Paris...

Jamais, et je dis bien "jamais" n'aie-je lu dans un seul ouvrage autant de noms de rues et de lieux d'une seule ville dans un seul ouvrage. Véritable Guide du routard nostalgique, ce bouquin fait l'étalage d'une connaissance quasi obsessionnelle du lieu qui l'habite. Dans le même paragraphe, ils habitaient telle rue, sont sortis sur telle place, ont emprunté telle autre rue, ont fait des courses chez tel marchand, pris un pot dans tel débit, puis suivi telle autre rue pour prendre telle station de métro... Ça me faisait parfois penser à ce récit de voyage qu'une connaissance vous fait à répétition de son voyage à Paris, plaçant ici et là des références géographiques ou commerciales de lieux qu'il ou elle a peut-être vue, mais qu'il fait bon, à son sens, placer dans une conversation. Le livre de Robitaille ressemble, en ce sens, à quelque chose d'assez bavard. L'auteur connaît son décor, qu'on se le tienne pour dit. Et ça paraît. En fait, on ne voit à peu près que ça.

Je crois que ce tic d'écriture se démarque parce que l'histoire est somme toute assez banale. La rencontre commence en coup de foudre. La fille elle est belle, puis elle s'affadit, il la délaisse, la trompe et elle disparaît dans l'éther de son charme mystérieux. À la fin, il se remémorera son époque avec elle à travers ses autres conquêtes. Un certain Don J n'aurait pas fait mieux.

Pourtant, c'est bien écrit, quoi que l'auteur ait décidé de faire un Saramago de lui-même en éludant la ponctuation à certains moments. Ainsi, les dialogues sont inclus dans un phrase où ils commencent par une majuscule. Pas que je sois particulièrement strict grammaticalement parlant, mais ce genre de caprice me tape. Un exemple: Imaginez que je cite quelqu'un qui vous dise Oui c'est vrai, il a raison. Voilà, ça se passe comme ça: une phrase dans la phrase sans ponctuation. À vous, lecteur, de deviner ce qui se passe. Moi ça m'énerve. Ajouté à une séance de name dropping de lieux et d'adresses, ça finit par ressembler à quelque chose de Jean d'Ormesson en un peu plus junior.

Mais soyons francs, les amateurs du Paris dans tout ce qu'il y a de plus carte postale jaunie, de souvenirs de cafés littéraires, du jazz ouvert dans la nuit dans une rue de Paris et son ombre qui nous suit... seront servis. C'est très, très Paris. L'avais-je dit? Une escapade en Allemagne vers le milieu du livre fait du bien, mais pas de chance, ils sont fauchés, alors il faudra bien revenir assez vite...

Bref, c'est bien écrit, je le répète. Robitaille a du style, oui, mais trop à mon goût.

jeudi 31 octobre 2013

Le sel de la terre, par Samuel Archibald, éditions Atelier 10

L'homme a écrit un premier livre, un recueil de nouvelles en l'occurrence. Arvida était excellent, nouveau, frais. Il a pour ma part, réanimé mon goût pour ce genre de courtes histoires. On a salué la qualité du livre qui s'est mérité des prix, à juste titre.

L'homme est prof d'université. Dès ses premières entrevues, on lui a reconnu un certain bagout. De tribunes médiatiques se sont alors ouvertes à lui. On l'a invité à donner son avis, à intervenir sur différents sujets. Bien.

Tous talents littéraires et talents polémiques confirmés, l'auteur revient avec un essai. À moins qu'il ne s'agisse d'un pamphlet... Je laisse ce débat aux puristes. Donc, Samuel Archibald, cette fois-ci, écrit en donnant son avis. En sous titre du Sel de la terre, on peut lire: Confessions d'un enfant de la classe moyenne. Pour ma part, c'était bien mal parti. Ce contexte ci-haut décrit me décevait. Que l'auteur d'un premier livre s'adonne déjà aux commentaires, bon, d'accord, mais sur un sujet aussi commun?

Oui, justement le sujet est commun, et c'est bien là ce que déplore l'auteur en 86 pages. Cette classe moyenne et tous ses dénominateurs communs est sollicitée de part et d'autre. On se l'arrache à grands coups de pub et de promesses électorales. Pourtant, aussi moyenne qu'elle puisse l'être, elle est principale en tout, monolithique, commune, bref, c'est un peu n'importe quoi... et c'est un peu-beaucoup vous et moi. En récupérant une expression "à la monde" dans l'actuel scission gauche-droite, Archibald dresse un portrait de la société québécoise actuelle qui a un effet miroir indéniable. Et le miroir est grossissant. En effet, cet ouvrage est québéco-québécois mais pourtant, membres de la classe moyenne de tous pays, il est fort possible que vous vous y retrouviez. Quoi que...
On reconnait la force des mots de cet auteur. Sa façon anecdotique de décrire des situations laisse deviner le chroniqueur, le fin observateur de société. Il fait bon se faire parler de soi par son grand chum. C'est un peu ce que "Le sel..." nos donne comme impression finale, bien que l'opinion du grand chum en question ne soit pas nécessairement des plus roses. Vers où allons-nous? Bougeons-nous seulement? En fait, qu'est-ce qui nous fait bouger, justement?

À un certain moment, Archibald y va d'une lettre d'humeur adressée à un animateur anonyme de "radio-poubelle" québécois. On sent là l'exaspération, voir le règlement de compte. Bien tournée, cette section n'est pas la meilleure. Bien sur, ces chroniqueurs semeurs de pessimisme et de défaitisme ne cherchent qu'à provoquer, et pour rien. Mais à quoi bon en ajouter? N'y a-t-il rien de pire que l'indifférence? J'ai préféré le regard nouveau qu'Archibald porte sur lui, ses proches, et par le fait même, le monde qui l'entoure. Ses références à des personnages ou des situations de l'enfance et de l'imaginaire québécois touchent en plein coeur. Vraiment pas ennuyant.

"Le sel de la terre", vous vous en douterez, c'est cette classe de gens dits "moyens" sur qui repose non seulement l'avenir, mais aussi, et surtout, le présent. Et si c'est si lourd, comment alléger tout ça?

Belle initiative que celle de la revue Nouveau projet de donner la parole et de susciter la réflexion par un moyen aussi ludique que l'essai "abordable". Cette série de courts essais est prometteuse. Il fait bon de se poser des questions et de constater des faits en souriant, voir en riant très fort, en même temps que de se faire brasser. Gentille claque, que ce Sel de la Terre. Maintenant, on veut un nouveau livre de Samuel Archibald. Fallait pas nous titiller comme ça sans soulever d'attentes...

Faites comme moi. Fuyez vos appréhensions pour le genre. Ça en vaut la peine.

lundi 14 octobre 2013

A Visit From The Goon Squad, par Jennifer Egan, éditions Anchor Books

Publié en français aux éditions Stock sous le titre de "Qu'avons-nous fait de nos rêves?", j'ai lu cet ouvrage de Jennifer Egan en anglais. Faut dire que le titre anglais était difficilement traduisible. Celui choisi en français n'est pas mal, mais la connotation vaguement ésotérique qu'il peut contenir est à mille lieux de l'atmosphère de ce livre. "A Visit..." est une autre de ces bombes américaines qui font de la littérature de ce pays un de ses meilleurs produits, voir LE meilleur produit culturel exportable. On est ici à des années-lumières du cinéma américain, à des trillions de kilomètres de la culture pop jetable qui vous vient de cette partie du monde. Et pourtant, ça se lit sur le bout de sa chaise, c'est bourré de personnages, de scènes improbables mais fortes, et loin du happy end, ça nous laisse sur un questionnement on ne peut plus sain: faut-il vraiment s'en faire pour l'avenir de notre société?

Le livre regroupe une dizaine d'histoires à première vue indépendantes l'une de l'autres. Différentes époques sont visitées, des années 80, environ, jusqu'à nos jours. Géographiquement, bien qu'on quitte parfois la Home of the Braves, on n'en sort pas vraiment puisque tous les personnages sont des natifs. Or voilà, on avance, et on découvre que tous sont reliés par un seul personnage. Celle-ci revient en hanter certains, en embêter d'autres, ou carrément en subir encore d'autres. La plupart sont du milieu du divertissement et des communications: relations publiques, producteurs de disques, musiciens, acteurs, toute la smala y passe. L'auteur n'habite-t-elle pas Brooklyn, (elle aussi), après tout? Mais c'est là le seul cliché qu'on puisse lui reprocher. Autrement, Jennifer Egan nous brosse un tableau de gens dont l'intérêt, le centre de leur vie, réside bien souvent au sein de leurs propres personnes. Mais qu'arrive-t-il lorsque d'autres vies qui leurs sont liées, qui pourraient leur servir, les aimer, les aider, qu'ils soient amis, parents ou enfants, deviennent des étrangers? Tous les malentendus ne seraient-ils tous pas dus au seul temps qui passe? Et si, enfin, certains vieillissaient mieux que d'autres?

