dimanche 26 décembre 2021

Femme forêt, par Anaïs Barneau-Lavalette, éditions Marchand de feuilles

Est-ce l'époque, est-ce la saison? S'agit-il des personnages, des décors dans lesquels ils évoluent? Est-ce à cause des mots? Je sors de ce livre touché, sans m'y être attendu.

L'époque est trouble, je la subis, l'autrice aussi. Les lieux sont inconnus mais près de moi. Les personnages sont vrais, je ne les connais pas mais je les comprends. Les mots sont ceux que j'utilise régulièrement, les habitudes me sont connues, les repères aussi, bref, je m'y suis retrouvé. J'avais tout pour aimer ce livre.

Anaïs Barbeau-Lavalette raconte par bribes des épisodes de sa vie récente et passée. Dans le récent, il y a une société confinée et deux familles réunies dans une maison de campagne pour vivre ça de loin. Dans le passé, il y a des parents, des grand-parents, des voisins, des amis, qu'elle fait se promener avec elle entre souvenirs et moments présents. La vie racontée est celle de tous les jours mais les personnages prennent une tournure extraordinaire. On dirait que chaque personne racontée, ne serait-ce qu'en un seul paragraphe, est à elle seule tout un roman. Est-ce vraiment le cas? Anaïs Barbeau-Lavalette est-elle vraiment entourée exclusivemenet de personnages aux vies pleines de choses à raconter?

Peut-être, mais on a la puce à l'oreille lorsqu'on se rend compte qu'en plus des personnages, elle raconte les choses, même les plus immuables comme des arbres, une rivière, des plantes, comme s'ils étaient eux-même des personnages. Il faut un sacré talent pour savoir rendre compte de tout, absolument tout, avec autant d'acuité, de profondeur, et surtout, d'intérêt. Bref, l'extraordinaire vient du talent de l'autrice.

J'avais peur en commençant ce livre. Les journaux personnels, les notes à soi-même et autres auto-façons de se raconter comencent à me peser. J'en redoutais une autre. Mais ouf, c'est fou tout ce qu'il y a de lumière dans ce livre. C'est tout sauf lourd.

Cette autrice est à lire parce que comme toutes celles et ceux que je préfère, elle sait ressentir le monde. Ici, "ressentir" diffère "d"interpréter". Raconter un sentiment d'étouffement qui s'estompe par une marche en forêt, décrire les propriétés d'une herbe considérée comme mauvaise sans pour autant donner dans les propos scientifiques un peu ennuyants, décrire l'amour au tournant d'une phrase, comme une impression furtive mais intense: voilà Femme forêt.

C'est le genre de livre dont on pourrait se demander s'il a été écrit pour coucher ses peines sur papier (ou sur écran) et tomber dans un certain apitoiement. C'est pas ça. Certaines personnes voient les choses, les forêts, le vivant, de plus près que la moyenne des gens, et ressentent les événements avec une sensibilité différente. S'ils savent dirent pourquoi il en est ainsi, ils deviennent de grands auteurs. Voilà Anaïs Barbeau-Lavalette.

À lire, comme vous avez peut-être lu La femme qui fuit. Et si non, à lire quand même, ne serait-ce que pour vous apaiser un peu.

samedi 18 décembre 2021

Offrandes musicales, par Michel Tremblay, éditions Leméac/Actes sud

Je me suis offert un cadeau. Je me disais que Tremblay et musique, c'était prometteur. J'avais raison.

L'auteur raconte des souvenirs basés en majeure partie sur des pièces musicales. Je le savais amateur d'opéra, mais pas autant. La musique classique a aussi une belle place. C'est pas votre tasse de thé? Ça fait rien. C'est Michel Tremblay qui raconte, alors vous ne vous ennuirez pas.

Michel Tremblay, ce sont deux ou trois mots placés juste à la bonne place dans une phrase, pour attirer votre attention, une expression qui vous fera sourire, un souvenir qui vous ramènera à votre enfance, quelque soit votre âge.

Les courts récits de ce recueil sont regroupés en thèmes: sanglots, rires, épiphanie. Je suis surpris d'avoir été surtout touché par les sanglots. Si les souvenirs touchent, n'en demeure pas moins le verbe de Michel Tremblay qui vous amène tout en douceur vers une grande douleur que vous ressentez avec lui. Les histoires racontées ici sont très belles.

Mais voilà, il y a la musique, omniprésente. Une pièce évoque un deuil, une autre un fou rire, une autre, une inspiration. Dans "épiphanies", Tremblay nous raconte des moments où, justement, l'inspiration est venu par la musique, ou par quelqu'un. C'est superbe, et ce l'est d'autant plus si on s'intéresse à son oeuvre. Et à la fin, il nous déballe un cadeau surprise avec deux courtes histoires mettant en scène nul autre qu'Edouard, tiré des Chroniques du Plateau Mont-Royal où, fait historique (en tout cas j'imagine lorsqu'il raconte une des premières interprétations du Boléro de Ravel à Montréal, dans les années 50), musique et observations de la Duchesse de Langeais vous font terminer ce court livre sur la meilleure note qui soit.

Pour moi, Tremblay, c'est d'abord la raison pour laquelle j'aime lire. Ce sont les Chroniques... qui m'ont montré, adolescent, qu'il y avait dans les mots des sources inépuisables pour nourir l'imagination. C'est grâce à lui que j'ai compris que lire, ça serait pas plate. Après, je l'ai suivi, puis on s'est perdu, son oeuvre et moi, pour nous retrouver de temps en temps, comme un parent qui nous a fait, mais dont on s'est détaché avec le temps.

Cette visite, après un certain temps à ne pas l'avoir fréquenté, m'a fait du bien. Ce Michel Tremblay vous réconfortera comme un après-midi avec des copains, où on se raconte toutes sortes de choses, un moment qui vous regaillardit.

lundi 6 décembre 2021

Le courage de la nuance, par Jean Birnbaum, éditions du Seuil

Si le seul titre de livre vous inspire, vous aimerez le lire. Cet essai donne de l'espoir.

Écrit par un auteur éminament érudit, cet ouvrage a pour prétexte la polarisation des idées, exacerbée par les médias sociaux. On se surprend à constater que quel que soit le côté ou l'on penche socialement ou politiquement, notre seule option est d'opter pour un camp ou pour l'autre, sans nuance. Et à partir de là, on cesse toute écoute, on se solidarise avec nos pairs et on tire en direction de l'autre.

Pourtant, avance Jean Birnbaum, il y a moyen de reconnaître, partout, dans tous les camps, des lumières et des failles. C'est là où entre la nuance. Nuancer, c'est prendre la peine de réfléchir, de se tourner la langue dans la bouche avant de parler et d'éviter de tomber dans les haines et les jugements qui n'apportent rien aux débats d'idées.

