dimanche 9 juin 2013

Les désorientés, par Amin Maalouf, éditions Grasset

Je le savais, mais il y avait (trop) longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de m'en rappeler: Amin Maalouf est un excellent écrivain.

De Maalouf, je me rappelle des histoires épiques, surtout des récits de voyages à travers le temps et plusieurs contrées. Celui-ci est contemporain, le temps parcouru assez court, et les histoires qui le traversent sont superbes, diverses, et se rejoignent aux deux extrémités: au début et à la fin. Entre les deux, il y a un groupe d'amis d'université qui ont soit quitté leur pays en guerre, soit décidé d'y rester. Tous se sont séparés au début de la vingtaine. Voilà que le décès de l'un deux est le prétexte pour qu'ils se rejoignent en revenant dans leur pays d'origine quelque vingt ans plus tard.

Ce pays d'origine, Maalouf ne le nomme pas, par pudeur ou par respect. Or on le devine facilement grâce à la surprenante quatrième de couverture, écrite au "je", et qui commence par " Dans Les désorientés, je m'inspire très librement de ma propre jeunesse". Quelle excellente initiative.

Le féru de l'Histoire qu'est Maalouf nous fait visiter la sienne, à travers ce qu'il laisse supposer comme la fin d'une civilisation, celle des Levantins. Le sort mouvementé de cette partie du monde est raconté par les impressions d'enfants du pays. Chacun est d'origine différente, et comme on s'en rendra compte, cette différence vient de l'origine confessionnelle de chacun. Religion? Pas seulement. Un des personnages expliquera une fois que cette région est vieille, et que ce sont plutôt de vieux clans, voir des tribus qui continuent de s'affronter à travers des religions. Pourtant, tous vivaient là, ensemble, différents, dans un Babel qui fonctionnait. Leur groupe d'amis en était la preuve.

Mais le temps a fait d'eux ce que la société a voulu qu'ils deviennent. On retrouvera ainsi un prof devenu Brésilien, une hôtelière restée au pays, un moine chrétien, un islamiste, un écrivain devenu Français, etc. S'affronteront-ils au retour? Et comment regarderont-ils leur passé commun: en fonction de ce qui les a séparé ou de ce qui les réunissait?



Maalouf raconte tout ça d'une façon passionnante à travers un narrateur qui prendra l'initiative de provoquer la réunion des amis. Le livre raconte cette préparation, qui s'étend sur une période de 16 jours. Pendant ce temps, on connaîtra l'histoire de chacun des protagonistes, soit par évocation de souvenirs, de lettres et de courriels échangés.

Ce n'est pas tant comment chacun a vécu sa vie qui fascine que ce qui les a fait se séparer et se réunir. Maalouf raconte sans effusion, efficacement et très bellement. C'est une histoire d'histoires qui parle d'identité et d'amitié qui nous fait nous demander quelle est notre vraie place, et quel rôle nous jouons dans la vie des autres.

À la fin des Désorientés (quelle superbe titre!), on est surpris et surtout très ému. On croyait pourtant le narrateur proche de l'auteur...

Je n'adresserai qu'un seul reproche à ce livre. Peut-être est-il provoqué par l'auteur, peut-être par l'éditeur, je ne saurais dire... mais quelle désagréable manie que de publier des pans entier d'un livre en italiques. Ici, c'étaient les lettres du narrateur qui avaient le "privilège" de se distinguer graphiquement du reste du texte. Mais pourquoi? Pense-t-on que le lecteur ne sera pas capable par lui-même de faire la différence entre une lettre et la narration? Y'avait pourtant aucune raison de le faire, le livre est très bien écrit, très clairement. Dommage qu'on ait eu à se taper des pages et des pages de cette écriture penchée plus difficile à lire, pas vraiment belle lorsqu'elle fait plus d'un paragraphe. Personnellement, je limiterais les italiques à des titres ou des citations, pas à des portions longues de texte. C'est là une fantaisie à mon sens inutile qui rend ces pages difficiles à lire.

Mais pour le reste: chapeau à Amin Maalouf. Il m'a fait aimer ce pays et ces gens, son histoire... et son écriture.