Je le disais plus haut, certains tableaux sont forts, parce que menés par des originaux, mais aussi parce qu'ils sont exposés très crûment. Le plaisir de la littérature, par rapport au cinéma, c'est qu'il n'y a pas d'imbroglio au sujet de la psychologie des personnages. Dans un livre, on lit leurs pensées, on ne les devine pas. Elles nous sont montrées en pleine face. Les personnages de Jennifer Egan pourraient être tordus, mais ils ne le sont pas. Ils ont beau essayer de jouer un jeu, de se fabriquer une façade, comme les personnages qu'ils essaient parfois de jouer, ça ne prend pas. L'auteur nous montre leur vraie nature. La starlette insipide est peut-être plus brillante qu'il n'y paraisse; la communicatrice fonçeuse est peut-être plus vulnérable que ce qu'on perçoit d'elle; le chanteur sans ambition est peut-être celui à qui l'avenir sourira le mieux!

De l'ami qui apporte un poisson dans le bureau d'un vieux pote rendu célèbre, jusqu'au concert publicisé par un wannabe producteur qui utilise ses amis de médias sociaux somme véhicules publicitaires sans qu'ils s'en rendent compte, on assiste, à travers les mots de Jennifer Egan, à ce qui se passe dans les coulisses de la société américaine. On regarde derrière le vernis, on laisse tomber les masques et même si ce n'est pas toujours beau, c'est tout aussi fascinant que ce qui se passe sur scène. Egan a remporté le Pullitzer Price en 2011 pour ce bouquin. Ma foi, c'est amplement mérité.

À lire, pour se divertir et pour réfléchir en souriant... et en grinçant un peu des dents.

lundi 16 septembre 2013

L'ange du matin, par Arni Thorarinsson, éditions Métaillé Noir

Important: ce blogue est celui d'un amateur de littérature et de bonnes histoires qui préfère le roman et la nouvelle. Le polar: oui, parfois, mais je n'en suis pas un spécialiste. Voilà pourquoi je me sais particulièrement critique envers le genre.

C'est fou, mais à chaque fois, ce sont les failles du récit qui m'apparaissent en premier. À partir du moment où j'en ai détecté une, je reste agacé. Avec l'Ange du matin, la faille en question n'est ni dans l'histoire, qui est très bonne, ni dans le style, qui est très accessible. J'ai plutôt accroché sur certains détails, vous savez, de ces coïncidences qui font qu'on réussit à dénouer l'intrigue, de ces petits détails qui font la différence. Or ces détails sont parfois tellement gros qu'on se dit que bon, ben franchement, c'est un peu poussé.

Ça se passe en Islande, tant à Reykjavik qu'à Akureyri, les deux villes principales du pays. Le narrateur est journaliste et des les premières pages, l'homme se retrouve mêlé à un tas de trucs. Disons que sa vie est toute sauf ennuyante. Après avoir découvert une victime d'agression, il sera vite mêlé à l,affaire de l'enlèvement d'un richissime homme d'affaires. Ajoutez à ça l'agression de sa voisine, une dame âgée calme et discrète, et vous avez le portrait d'un personnage parfait pour ce genre de roman. Pas ennuyant, je le répète. Cet auteur connaît la musique, cet ouvrage n'est pas son premier. Aussi nous fait-il habilement nous questionner tout au long des enquêtes simultanées que mène le prolifique narrateur et personnage principal.

Le climat est sympa, en ce sens que le personnage est on ne peut plus cool. Exit le classique enquêteur un peu paumé, alcolo, bizarroïde et vaguement antisocial. Bon, celui-là est peut-être un ancien alcolo, divorcé et en fin de carrière, mais quand même. Son entourage n'a rien de glauque ni de mésadapté. L'action se situe en 2010, aux lendemains de la grave crise économique qui a frappée ce pays. Aussi est-ce empreint de désenchantement. Sans être tristes, les protagonistes sont fortement désabusés. Est-ce que cet atmosphère général serait prétexte aux crimes commis? À moins qu'il ne s'agisse d'actes gratuits? Là sont plusieurs de nos questions.

Pas simple, l'intrigue devient de plus en plus noire, mais pas glauque, ni lugubre, mais franchement noire parce que l'une des enquêtes mènera à quelque chose de stupéfiant. Amateurs de Walt Disney, s'abstenir. Princes et princesses en prennent pour leur rhume.

Les autres enquêtes n'atteindront pas l'intensité de celle-là, aussi se demande-t-on si l'ouvrage aurait été mieux servie si une seule enquête avait été menée au lieu de plusieurs en même temps. Les détails qui m'ont dérangé, ces indices qui m'ont semblé "un peu gros" n'auraient pas été si seule l'enquête principale avait mené l'action. Mais bon, l'Ange du matin n'en est pas à déconseiller pour autant. L'ensemble est actuel, ce qui, déjà, pour un polar, m'a intéressé. C'est collé à l'actualité de ce siècle. Les amateurs d'Islande seront servis puisque noms de rues, de places et autres noms propres locaux foisonnent. Ces noms ne sont pas faciles pour le lecteur francophone, mais assurent un dépaysement garanti, d'autant plus que l'excellente traduction d'Éric Boury est au rendez-vous.

Amateur de polars: dépaysez-vous!

dimanche 25 août 2013

Limonov, par Emmanuel Carrère, éditions P.O.L., collection Folio

Pour moi, Emmanuel Carrère, c'était d'abord L'adversaire. Une histoire très forte tirée d'un fait vécu. Ce fut ensuite Un roman russe, un récit tiré de souvenirs de famille, qui ne m'a pas happé aussi fort sans pour auttant me laisser indifférent. Maintenant, Limonov, l'histoire d'un bonhomme toujours vivant. Ce n'est pas une bio ni un roman. C'est primé du prix Renaudot (2011). Sa lecture m'a confirmé le pourquoi de cette reconnaissance. Reste que ce bouquin me laisse un peu froid.

Pourtant, le personnage est unique, voir incroyable. Issu de la Russie profonde et communiste, il deviendra membre de l'underground national, sera expatrié aux USA, fera tous les métiers, puis écrira sa vie et deviendra star littéraire en France. La première moitié du bouquin est un feu roulant, son personnage, fascinant. Puis, vers le milieu, Limonov déjante et tombe dans le militaire en pleine guerre des Balkans dans les années 90. C'est là aussi où l'auteur embarque avec, pour prétexte, ses fréquentations de Limonov, bien qu'à distance, pour causer aussi du milieu littéraire français et par le fait même, de lui.

Carrère possède l'aisance qui lui permet de voltiger entre la quasi-fiction et la réalité, entre le romancé et le documentaire. C'est parfois déstabilisant, d'autres fois sacrément pertinent, comme ces fois où il explique, en même temps que la vie de Limonov, l'histoire de la chute de l'URSS et l'avènement de la nouvelle Russie. Pourtant, là où je décroche, c'est lorsque l'auteur laisse supposer ses préférences. En racontant ainsi quelqu'un, il semble difficile de demeurer objectif. Comme Carrère n'écrit pas de biographies, ses ouvrages n'ont pas de distance avec leurs sujets. Carrère se permet de les faire siens, ces personnages, et de les décrire avec des opinions pas toujours franches, mais souvent assez claires pour nous laisser une impression. Limonv est-il un salaud, un égoïste, une victime ou un grand naïf? On peut se plaire à se poser ces questions tout au long du livre. Ça devient toutefois agaçant lorsque l'auteur nous suggère ses réponses.