Pour étoffer sa thèse, Birnbaum présente des personnalités du milieu littéraire français. J'allais ajouter des personnalités "historiques" puisqu'aucune d'elles n'est encore vivante, mais qu'importe. Il nous fera remarquer très justement que chacun de ces auteurs a passé pour un original ou pour un outsider pour avoir réussi à faire sa vie en commentant, en écrivant, en racontant sans pour autant juger. Être intéressant, ça peut aussi vouloir dire de remettre des choses en question, même des choses qui, de prime abord, semblaient prises pour acquises. Plusieurs ont passé pour des traitres en remettant en question les extrêmes d'idées qu'ils avaient préalablement défendues. Birnbaum explique leur cheminement en quelques pages. C'est extrêmement intéressant.

Je ne connaissais pas tous les auteurs présentés, comme Raymond Avon ou Germaine Tillion. Je connaissais le nom d'autres comme Albert Camus, Hannah arendt et George Orwell et leurs propos, dans ces deux derniers cas, m'ont énormémenet intéressé. Pour Roland Barthes, on parle ici d'un désir vraiment fort de le connaître.

Bref, c'est érudit, oui, mais pas lourd et ça fait du bien. L'auteur le dit bien dans ce livre: l'intellectualisme est souvent décrié par qui se complet dans ses idées bien arrêtées, qu'il ne veut pas déloger. Or, lire des choses comme ça, qui portent à réfléchir, montrent combien, parfois, non seulement nos poumons ont besoin d'air frais, mais aussi, notre cerveau.

J'aurais aimé découvrir aussi dans ce livre des auteurs actuels qui pratiquent l'art de la nuance. Reste qu'en avoir découvert d'anciens me permettra d'en repérer d'autres.

Pour les curieux, c'est chaudement recommandé. Si vous voulez pousser pous loin, écoutez cette entrevue de 7 minutes où Birnbaum explique son livre. C'est fort intéressant.

lundi 29 novembre 2021

Pas un jour sans un train, par Robert Lalonde, éditions Boréal

Robert Lalonde va partout, c'est le moins qu'on puisse dire de lui, tant en matière d'écriture que de lecture et de voyages. Dans ces carnets, ils nous raconte des voyages, des vrais et des imaginés, et il nous raconte deux de ses passions: les trains et l'écriture.

Il utilise en effet le train comme prétexte pour dresser de brefs tableaux d'écrivains. De Nabokov à Dickinson, en passant par Hemingway, Giono, Colette et d'autres moins connus, l'auteur les place dans un train, dans une gare ou sur un quai avec un crayon et du papier. Dans ces courts portraits, il met le personnage connu dans une scène où l'inspiration lui est donnée par le train, le mouvement, le prétexte à se déplacer ou à rencontrer des voyageurs. Le train devient prétexte à créer.

L'image est très belle, et les prétextes pour le montrer sont nombreux. Or, dans ce livre écrit comme un carnet, on retrouve le même phénomène que dans un recueil de nouvelles: certaines pages nous emportent et d'autres nous laissent un peu seul.

Bien sur, je m'attendais à beaucoup de références au train, un mode de transport que j'adore. Lalonde en fait quelques unes tirées de récits personnels où le train, qu'il passe devant ses yeux ou qu'il le transporte, évoque le désir de découvrir, de voir le monde, de le connaître. J'ai aimé ces anecdotes personnelles. Chaque fois, l'auteur a su me transmettre son envie de profiter du moment, du paysage, de l'immobilité du voyageur pendant que le train avance. Un genre de meilleur des deux mondes.

Puis, le lien avec la littérature va de soi. C'est en effet une autre façon de découvrir le monde, l'idée est excellente. Dans ces portraits, j'ai parfois été complètement charmé et à d'autres, j'ai plutot manqué le train. Je dois aussi admettre l'agacement que j'ai éprouvé à traverser des portions de texte écrites en anglais alors que l'auteur donne la parole à des écrivains de langue anglaise. Non, y'avait pas de phrases en russe pour les auteurs russes ni rien en espagnol pour Gabriel Garcia Marquez. Je comprends donc qu'on puisse écrire en anglais "parce que tout le monde lit l'anglais" mais pas les autres langues. D'accord. C'est un fait. Donc, tout le monde lit l'anglais, tenez vous le pour dit. Si c'est pas votre cas, vous vous faites l'idée que vous voulez. Personellement, je trouve ça triste lorsque Goliath empiète sur David. C'est comme tellement facile. Et en plus, ces dialogues ou monologues dans leur langue d'origine n'apportent rien.

Autrement, j'avoue que j'aurais aimé avoir lu ce livre dans un train, dans un voyage juste assez long pour traverser pour en traverser une bonne partie. J'en ai lu quelques parties dans le transport en commun. C'était tout à fait approprié. Même les bouts plus ardus passaient mieux.

J'ai reconnu là le Robert Lalonde érudit, inspiré et méditatif que je connais. Je ne lirai pas tout de lui, mais je le lirai encore, c'est certain.

Pour les amoureux des voyages, ceux qui aiment et savent prendre le temps, et pour les fans de Robert Lalonde.

mardi 9 novembre 2021

Les ombres filantes, de Christian Guay-Poliquin, éditions La Peuplade

Le personnage du Fil des kilomtres et du Poids de la neige poursuit sa course. La même atmosphère de crise mondiale persiste en trame de fond: les communications sont coupées, l'électricité manque. Les gens ont opté pour le mode survie et c'est chacun pour soi. C'est là-dedans qu'avance notre protagoniste. Après avoir traversé un pays en voiture et affronté l'hiver dans les autres livres, le voici en forêt par un été chaud.

Les décors de Christian Guay-Poliquin sont sobres, mais il les connaît finement, tellememt qu'il en fait des personnages. Ici, la forêt n'a rien de bucolique ni de mythique. C'est un environnement anarchique, comme le monde dans lequel se déroule l'histoire, où dangers et abris se cotoient. En fait, cet auteur décrit la forêt avec un oeil intéressé, curieux, sans filtre émotif, et c'est un des éléments qui rendent ce livre aussi captivant.

L'angoisse, aussi, sans la peur, quoi qu'elle apparaisse de temps en temps, fait aussi partie de ce qui nous retient. Parce que l'anarchie dans laquelle Guay-Poliquin fait évoluer ses personnages et comme en en arrière-scène, mais elle recouvre tout, particulièrement les relations sociales. La crainte est partout. Celle du personnage principal, en tout cas, est manifeste, et sa traversée de la forêt a un but: rejoindre une partie de sa famille, qu'il rejoindra, mais à quel prix?

Et il y a aussi ce second personnage principal qui se joint au premier. Sans le décrire, disons que l'auteur le rend savamment intriguant et imprévisible, mais attachant. On verra le monde différemment à travers lui, et ça aussi, c'est réussi.

