mercredi 23 août 2023

Hotline, par Dimitri Nasrallah, éditions La Peuplade

C'est un livre que j'ai lu avidement et qui m'a laissé perplexe, comme on l'est parfois devant l'inconnu: on est choqué, sans savoir si on a aimé, mais l'impression est forte.

Années 80: une immigrante libanaise arrive à Montréal avec son fils. Elle décrit sa vie, d'où elle vient, famille, pays troublé, conjoint disparu dans un contexte de guerre. Elle s'installe dans un petit appartement d'étudiant dans le ghetto McGill et décrit sa vie. C'est presqu'un journal, par le ton et le rythme, mais ça ne l'est pas. Le ton est simple et le rythme si singulier qu'il nous hypnotise presque. On avance lentement dans le temps, pas à pas. Cette femme se raconte délicatement, avec une franchise fraîche, crédible, mais surtout naïve et déterminée. On la prendrait dans nos bras. Son histoire pourrait être un drame, mais elle avance comme si ça ne l'était pas. Si le personnage est naïf, son optimisme ne l'est pas, et c'est franchement stupéfiant de le découvrir.

Cette femme avance seule, avec son jeune garçon et ses fantômes. Tous les personnages qui l'entourent passent sans toutefois tisser de liens profonds avec elle. Pris individuellement, les personnages peuvent ressembler à des opportunités, des occasions d'ouverture, particulièrement d'autres personnages immigrés, comme elle. Une connivence, prude mais sincère, s'installe, et cette vision des choses est nouvelle pour moi. J'ai vu la vie d'une immigrante d'une perspective que je ne connaissais pas, et j'ai adoré ça. On voit notre société de sa perspective à elle.

Aussi, lorsqu'il s'est agit de la société prise dans son ensemble, ses allusions deviennent moins belles, grises, négatives. Certaines références au peuple de sa ville d'accueil sont presque politiques. Bien sur, comme ça me concerne, ça me touche, et à cette heure, une fois le livre terminé, je ne sais pas si j'ai perçu le ressenti du personnage ou celui de l'auteur du livre. C'est ça qui me laisse perplexe. Mais je me pose peut-être trop de questions...

Reste que cet auteur a un amour immense pour son personnage, une connaissance fine de sa psychée et de son histoire qu'il nous raconte sans fard et sans artifices. Rien n'est cru ni violent, mais sincère, oui. Des trois récents auteurs que j'ai lus qui sont ancrés dans la communauté libanaise vivant à Montréal (Farah, Chacour, et maintenant Nasrallah) , c'est dans Hotline que j'ai perçu le plus d'amertume. Mais au-delà de ça, j'ai aimé ce livre de Dimitri Nasrallah. La traduction de Daniel Grenier aussi, pour son efficacité, et sa précision. Je questionne toutefois le choix de garder le même titre qu'en anglais, question de sens. Mais bon, là aussi, je me pose peut-être trop de questions...

lundi 7 août 2023

Mon fils ne revint que sept jours, par David Clerson, éditions Héliotrope

Raconter une tristesse d'aussi belle façon mérite qu'on s'y attarde. Ce court livre est franchement superbe.

La narratrice est une mère qui observe, qui accepte de laisser aller, de ne retenir rien ni personne. Si son fils revint, c'est qu'il était parti depuis longtemps. Son conjoint aussi, disparu depuis encore plus longtemps et sa fille, pourtant restée plus près, lui est presque devenue étrangère.

Ce livre sur les relations familiales a tout des autres livres que j'ai récemment lus, mais avec un ton complètement différent. Ceux-là parlaient de relations entre membres de familles où les mères sont souvent prenantes, intenses, dont l'emprise sur la famille est à la vie et à la mort. Ici, c'est le contraire. Cette femme raconte comment tous se sont éloignés sans qu'elle ne les retienne. Elle les a laissé aller, laissés vivre leurs vies. Restent d'eux les souvenirs et l'amour. Son fils vit tous les tourments, sa fille s'affadit. Seuls ses petits enfants, peut-être, la remènent au désir et aux possibilités de partager des petits bonheurs.

Cette voix suscite l'empathie par sa retenue. On comprend ses peines, tout en ressentant aussi bien qu'elle que la vie est aussi ailleurs, autour. Parce que l'environnement immédiat de cette narratrice devient un personnage. La forêt qui entoure son chalet, le lac, de plus en plus peuplé, et le chalet lui-même, qui n'a pas changé de génération en génération. Tout ça, on le sent, devient sa nouvelle raison de vivre. On aime parcourir la forêt avec elle. Les descriptions en sont fantastiques.

L'auteur décrit fort bien une solitude confortable. Il en parle avec un respect quand même assez rare. C'est ce qui fait que ce livre, qui pourrait vous laisser triste, a quelque chose d'apaisant. Cette histoire se passe doucement, comme la vie de la narratrice qui acceptera, elle aussi, que sa vie passe et la quitte.

C'est le ton de ce livre qui m'a plu, le calme de la forêt qui étouffe les cris dans la tête du fils. L'écriture de David Clerson est efficace, belle et invitante. J'ai bien envie de lire autre chose de lui. C'est à lire, tant sous la pluie que le soleil.

jeudi 3 août 2023

Grandeur nature, par Erri De Luca, éditions Gallimard

Ce recueil de nouvelles m'a attiré par son thème: les relations père-fils, mais aussi père fille, et d'autant plus que l'auteur dit que puisqu'il n'a jamais eu d'enfants, il est donc toujours resté un fils. Le un point de vue du "vieux" fils m'a semblé intéressant.

Les nouvelles sont courtes, sauf une, plus longue. Comme toujours dans les recueils, on aime chaque histoire différemment. La première m'a particulièrement plu, où il est question du peintre Chagall, juif bielorusse exilé à Paris, qui hésite à faire le portrait de son père. Faire ce portrait de mémoire ressucite justement des souvenirs confondants. C' une très belle expérience, d'autant plus que l'auteur interrelie cette histoire avec celle d'Abraham à qui son dieu lui demande d'immoler son propre fils, Isaac. Ces deux portraits apportent un regard original sur les relations entre un fils et son père. C'est érudit, mais facile à lire, et tendre, malré les apparences.

Les autres nouvelles vont dans différentes directions, d'une expérience personnelle de l'auteur au récit de Moïse qui entend une voix, qu'il identifiera à son père, puis à son dieu. Celle là est particulièrement belle. Ce n'est pas tant le contexte religieux que le symbole de la voix intérieure, de l'obligation d'être ou de faire on ne sait quoi sous l'influence d'une force qu'on ne sait où. Mais si un appel ou une voie est tracée par son père, ça rend tout plus évident. Mais est-ce pour autant plus simple?

Erri De Luca est un grand auteur, d'une grande expérience, et ça se sent. Ces histoires sont profondes, belles et portent à réflexion. C'est peut-être moi, mais il m'a semblé que la traduction était parfois ardue. Mais c'est peut-être la langue de l'auteur qui m'a forcé à travailler. Allez savoir. Mais rien de pénible. Juste un ou deux accrochages.

Bref, pour qui le thème est d'actualité, pour une raison ou une autre, ce livre plaira, ou sera à propos. Ce n'est pas un livre "de vacances", mais il ne contient rien de lourd non plus. Il offre une belle occasion de réfléchir un peu sur ce qui a bien porté la nôtre, de relation avec son père.