Quant aux passages sur la carrière de l'auteur, ses parallèles et ses croisements avec la vie de son personnage, pour tout vous dire, ce n'est pas ce qui m'a plu. Or, voilà que je vois là prétexte à la reconnaissance des pairs dont il est justement question. Pourquoi ce livre a-t-il valu un prix à Emmanuel Carrère? Je ne saurais dire exactement. De toute évidence, cet auteur n'en est pas à son dernier ouvrage. Son succès est mérité, ses histoires sont captivantes, son style, clair. Mais de tout ce qu'il a publié jusqu'ici, Limonov me semble le plus ordinaire. J'utilise ici ce dernier mot par opposition à "extraordinaire", qualificatif que j'accorde volontiers à l'Adversaire, que je recommande à quiconque ne l'a pas encore lu.

Reste que la vie de ce personnage original fait une bonne histoire. Dernièrement candidat à la présidence russe, son avenir semble aussi incertain que tout ce qu'il a entrepris dans sa vie. Je dois donc à l'oeuvre de Carrère de m'avoir intéressé à un personnage qu'il aurait suffit de laisser seul, en faisant abstraction de toute considération personnelle. Je ne sais si Emmannuel Carrère continuera dans cette veine d'inclure sa personne ou celle de ses proches à la vie de ses personnages. Si oui, c'est là un beau défi que de rendre toujours intéressant un style aussi original. Parce qu'il y a un risque, celui de tomber dans une formule, dans un style qui puisse devenir tellement personnel qu'à la fin il devienne trop prévisible. À un auteur de talent, on ne souhaite pas ça. Limonov, c'était bien, d'accord, mais on s,attend à plus fort la prochaine fois.

jeudi 1 août 2013

Nuit noire, étoiles mortes, par Stephen King, éditions Albin Michel

J'ai constaté, à mes derniers articles qui traitaient d'ouvrages de Stephen King, combien cet auteur générait de circulation sur un blogue comme celui-ci. Aussi en parler rend presque nerveux. Le lire aussi, surtout lorsqu'il excelle. Et lorsque tel n'est pas le cas, on reste déçu. Pas choqué, juste déçu.

Nuit noire... contient quatre nouvelles. Si chacune dispose d'un décor différent, toutes se rejoignent dans le style très Stephen King, oui, mais aussi dans leurs prémices de base. Chaque histoire laisse entendre qu'en chacun de nous existe un "autre", avec lequel il faut composer, qui nous surprend, nous dirige, parfois, vers de tristes desseins. En fait, c'est un peu l'image de bande dessinée du petit ange et du petit démon qui se disputent l'assentiment du personnage. Vers qui tendre? Et à partir du moment où on a fait son choix, à quoi s'en attendre?

Si la première question laisse toutes les possibilités ouvertes, la seconde tend presque inévitablement vers le cliché judéo-chrétien: la bonne action mérite récompense, et la mauvaise, un châtiment. On est quand même aux États-Unis, avec King. En plein dedans, même, mais avec une touche toute particulière, la sienne. Prévisible, mais spectaculaire.

Première histoire: le Nebraska, un fermier qui tue sa femme, les voisins, les commérages. La métaphore est tellement grosse qu'on s'attend à quelque aboutissement complètement déjanté. En fait, ça se termine on ne peut plus sombrement,sans trop de surprise. Mais c'est gore. Très gore. Bon, mais laisse septique.

On est ensuite transporté en Nouvelle-Angleterre (le territoire de chasse de King). Une écrivaine (tiens tiens) donne des conférences dans des patelins pas trop loin de chez-elle. Sur le chemin du retour de l'une de celles-ci, elle se fait prendre dans un guet-appends où elle subit un viol. Son agresseur la laisse pour morte, or, elle ne l'est pas. Vengeance... Ici aussi, l'horrible, le laid, en fait, a beau jeu. Histoire classique qui, comme les autres vous tient tout de même captif. Jusqu'où ira-t-elle? À la fin, pourtant... non, pas encore.

Un homme atteint d'un cancer incurable rencontre un vendeur itinérant qui lui demande de lui vendre son âme en retour de quoi, il lui sauvera la vie. Si l'histoire semble banale, le traitement ne l'est pas, ni l'aboutissement de l'intrigue qui tient de la plus pure, de la plus puissante ironie. J'ai adoré celle-là, qui a quelque chose de grinçant, de critique, même. On y voit bien ce qu'on veut y voir. J'y ai vu une belle critique de la société de l'auteur.

On termine avec une dame qui découvre la vraie identité de son mari après 27 ans de mariage. Évidemment, c'est très laid. Elle devra s'en accommoder, jusqu'à ce qu'elle n'en peuve plus. Un peu prévisible, mais bien ficelé et tout aussi captivant.

Bref, c'est du Stephen King, maître de l'horreur. À la fin du livre, l'auteur s'explique dans une postface. Étonnant et à mon sens plutôt inutile. King nous y explique préférer les personnages ordinaires dans des situations extraordinaires aux personnages extraordinaires en des situations ordinaires. Intéressant. Maintenant, fallait-il vraiment se justifier de "faire de l'argent" avec son métier d'écrivain? Non. Pas à mon sens. Le talent, quel qu'il soit, n'a pas de prix. J'y ai vu quelque règlement de compte avec des commentateurs locaux.

Réconciliation avec Stephen King? À peu près, oui. Dans le genre, il reste un des meilleurs. À tout seigneur, tout honneur. Quant à tout lire de lui, là, c'est une autre histoire.

mardi 16 juillet 2013

Chronique d'hiver, de Paul Auster, éditions Actes Sud

J'ai lu ce livre alors que j'étais en voyage. Il y aurait beaucoup à dire sur les livres qu'on lit en vacances, en voyage, ou à tout autre moment déterminé et déterminant de notre vie. Sans contredits, l'ambiance, l'atmosphère dans lequel baigne le lecteur laisse son empreinte sur la lecture. C'est sans doute pour cette raison que je parlerai ici de la lecture lumineuse et touchante d'un livre prétentieux à juste titre.

La prétention tient au style. Je ne me rappelle pas avoir jamais lu un livre entier écrit au "tu". Une lettre, un texte court, oui, mais une telle chronique, jamais. Au début, on tique un peu, voir beaucoup. L'auteur se parle à lui-même. Paul Auster se raconte à lui-même. Il se regarde même tellement qu'il en utilise son corps comme véhicule par lequel il explique différents moments de sa vie. Comme s'il décrivait ce qu'il voyait devant son miroir. Fallait être culotté. Se parler à soi-même pourrait pourtant tenir du plus pur égocentrisme. Si tel est le cas, et ce l'est bel eh bien, c'est tout à fait réussi. À force de pages et d'anecdotes racontées sur tous les tons, des plus touchants aux plus comiques, Auster nous fait nous taire. On fait taire ces petites voix qui nous font nous demander pourquoi il raconte de cette façon, et on embarque comme on le ferait sur le bateau des sirènes, charmé. Quel tour de force!

Je constate que Paul Auster est un des auteurs dont je possède la plus grande quantité de livres. Et pourtant, ce que je vais affirmer là est épouvantable: j'en ai oublié la plupart. Je regarde les titres et pour plusieurs, je ne me rappelle pas tellement l'histoire. Attention, ceux qui sont restés sont pourtant gravés très profondément. Ainsi en va-t-il de Tombouctou, de la Triolgie new-yorkaise, et plus récemment de Sunset Park. Chronique d'hiver me restera longtemps parce que de tous les livres de Paul Auster, celui-là est plus vrai que tous les autres. Sa vie, sans être remarquable, a vu se succéder des épisodes couvertes par son regard sensible et ça, juste ça, mérite qu'il nous les raconte, ces épisodes du décès de sa mère, de ses premiers émois amoureux, de ses accidents, et de tout ce qui le touche, lui, l'homme observateur qu'est Paul Auster.

Son corps, Auster l'utilise donc comme prétexte pour raconter des époques, des anecdotes. Il utilisera aussi ses différentes adresses par lesquelles il nous dressera des portraits d'ambiance d'un endroit, d'une époque ou d'un sentiment. Vraiment, cette façon de se raconter est fascinante. J'ai souvent été ému, fortement ému, pas tant par le résultat d'une action que par son interprétation par son auteur. Lucide, sincère, on n'assiste pas là à un plaidoyer de déculpabilisation ou à quelque portrait lénifiant de sa propre personne. Non. Le mec assume ses forces autant que ses faiblesses. Américain jusqu'au bout, mais Juif, et maintenant New-Yorkais, le personnage séduit, parfois choque, mais au bout du compte, on, en tout cas, moi, je, j'aimerais bien prendre un verre ou deux avec lui, histoire de refaire le monde en sa compagnie.