Christian Guay-Poliquin dépeint très bien la complexité des relations qu'on a avec nos proches. Amour et haine, dépendance et besoin de se détacher, se trouver des points en commun et tenir à se distinguer: c'est à travers tout ça que nos deux personnages avancent, et c'est fort bien amené.

Notons enfin que ce troisième livre des aventures d'un même personnage se déroule cette fois en été, qui devient aussi une part importante de ce qui se passe. Comme pour la forêt, comme pour les humains que l'on côtoie, la saison chaude a ses avantages et ses méfaits.

L'auteur a dit de ce livre qu'il était le dernier d'une série de trois. On le voit bien avec la fin, touchante, mais emmenée peut-être un peu rapidement. Reste que tout aussi habilement que tout ce dont il parle, Guay-Péloquin laisse une petite porte ouverte, une possibilité de penser que peut-être, çca pourrait ne pas être terminé.

Quoi qu'il en soit, Les ombres filantes sont dans la continuité du style que cet auteur a développé et qui lui vaut des compliments mérités. J'ai maintenant hâte de voir quels nouveaux scénarios il saura tramer avec ses ambiances brumeuses... à moins qu'il sache nous en créer d'autres, complètement différentes, mais tout aussi attirantes.

mardi 12 octobre 2021

Les étés souterrains, par Steve Gagnon, éditions L'instant même, collection L'Instant scène

C'est du théâtre, mais ça pourrait aussi être un long poème en prose ou un monologue sous forme de récit. Quoi que ce soit, c'est complètement bouleversant et fichument beau.

J'avais vu la pièce dès que les salles de théâtre ont accueilli leurs premiers spectateurs après le long confinement de l'hiver 20-21. Ce texte de Steve Gagnon était mis en scène par Édith Patenaude et joué par Guylaine Tremblay, comédienne de grand talent, parfaite pour rendre les multiples facettes de ce texte aussi dense que léger, et aussi doux que fort. Séduit, j'ai acheté le texte en sortant de la salle, chose que je n'avais jamais faite avant. C'était une excellente idée. Les producteurs devraient faire ça plus souvenet: mettre le texte de la pièce à la disposition des spectateurs en sortant.

Une femme est en vacances dans sa maison de campagne en Provence. Elle parle avec des amis. Prof de littérature au Québec, elle se raconte. Son récit est entrecoupé de scènes où le même personnage est dans un autre temps et un autre espace, dans un centre de soin où on sent bien que rien ne va plus pour elle.

Ce personnage est un moulin à paroles qui se connaît bien. Elle sait qu'elle parle beaucoup et ne se sent pas plus mal pour autant. Ayant une opinion sur tout, elle exprime le plus souvent sans aucun filtre ses idées, ses impressions, ses émotions. Bien qu'avec un seul personnage, ceux à qui elle s'adresse sont très présents. Elle nomme souvent ses amis, son amant, sa fille. Entière et sincère, elle exprime, parfois maladroitement, son amour pour chacun. Au début, comme tout personnage du genre, elle nous tape un peu, mais rapidement, on sent sa fragilité, mais surtout, son honnêteté, et on l'aime tellement qu'on ne voudrait plus qu'elle s'arrête de parler.
Les étés souterrains est un hommage à l'amour, l'amitié et la sincérité. On aime ce personnage parce qu'elle n'a rien de faux et qu'elle avance droit devant, même si certains peuvent se faire un peu bousculer à son passage. Mais la femme qui se dit forte et fière se sait aussi atteinte d'un mal qui, elle le sait aussi, l'emportera plus rapidement qu'elle l'aurait voulu.

Ce texte de Steve Gagnon se lit sans peine d'un bout à l'autre. On l'aime comme on aime être en présence d'une personne aimée. Il faut être très doué pour mélanger autant d'émotions en si peu de mots.

Bien sûr, ayant vu la pièce, j'entendais parler le personnage. Mais même sans la voix, je suis certain qu'elle saura vous séduire, et ce même si vous n'avez que rarement lu des textes écrits pour le théâtre. Celui-là se lit bien, la langue est belle et simple, sans prétention, mais d'une force qui vous va droit au coeur.

Pourvu qu'on reprenne la pièce... et que Steve gagnon nous prépare d'autres choses à lire!

dimanche 10 octobre 2021

Kukum, par Michel Jean, éditions Libre Expression

Lire un livre parce que beaucoup de gens m'en ont parlé me fait le commencer avec appréhension. Sans snober la sagesse populaire, disons que j'ai toujours préféré faire mon chemin tout seul. J'ai donc commencé Kukum dans cet état d'esprit, en embarquant difficilement.

Celle qui se raconte a 15 ans. Orpheline adoptée par un couple qu'elle appelle "mon oncle et ma tante", elle vit dans un petit village naissant, au bord du lac Saint-Jean. Un Innu passe souvent par la rivière voisine sur son canot. Elle s'intéresse à lui et bientôt, elle le mariera pour le suivre. On est à la fin du 19e siècle, les Innus passent l'été dans un village de tentes et l'hiver dans les bois, on nord du lac Saint-Jean, en remontant la rivière Péribonka. Elle vivra une nouvelle vie apprendra la langue, fera des enfants, bref, elle deviendra elle-même innue.

Bien que grande parce que rare, l'histoire est racontée sobrement. Très sobrement, et c'est là où j'ai eu un peu de difficulté, au début du livre. J'espérais plus d'emphase. Mais quand même, l'avancée de cette femme, les descriptions des épisodes lents de sa vie, et du mode de vie de sa nouvelle communauté ont capté mon attention. Bien que sobre, tout y est. Puis, j'ai été happé, parce que j'ai compris.

Michel Jean connaît son sujet puisque c'est la vie de son aïeule qu'il raconte. La parole qu'il lui donne est tout à fait crédible, vraie. Au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, la narratrice constate les changements, quand même assez drastiques, que son peuple aura à subir. Elle prend position, donne son opinion, toujours aussi sobrement. On parle souvent de cette histoire du choc des civilisations vécu entre les peuples autochtones et les colons blancs. On en parle de toutes les façons, d'où les débats. Quelles que soient les positions, ces histoires soulèvent les passions, font se poser des questions, provoquent des doutes. Or, avec Kukum, on a quelque chose de nouveau, et c'est là où réside la force et le génie de ce livre: le ton.

Cette sobriété, loin d'être neutre, est communicatrice. C'est l'histoire de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'hommme qui a vu l'ours racontée par celle qui a vraiment vu l'ours. Ce point de vue, ce ton, nous donnent un regard complètement nouveau sur cette dure époque vécue par les communautés innues, et par le fait même, celles des autres premières nations américaines.

Rempli de faits historiques propres à la région racontée, Kukum est un témoignage éloquent raconté de façon à ce que tous puissent le lire... à tête reposée. L'auteur a su garder une ligne vraiment pas évidente où l'émotion se transmet le plus naturellement du monde sans grands déploiements ni grandes scènes épiques. La narration se fait tout doucement, subtilement, comme un témoignage, comme l'Histoire se déploie, avec les conclusions qu'on en tire chacun de notre côté. N'empêche, on en sort ému.

