lundi 4 juillet 2011

L'homme blanc, de Perrine Leblanc, éditions Le Quartanier, collection Polygraphe


Lorsque j'entend parler de "roman russe", généralement, je m'imagine quelque chose de triste, de nostalgique, d'un auteur qui l'a eue difficile et qui nous raconte ses malheurs plus ou moins ironiquement. Bon, vous me direz que j'exagère, que tout ce qui est russe tire fort, que y'a qu'à penser à Dostoï, Tchekov, Soljenystine et compagnie. Pour tout vous dire, je n'ai lu que le premier et le jeune adulte que j'étais préférait mille fois mieux les petites félonies de Balzac aux angoisses existentielles des frères Karamazov. Or maintenant, parmi les auteurs russes, on a qui? D'un si grand pays, si peuplé, connaît-on, nous lecteurs en français, l'âme russe des années 2000 par sa littérature? Qu'on me permette d'en douter. J'en vois peu de traduits. Pour ma part, y'a Makine, mais Makine, mais c'est bien peu. C'est bon, Makine, c'est grand, c'est immense, même, mais c'est sûrement pas tout.

Or voilà, arrive une auteure québécoise, nouvelle, jeune, qui écrit une histoire russe. Ça commence en Sibérie dans un camp, ça se transporte à Moscou et ça se termine dans un cirque. Personnellement, tout mon imaginaire russe y a passé. J'ai ressorti de vieilles images d'une contrée du monde que je ne connais pas autrement. Perrine Leblanc m'a transporté là où Makine, justement, m'avait porté, et peut-être d'autres que j'oublie. donc, côté images et décors: rien de nouveau. Mais oui, j'y reviens, l'auteure est Québécoise. Je ne sais rien de son parcours: a-t-elle une babouchka quelque part dans son arbre généalogique, des études post-doctorales dans une université russe, une collection de têtes de Lénine, je ne sais pas, je n'ai que peu lu sur elle. Or elle a dû tout lire, elle, de ce qui est russe, traduit ou pas. Ça se sent.


L'image que j'ai du Russe a quelque chose de sec, de pas tellement jasant, de mots rares et d'imaginaire débordant que la vodka fait ressortir, et c,est tout. Voilà, c'était ça: des phrases courtes, sans détours, un personnage qui a tout de la fleur poussée dans le gravier, une vie à se débrouiller, et s'en foutre et finalement à s'en sortir sans pour autant s'en rendre compte. Très russe, dirais-je, et on aime ça.

J'ai constaté que la critique a accueilli Perrine Leblanc avec beaucoup de bons mots. J'abonde, sans pour autant parler de révolution. Leblanc écrit fort bien et possède une sagacité rare. L'histoire ici racontée, si elle navigue sur des eaux connues, des images déjà décrites, laissent supposer une belle continuité. J'aimerais que Perrine Leblanc me raconte la Russie d'aujourd'hui. Oui, elle le fait à la fin de l'Homme blanc, mais c'est pas suffisant. N'empêche, je compte sur elle, Russe ou pas, pour m'emmener là bas, loin dans leurs têtes, leurs rêves, leurs envies.

À lire, parce qu'à suivre. Belle découverte.

dimanche 3 juillet 2011

Le sablier des solitudes, par Jean-Simon Desrochers, éditions les Herbes rouges


Après La canicule des pauvres... j'ai découvert, parce que je n'avais rien su de sa sortie, ce nouveau titre de Jean-Simon Desrochers en réprimant une forte envie de battre des mains en pleine librairie. Je rencontrais une autre occasion de me plonger dans l'atmosphère de Desrochers, j'étais prêt pour une autre dégelée du type de La canicule...

Bon.

Après quelque 10 pages, je retrouvais l'oeuvre "chorale" qui marquait La Canicule...: plusieurs voix, plusieurs personnages, un montage serré, des chapitres courts. Après quelque 20 pages, je me suis dit qu'il était sans doute trop tôt pour être déçu. Le temps m'a à peu près donné raison.

