lundi 30 septembre 2019

Récolter la tempête, par Benoît Côté, éditions Le tryptique

Un adolescent, à Saint-Hyacinthe, au Québec, à la fin des années 1990. Si l'adolescence est trouble, cette époque de l'histoire du Québec l'est aussi, et le lieu est au coeur d'épisodes marquants, tant pour pour personnage principal que pour le Québec. Entre les tribulations d'un jeune homme qui découvre la vie et les désillusions d'un peuple pour qui il ne semble plus se passer grand chose, Récolter la tempête est un autre roman d'apprentissage de la vie, raconté sur un ton parfois cynique parfois sérieux, bref, un genre qu'on a déjà lu en littérature québécoise.

Mais attention! L'originalité réside dans l'écriture, où dialogues et narration se distinguent par des qualités différentes mais vraiment remarquables. Donc, plutôt que par le fond, ce bouquin se démarque par la forme, et je crois reconnaître là une distinction vraiment singulière.

Non, c'est pas la première fois où un gars raconte ses premières jobs, sa première blonde, ses premiers ébats amoureux, où il est questions de gangs d'amis, de relations troubles avec les parents, de façonnage de sa personnalité, de trop d'alcool, de mal amour. On aime ou pas cette catégorie de romans, mais qu'on le veuille ou non, il y a toujours un endroit où on s'y reconnaît un peu, et c'est sans doute pour ça qu'on le lit et qu'on aime... ou pas. Dans ce cas précis, c'est d'abord par la narration que j'ai eu un premier soubresaut, parce que Benoît Côté pratique le difficile exercice d'écrire ses dialogues en langue parlée. À titre de lecteurs, on le sait: le processus n'est pas toujours heureux, voir souvent casse-gueule parce qu'incomplet ou mal rendu. Ici, les premiers dialogues peuvent en effet surprendre, mais on se rend rapidement compte que c'est réussi. La langue parlée n'est pas seulement accessoire. Elle crée carrément l'ambiance de tout le livre, et c'est réussi, tellement qu'on a parfois l'impression de lire un script de film ou de série télé.

Bon, précisons: il sera difficile à qui connaît pas ou peu les expressions québécoises, de lire Récolter la tempête. Les apostrophes pullulent comme autant de pirouettes faites avec les mots, mais sans tomber dans le "pittoresque". Je le répète: c'est très bien fait. Et outre les dialogues il y a les parties narratives. C'est là où se confirme le talent de l'auteur. Côté écrit bien, ses métaphores sont très belles, ses descriptions justes, ses sentiments, vrais et bien rendus. On est souvent touchés, entre deux dialogues de personnages savoureux.

L'histoire ici racontée trouve son originalité à la fin du livre, bien que... En 1997, à Saint-Hyacinthe, on était en plein coeur de la crise du verglas. C'est ce que vivront les personnages ados de Récolter la tempête. Cette l'atmosphère de fin du monde, de fin de quelque chose, à tout le moins, n'est pas sans rappeler celle de la Déesse des mouches à feux, de Geneviève Petersen, où des ados saguenéens vivaient plutôt les inondations dites du "déluge du Saguenay".

Coïncidence? Début d'un genre de la littérature québécoise où l'adolescence se termine, ou se détermine, avec les forces de la nature déchainée? Je dis ça sans ironie. Pourquoi pas? Qu'importe. Récolter la tempête révèle un nouvel auteur d'un style qui, sans réinventer quoi que ce soit, rafraîchit beaucoup de choses.

mercredi 11 septembre 2019

Le train d'Erlingen, par Boualem Sansal, éditions Gallimard

Une dame aisée, d'un certain âge, raconte qu'elle et les habitants de sa petite ville allemande sont assiégés. Des envahisseurs les menacent. Leur arrivée est incessante. La seule planche de salut de la population est la venue d'un train, envoyé par les autorités, pour évacuer la population... en tout ou en partie, ça reste à voir. L'ordonnancement de cette éventuelle évacuation se passe mal. C'est la narratrice qui en témoigne à travers des lettres qu'elle adresse à sa fille exilée. Les autorités responsables ne font pas son affaire, elle les pourfend, et avec raison, prétend-t-elle. Ne les connait-elle que trop bien, elle, la riche héritière de la famille la plus fortunée de la ville? Ne leur a-t-elle pas donné leurs pouvoirs antérieurement?

Et ces envahisseurs, parlons-en. Personne ne sait qui ils sont! On les sait seulement sanguinaires, dangereux et... différents. Il faut les fuir!

Cette étonnante métaphore de notre société actuelle se termine à peu près au milieu du livre. L'auteur nous avait averti dès le départ: ce que vous lisez ici ne ressemblera à rien d'autre que vous avez lu avant. En effet, mais on n'est pas perdu pour autant. En seconde partie, donc, c'est la fille de l'autrice du départ qui prend la parole en expliquant pourquoi et comment sa mère a écrit cette histoire. On entre ici dans un nouveau récit, celui d'une dame à la retraite qui quitte la France pour aller s'installer en Allemagne. Mais voilà qu'un retour au pays tourne mal alors qu'elle est la victime d'une attaque menée par des intégristes religieux.

On comprend que les maux de notre époque ont inspiré ce Train d'Erlingen à l'écrivain d'origine algérienne. Lecteurs, vous y verrez ce que vous y voudrez, mais vous serez irrésistiblement menés à réfléchir sur ce qui est en train de nous arriver, et par "nous", j'entends la société occidentale, mais pas seulement. Tiens, précisons: en sous titre au Train d'Erlingen, on a: "ou La métamorphose de Dieu". C'est tout dire...

Après nous avoir soulevé des questions avec ses deux histoires brillantes et savamment maîtrisées, Sansal y va de son opinion sur toute la question dans le dernier quart du livre où sa nouvelle narratrice, la fille de l'autrice du départ, se permet des "notes" en exergue à l'histoire de sa mère pour donner son interprétation de ce qu'on vient de lire. Il y est question de différence, d'identité, de migration, d'ouverture d'esprit. Vaste programme. C'est dans ces notes que je me suis finalement un peu perdu, mais je suis pourtant certain que plusieurs y trouveront matière à réflexion et quantités d'observations intelligentes de notre époque. Quant à la forme de ce récit suivi d'un autre, j'ai aimé l'audace. À elle seule, la première partie vaut tout le livre. C'est truculent. Mais la seconde partie aussi. J'y ai découvert un esprit vif et un observateur très allumé. Je ne connaissais pas Boualem Sansal et c'est avec plaisir que je vais maintenant le suivre.