Le succès populaire de Kukum est bien mérité et on lui souhaite, comme le peuple qu'il raconte, de durer et de prendre sa place dans l'Histoire.

mardi 28 septembre 2021

Yoga, par Emmanuel Carrère, éditions P.O.L.

Un grand écrivain, c'est sans doute quelqu'un qui réussit à vous faire lire ce qu'autrement vous ne liriez jamais. Pour ma part, ça s'était déjà passé avec Karl Ove Knausgaard. Ça revient de se passer avec Carrère. Mon expérience a été agréable, je dois le dire, mais quelque chose est arrivé parce qu'à partir de maintenant, les auto-fictions, je commence à en avoir assez.

Premier tiers du livre: Emmanuel Carrrère nous raconte ses quelques jours dans un camp de méditation, dans la campagne française. Un peu septique mais motivé, il nous raconte son point de vue d'habitué du tai-chi et du yoga. Il observe ce qu'il ne devrait pas, nous partage ses impressions, bonnes et moins bonnes, bref, c'est le reportage commenté d'un endroit où silence et contemplation devraient être de mise. C'est divertissant, instructif, captivant. Mais son expérience s'arrête brusquement parce que quelque chose s'est passé à Charlie Hebdo où, entre autres, un ami proche a perdu la vie.

Au deuxième tiers, l'auteur nous annonce que tout ça, c'était le bon temps parce que pas longtemps après, il est terrassé par une profonde dépression, tellement qu'il en est hospitalisé. Il nous raconte: la montée du mal, le séjour à l'hopital, puis, la très lente rémission. Bien sur, on n'est pas dans Le lambeau, de Philippe Lançon, mais on y pense. L'auteur se raconte: le personel soignant, les médicaments, les bas profonds, les petites rémissions, les douleurs.

Dernier tiers: Emmanuel gagne sa résidence (secondaire?) sur une île grecque d'où il aura l'idée de se rendre sur une autre île où des migrants sont parkés dans l'incertitude. Il fera la connaissance de certains en s'impliquant dans une oeuvre charitable. Il nous raconte.

En fait, Carrère nous raconte, par flashbacks, une bonne partie de sa vie, avec, pour fil conducteur, la recherche du calme, de l'équilibre, gâché par un trouble bipolaire et une vie amoureuse compliquée. Alors à travers une anecdote (très drôle et ironique) où il était au Sri Lanka lors du tsunami de 2004, un séjour au salon du livre de Guadalajara, un voyage dans les Açores, une rando dans les Baléares, une retraite en Bretagne, et puis tout ça, il nous parle des siens, de ses amours, de ses échecs.

Bon. C'est certain que lorsque notre vie ressemble à un roman et qu'on a le talent pour la raconter, on met tout ça ensemble et ça donne un bon livre. C'est indéniable. Or, notre vie peut bien ressembler à un roman, ça ne nous empêche pas de pouvoir la vivre assez mal. Bien sur. Alors le lecteur, dans tout ça, qu'est-ce qu'on veut qu'il retienne? Que sa vie est romanesque? Que sa vie vie romanesque est difficile à vivre? Qu'on écrit si bien qu'on pourrait raconter n'importe quoi?

Pour ma part, c'est un peu tout ça que j'ai retenu. C'est bien de se mettre en scène, mais au bout du compte, j'ai eu le sentiment de lire un épisode moderne de "la misère des riches et célèbres" et bon, je n'en suis pas sorti transformé. Et vous savez quoi? Je me demande... si cette histoire avait été celle d'un personnage fictif, j'aurais peut-être développé un peu plus d'empathie.

Bref, c'est Emmanuel Carrère, donc, ça se lit tout seul, même si on se surprend à pousser parfois de longs soupirs. Pas d'ennui, non, de découragement, parce que parfois, je ne vous le cache pas, j'ai trouvé ça un peu chiant.

Vous aimez Carrère? Lisez-le. Vous ne perdrez pas votre temps... et vous aurez le droit d'en penser ce que vous voulez, vous aussi.

mardi 21 septembre 2021

Nos frères inattendus, par Amin Maalouf, éditions Grasset

Un homme se retire du monde pour aller vivre sur une petite île dans un archipel au large des côtes européennes. Il décide de prendre la plume pour raconter des événements étranges qui surviennent dans son environnement immédiat et qui, apprendra-t-il bientôt, concernent toute la planète.

C'est novembre, il pleut, l'île est battue par les vents, la maison est un refuge, bref, le décor romanesque est parfait, d'autant plus que les événements commencent par une interruption de service de tous les réseaux: électricité, ondes radio, communications, tout est à l'arrêt. Il envisage le pire puisque depuis quelques jours, un obscure dirigeant d'Un petit pays du Caucase menaçait de recourrir à l'arme nucélaire.

Au bout de quelques jours, la radio diffuse un discours du président des USA disant de ne pas s'en faire, qu'il était sur le cas, que rien ne laissait présager un désastre, mais que ça n'allait pas fort. Pendant ce temps, notre homme fait la connaissance de son unique voisine sur l'île, une romancière mysanthrope pas très sympa.

De fil en aiguille, on apprendra que la Terre l'a échappé belle et que le pire n'est pas arrivé grâce à l'intervention d'un groupe de gens jusqu'alors inconnus qui ont mis leurs services au secours de l'humanité en interrompant les communications et en intervenant directement auprès du président américain. Qui sont ces gens? Que nous veulent-ils?

L'auteur nous happe dès le début en racontant cette histoire qu'il situe dans un temps indéterminé mais avec des décors et des personnages de notre temps. Hormis ces curieux intervenants, tous sont "normaux". La vie de l'archipel fait figure de microcosme du reste du monde. Or, apparaît un nouveau personnage, ami d'enfance du narrateur, qui se trouve à être un proche conseiller... du président américain. Cet heureux hasard aidera bien sur notre homme à faire sa chronique des événements internationaux.

Puis, les événements s'accélèrent. On découvre que le groupe de gens intéressé au sort de l'humanité possède des connaissances très avancées en matière de médecine. On en viendra à des interventions qui pourront faire envisager aux humains d'éliminer toute maladie et de retarder la mort. C'est là où j'ai commencé à décrocher un peu.

