dimanche 29 mars 2009

Telle mère, quelle fille? de Sophie Thibault et Monique Larouche-Thibault, Éditions de l'Homme


Chère madame Thibault,

J’ai 43 ans, je vis à Montréal. Originaire du Saguenay, mes parents âgés de 71 et 73 ans y vivent toujours. Lorsque j’avais 7 ans, ma mère, à son réveil, c’était un dimanche, ne voyait plus rien. Après des mois de va et vient entre des hôpitaux du Saguenay et de Québec, le diagnostic de sclérose en plaques et tombé. Le reste n’est qu’histoire, vous la connaissez, c’est celle que vous racontez dans votre livre.

Jamais n’avais-je lu ni même entendu ailleurs que dans ma propre expérience tous ces questionnements tirés de la tête d’un enfant dont la maman ne sera jamais semblable aux autres. Avoir 12 ans et être déjà si vieux parce qu’on l’a déjà relevé si souvent après une chute, qu’on l’a aidée à couper ses aliments, qu’on lui a servi de canne pour se déplacer. Avoir 17 ans et en avoir assez, hésiter entre le remords et la liberté, puis partir et toujours être hanté par cette culpabilité qui provient de soi, d’elle, des autres...

Votre mère avait son caractère, la mienne aussi. Vous lui reprochez sa froideur... moi aussi pour la mienne. Et pourtant ça ne s’est pas exprimé de la même façon pour moi. Votre mère a écrit, elle s’est taillé une carrière publique, et vous aussi. Vous, madame Thibault, vous avez voulu sauver le monde, sauver des gens, vous oublier comme vous tentiez d’oublier ce qu’il y avait, là-bas, chez vos parents. À force, vous avez chassé votre désarroi en fonçant dans votre carrière, en vous cherchant dans vos amours. Je sais d’où vous est venue cette énergie qui a fait de vous la chef d’antenne d’un réseau de télévision national. À chaque jour, comme vous, je trouve des raisons d’accomplissement pour oublier, pour me porter ailleurs que là bas, dans ce passé toujours présent. Il me semble parfois que peu de choses ne m’atteigne, et d’autres fois, je me retire parce que trop sensible à ce qui se passe autour de moi. Je veux plus ça, des souffrances, des plaintes, j’en veux plus, j’en peux plus.

Nos mères ont fait nos vies, même si elles n’ont pas pu être là. Encore, mon père est le soutient de maman, et encore, elle renâcle et se rebiffe contre lui. Elle aussi. Mais ma mère, comme la vôtre, a choisi de vivre. Je fais pareil, et j’en fais mon idole. Comment elle fait?

Ça a été difficile de vous lire à certains moments, vous et votre mère. Lorsque vous racontez le décès de votre père, j’ai souhaité de tout mon coeur que ça ne m’arrive jamais. Et pourtant, un jour...

Vous avez eu une mère qui, comme la mienne, n’a toujours été là qu’à moitié sans qu’elle n’ait désiré cette situation. Mais voyez-vous, madame Thibault, ce qui me porte, maintenant, ce sont des histoires comme la vôtre, qui me montrent que rien n’est jamais perdu, et aussi une image, bien vivante. Je parle ici d’une scène que je ne vis plus depuis plus de 20 ans, celle où ma maman me prend dans ses bras. Elle ne le peut plus. Ça me manque, et lorsque je la vois, je lui parle, la fait rire et quand je quitte la maison, à chaque fois, dans l’auto, environ 1 kilomètre après la maison, je fais ce que vous avez fait après avoir lu le premier livre de votre mère. C’est jamais bien long, je le fais seul, dans l’auto, pour que personne ne le sache, puis j’ouvre les fenêtres, fait entrer l’air, et je retrouve ma liberté provisoire. Rien d’autre, maintenant, n’arrive à me faire pleurer.
Merci pour ce livre. Qu’importent les critiques, sachez que si vous espériez ne rejoindre qu’une seule personne avec votre histoire, ça c’est réalisé avec moi.

dimanche 15 mars 2009

À juillet, toujours nue dans mes pensées, par Benoit Quessy, éditions Québec Amérique


Entre érotisme, science-fiction et candeur, quel est, d'après-vous, l'intrus parmi les trois? Pour bien répondre, définissons chacun des mots d'un point de vue littéraire.

Érotisme: stade entre l'éveil du désir (l'étincelle) et la pornographie (le brasier). Plus souvent associé en littérature aux sentiments féminins, on le conjugue rarement au masculin. Si tel est le cas, le féminin prendra alors des tournures au pluriel qui laisseront suggérer des scènes effectivement peu singulières.