Seul bémol: la traduction de certains termes. J'ai lu cet ouvrage en français sans penser à me le procurer en anglais, comme je le fais souvent pour les auteurs Américains. C'est dire combien, pour moi, Auster figure plutôt parmi les latins, les Européens. Et pourtant... Et pourtant, oui, il décrit les États-Unis des soixante dernières années et on se retrouve parfois avec des termes de football américain, de baseball ou même de vie quotidienne (Québécois, essayez de sympathiser avec un "bouillon de poule aux vermicelles", juste pour voir...) déformés. Je sais que certains régionalismes ont à voir avec l'environnement immédiat. Il y a toutefois matière à se poser des questions lorsqu'on sait qu'un peuple francophone, qui habite l'Amérique depuis plus de 400 ans qui s'est approprié dans sa langue quantité de termes issus du quotidien de cette partie du monde, ne mérite pas la considération de traducteurs d'outre-mer lorsque vient le temps d'adapter ces mêmes termes à un public francophone de tous les horizons. Moi, vous savez, un quarterback et une base de baseball, franchement, ça me sidère encore de lire ça dans un ouvrage en français. Mais n'ayez crainte. Quelque soit votre accent, Chronique d'hiver vous mènera par le bout du nez par le pouvoir des mots, de celui de raconter et de captiver, de divertir. Voilà de la belle, très belle littérature.

dimanche 9 juin 2013

Les désorientés, par Amin Maalouf, éditions Grasset

Je le savais, mais il y avait (trop) longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de m'en rappeler: Amin Maalouf est un excellent écrivain.

De Maalouf, je me rappelle des histoires épiques, surtout des récits de voyages à travers le temps et plusieurs contrées. Celui-ci est contemporain, le temps parcouru assez court, et les histoires qui le traversent sont superbes, diverses, et se rejoignent aux deux extrémités: au début et à la fin. Entre les deux, il y a un groupe d'amis d'université qui ont soit quitté leur pays en guerre, soit décidé d'y rester. Tous se sont séparés au début de la vingtaine. Voilà que le décès de l'un deux est le prétexte pour qu'ils se rejoignent en revenant dans leur pays d'origine quelque vingt ans plus tard.

Ce pays d'origine, Maalouf ne le nomme pas, par pudeur ou par respect. Or on le devine facilement grâce à la surprenante quatrième de couverture, écrite au "je", et qui commence par " Dans Les désorientés, je m'inspire très librement de ma propre jeunesse". Quelle excellente initiative.

Le féru de l'Histoire qu'est Maalouf nous fait visiter la sienne, à travers ce qu'il laisse supposer comme la fin d'une civilisation, celle des Levantins. Le sort mouvementé de cette partie du monde est raconté par les impressions d'enfants du pays. Chacun est d'origine différente, et comme on s'en rendra compte, cette différence vient de l'origine confessionnelle de chacun. Religion? Pas seulement. Un des personnages expliquera une fois que cette région est vieille, et que ce sont plutôt de vieux clans, voir des tribus qui continuent de s'affronter à travers des religions. Pourtant, tous vivaient là, ensemble, différents, dans un Babel qui fonctionnait. Leur groupe d'amis en était la preuve.

Mais le temps a fait d'eux ce que la société a voulu qu'ils deviennent. On retrouvera ainsi un prof devenu Brésilien, une hôtelière restée au pays, un moine chrétien, un islamiste, un écrivain devenu Français, etc. S'affronteront-ils au retour? Et comment regarderont-ils leur passé commun: en fonction de ce qui les a séparé ou de ce qui les réunissait?



Maalouf raconte tout ça d'une façon passionnante à travers un narrateur qui prendra l'initiative de provoquer la réunion des amis. Le livre raconte cette préparation, qui s'étend sur une période de 16 jours. Pendant ce temps, on connaîtra l'histoire de chacun des protagonistes, soit par évocation de souvenirs, de lettres et de courriels échangés.

Ce n'est pas tant comment chacun a vécu sa vie qui fascine que ce qui les a fait se séparer et se réunir. Maalouf raconte sans effusion, efficacement et très bellement. C'est une histoire d'histoires qui parle d'identité et d'amitié qui nous fait nous demander quelle est notre vraie place, et quel rôle nous jouons dans la vie des autres.

À la fin des Désorientés (quelle superbe titre!), on est surpris et surtout très ému. On croyait pourtant le narrateur proche de l'auteur...

Je n'adresserai qu'un seul reproche à ce livre. Peut-être est-il provoqué par l'auteur, peut-être par l'éditeur, je ne saurais dire... mais quelle désagréable manie que de publier des pans entier d'un livre en italiques. Ici, c'étaient les lettres du narrateur qui avaient le "privilège" de se distinguer graphiquement du reste du texte. Mais pourquoi? Pense-t-on que le lecteur ne sera pas capable par lui-même de faire la différence entre une lettre et la narration? Y'avait pourtant aucune raison de le faire, le livre est très bien écrit, très clairement. Dommage qu'on ait eu à se taper des pages et des pages de cette écriture penchée plus difficile à lire, pas vraiment belle lorsqu'elle fait plus d'un paragraphe. Personnellement, je limiterais les italiques à des titres ou des citations, pas à des portions longues de texte. C'est là une fantaisie à mon sens inutile qui rend ces pages difficiles à lire.

Mais pour le reste: chapeau à Amin Maalouf. Il m'a fait aimer ce pays et ces gens, son histoire... et son écriture.

samedi 18 mai 2013

On ne rentre jamais à la maison, par Stéfani Meunier, éditions Boréal

Un petit garçon de douze ans apprend avec stupéfaction que ses parents vont vendre leur maison, leur belle vieille maison de Montréal, avec ses mystères et ses airs qui en font, pour lui, la référence numéro un de sa vie. Or, il y a aussi sa meilleure amie, Charlie, une fille de son âge, qui décide avec lui qu'ils doivent percer ensemble le secret de la maison avant qu'elle passe entre d'autres mains. L'enquête n'est pas déjà commencée que Charlie disparaît.

Fin de la première partie. Début de la deuxième: le petit garçon a près de 40 ans et parallèlement à son histoire, on découvre celle de Clara, l'enfant que les parents de Charlie auront après la disparition de leur premier enfant. Cette dernière vivra dans l'ombre de la disparue qu'elle n'a jamais connue, alors que l'autre est lui aussi hanté par le fantôme de celle qu'il a fini par mettre sur un piédestal.

Belle, très belle histoire que celle de Stéfani Meunier. L'auteur s'est aventuré sur des terrains glissants, ceux de l'identité et de la disparition d'un enfant. L'amalgame donne un roman court où l'essentiel est dit et d'où il sort une lumière rare. Les mots sont simples, le récit aussi. Stéfani Meunier raconte une histoire le plus naturellement du monde. Ce récit pourtant chargé d'émotion est raconté de façon quasi pragmatique, et c'est ce qui charme et surprend. Il me semble ne pas avoir lu une telle simplicité d'écriture depuis longtemps. Moi qui aime les envolées et les histoires métaphoriques, je me suis laissé emporter par des voix si vraies que je les entendais presque.



Et l'histoire, qui saute dramatiquement d'une époque à une autre en plein coeur du livre, vous happe parce que racontée avec rythme en donnant la parole aux principaux personnages alternativement, de façon à vous tenir en haleine à la fin de chaque segment. Habile, aussi, la capacité de revêtir tant la peau d'une femme dans la vingtaine que d'un homme dans la fin trentaine. Chacun est pourvu de questions et d'expériences différentes, et l'auteur les rend aussi crédibles l'un que l'autre, sans parti pris. Pas évident, à mon sens.

On imagine toutes sortes de choses pour la fin de ce roman. Tout pourrait vraiment arriver. Et pourtant, j'ai été surpris, pas renversé, mais charmé par cette fin choisie et habile.

Vraiment une belle voix que celle de Stéfani Meunier. Je vous recommande cette histoire bien ficelée, bien racontée et franchement très belle à la fin de laquelle vous vous sentirez bien.

jeudi 9 mai 2013

Maus, par Art Spiegelman, éditions Flammarion

Ce blogue contient peu de classiques. Enfin... je parle de "classique" au sens de "qui a déjà fait sa marque" ou "dont la renommée n'est plus à faire". C'est une chaude recommandation d'un membre de mon entourage qui m'a fait lire ces deux recueils, Maus I et II, sans quoi, le septique un peu fatigué des histoires de shoah, thème maintes et maintes et maintes et maintes fois abordé en littérature, la plupart du temps du temps pour le meilleur, mais trop souvent pour le pire, aurait passé par dessus sans en demander son reste.