Entre la fable et la science fiction, Nos frères inattendus a pour but de nous faire réfléchir sur notre avenir, nos relations avec les autres et avec le monde. Vers quoi tendons nous? Contre quoi nous battons-nous? Quel sens donner à la vie sinon de la vivre, tout simplement, le plus longtemps possible, en paix et sans conflit? C'est humaniste tout ça, et c'est fort bien. Seulement, plusieurs morceaux de ce conte ambitieux ne collent pas. La science fiction, aussi légère soit-elle, doit se tenir pour être crédible. Ici, Maalouf a mis l'accent sur le but à atteindre sans se soucier suffisamment de la cohésion de son histoire. Trop souvent, les caractéristiques de certains personnages, l'aboutissement de certaines scènes, les conséquences de certains actes n'ont pas de sens. Il n'y a rien de pire que de lire de la science fiction et de se dire: ça ne se tient pas, parce que s'il arrive ça, il aurait dû prévoir ça, ça et ça. Ce n'est pas le cas ici. Maalouf veut nous raconter une parabole de notre temps mais pour ma part, il n'y est pas arrivé.

Ajoutons à ça une fin assez convenue, quelques clichés sur les relations internationales (despotes caucasiens, diplomatie américaine, etc.) et un peu de machisme dans les réflexions du personnage principal, au final, on reste sur notre faim, en se disant que l'auteur du Premier siècle après Béatrice et du Rocher de Tanios a déjà fait beaucoup mieux.

dimanche 12 septembre 2021

Les cowboys sont fatigués, par Julien Gravelle, éditions Leméac

Un homme vit au fond d'un rang d'un village reculé du Lac Saint-Jean en exploitant un labo clandestin où il fabrique des drogues dures. Le chimiste de formation est d'origine française. C'est en fuyant d'autres crimes commis là-bas qu'il a abouti dans ce décor, en travaillant pour des caïds locaux.

Dans le village où ça se passe, à peu près tout le monde a un lien avec ce milieu. L'atmosphère est assez pourri, le temps aussi, et l'époque de la vie de notre bonhomme n'est pas la meilleure depuis que le meurtre d'un personnage relié au milieu attire trop l'attention sur des gens qui n'en veulent pas. S'en suivent des chasses à l'homme, quelques meurtres et pas beaucoup de possibilités d'avenir.

Dans les remerciement à la fin, l'auteur décrit son livre comme un roman noir. C'est sans doute ça, puisque pour tout dire, c'est pas jojo comme histoire. Mais le scénario est efficace, le décor, on ne peut plus campé, et les personnages, assez, disons... typiques.

Placer une histoire dans un tel coin de pays emmène le décor qui va avec. On est d'avantage en forêt qu'en milieux habités. L'auteur décrit subtilement les intérieurs, les chalets, les maisons mal entretenues, les personnages peu reluisants. C'est certain qu'on ne trouve pas ici de lumineux personnages du terroir. Non. On a plutôt des brutes mal dégrossies. Seul le narrateur est chimiste, les autres... disons qu'on est plutôt dans le diplôme du secondaire pas terminé. Cliché? Pas nécessairement. Ces personnages existent, et pour le bien d'une telle fiction, on comprend qu'ils prennent toute la place.

Le bât blesse un peu plus lorsque l'auteur leur donne la parole.
La langue française possède une richesse assez distincte en ce que la langue parlée diffère beaucoup de la langue écrite. Je ne parle pas ici d'accents, mais bien de discussions, de façons d'identifier les choses. Mon meilleur exemple est celui-ci: d'où qu'on soit dans la francophonie, l'expression "où est-il" se comprend par tout le monde lorsqu'elle est écrite, mais n'est pas dite dans la langue parlée. On dira par exemple "où il est" il est où" yé où" ou "où s'qu'y est". Comme on le voit, la transcription écrite du parlé demande souvent bien des appostrophes (ou des accents circonflèxes) mis aux bons endroits.

Certains écrivains réussissent à bien rendre cette langue parlée par écrit. C'est tout un art, et c'est très rare. Au Québec, Michel Tremblay est bien entendu le premier exemple qui nous vienne à l'esprir, pas seulement pour son théâtre mais aussi pour ses romans. D'autres, comme Benoit Côté ou Geneviève Pettersen ont aussi bien réussi là où un Jean-Paul Dubois s'est cassé la figure, ou, diront d'autres, peté la gueule.

Julien Gravelle donne souvent la parole à ses personnages et le plus souvent à son narrateur. Oui, le gars est Français et vit au Lac depuis une trentaine d'années, alors après quelques pages, on comprend les mélanges, mais à force, on sent que quelque chose se prend pas. Langage parlé et langue écrite se confondent parfois dans la même phrase, qu'elle soit narrative ou descriptive. Ailleurs, on soulève le sourcil. Par exemple, il faut avoir vécu là pour savoir que même aprèes presque 20 ans de fusions minucipales, personne ne parle de Saguenay "la ville" au Lac, pas même les habitants de Saguenay, qui parlent encore de Chicoutimi, de La Baie ou de Jonquière. C'est un exemple qui s'ajoute qux quelques clichés automobiles dont on aurait aussi pu se passer. Ah, on en a vu passer des "vieux Chevy" et des "vieux Ford" sous la plume d'écrivants français situant leur action en Amérique. On en a encore ici... même après tout ce temps.

Bref, de Julien Gravelle, j'espère un roman cadré autour de la psychologie des personnages, chose que j'ai apprécié dans ce livre. Les décors aussi sont dépeints sous leurs justes couleurs. Reste cet environnement à la limite du cliché qui peut peut-être nous faire décrocher, et des dialogues pas assez naturels pour nous faire pleinement y croire.

Bonne histoire, mais avec quelques "mais".

mercredi 8 septembre 2021

Tableau final de l’amour, de Larry Tremblay, éditions La Peuplade

Dans Tableau final de l’amour, Larry Tremblay donne la parole au peintre Francis Bacon, qui raconte sa vie et son oeuvre avec, pour fil conducteur, sa relation avec un homme qui marquera son existence.

En littérature, les histoires de couples gays masculins contiennent le plus souvent les mêmes caractéristiques: des scènes de sexe crues, des amours tordues et l’ostracisme ambiant. Écrits pour provoquer, choquer ou pour servir d’exutoire à des fantasmes, ces oeuvres se distinguent le plus souvent par leur auteur que par leur contenu. C’est ce qu’on a ici, avec un contenu, disons, « habituel » de sexe et de violence. Mais voilà qu’on a aussi une histoire spectaculaire et surtout, un auteur au talent exceptionnel qui, soulignons-le, ne parle pas de lui mais nous raconte l’histoire de la vie d’un autre.

Parce qu’il fallait du talent pour entrer dans la tête d’un personnage aussi grand que Francis Bacon sans tomber dans les clichés. Pas besoin d’avoir lu sa biographie pour comprendre, lorsqu’on découvre ses oeuvres, que Bacon était tourmenté. Larry Tremblay exploite ce trait avec une finesse ahurissante. Il donne à Bacon les pires tourments, ceux que l’on se porte à soi-même.

Le peintre se déteste, et ce sentiment tire son origine d’une enfance distordue. Privé d’écucation sentimentale, laissé face à lui-même en matière de relations, il en est sorti un homme blessé, perdu, trouvant son plaisir dans la douleur, sentiment qu’il connait le mieux.

