mardi 18 février 2014

Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre, éditions Albin Michel

Le deuil de personnages, je veux bien. Celui d'un livre aussi. Mais celui d'une époque que je n'ai pas connue et d"endroits où je ne suis jamais allé, c'est presque trop fort. Je suis sorti d'Au revoir là-haut il y a quelques heures et je crains y rester encore longtemps. Ce livre fut marquant à plusieurs égards. Voici pourquoi.

Les cinquante premières pages sont sans aucune doute les cinquante premières pages les plus enlevantes que j'aie lues jusqu'ici. On est à la fin de la Première guerre mondiale, c'est une question de jours, voire d'heures avant que ça ne s'achève. Le champ de bataille est quelque part en France. On est du côté des soldats Français. Un officier frustré par la fin incessante d'un travail qui lui allait comme un gant terrorise ses troupes en les impliquant dans une dernière bataille. Cette attaque ne changera pas le cours de l'Histoire, mais ses conséquences marqueront certains y ayant participé.

Le ton, la façon de raconter cette histoire est très à propos. Lemaitre est un raconteur. Il y a là du Echenoz, du Teulé, enfin un peu, car l'écriture est somme toute unique. Lemaitre s'adresse à nous. Il nous raconte quelque chose bien plus encore qu'il ne nous l'écrit. Ce ton sympathique et très juste convient à toutes les situations. La description d'un général qui ronfle m'a fait rire bien fort et celle du désarroi et de la peur d'un ancien soldat nous ferait lui tendre la main s'il était juste en face de nous. Lemaitre sait jouer des émotions en les liant toutes par une histoire tragique, immensément tragique, en fait, celle de la petitesse de l'humain devant ce qui le dépasse. Les réflexes naturels de défense sont ici mis en exergue. "Chassez le naturel...", disait quelqu'un... En fait, acculez n'importe qui au pied du mur et vous en verrez la vraie nature. Certains fonceront dans ce mur, d'autres se pisseront dessus. Tout ça se retrouve dans Au revoir là-haut.

Parce qu'il est ici question d'escroqueries, et elles sont très viles. Les gens, comme l'époque, étaient alors très vulnérables. Des personnages restés intacts en ont profité. De bonne ou de mauvaise façon? Je vous en laisse juger. Bien entendu, le mauvais se démarque toujours d'une façon particulière, mais au bout du compte, on en viendra à se demander si, de tous les tricheurs qui évoluent dans ce livre, certains n'avaient pas raison d'agir ainsi.
Les récits de guerre ne m'attirent pas. Si tel est le cas, faites comme moi et passez par-dessus votre appréhension. Parce que de la guerre, il n'en est question qu'au début, et comme je le mentionnais plus haut, croyez-moi, cette portion du livre est loin d'être ennuyante. Le reste met en scène les conséquences de la guerre. C'est un pan de l'Histoire que l'on connaît moins, surtout celui de la Grande guerre de 14-18. Celui raconté a pour toile de fond un phénomène qui a bien existé en France: les exhumations des corps des soldats morts au combat. La table est mise: c'est sordide, très bas, triste au possible, mais raconté par Pierre Lemaitre, c'est une histoire incroyable, par moments rocambolesque, que vous dévorerez d'une page à l'autre.

Je ne parlerai pas des personnages, à mon sens parfaits parce que fortement typés. Les sympathiques deviennent vils et les truands... mais qui sont les bons et les méchants? Voilà le bon côté de la littérature: on nous laisse en tirer notre propre conclusion.

Pour terminer, une anecdote incroyable qu'il me faut vous partager. C'est la première fois que ça m'arrive, que je suis témoin d'une telle chose: la fin d'un des personnages principaux d'Au revoir là-haut est exactement la même que celle du personnage principal d'un livre que j'ai terminé tout récemment, soit Le fil des kilomètres, de Christian Guay-Poliquin. Et croyez-moi, cette fin n'est pas banale du tout, mais forte symboliquement. Les personnages mis en cause, dans ces fins, le contexte, l'instrument utilisé... c'est la même scène, mais revisitée dans chacun de ces deux ouvrages. Oui, j'y vois le fruit du hasard. Les deux livres ont sans doute été écrits dans la même période et je serais surpris que ces auteurs se soient téléphonés pour préparer ensemble une bonne blague. Si vous avez lu ces deux livres, s'il vous plait partagez votre impression de ce phénomène étrange avec moi. La coïncidence est trop incroyable pour être passée sous silence.