C'est le traitement du dessin qui m'a attiré. Dans cette histoire où un survivant des camps de la mort raconte son histoire, les Juifs sont des souris. Chaque autre peuple aura sa caractéristique animale propre. Peu de place pour les mélanges, ça va de soi. Spiegelman résout cette question par une interprétation personnelle. Ainsi, une Française qui n'est pas née juive sera souris. Il y a de quoi: c'est la compagne de vie du narrateur et auteur de cet ouvrage.

En plus de raconter l'histoire de son père, Spiegelman présente en parallèle l'histoire de la narration de ce récit d'un père à son fils. Aussi voyage-t-on régulièrement d'une époque à l'autre. Tout ça est très bien fait, sans perdre le lecteur, bien au contraire...

La force de l'oeuvre de Spiegelman est de réussir à raconter une histoire passé et de démontrer en même temps ce qu'il en reste au temps présent. La mémoire joue ici un rôle central, pas qu'elle soit glorifiée, mais elle s'impose. Certaines choses ne s'oublient pas, ne disparaissent pas. Certaines choses nous font, nous forment, pour le reste de notre vie et c'est souvent ça le drame. En fait, les Maus nous font comprendre une grande part de l'âme d'un peuple. Sans que les générations actuelles aient vécues le drame historique d'il y a quelque 70 ans, il n'en demeure pas moins qu'elles en subissent encore peut-être les conséquences, bonnes comme mauvaises. Tel est le constat du narrateur, exaspéré par les comportements d'un père du genre maniaco-obsessif qui a vécu sans doute les pires affres, mais pris lui aussi avec ses doutes, ses tiraillements. Il comprend et supporte à la fois ce père difficile à comprendre et à supporter.



Que cette histoire soit racontée avec des dessins et des phylactères ne la rend pas plus facile pour autant. À tout le moins stimule-t-elle plus, pour ne pas dire "mieux", notre imaginaire. L'anthropomorphisme ajoute aux sentiments qu'on éprouve à l'égard des personnages. Et chaque animal se ressemble. Mis à part ses vêtements et accessoires, chaque souris ressemble à aux autres. Aussi on se rend compte que finalement, c'est bel et bien un peuplequ'on raconte, et non des individus. Le dessin n'est pas spécialement beau. Pas qu'il soit laid, mais c'est sans artifice, quoi qu'on s'attache vite aux petites bêtes dont l'auteur sait nous rendre les tréfonds de l'âme par d'habiles coups de crayon. Les images les plus dures (et certaines le sont particulièrement) passent-elles mieux de cette façon? C'est possible. Elles ne laissent pas indifférent pour autant. Ainsi, à un certain moment donné, les personnages prendront "tête humaine" et porteront des masques d'animaux. À nous, lecteur, de s'en faire une interprétation.

En bref, tout, dans Maus, est matière à réflexion, parce que plus que l'histoire d'un simple fait historique, il nous fait penser à ce qui advient après, à ce qui arrive maintenant, et à ce qui pourrait bien arriver ensuite.

Très, très fort. Un classique, quoi.

mardi 7 mai 2013

Le coeur de l'homme, par Jon Kalman Stefansson, éditions Gallimard

"... les mots produisent certains effets sur les gens, tu devrais le savoir, surtout lorsqu'ils sont écrits, en réalité ils entrent au plus profond de toi et ne te laissent plus aucun répit, c'est difficile, et pendant ce temps-là on doit continuer de vivre sa vie comme si de rien n'était."

Voilà, je crois que tout est dit. J'ai cru bon retenir cette portion de texte parce qu'elle résume non seulement l'état du lecteur amoureux des mots de Jon Kalman Stefansson, mais aussi l'essence même de ce que sont les trois livres qui racontent les aventures du personnage principal appelé "le gamin". S'il frôlera la mort régulièrement, il la côtoiera tout autant, ce qui lui fera d'autant plus apprécier la vie. On le verra devenir ce qu'on voudrait qu'il devienne. On lui souhaitera de pouvoir pousser tout ça plus loin, son talent, son amour. Mais la mer est encore là, jusqu'à la dernière page...

Cette épopée se passe dans l'Islande des premiers bateaux à vapeur. Dans le premier livre, un homme trouvait la mort à cause d'une distraction causée par une lecture. Cet homme était un pêcheur en haute mer, comme d'ailleurs la plupart des personnages. Ces contradictions apparentes donnent une idée des romans de Jon Kalman: dans des décors durs, vivent des âmes douces. Ne jamais se fier aux apparences.

Dans Le coeur de l'homme, le troisième d'Une trilogie, le second opus étant la tristesse des anges, un capitaine fort et fier périra dans son bateau avec son chat, son amante veillera à s'affranchir des jugements de la société qui l'entoure, et le gamin sera confronté à deux types de vagues: celles de la mer glaciales, et celles de la société bien pensante. Des scènes fortes se succèdent ici aussi, mais au contraire des deux livres précédents, l'action se déroulera cette fois en majeure partie dans un village, en un milieu qu'on pourrait qualifier "d'urbain".

Cet auteur décrit d'une façon onirique les paysages les plus déserts, rend diserts les êtres les plus renfrognés. Il décrit un monde fascinant, souvent terrifiant, dont on ne sait s'il tend vers le bonheur ou le malheur. Cette écriture est respectueuse du lecteur parce qu'intelligente et franche. On a beau frôler la poésie, on peut quand même être compréhensible. Je sais, c'est un peu fort d'écrire ça, mais vous lisez ici le commentaire d'un lecteur avide de beaux mots et de bonnes histoires pour qui la poésie pure n'a que rarement opérée. J'associe souvent poésie avec art contemporain. J'y vois souvent des énigmes que seule de rares initiés parviennent à déchiffrer. Or, on dirait que l'amalgame de descriptions que je m'avance à décrire comme "poétiques" avec l'atmosphère d'un roman à l'histoire on ne peut plus concrète et tangible, eh bien ça fonctionne. Jon Kalman est de la famille des Barrico, Saramago, Kundera, Fosse: ces auteurs racontent en peignant. Chacun de leurs mots, chacune de leurs couleurs sont francs eet franches. Les romans de l'Islandais se déroulent dans un pays rude que ses mots transforment en terres parfaites pour des histoires de quêtes de bonheur, de la vie, de sa vie. Pas besoin de me demander si j'apprécie...

"Rien n'est difficile lorsqu'on est libre", dira une des personnages du Coeur de l'homme. Sa seule quête vaut à elle seule le livre, et pourtant, elle n'en constitue qu'une petite partie. Plusieurs autres sont à découvrir.

Si vous avez déjà lus Entre ciel et terre ainsi que La tristesse des anges, installez vous confortablement et partez en voyage avec Le coeur de l'homme. Et si vous ne connaissez pas encore Jon Kalman Stefansson, sachez seulement que sa seule lecture aurait pu, à elle seule, justifier la tenue de ce blogue.

Et encore, à souligner, l'exceptionnelle et juste et remarquable qualité de la traduction d'Éric Boury, sans qui ces superbes histoires ne seraient pas parvenues jusqu'à nous. Quel superbe travail.

Pourvu qu'il y en ait d'autres, avec ou sans "le gamin".

mardi 26 mars 2013

Hollywood, par Marc Séguin, éditions Leméac

Un homme vit à New York. Il rencontre un femme. Après deux rencontres, elle tombe enceinte. Immigrante, elle a vécu la guerre à Sarajevo. Elle meurt d'une balle perdue en marchant dans une rue du New Jersey. La table est mise pour Hollywood. Pas que je n'aurai pas essayé, mais franchement, rien, de cette table qui avait pourtant l'air bien garnie, n'est passé.

Le narrateur est en deuil. Il errera une journée durant à travers les rues enneigées de New York. La neige, c'est qu'on est quand même le 24 décembre. En fait il ne le dit pas comme ça, mais bon... passons.

En deuil, donc. Le narrateur se rappelle la morte. Il la décrit, essaie de la placer dans sa vie, et il en parle. Et il en parle encore, la cite. Chaque page contient au moins une citation de la femme morte accidentellement. Pas qu'elle était exceptionnelle, ni lettrée, ni grandiose, mais le narrateur la cite, constamment, encore. Tiens, là, une autre autre fois. Comme elle disait... et c'est reparti. L'histoire? C'est un peu celle de la morte, mais attention, ce n'est pas tout, parce qu'en fait d'histoire...