Mais Francis Bacon avait du caractère. Il en fallait pour afficher son homosexualité dans les années 50 et 60. Tremblay exploite aussi ce filon pour en faire un personnage fort, flamboyant à sa manière, mais pas, vraiment pas, fier. N’empêche, l’homme est humain et cherche quand même à être aimé. C’est avec cette psyché blessée et ces besoins communs à tous qu’il entretiendra ses relations, dont celle avec l’homme qui deviendra son modèle principal au cours de sa carrière, racontée de superbe façon.

Création et destruction s’entremêlent, l’auto-sabotage est partout. Là où une vie publique s’élève, deux vies personnelles tombent au plus bas. Ces histoires parallèles et entremêlées sont fascinantes. On se demande pourquoi, mais, au fil des pages, on comprend.

Puis vient la fin, emmenée par une scène si forte qu’elle me bouleverse encore, une scène où quelque chose s’écroule et qu’une autre s’élève. C’est difficile à décrire tellement c’est puissant. Dans les dernières pages, le noir fait place à l’absence de noir, comme on regarde le désastre après la tempête, bien avant que le soleil ne revienne. Et le lecteur se rend compte qu’il est sur le point de terminer un grand livre.

Tableau final de l’amour désarçonne. Il plaira à qui sait faire la différence entre cruauté et victime de cruauté, décevra les misérabilistes, et ne rassurera personne. Toutefois, il rejoindra, j’en suis convaincu, tout lecteur qui a déjà connu, vraiment, l’amour.

Oufffff.

mardi 31 août 2021

Saturne, de Sarah Chiche, éditions du Seuil

Voici un roman époustouflant où l'amour et le deuil dévorent, comme Saturne. Allez, à vos recherches: Saturne, comme Mars et Jupiter, c'est d'abord un personnage. Reste que rarement Éros et Thanatos se sont aussi bien complétés qu'ici.

Dans la première partie de ce livre, la narratrice raconte l'exil d'Algérie de la famille de son père et leur installation en Normandie. Drame précurseur. Propriétaires de cliniques médicales privées, les parents ont fui un pays rendu bouleversé par une guerre sale où leurs efforts pour aider ceux qui avaient besoin de leurs services se sont avérés vains.

Rendus en France, l'empire médical explose. La famille déjà aisée, devient encore plus riche. Second drame: des deux fils, un a des dispositions et des intérêts pour la médecine, l'autre pas. Le premier est le favori, l'autre le mouton noir. C'est lui qui deviendra le père de la narratrice. Il mourra dans la trentaine, elle avait une quinzaine de mois.

L'histoire devient alors celle de souvenirs racontés par d'autres. Ces souvenirs racontent la passion d'un jeune homme de bonne famille qui rencontre une belle jeune femme mystérieuse à l'aura scandaleux. La belle famille la déteste, ils s'aiment, c'est torride, sulphureux, intense. Jusqu'ici, on croit avoir déjà vu ça, mais arrivent ensuite les souvenirs de la narratrice elle-même en seconde partie: elle a vingt-cinq ans et son oncle la rejoint pour lui apprendre qu'elle hérite suite au décès de sa grand-mère. C'est à partir de là que l'orpheline de père vivra le deuil de celui qu'elle n'a jamais connu.

Cette descente aux enfers vous bouscule comme un vent d'ouragan. La jeune femme est seule et sa famille plus disfonctionnelle que jamais. On entre dans le récit d'un délire lucide renversant, écrit avec une justesse telle que ce livre a réussi à être court alors que comme tant d'autre, il aurait pu se répandre sur des centaines de pages. L'écriture de Sarah Chiche est d'une clarté rare, déstabilisante. Ce récit pourrait nous attirer vers le bas comme un vortex et on en ressort troublé, saisi, mais curieusement bien. Parce que ce récit parle du deuil comme de quelque chose de nécessaire, tellement que ce personnage de la narratrice le vit a posteriori, de son plein gré, par elle-même. Son deuil est libérateur et même si on a mal avec elle, on comprend, et si on comprend, c'est que ce livre est vraiment très bien écrit.

Saturne montre combien il est parfois difficile de se trouver, de se libérer, tant de soi que des autres et de son passé, de ses souveirs. C'est un récit héroïque, mais sans l'habituelle tapage qui accompagne habituellement de genre d'ouvrage. C'est franchement réussi.

dimanche 15 août 2021

Le petit astronaute, par Jean-Paul Eid, éditions la Pastèque

Attention de vous faire avoir par Le petit astronaute. C'est le genre de livre qui peut sournoisement vous emmener là où vous ne vouliez pas nécessairement aller. Vous en serez avertis.

Pour ma part, je l'avais apporté dans un parc un beau dimanche après-midi où la lecture d'une bd promettait de belles heures langoureuses. Rendu environ aux deux-tiers du livre, j'ai dû rebrousser chemin à la maison. J'ai peut-être eu l'air d'être terrassé par une allergie. C'est, en tout cas, ce que je me plais à croire.

Je me sais sensible, mais ne suis pas de ceux qui ont le sanglot facile. Or m'en voilà terrassé par Jean-Paul Eid, incapable de me sortir de ce livre et sentant bien que j'allais bientôt attirer l'attention. Je dois donc me faire violence et refermer le livre sur ses superbes images pour aller le terminer à l'abri dans mon salon.

Pourtant, Le petit astronaute n'ai rien de misérabiliste, de pleurnichard ou de vaguement romantique. C'est l'histoire, simple, d'une famille dont un membre, le petit frère, sera à jamais différent des autres. Racontée par sa grande soeur, l'histoire est touchante parce que pas prétentieuse, humaine, et saupoudrée de juste assez d'onirisme pour mettre du beau, du superbement beau, dans une histoire qui aurait pourtant toutes les raisons d'être dure et difficile à vivre.
Regarder la société à travers les yeux d'un enfant, oui, on a vu ça souvent, mais la regarder à travers un personnage qui retourne dans son enfance est original. Sensible, le scénario reste lucide et ne tombe pas dans le "trop". C'est sans doute ce pourquoi j'ai tant été chaviré: les mots sont bien choisis. Quand aux dessins, les couleurs sont aussi tendres que les esprits, les rues et ruelles de Montréal sont belles, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Les personnages sont justes, clairs, les décors parlent presqu'autant qu'eux tellement ils sont beaux.

Bref, tout est limpide dans cette oeuvre superbe, réussie et touchante comme rarement j'en ai lue. Une bd pour tous, même les gros durs. Vivement une autre de Jean-Paul Eid, qui, soit dit en passant, a basé cette histoire sur la sienne. On en est d'autant plus touché.

dimanche 8 août 2021

Apeirogon, par Colum McCann, éditions Harper Perennial

Roman, essai, chronique, encyclopédie: voici un livre inclassable sur un sujet casse-gueule par exellence: Israël et la Palestine aujourd'hui. J'ai hésité longtemps. Ce confilt dure depuis si longtemps et retient si souvent l'attention des médias qu'il semble bien loin le jour où on en fera un divertissement. C'est en tout cas l'appréhension que j'avais en le commençant, comme si je connaissais déjà l'histoire et sa fin. Mais le défi est relevé avec brio par un écrivain au sommet de son art. Ce livre est intéressant à plusieurs égards.