Jean-Simon Desrochers écrit comme de la dynamite. Sa langue, ses formulations, en fait, tout ce qu'il exprime avec des mots m'apparaît encore unique. Il y a quelque chose dans cette écriture d'aussi marquant qu'un Michel Tremblay, pas tant dans le style que dans la portée. Desrochers dérange, j'en suis absolument certain, pas tant par ses histoires que par sa façon d'écrire, connectée directement sur la langue parlée, ou plutôt la langue pensée, celle qui sort directement de la tête de n'importe quel parlant français né et vivant en Amérique du Nord (on ne me reprochera quand même pas de manquer de rectitude politique... ). Avec Le sablier..., Desrochers nous ramène à d'autres réalités aussi crues qu'une photo prise en pleine rue, qu'une caméra cachée chez son voisin. Les portraits de personnage, lorsqu'on les lira dans 20 ans, deviendront des références pour se remémorer notre époque. Cet écrivain est vraiment très, très fort.

Ceci dit, hormis le style, il y a l'histoire. Alors que dans La canicule... le lien entre les personnages était un lieu, avec Le sablier..., il s'agit d'un événement. Les amorces sont efficaces, oui, les personnages divers, mais voilà... vous dire combien certains m'ont tapé, ... OK. On dira que l'auteur m'a eu, que c'est lui qui a provoquée mon exaspération. Or je ne crois pas, et voici pourquoi: il y a, parmi les personnages du Sablier... un Américain qui se retrouve mêlé à l'événement. Or, dans chaque chapitre qui lui sont consacrés, Desrochers marque les dialogues et les pensées en anglais. Ce tic d'écriture se retrouvait aussi dans La canicule... à un moindre degré. Dans Le sablier..., cette récurrence est assez fortement présente pour en parler ouvertement. Maintenant, suis-je un méchant nationaliste borné, un inconscient volontaire de la mondialisation ambiante, un puriste du français dans le genre "Académicien"? Pas du tout. Je suis un amateur de littérature et d'histoires de partout. Je lis l'anglais et le français, et si je le pouvais, je lirais certainement dans d'autres langues. En lisant un bouquin, j'aime percevoir le plaisir de l'auteur d'utiliser la langue, les mots, comme le ferait un peintre avec ses couleurs. Or, pour moi, l'utilisation de l'anglais, dans n'importe quelle littérature nationale non-américaine qui soit, relève de la paresse intellectuelle. Oui, cette culture est partout, plus encore dans certaines contrées que d'autres. Oui, elle nous entoure. Oui, elle détermine beaucoup de choses, en commençant par des manières d'être et de penser. Est-ce une raison pour la magnifier, lui donner une place qu'elle n'a jamais offerte aux autres cultures? Lui donner autant de place, est-ce courber le dos devant elle? Si le personnage avait été Danois, les dialogues auraient-ils été en danois? Qu'on me permette d'en douter. Mais comme les personnages sont Américains...

Je ne peux taire ma déception. Jean-Simon Desrochers demeure un auteur au sommet de mes préférences et je ne vois pas comment il pourra en redescendre. Je ne le veux pas parfait. En fait, comme tous ceux que j'aime, auteurs, amis, proches, je le veux imparfait, provoquant et libre. Surtout libre. J'espère Jean-Simon Desrochers libre. Le tic d'écrire des dialogues en anglais ressemble à un lien, un boulet. C'est pas laid, c'est juste triste. Me fallait le dire.

Je noterai enfin un autre personnage, une militaire, que Desrochers a fait donner dans le cliché du bon soldat dont la mort violente mérite description sur plusieurs page", alors qu'à côté de ça, de méchants talibans meurent par dizaines en 3 seuls mots. Histoire de rester digne, je ne ferai ici aucune référence aux influences d'une certaine culture sur non seulement le divertissement, mais aussi l'information...

Vous voyez? Jean-Simon Desrochers n'a pas fini de me faire réagir. J'avoue qu'y faut l'faire.

Ah bah. Continues, mec. Dérange-moi encore.