Le narrateur avait un ami d'enfance dans son Québec natal. L'ami en question, d'origine ukrainienne, deviendra soldat, puis astronaute. Rendu dans les guerres yougoslaves des années 90, il violera une jeune fille et s'en voudra tellement qu'une fois rendu en orbite parce que devenu cosmonaute, il se détachera et se laissera mourir en flottant dans l'univers. Or, ça arrive ce 24 décembre. Les médias en parlent, Et l'autre qui est morte et voilà, la victime du repentant qui maintenant, flotte, c'était elle. Le narrateur savait tout ça, et le voilà doublement en deuil un même soir.

Parfois, pour x, y ou z raison, on passe à côté d'un livre. Hollywood est un de ceux-là. L'invraisemblable de l'histoire additionné à l'espèce de culte rendu par le narrateur à son ex assassinée en la citant sans arrêt, comme s'il se souvenait de chaque syllabe qu'elle avait prononcé de son vivant... tout ça m'a exaspéré. Je me suis rendu jusqu'à la fin où j'ai bien cru mourir moi aussi...



J'ai lu un livre qui m'a semblé inachevé parce que pas révisé. Drôle d'impression, je sais, mais c'est pourtant ce que j'ai ressenti pendant la majeure partie de ma lecture. Mais qu'est-ce qu'un éditeur peut invoquer pour laisser un livre comme ça, pour le prendre tel quel et l'envoyer dans l'espace? Mauvais jeu de mot? Ouais, sans doute. C'est ce qui me reste d'Hollywood. Du cynisme. S'il y avait quelque chose à comprendre, rien, de son scénario ou de son écriture, ne m'a incité à m'y plonger. L'écriture est saccadée. Pas mauvaise, mais elle ne coule pas. Peut-être colle-t-elle bien à la torture vécue par le narrateur. Mais pour le reste et dans l'ensemble, c'est une écriture sans distinction, sans épice pour relever la sauce. Simple, mais difficile, parce que grise.



Dommage, mais non. Pas du tout.

jeudi 21 mars 2013

Telegraph Avenue, par Michael Chabon, éditions Harper & Collins



Je ne sais s'il ne s'agit que de mes seuls choix, mais j'ai tendance à croire que la littérature américaine traverse une époque formidable. Avec un cinéma qui ne nous apprend plus rien sur ce grand peuple, avec un produit culturel populaire envahissant et désespérément répétitif, des romanciers se faufilent et se démarquent en utilisant ce que la plupart des "majors" américains n'ont plus: la liberté de dire.



Michael Chabon s'inscrit parmi ces électrons libres qui dressent des portraits de ce qui se passe en des endroits et des époques dont on ne sait rien ou très peu. Telegraph Avenue est une rue d'Oakland, une ville californienne dont les standards américains actuels ne se nourrissent pas vraiment. Or, dans les années 70, c'est là où ont milité les Black Panthers, qui a prônaient l'utilisation de la violence pour parvenir à la reconnaissance des droits des Afro-Américains. Si l'action de Telegraph... se passe de nos jours, elle puise beaucoup dans cette époque trouble, et c'est passionnant.



Or, si l'histoire est enlevante, le style de Chabon, lui, mérite d'être mentionné. Michael Chabon a une écriture que je décrirais comme "rococo". Avec lui, ouvrir une porte et entrer dans une pièce peut se faire pendant trois pages parce qu'un geste peut faire penser à un autre exécuté il y a quelques années où il y avait quelqu'un qui fait justement penser à ce personnage tiré d'un film où il faisait quelque chose qui... etc, etc. Vous voyez le genre? Au début, c'est exaspérant. Telegraph... n'est pas mon premier ouvrage de cet auteur et à chaque fois, je me fais prendre. Les 50 premières pages sont pénibles, c'est comme trop, on ploie sous les mots et les références à toutes sortes de choses. Puis, arrive une scène, un genre de miracle à mi-parcours, une phrase-fleuve de 10 pages où le vol d'un oiseau résume l'histoire, les ambiances, les enjeux, dans des mots truffés d'images qui vous font vous approprier tout ça et paf!, on est lancé, la table est mise, et on lit le reste sur le bout de notre siège.



En termes de personnages, ceux de Chabon ont quelque chose de balzacien: des gens du peuple, à première vue ordinaires, mais qui s'avèrent de plus en plus typés, voir carrément atypiques au fil de l'histoire. Ici, deux gars possèdent une échoppe de disques vinyles. Or, un développement commercial est prévu. Un bon vieux centre d'achat menace de les déloger. Leurs épouses respectives sont sage-femmes et travaillent ensemble. Le métier est respecté par la clientèle, mais pas particulièrement par la gent hospitalière... Ajoutez au tableau qu'un des deux couples est Noir, l'autre Blanc, que personne ne roule sur l'or, et que certains cachent des squelettes dans leur placard, et voilà: bienvenue à Telegraph Avenue.







Ce livre aborde plusieurs tabous dont celui des relations raciales, mais aussi du pouvoir de l'argent et de la sortie de l'enfance, de la découverte du "vrai monde". En fait, il est beaucoup question de justice, de qui la possède et surtout, de qui y tient, qui en profite, qui en est victime.



Si la fin n'est pas spectaculaire, certaines scènes du livre le sont. Vous serez choqués, très même, parce que rappelez-vous qu'il ne s'agit pas d'un film américain, mais du roman d'un auteur libre et sans contraintes. Exit le politiquement correct. Chabon écrit sans aucune retenue et s'il choque, il ne fâche pas, et ne raconte rien gratuitement.



J'ai lu Telegraph Avenue dans sa version originale en anglais. Si vous vivez du côté américain de l'Atlantique et que vous êtes familier avec l'anglais, je vous suggère de vous méfier d'une traduction en français qui risque d'édulcorer passablement l'ambiance, avec des mots d'un argot d'un autre continent. Mais quand même, je donne une chance à la version française à paraître, et qu'importe la langue que vous choisirez, je vous recommande Telegraph Avenue chaleureusement.

dimanche 17 mars 2013

L'art français de la guerre, par Alexis Jenni, éditions Gallimard

J'ai découvert que cet ouvrage s'est mérité le Goncourt en 2011 en préparant ce message. Heureux de constater qu'aucune publicité supplémentaire est venu altérer ma perception du livre avant même de l'avoir lu. Je n'en ai que plus de respect pour son auteur. Il s'agit effectivement d'un grand roman.

Ce livre possède deux voix. L'une est de notre temps. Un homme vit quelque chose comme une crise de la quarantaine et change sa vie, ou à tout le moins abandonne la sienne. Sa nouvelle errance le fera rencontrer la deuxième voix, celle d'un vétéran de quantité de guerres. Ce deuxième homme est à la fin de sa vie. Il aura vécu la 2e guerre, l'Indochine et l'Algérie. Il racontera son histoire. À travers celle-ci, le premier homme, narrateur du livre, racontera, lui son entrée dans sa nouvelle vie.

En fait, ce sont là deux personnages qui nous montrent combien il est facile de se laisser entraîner, pour une raison ou pour une autre, et vivre des événements, des aventures ou de simples situations dont se demande, en bout du compte, si on était vraiment destiné à les vivre. Le destin y est pour beaucoup, et aussi l'Histoire avec un grand H, qui peut nous emmener avec elle pour la faire. À moins qu'il ne s'agisse de son histoire à soi, celle avec un petit h, qui vaut bien, sinon plus, celle avec une majuscule.

Pour en arriver à ces constats, Jenni nous mène à travers les dernières guerres coloniales françaises. Le Nord-Américain que je suis en connaît peu de choses, hormis quelques causeries ou articles glanées ici et là à la radio ou sur le Web. Avec L'art français..., j'ai compris la portée de ces événements tant sur ceux qui les ont subis que sur ceux qui les ont faits. Et ces événements, comme tous ceux qui ont fait, font et feront l'Histoire, sont le fruit de la volonté de bien peu de gens, mais le propre de beaucoup plus d'acteurs qui y ont été entraînés. À leur escient ou pas? Là est la question. A-t-on le choix de changer sa vie? Pour certains comme le narrateur, oui. Pour d'autres, comme l'ancien militaire, on ne sait plus trop. N'empêche que j'aurais maintenant tendance à dire que oui, même le militaire les a choisies, ces vies vécues dans le combat, dans l'attaque. Reste à chacune de ces voix d'assumer ses propres choix. Ça, c'est une autre histoire.

