lundi 28 octobre 2019

Le charme discret de l'intestin, par Giulia Enders, éditions Actes Sud

En sous-titre: Tout sur un organe mal aimé; Nouvelle édition augmentée.

Cet essai scientifique a, de par sa nature, tout ce qui aurait pu me le rendre repoussant: les essais m'attirent peu, la science, encore moins. C'est bien la science, oui, mais ses explications se rendent rarement jusqu'à moi. Ça m'ennuie un peu. Et pourtant, ce livre est excellent et m'a appris plein de choses. Voilà un exemple probant de vulgarisation scientifique réussie.

Tout est d'abord dans le ton. L'autrice, une jeune gastro-entérologue allemande, nous raconte d'abord sa passion, l'étude du fonctionnement du corps humain, de la digestion des aliments, et plus particulièrement de la fonction des intestins. Bon, j'en vois qui sourcillent ou qui grimacent parce que pour eux, comme pour moi avant d'avoir lu ce livre, intestins rime avec ce qui sort de notre corps et non ce qui y entre. Or voilà, c'est justement le rôle de l'alimentation qui est aussi au coeur de tout ça mais, attention: sans morale, sans recommandations, suggestions de diète, de ci ni de ça. Voilà pourquoi ce livre m'a plu. Il me parle d'une partie de moi que je ne connais pas sans un ton docte ou bien-pensant, et en m'apprenant non seulement des choses sur l'organe en question mais aussi sur tout ce qui lui est relié.

La section sur le lien entre l'intestin et le cerveau est particulièrement intéressante. Humeurs, stress, anxiété sont autant de choses qui seraient étroitement reliées avec cette portion importante du processus digestif. C'est franchement intéressant. On peut même y tirer des conclusions sur des comportements observés tant dans son propre corps que chez les autres.

Autre découverte franchement passionnante: de l'importante des bactéries et de la relation qu'on a développé avec elles. Dans notre monde prétendument propre, on devrait apprendre à relativiser le terme "bactéries". Bien sur il y a les bonnes et les mauvaises, et l'autrice nous aide beaucoup à s'y retrouver, mais il y a aussi celles qui nous aident. Et quant à celles qui nous nuisent, prend-t-on vraiment les bons moyens pour les tasser? Et si on était plus fort en dedans, pour combattre les maux, plutôt que de tout désinfecter à l'extérieur? Y'a pas que ça mais...

Voilà un exemple de ce dont parle cet excellent ouvrage de vulgarisation. Écrit sur un ton hyper sympathique sans pour autant être infantilisant, c'est un ouvrage à la portée de tous. Bien traduit, il contient des illustrations de style bédé qui, bien qu'elles ne soient pas nécessairement toujours utiles, accompagnent bien le texte, et contribuent à dédramatiser un sujet qui aurait bien pu tomber dans le drame, oui, ou pire: les recommandations.

lundi 7 octobre 2019

Toute la lumière que nous ne pouvons voir, par Anthony Doerr, éditions Albin Michel

Nous revoici en pleine 2e guerre mondiale, période inspirante pour la littérature mondiale. Deux histoires sont racontées en parallèle: celle d'un jeune soldat allemand, et celle d'une jeune française. Si les liens entre les deux sont rapidement faciles à faire, le prétexte de leur rencontre finale, qu'on juge inévitable, l'est beaucoup moins. Sous des apparences de thriller, on navigue pourtant en pleine zone romanesque, avec des références historiques, scientifiques et psychologiques. Facile à lire, de facture classique, mais avec une fin efficace. Ne réinvente pas le genre, mais divertit pleinement.

Werner est un petit garçon élevé avec sa soeur dans un orphelinat allemand. Curieux et brillant, il développera une spécialité dans l'électronique, ce qui le mènera vers une école d'élite, puis sur le front pendant la guerre.

Marie-Laure est élevée par son père dans un appartement parisien. Le père, qui travaille dans un musée d'histoire naturelle, s'occupera pleinement de sa petite fille aveugle qui le suivra souvent sur son lieu de travail, où elle développera une connaissance pour la vie marine et les pierres précieuses. Puis vient la guerre. Ils fuient à Saint-Malo, un des derniers bastions de résistance allemands après le Débarquement. La ville sera assiégée et dévastée en août 1944.

Le contexte historique, s'il est hyper connu, devient passionnant lorsqu'il se déroule à Saint-Malo. Bon, on n'est pas à Stalingrad, mais on vit quand même un siège de l'intérieur, ce qui fascine toujours. Car les références historiques, mais aussi géographiques d'Anthony Doerr sont tout à fait intéressantes. Ses décors sont justes, bien décrits, comme d'ailleurs tout le livre, tout aussi bien traduit, précisons-le.

Ma seule réserve, qui concerne le côté un peu cliché des personnages, s'est estompée au fil des pages, alors que l'intrigue se développe. Par "cliché", j'entends d'abord leurs noms respectifs (vous verrez, y'a pas plus Français et Allemand), mais aussi par le côté un peu gros de certains personnages secondaires. On parle d'Allemands vraiment méchants et de Français, ou plutôt de Françaises un peu trop préoccupés par la bouffe et les petits plats, quelque soit le contexte... Mais justement, ça passe. Parce qu'il y a dans ce roman beaucoup de délicatesse. IL y est beaucoup question de la fragilité de certains humains, quels qu'ils soient, et aussi de la fatalité de l'Histoire qui emporte les uns comme un vent d'ouragan, en laissant les autres se réinventer, et par le fait même, continuer le monde. C'est vraiment très beau.

Bien ficelé, intriguant, Tout ce que la lumière... se lit tout seul. Il plaira autant aux amateurs de l'époque (la 2e Guerre), qu'à ceux des histoires truffées de rebondissements, ainsi qu'aux lecteurs pour qui décors et psychologies des personnages comptent autant que les personnages eux-mêmes.

Une belle réussite.