L'auteur prend tous les moyens qu'un livre puisse offrir pour capter notre attention. Il raconte d'abord deux histoires, celle d'un Israélien, et celle d'un Palestinien. Les deux se connaissent. Ils parcourent le monde ensemble pour témoigner de leurs histoires respectives, différentes mais semblables: tous deux ont perdu une enfant dans un attentat. Chacun à des époques différentes. Leurs témoignages constituent une bonne partie de ce livre et c'est totalement captivant.

Mais autour de ces deux histoires, McCann raconte ce coin de Terre, pas tant son histoire que ce qu'il est maintenant. On en apprend alors sur ce carrefour de routes d'oiseaux migrateurs, des propriétés de l'eau de la Mer morte, de l'assèchement du fleuve Jourdain, des checkpoints autour de Jérusalem, de la gestion de l'eau dans les villes Palestiniennes et les colonies israéliennes, des minbärs, de la guerre de 6 jours... et sur chacun de ces sujets, et plusieurs autres, c'est passionnant. Au fur et à mesure qu'on avance, on veut en apprendre plus et le livre devient un genre de Wikipédia sur un univers qu'on croyait connaître et dont on ne soupçonnait même pas la réalité.

Le livre est séparé en courts chapîtres/paragraphes numérotés qui montent jusqu'à 1000 pour reescendre à zéro. Un paragraphe peut parfois être une phrase. Cet effet de style est assez spectaculaire et, à mon sens inutile. La force du récit donne à Apeirogon une force incomparable, un genre d'apparence de livre idéal qu'on n'aurait pas eu besoin de séparer ainsi.

Au centre du livre, résident les témoignages tels que les 2 premiers personnages les livrent lors de leurs conférences. C'est extrèmement touchant. Ces réquisitoires parlent de paix, bien entendu, et c'est à partir de là où on voit de quel côté penche la balance, tant celle du parti que prend l'auteur que de celui qu'est en train de prendre l'Histoire. Je vous laisse deviner qui, des parties israéienne ou palestienne, prend le blâme, mais qu'importe, ce livre/chronique sur ce coin troublant du monde vous aidera à vous en faire une opinion.

Les pères de jeunes filles tuées, leurs mères, l'histoire récente de leurs familles, leur environnement, leur école, leurs idoles, leur pays, tout y est. Écrit par un écrivain plutôt qu'un journaliste rend sans doute la chronique plus poignante, plus émotive, et c'Est tant mieux.

Je n'ai pas tout aimé de Colum McCann, mais Apeirogon est au moins l'équivalent de Let the great world spin (Et que le vaste monde poursuive sa course folle), le premier livre que j'ai lu de lui et que j'ai tant aimé. En vous le procurant, découvrez ce qu'est un apeirogon, ce qu'est Israêl, la Palestine et ce que la littérature contemporaine a de meilleur à donner. Quels bons moments il vous fera passer.

Apeirogon est traduit en français et est publié chez Belfond éditeur.

samedi 31 juillet 2021

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, par Emil Ferris, éditions Monsieur Toussaint Louverture

Pour une fois je pourrais ne parler que de dessins. Parce que chaque page est unique. Chaque fois qu'on en tourne une, on se demande ce qu'on va voir. Quel travail incroyable il y a là-dedans.

Cette brique de dessins est montée comme s'il s'agissait du cahier de croquis de la narratrice, une jeune pré-ado qui raconte un épisode de sa vie dans un quartier populaire et plutôt mal fâmé de Chicago en 1967.

Pas vraiment accrochée à l'époque, ni trop à la ville où ça se passe, l'histoire se rattache plutôt aux personnages. La narratrice vit avec sa mère et son grand frère. Leurs voisins prennent beaucoup de place et c'est de ce côté que l'intrigue se développe le plus. Parallèlement, la narratrice parle d'elle, de son apprentissage de la vie et de ce qu'elle est. C'est surtout dans cet aspect que le scénario m'a le plus touché. C'est vrai que l'histoire tourne principalement autour d'une histoire de mort non-élucidée, ce qui est prétexte à toutes sortes de scènes, antérieures et actuelles, concernant les protagonistes de cet événement. C'est bon, mais c'est gros. Toutefois, l'histoire de la vie de la narratrice, elle, est chavirante parce que les dessins y décrivent de façon extraordinaire ce qui, finalement, aurait bien pu être ordinaire.

Beau, glauque, touchant, donc, mais aussi déstabilisant, cette bande dessinée hors normes n'est pas, à mon avis, pour tous les publics. Son atmosphère est rempli de références à des films d'horreurs ou de la littérature fantastique, voire gore. On y ressent inévitablement un malaise. Mais la force de cette oeuvre est la fascination qu'elle suscite. Certaines planches nous forcent à nous arrêter tellement elles sont belles. Quant au scénario, il fait la part belle aux exclus et montre le pouvoir avilissant des préjugés. On dirait que tout le monde, dans cette histoire, est le rejet de qu'un d'autre, sinon de soi-même.

C'est un livre dur, mais fort, visuellement, on dirait bien un chef-d'oeuvre.

mardi 22 juin 2021

Fin de combat, par Karl Ove Knausgaard, éditions Denoël

Rarement le titre d'un livre aura aussi bien convenu à l'auteur qu'à ses lecteurs. En tout cas, en tant que lecteur, en tournant la dernière page, c'est à dire la 1405e de ce sixième tôme de Mon combat, je me suis dit quelque chose comme "ouf, j'ai réussi". Et pourtant, pas tout à fait. J'ai dû sauter entre 300 et 400 pages. Ben voyons...

Mais pourtant, dès les 300-400 premières pages, j'étais encore happé par la machine Knausgaard alors qu'il raconte que le premier livre de cette série va bientôt sortir et qu'il l'a fait lire à toutes les personnes qui y sont mentionnées: frère, mère, famille, conjointe, amis, etc. Et voilà qu'un de ses oncles ne le prend pas,mais pas du tout. Karl Ove angoisse, se demande pourquoi il a écrit ça, se questionne, se torture, s'explique, se justifie... puis, de ma culpas en auto-justifications, le roman se transforme en essai. Bienvenue dans un livre où l'éditeur a dit à son auteur: "tu fais ce que tu veux".