Reste qu'Au revoir là-haut est un grand livre. Le jury du Goncourt 2013 a réussi un grand coup. Je n'ai pas lu les autres ouvrages mis en candidature mais celui-là figurera très certainement parmi mes plus grands plaisirs de lecture... à vie. Merci, Pierre Lemaitre! Vous voulez en savoir plus? Pierre Lemaitre vous décrit, sur vidéo, son roman et sa motivation en deux minutes et demie.

dimanche 9 février 2014

L'Amérique ou le disparu, d'après Franz Kafka, par Réal Godbout, éditions La Pasteque

Je pousse ma découverte de la bédé encore plus loin, mais je continue à préciser que mon appréciation n'est toujours pas celle de l'expert mais bien du néophyte.

Avec cette expérience-ci, je tombe en plein enchantement. L'adaptation des textes de Kafka me semble justifiée. On le sait, celui-là a toujours su utiliser la métaphore à bon escient. C'est riche pour une bédé! Avec cette histoire, la métaphore en question réside dans le titre. L'Amérique joue le rôle principal de la conquête de Karl qui découvrira vite que là, c'est la loi du plus fort qui prédomine. "Réveillez-vous, tenez-vous prêt, aurait pu dire Kafka. Ça sera pas de la tarte."

J'ai réalisé avec L'Amérique combien les personnages principaux de Kafka ont ceci de très Américain qu'ils sont le plus souvent attachants, issus du peuple, vulnérables. Quand à leur caractère victime, mettons plutôt ça sur une particularité toute kafkaienne, mais n'empêche: ici, Karl, a tout pour se faire aimer. Naïf, on lui crierait constamment qu'il y a traquenard ici et là, mais il a seize ans, débarque dans un nouveau monde, et les nouveaux mondes, quelques qu'ils soient, c'est rarement facile. Je ne connaissais pas du tout cet ouvrage inachevé de Kafka, aussi sa découverte a-t-elle ajouté à l'expérience.

Quant aux dessins, je suis absolument sous le charme. Godbout est un auteur connu au Québec pour des séries publiées dans des revues satiriques dans les années 80 et 90. On m'aurait dit que l'auteur de Michel Risque et de Red Ketchup se lançait dans Kafka, j'aurais tiqué. Or voilà, quel talent. Quels beaux dessins. Le New York de la fin du 19e siècle y est fantastique. On le voit avec les yeux du nouvel arrivant qui, lui, va d'aventure en aventure avec sa bouille de petit voisin qu'on prendrait certainement la peine de saluer tellement il nous parait sympathique.

L'univers de Kafka est étrange, mais réaliste, en ce sens qu'il ne s'agit pas de science-fiction, enfin pas cette fois-ci. Cet ouvrage a un côté très humain, d'où sa dureté, parfois, et les émotions partagées qu'il nous inspire. Je n'y a perçu aucun cliché du "New York de rêve", mais bien, je le dis encore, un décor grand, lourd, faste dans lequel il ne peut que se passer des histoires hors de l'ordinaire.

Les dessins en noir et blanc sont à mon sens très bédéesques parce que caricaturaux mais proportionnés. Les personnages constitueraient un excellent storyboard de vaudeville. Réel plaisir de lecture, L'Amérique de Kafka revisitée par Réal Godbout constitue certainement une belle initiation au genre bédé pour qui, comme moi, n'y plonge que très peu souvent. Un vrai beau livre.

lundi 3 février 2014

C'est le coeur qui meurt en dernier, de Robert Lalonde, éditions Boréal

Ah, les mères envahissantes, judéo-chrétiennes à la puissance 10, incarnations vivantes du remord et de la mauvaise foi. C'est le genre de personnage qui a nourri on ne sait plus combien de films, de bouquins, d'histoires de toutes sortes. La mère de Robert Lalonde ne fait pas exception à ces dernières. Présente, elle le fut dans la vie de son auteur. Énormément. C'est ce qu'il raconte. Et, s'il y a une façon de distinguer ce récit d'autres dans le même genre c'est que lui, Lalonde, n'a à peu près rien à reprocher à son personnage à titre posthume. Ce récit est celui d'un personnage extraverti, et comme tous les gens de ce genre, soit ils nous tapent, soit ils nous divertissent.

Un des derniers personnages de mère qui m'ait frappé, c'est celui de Delphine de Vigan dans Rien ne s'oppose à la nuit. Celle de Robert Lalonde est moins tragique, mais tragédienne, moins violente, mais elle arrive quand même à être méchante. C'est surprenant de mesurer toute l'amertume que ces femmes ont vécu. Celle-ci ne fait pas exception. On pourrait dire d'une telle vie qu'il s'agit d'un mauvais casting: un talent fou dans la mauvaise pièce.