Science-fiction: mot fourre-tout dans laquelle la langue française inclut deux déclinaisons de l'anglais: "fantasy" et "sci-fi". Le premier donne plutôt dans l'onirique et la transposition dans le futur de situations envisageables, alors que le second dépasse la fiction en ce qu'il propose des images et des procédés encore inconnus dont l'existence n'a pour seul prétexte que leur positionnement dans le futur. Dans le cas présent, je retiendrais la première déclinaison anglo-saxonne du mot.

Candeur: mot généralement mal utilisé parce qu'associé à une certaine naïveté non-coupable. Pourtant, la candeur est un sentiment nobre trop souvent oublié dans la littérature. Premier stade de l'optimisme, il laisse pré-supposer un certaine affabilité prête à tirer le bon côté de toutes choses, même mauvaises.

Réunis, ces trois attibuts donnent un ensemble que je ne saurais définir par la forme, mais dont il est facile de percevoir toutes les couleurs, du noir au blanc, en passant par les tons les plus forts. Court mais dense, cet ouvrage est un court-métrage qui nous surprend agréablement: on ne savait qu'en penser, et sans pouvoir bien le définir, il nous laisse une excellente impression.

Comment définir de jeunes personnages versés dans le terrorisme mortel, l'érotisme ludique, le désabus du monde dans son ensemble et l'amour des gens en particulier? En lisant À Juillet, toujours nue dans mes pensées. Les morceaux sont nombreux et souvent disparates, mais l'ensemble a très bon goût, autant pendant qu'après. À lire, pour changer de l'ordinaire.

jeudi 5 mars 2009

Les Bienveillantes, par Jonathan Littel, Éditions Gallimard


Tout a été dit et écrit sur le prix Goncourt 2006, aussi n'ai-je pas la prétention d'en ajouter. J'utiliserai plutôt cet ouvrage qui aura tôt fait de devenir un classique identifié à notre époque pour pousser un peu quelques réflexions sur ce qu'on nous donne à lire ces derniers temps.

Les Bienveillantes ont été primées du plus prestigieux prix littéraire français. Or son auteur est Américain et vit à Barcelone. Si je classais ms livres par la nationalité des auteurs, je ne saurais où le déposer, mais sans doute, à force, le ferais-je reposer avec les auteurs Américains plutôt qu'Européens.

La 2e guerre mondiale est devenue, avec le temps, un sujet traité par l'Amérique parce que nulle part ailleurs dans l'Histoire récente les Bons se sont autant distingué des Méchants: du bonbon pour tout scénariste de cinéma et pour un habitué des best-sellers. Je ne sais pas ce qui a poussé Littel à labourer ce vaste champ déjà traversé à maintes et maintes reprises, mais il ne l'a pas fait à l'Américaine, sauf pour une seule chose. Je m'explique.

Pas à l'Américaine: la 2e guerre mondiale de Littel n'est pourvue d'aucune lutte entre Bons et Méchants. Elle est vue de l'intérieur et d'un seul côté. Tous ici sont soit victimes, soit bourreaux. Le point de vue du narrateur est original en ce qu'il est totalement noir mais n'a rien d'abject. Cru sans être vulgaire, Littel peint un immense tableau de la cruauté et de l'horreur sans coupures au montage et sans parti pris. L'horreur vient de ce qui était, et non de ce qu'on aurait voulut que ce soit. La recherche, la précision sont si précises qu'elles dépassent toute mise en scène. Jamais n'aura-t-on eu l'occasion de vivre le siège de Stalingrad ou les bombardements de Berlin aussi précisément. Aucun coin rond ici, que des angles droits et très durs.

À l'Américaine: Littel donne à l'horreur un tournant personnel. Le remords et le passé paraissent plus lourds à porter que les scènes les plus abominables décrites au présent. Comme plusieurs autres auteurs Américains actuels, il a recours au vocabulaire freudien pour expliquer l'humain: profusion de description de rêves, histoires d'inceste, relations parents-enfants conflictuelles, tout y est. On dirait qu'à l'ère Bush et à l'avènement de la "religiosité" extrème dans toutes les sphères de la société américaine, les écrivains et rares esprits libres du temps qui ont osé prendre la parole ont porté leurs prières du côté de la psychothérapie. Démons, repentir et prière sont remplacés par remords, analyse et introspection. Cas d'espèce s'il en est un qui nous permettra de dire des Bienveillantes qu'il a été écrit au début des années 2000 par un citoyen Américain lettré.

J'ai traversé les Bienveillantes comme on passe un mois sur un bateau en pleine mer. J'ai vécu des mers d'huiles, des moments de grâce, des vagues inimaginales et les nausées qui les accompagnent. À l'arrivée, j'étais épuisé, mais totalement fasciné.