Ce livre nous permet de faire le point sur nos voies, nos choix, notre opinion sur la société dans laquelle on vit. Êtes-vous inclusif ou exclusif? Avez-vous peur des différences ou vous en nourrissez-vous? Aimez-vous, généralement, ou si vous avez plutôt tendance à ne pas aimer?

Il fait bon, parfois, se poser de telles questions, et il est d'autant meilleur de s'y arrêter lorsqu'on le fait à l'aide d'un ouvrage bien écrit. Le lecteur Européen verra peut-être dans L'art français... plus d'un prétexte à réflexion. Pour ma part, j'en ai apprécié l'intelligence.

Un grand roman.

samedi 16 février 2013

Emmaüs, par Alessandro Baricco, éditions Gallimard

Vous souvenez-vous de la lecture d'un de vos livres préféré à vie? Je me rappellerai toujours comment j'avais terminé Soie: assis dans un autobus urbain, entouré de gens taciturnes qui se sont mis à me regarder bizarrement lors que j'ai découvert qui écrivait les fameuses lettres anonymes. J'étais comme foudroyé et pour le cacher, j'utilisais mon livre pour qu'il cache mon air abasourdi. Puis je suis passé par Océan Mer, Les châteaux de la colère, et comme ça jusqu'à Cette histoire-là. Et Sans sang... Ce coup de poing sans commune mesure. Chaque Barrico m'a hypnotisé. C'est le mot. J'attends encore le livre qui me fera le descendre du podium où je l'ai mis. Avec Emmaüs, on parlait d'un livre "personnel". J'ai cru à la possibilité du premier livre sinon ennuyeux, à tout le moins prétentieux ou verbeux. Eh non. Pas du tout. J'ai retrouvé Barrico. Je me demande même s'il n'est pas là à son meilleur. Les quatre gars ont 18 ans. De familles modestes, ils se rejoignent dans l'application de certains préceptes de la foi catholique. Oh, rien d'intégriste, mais beaucoup de naïveté. C'est la voie qu'ils ont choisie en groupe pour se distinguer et pour sauver le monde. Parce qu'à cet âge on se sent la force de pouvoir le changer, le monde, et tout est prétexte à nous y faire penser. C'est ainsi que s'immisce une fille qui les obnubile tous. D'un milieu plus aisé, elle semble vivre plus librement. Or est-ce le cas, et si oui, comment fait-elle? Est-elle un modèle à suivre? Jusqu'où aller avec elle, à côté d'elle, ou même sans elle? Emmaüs est une histoire de l'entrée dans le monde adulte, un genre de "roman d'apprentissage", mais réaliste. Or, du réalisme, dans les mots de Barrico, ça rend le monde beau, les pensées puissantes, les personnages attachants. Mais voilà, chacun des quatre gars possède sa propre part d'ombre, et avec les illusions, apparaissent aussi les désillusions. Lesquelles auront le dessus?
Ce roman n'est pas banal pour la simple raison que c'est Alessandro Barcico qui le raconte au "je", puisqu'un des quatre garçons est le narrateur. Ses angoisses sont aussi fortes que toutes les peurs qu'on a eues à cet âge, ses ébahissements aussi beaux que toutes les choses qu'on puisse encore s'imaginer parce qu'on y croit, parce qu'on veut que ça arrive, parce que c'est ça, la foi: croire à quelque chose, quel qu'il soit, et en provoquer l'accomplissement. Certaines scènes de ce livre sont si belles qu'elles nous ramènent à nos premières expériences de la beauté, de l'amour, de la peine. Faut l'faire pour recréer en mots des émotions aussi fortes. Tant s'y sont essayés sans vraiment y parvenir... Barrico, lui, y arrive avec brio. Loin des personnages ultra typés de ses fictions précédentes, Barrico nous présente ici quatre types qui se considèrent si modestes, si petits, que tous, autour d'eux, n'en deviennent que plus grands. Quel auteur, vraiment! Encore de grands personnages, mais tirés de la vie ordinaire. Et si les mots et l'histoire de Baricco sont si bien rendus, il faut mentionner l'excellente traduction de Lise Caillat. Françoise Brun avait déjà fait un travail formidable avec les ouvrages précédents de cet auteur qui demeure parmi mes favoris. Avec cette nouvelle traductrice, il m'est permis d'espérer encore plusieurs autres plaisirs à venir signés Alessandro Baricco. Ah, j'en lirais bien un autre là, juste là. Absolument superbe.

dimanche 27 janvier 2013

Les deux messieurs de Bruxelles, par Éric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel

J'ai manqué plusieurs rendez-vous avec Schmitt ces dernières années. Peut-être qu'à s'être trop vus précédemment, je me suis lassé. Peut-être. J'ai oublié... Quand j'ai connu Schmitt, avec l'Évangile selon Pilate et La part de l'autre, il était parfait, j'en voulais encore. Ont suivi de plus courts ouvrages, Oscar..., l'enfant de Noé, etc. C'était encore parfait, ça allait. Pour les recueils de nouvelles aussi, c'était pareil: parfait. Alors bon, cette fois, j'avais entendu dire que certaines nouvelles de ce dernier recueil se démarquaient particulièrement. Alors je me suis demandé si c'était encore pareil... Bizarrement, je l'avais un peu oublié... Schmitt est devenu un lieu commun. D'aucuns dirait plutôt "un classique". C'est une référence. Un livre d'E-E Schmitt sera bon parce qu'on glissera dessus comme une route bien balisée, qu'il nous ennuiera peut-être un peu au départ pour venir nous happer après quelques pages et finir dans une grande finale qui aura l'heure de nous surprendre. L'auteur écrit bien, sans fioritures, sans trop de ci ni pas assez de ça. Le français écrit de 2013, c'est celui d'É-E Schmitt. Il est simple et beau. Avec de courtes nouvelles, ça fonctionne, soyez-en certains. Qu'il soit question d'un couple gay ayant vécu en parallèle, par un genre de procuration volontaire, la vie d'un couple hétéro, d'une histoire avec un enfant mort et un autre malade dans la tragique Islande, d'un rescapé de la Shoah qui aura trouvé le goût de vivre à travers des chiens... toujours, ce sera parfait. Oh parfois, si on est le moindrement critique et qu'on lit beaucoup, on trouvera qu'il pousse un peu fort la mise en scène, mais quand même, c'est É-E Schmitt, donc, c'est bon. Les idées, les mots: tout est bon.
Revenir à Schmitt est un peu comme retourner voir ses parents après une longue absence. Ils nous rassurent, on les comprend, ils nous comprennent. Oh, bien sur, ils ne nous émeuvent pas de la même façon que nos amours, que ces événements vécues loin d'eux; ils ne représentent plus la nouveauté, la découverte de nouveaux horizons, bref, ils ne nous jettent plus par terre depuis longtemps, mais ils nous réconfortent, définitivement. Pour moi, c'est ça, maintenant, lire Schmitt. Ce recueil de nouvelles se lit tant sur le bout de son siège que confortablement appuyé sur son siège. J'ai parfois frissonné, quelques fois souri, mais pas trop. Jamais trop. C'était parfait, ça a fait du bien, mais maintenant, on passe à autre chose. Je reviendrai à Schmitt, c'est sans doute certain, j'irai le chercher encore, mais je l'attendrai bien sagement, en lui donnant une tendre accolade à son arrivée, sans me jeter dans ses bras comme s'il m'avait manqué depuis des siècles. Et si je manque un autre rendez-vous avec lui, eh bien tant pis. Il reviendra bien.