Cette dame, Québécoise, dispose d'un langage et d'expressions absolument savoureuses que son auteur de fils fait très bien ressortir. Si le portrait n'est pas nouveau, l'écriture n'est pas tellement distinctive non plus. Il faut toutefois noter le talent de Lalonde, sans doute hérité de sa mère. Cet auteur choisit les bons mots, ne s'empêtre pas dans des expressions ampoulées et bien qu'il s'agisse d'un portrait intime d'un personnage (quand même) aimé, il ne tombe ni dans la guimauve ni dans la sensibilité à trois sous. Émouvant, parfois drôle, ce récit est surtout sympathique. Il dresse aussi un excellent portrait d'un lieu et d'une époque: une petite ville du Québec des années 50 aux années 70-80 environ. Qui ne connaît pas le genre fera certainement des découvertes et pourra constater tout le poids que ces gens se mettaient eux-mêmes sur les épaules, porteurs d'un passé lourd et riche qui fut rapidement mis de côté. Conflit de générations? Peut-être. À vous d'en tirer vos propres conclusions. À mon sens, chacun, ici, est victime de la vie de l'autre, soit-elle nouvelle ou ancienne.
Québécois moi-même, j'y ai reconnu plusieurs personnages connus, issus tant du passé que du présent. À la fin du livre, j'étais content, le portrait en était un bon. Donnons à Lalonde le crédit de ne pas s'être top éternisé en longueur. Les 165 pages sont juste assez.

Comédien et auteur, Robert Lalonde a tout le bagout nécessaire pour rendre une entrevue intéressante. Je vous suggère celle-ci qu'il a donné à la sortie de son livre. Elle permet de mesurer le talent de conteur de l'auteur, qui fait là un excellent résumé de son livre.

samedi 1 février 2014

L'ostie d'chat I et II, par Iris et Zviane, éditions Delcourt

Je m'y connais peu en matière de bandes dessinées, aussi les impressions qui suivent ne sont pas celles d'un habitué du genre. Je me crois plus apte à commenter l'histoire que le dessin. Ça devrait se sentir...

Côté dessin, à premier abord, je n'étais pas particulièrement saisi. les images en noir et blanc sont bien faites, oui, mais pour moi, ce n'est pas quelque chose qui va dans la finesse, dans le détail. Les dessins sont assez grossiers à première vue, mais il m'a semblé qu'au fil des pages, les personnages prenaient vie. Beaux ou pas, je ne saurais dire. Les filles sont définitivement plus belles et le chat prétexte au titre, est délibérément laid, voir difforme. Tout ça donne une personnalité propre à une série qui n'a absolument rien d'ennuyant, bien au contraire.

Les deux protagonistes de L'ostie d'chat sont deux amis. Québécois (on l'aura compris au titre) dans la vingtaine, ils se connaissent depuis l'âge de 12 ou 13 ans (secondaire 1). Les tribulations de deux gars dans la vingtaine dans une ville comme Montréal ne sont pas nouvelles. Ce qui capte toutefois notre attention, c'est la façon dont les deux auteurs transforment deux personnages au demeurant très ordinaires en bonhommes tellement attachants qu'on voudrait les lire régulièrement.

Oui bien sur, y'a des filles qui passent dans leurs vies et dans leurs lits, évidemment on boit, y'a des scènes de bar, mais si on les aime autant malgré leurs turpitudes, c'est qu'on entre parfois dans leur passé respectif. Par quelques flashbacks qui viennent à toujours à point, le passé de Jasmin et de Jean-Seb nous fait les découvrir, les comprendre, les aimer.

Côté scénario, donc, c'est brillant. L'ostie de chat dresse certainement un excellent tableau de gens qui, s'ils peuvent sembler superficiels, n'en possèdent pas moins un passé, eux aussi. Sans tomber dans le freudisme, disons seulement qu'on est le produit de notre environnement. Iris et Zviane en font là une belle démonstration.

Iris et Zviane sont deux filles. Je l'ai appris après la lecture des deux bouquins. J'avoue que ça m'a surpris. Par préjugé, rien de moins, j'ai cru que seulement des gars pouvaient aussi bien en raconter deux. Eh bien non. Et y'a aussi qu'en terminant chacun de ces deux premiers tomes, ont est très touchés. Oui, on a ri à la lecture des livres, on a souvent, très souvent souri et dans les dernières pages, les auteurs nous laissent sur des images et des bouts d'histoire très forts émotivement. Est-ce le fait d'une écriture plus sensible? Est-ce parce que ce sont deux filles que ces BD sont aussi humaines? Je ne saurais dire. Une chose, toutefois, demeure certaine, c'est que je me procurerai très volontiers le tome 3.