jeudi 5 mars 2009

Les Bienveillantes, par Jonathan Littel, Éditions Gallimard


Tout a été dit et écrit sur le prix Goncourt 2006, aussi n'ai-je pas la prétention d'en ajouter. J'utiliserai plutôt cet ouvrage qui aura tôt fait de devenir un classique identifié à notre époque pour pousser un peu quelques réflexions sur ce qu'on nous donne à lire ces derniers temps.

Les Bienveillantes ont été primées du plus prestigieux prix littéraire français. Or son auteur est Américain et vit à Barcelone. Si je classais ms livres par la nationalité des auteurs, je ne saurais où le déposer, mais sans doute, à force, le ferais-je reposer avec les auteurs Américains plutôt qu'Européens.

La 2e guerre mondiale est devenue, avec le temps, un sujet traité par l'Amérique parce que nulle part ailleurs dans l'Histoire récente les Bons se sont autant distingué des Méchants: du bonbon pour tout scénariste de cinéma et pour un habitué des best-sellers. Je ne sais pas ce qui a poussé Littel à labourer ce vaste champ déjà traversé à maintes et maintes reprises, mais il ne l'a pas fait à l'Américaine, sauf pour une seule chose. Je m'explique.

Pas à l'Américaine: la 2e guerre mondiale de Littel n'est pourvue d'aucune lutte entre Bons et Méchants. Elle est vue de l'intérieur et d'un seul côté. Tous ici sont soit victimes, soit bourreaux. Le point de vue du narrateur est original en ce qu'il est totalement noir mais n'a rien d'abject. Cru sans être vulgaire, Littel peint un immense tableau de la cruauté et de l'horreur sans coupures au montage et sans parti pris. L'horreur vient de ce qui était, et non de ce qu'on aurait voulut que ce soit. La recherche, la précision sont si précises qu'elles dépassent toute mise en scène. Jamais n'aura-t-on eu l'occasion de vivre le siège de Stalingrad ou les bombardements de Berlin aussi précisément. Aucun coin rond ici, que des angles droits et très durs.

À l'Américaine: Littel donne à l'horreur un tournant personnel. Le remords et le passé paraissent plus lourds à porter que les scènes les plus abominables décrites au présent. Comme plusieurs autres auteurs Américains actuels, il a recours au vocabulaire freudien pour expliquer l'humain: profusion de description de rêves, histoires d'inceste, relations parents-enfants conflictuelles, tout y est. On dirait qu'à l'ère Bush et à l'avènement de la "religiosité" extrème dans toutes les sphères de la société américaine, les écrivains et rares esprits libres du temps qui ont osé prendre la parole ont porté leurs prières du côté de la psychothérapie. Démons, repentir et prière sont remplacés par remords, analyse et introspection. Cas d'espèce s'il en est un qui nous permettra de dire des Bienveillantes qu'il a été écrit au début des années 2000 par un citoyen Américain lettré.

J'ai traversé les Bienveillantes comme on passe un mois sur un bateau en pleine mer. J'ai vécu des mers d'huiles, des moments de grâce, des vagues inimaginales et les nausées qui les accompagnent. À l'arrivée, j'étais épuisé, mais totalement fasciné.

1 commentaire:

Laurent Comeau a dit…

L'écriture de Littel est très européenne moderne dans son influence. Je le place dans le même style d'expression que les cinéastes Nicholas Klotz, Tarkovsky et, Rodrigue Jean ici en Amérique. C'est le cinéma-réalité des années 70 poussé à sa limite.