dimanche 20 janvier 2013

Le yoga, c'est pas zen; par Isabelle Gaul, éditions Pierre Tisseyre

L'occasion m'a été donnée de lire un livre "littérature jeunesse". Il ne s'agit pas ici d'un ouvrage destiné aux jeunes enfants. Disons plutôt qu'en termes de "degré de l'âge d'un lecteur", on est au stade du "juste avant l'adulte". On est tous passé par là, oui, mais s'y replonger, c'est comme entrer dans une société inconnue, un cercle d'intimes, ou, pour être plus à propos, une classe peuplé d'ados. Au début, on est inévitablement déstabilisé, mais l'expérience en vaut la peine, surtout lorsque le livre est particulièrement bien fait, comme celui-ci. J'ai fait cette lecture sans comparatifs. Si j'ai plus ou moins feuilleté de petits livres pour les jeunes enfants auparavant, jamais n'avais-je entrepris la lecture d'un roman destiné à un jeune public. Or voilà, j'ai été surpris à non seulement être captivé par ce qui s'y déroule, mais aussi à sourire et à opiner du chef devant les bonnes idées. Est-ce le cas de tous les Harry Potter et autres Amos d'Aragon de ce genre, je ne sais pas, ces derniers ne m'ont jamais attiré. J'ai toutefois constaté à la lecture du Yoga... que peut importe le flacon, l'important, c'est l'ivresse... que procure la lecture.
L'héroïne a 16 ans. Elle vit avec sa mère, une dame au tempérament changeant. L'héroïne vit entre les deux mondes de ses deux parents séparés, et l'amitié est à la base de son réel équilibre. Or voilà, ça bascule sérieusement à cause d'un coup de tête de la mère, alors qu'un travail académique sera prétexte à d'autres apprentissages. Le plus surprenant dans tout ça, c'est qu'on sera à la recherche d'une quête spirituelle, mais dans un contexte tout à fait actuel, avec aussi des faits, des lieux et des références on ne peut plus fidèles aux jeunes et à cette époque. Tout ça est très habile. L'auteur fera sourire tant les parents que leurs grands enfants, certaines remarques sur la société, les relations et même certaines professions en interpelleront plusieurs. Les constats tirés de la lecture de ce livre provoqueront très certainement de belles et bonnes discussions de famille ou entre amis. Je ne sais si je le devrais, mais je recommande Le Yoga... tant aux parents qu'à leurs adolescents. Quant à l'âge de ces derniers, je le recommanderais à qui est prêt à se forger une pensée critique, ou est carrément en plein en train de s'en préparer une. On ne parle pas ici d'une lecture vide, mais de quelque chose de riche de sens. Absolument à découvrir! Comme je ne connais pas trop les processus de distribution des livres jeunesse, je me permets d'ajouter ici un lien vers la maison d'édition pour faciliter vos commandes.

dimanche 13 janvier 2013

Allers simples, par Frédérick Lavoie, éditions la Peuplade

Comme son sous-titre l'indique, Allers simples rassemble les récits "d'aventures journalistiques en post-soviétie". Le territoire décrit et parcouru par Lavoie, journaliste indépendant, va du Bélarus à Vladivostok en passant par les républiques centre-asiatiques et celles du Caucase. Le terme "post-soviétie" témoigne du regard bien personnel de l'auteur sur un coin de monde que je ne connaissais que peu avant d'avoir lu ce livre. Je rêvais secrètement d'y aller et je n'irai pas. Ce livre, recueil de ce que sont de vrais, de réels textes journalistiques, de quelqu'un qui observe, pose des questions et vie réellement ce qu'il décrit, est tout bonnement passionnant. L'amateur d'histoires que je suis a fait un voyage incroyable avec ce reporter naturel qu'est Lavoie. Je dis "reporter naturel", dans le sens de libre, d'aller où il veut et sans contraintes d'heures de tombée et de politique éditoriale. De tels reportages sont maintenant rares dans un monde de grosses entreprises de presse. En fait, les récits de Lavoie sont si complets, si étoffés et vivants qu'ils en ont l'air nouveau, si on les compare aux reportages qui se comptent en minutes dans les médias électroniques, et en pages truffés de grosses photos des journaux imprimés. Tout, du séjour de Lavoie dans cette région du monde, nous fait découvrir une époque, un contexte historique et social à travers un récit. Loin du simple récit de voyage, le journaliste explique les pourquoi et les comment de situations actuelles, de réactions prises sur le vif, d'événements trop mal expliqués par les médias traditionnels. Excellent conteur, il nous fait vivre avec lui un court espoir de révolution au Bélarus, les désenchantements des Tchétchènes, les prisons quotidiennes des peuples Turkmènes et Ouzbèques, les rêves de Russes et de Chinois de Vladivostok, bref, une série de tableaux complets et captivants. Je n'en énumère là que quelques uns.
À mille lieux des images montées et choisies des Grands Explorateurs ou autres produits marketing du genre, Allers simples permet de nous faire une idée d'une importante partie du monde et avec elle, du reste de ce monde dont nous faisons partie, nous aussi, comme ces personnages rencontrés au long des périples de l'auteur. Du grand journalisme qu'on espère pouvoir relire tant au mêmes endroits qu'en d'autres contrées. Rafraîchissant et essentiel.

jeudi 3 janvier 2013

Variétés Delphi, par Nicolas Chalifour, éditions Héliotrope

Encore un auteur dont je lis le deuxième ouvrage. Notons d'entrée de jeu que je me procurerai son troisième. Variétés Delphi aurait pu me renverser, n'eut été de sa fin. N'empêche que la littérature s'est entichée, avec Nicolas Chalifour, d'un animal bien particulier qui a su trouver un ton unique qu'il sait fort bien utiliser. Avec Variétés Delphi, on croit d'abord à une suite de son premier ouvrage, Vu d'ici tout est petit. Or oui, il y a continuité, et ce qui réjouit est que cette continuité réside dans le décor... et le ton. Dans son premier ouvrage, Chalifour décrivait le monde grouillant d'un établissement hôtelier champêtre. L'originalité du point de vue résidait dans la narration qui provenait d'un être dont on pouvait suspecter une quelconque nature magique. Son "parler" avait ceci de naïf et d'unique qu'il permettait de décrire des situations parfois tragiques avec un ton presque loufoque, prétexte à toutes sortes d'interprétations, de dédramatisation et d'ironie, même. Avec son deuxième ouvrage, l'auteur campe un nouveau narrateur dans le même décor et un ton qui frôle celui du quasi-farfadet de son premier livre. Osé, mais réussi. Dans Variétés Delphi, le narrateur est un serveur de l'hôtellerie en question. Plutôt déglingué lui-même, ce personnage multiplie les infâmies. En fait c'est une espèce de beau mais gentil salaud, un petit con juste assez intelligent pour cacher efficacement tous ses méfaits. Or, pourquoi tant de méchancetés? C'est là la trame principale de Variétés Delphi. Dans sa narration, Chalifour fait s'exprimer son personnage principale tant à la première qu'à la troisième personne dans la même phrase. D'abord incongrue, cette narration s'avère efficace et très pertinente. Quoi de mieux, en effet, que le "on", le fameux pronom impersonnel, pour dépersonnaliser, voire déresponsabiliser quelqu'un? Parler de soi à la troisième personne, c'est se distancer de soi, alors que se désigner par le "je" responsabilise. Voilà tout l'univers du narrateur, personnage aux personnalités plus ou moins diverses, mais certainement capable d'assumer tant ses actes responsables qu'irresponsables. C'est en effet un livre qui tourne autour de ce thème: suis-je, ou non, responsable de ce qui m'arrive?
Chalifour utilise l'univers de l'hôtellerie de la meilleure façon qui soit. Prétexte à toutes les situations "service-client", les tableaux désopilants sont nombreux. J'ai ri comme rarement en lisant cet ouvrage, bien que certaines scènes aient une charge émotionnelle tout aussi efficace. Et que dire des personnages hilarants et rendus pathétiques par un auteur qui sait décrire les "régionaux" avec une méchanceté juste assez grinçante. Certaines scènes de bars "de région" sont franchement succulentes. Reste un gros "mais". À la fin, les péripéties du narrateur le font se retrouver à New-York. C'est le prétexte pour que l'auteur donne la parole aux personnages locaux dans leur propre langue. Pour une raison qui lui est propre, Chalifour nous sert ainsi de pleines pages écrites en anglais, et d'autres parfois "créolisées" où phrases et paragraphes passent allègrement du français à l'anglais. Figure de style ou acte politique? N'en demeure pas moins que cette portion du livre devient désagréable à la lecture, et on ne peut que s'en décevoir. Si vous déchiffrez mal l'anglais, tenez-le vous pour dit: vous risquez de vous perdre à la fin d'un livre qui avait pourtant tout pour nous épater jusqu'à la fin. Tic ou provocation? Je sais pas. N'en demeure pas moins que Variétés Delphi est un excellent divertissement. Maintenant, vivement un autre Chalifour, pour voir si...