Bon, c'est rare qu'un roman devienne un essai pour redevenir un roman à la fin. C'est probablement tout aussi rare qu'un lecteur soit prêt à assumer ce deux pour un. Généralement, lorsqu'on se choisit un essai, c'est que le sujet nous intéresse ou nous attire. Ici, c'est l'auteur qui nous l'impose. C'est audacieux, mais risqué.

Au début de son essai, Knausgaard part du débat réalité vs fiction. Bon ok, mais pour expliquer sa théorie, il se (re?)transforme en critique littéraire en commentant un poème écrit il y a quelques décennies qui, à son avis, résume bien ses propos.

J'ai bien essayé, mais voilà. J'ai flanché. J'en pouvais plus. C'était rasant, barbant, plate. Alors j'ai avancé les pages, cherchant le changement de sujet, ce qui finit bien par arriver alors que cette fois, il nous raconte un épisode de la vie d'Adolf Hitler à travers un livre écrit par un gars l'ayant connu (Hitler, pas Knausgaard) entre 16 et 18 ans. Ma foi, c'est intéressant, et on reconnaît bien là notre Karl Ove qui réussit encore à nous faire lire quelque chose qu'on aurait bien pu se jurer de ne jamais parcourir des yeux. C'est provoquant, mais divertissant. On apprend la genèse du personnage, la fameuse période où Hitler a été refusé à l'école des Beaux-Arts de Vienne, tout ça vu à travers le regard d'un autre... et les explications de Knausgaard.

Puis on repart dans une autre direction sur le "je" dans la littérature, le "moi", le "soi" le "tout ce qui, au bout de 4 ou 5 pages, m'en a fait sauter une bonne centaine d'autres". Autre légère nausée.

Et puis on revient à notre époque, avec les trois enfants et le couple. Karl Ove écrit son 3e ou 4e tôme, ça va, ça va pas, on l'aime, on le déteste, et aussi, et surtout, il redevient ce qu'il était pour nous: un chroniqueur de sa vie. La fin du livre, c'est à dire les 300 dernières pages, environ, est hallucinante puisqu'il y raconte, avec une acuité et une précision remplie de malaises les phases de bipolarité vécues par sa conjointe.

On se sent bizarre en sortant du 6e tôme de plus de 1400 pages de Mon combat. C'est un sentiment aussi inclassable que cette oeuvre, quelque chose qu'on est content d'avoir vécu, ou lu, mais qu'on ne recommencerait pas.

Bravo, Karl Ove Knaussgard. Fallait le faire.

jeudi 3 juin 2021

La patience du lichen, par Noémie Pomerleau-Cloutier, éditions La Peuplade Poésie

Jusqu'ici, mes choix en matière de poésie sont excellents. Soit j'ai la main heureuse, soit je suis un (nouveau) fervent lecteur de poésie. Un troisième confirmera peut-être tout ça, mais ce deuxième a eu tout pour me plaire.
D'abord, La patience du lichen est un fabuleux guide de voyage. On y suit l'autrice au fil d'une traversée des communautés de la Basse-Côte-Nord, entre Kegaska et Blanc-Sablon. Chaque chapître a le titre d'un village et presque chaque page contient le portrait d'une personne rencontrée. Noémie Pomerleau-Cloutier raconte en effet avec une sobriété de mots son périple à travers les histoires que les habitants du lieu lui ont raconté.

Le tour de force de ce livre réside d'abord dans ce peu de mots. On est stupéfaits que d'une quizaine de courtes phrases, environ, qui sont autant le strophes de quelques mors seulement on puisse se faire le portrait d'une personne, d'un épisode antérieur de sa vie et de sa situation actuelle. Les bons mots mènent directement aux bonnes émotions, tellement qu'on se demande presque, en terminant le livre, si on ne vient pas de terminer un livre d'images.

Doux, calme, sans aucune prétention, ce recueil se lit page après page ou, pour les plus avides, un chapitre (ou village) après l'autre. C'est fou de constater combien un recueil de poèmes vous impose un rythme. Au début, on trébuche un peu justement parce qu'on n'a pas encore trouvé ce fameux rythme mais une fois qu'on y est, on s'étonne de constater combien chaque mot, chaque strophe est clair. Et c'est d'autant plus étonnant que des portions de texte sont écrites en anglais et en innu.

Pour ce livre, en tout cas, pas de questionnements exisentiels, pour ma part en tout cas. Je veux dire par là que jamais je ne me suis demandé ce que l'autrice voulait dire. À la fin de chaque page, on a une idée limpide, un portrait juste. Du bonheur de retrouver sa terre à la tristesse de voir les autres partir, en passant par la nostalgie ou le le simple fait de vivre le moment présent, chaque portrait, chaque situation nous ramène à une émotion connue. C'est une écriture très sensible et franche.



Vivement recommandé pour tout lecteur féru de poésie ou novice en la matièere, j'ajouterais comme public cible toute personne désireuse de faire connaître son coin de pays par l'entremise d'une chroniqueuse poète. Quelle façon originale et franchement efficace de donner l'envie de parcourir un territoire. Décideurs, proposez à Noémie Pomerleau-Cloutier un périple dans votre arrière-pays. En tout cas, pour ma part, j'irais bien passé quelques jours, voir quelques semaines en Basse Côte-Nord... en lisant de la poésie.

Quelle belle réussite!

dimanche 11 avril 2021

On Earth We're Briefly Gorgeous, par Ocean Vuong, éditions Penguin Press

Ce livre est aussi paru en français sous le titre Un bref instant de splendeur, aux éditions Gallimard, collection Du monde entier.

Celui qui se raconte dans ce livre est né au Viet-Nam et a immigré aux USA à sa toute jeune enfance avec sa famille. Il grandira dans un appartement avec sa mère et sa grand-mère, à Hartford, au Connecticut. Les événements quil raconte se passent principalement pendant son adolescence et sa vie de jeune adulte au début des années 2000.

Ce garçon écrit à sa mère en racontant leur vie commune. Il lu parle de sa vie à lui, jeune garçon d'origine asiatique vivant avec deux femmes marquées par une vie passée dans un pays en guerre. Il parle aussi des bouts de leurs vies que ces femmes lui ont racontées. Ces épisodes sont racontées en fragments, au fil des souvenirs du narrateur, toujours en s'adressant à son unique interlocutrice, bien qu'il sache qu'elle ne le lira jamais.

Qu'il est impressionnant de lire un auteur qui comprenne les sentiments humains. Ils sont mes préférés. Raconter une scène est une chose, mais la raconter comme si on l'avait vécue en est une autre. C'est là où se distingue un auteur comme Ocean Vuong. Vivre, c'est d'avoir un présent, un passé, des intentions. Il faut avoir une connaissance fine de la psyché pour voir dans la violence la conséquence d'événements passés. Il faut avoir l'esprit tout aussi ouvert pour voir dans la peine le début de l'espoir, la fin de la douleur. Ce livre, c'est tout ça.

Les vies racontées sont dures. Certaines scènes vous marquent, d'autres vous choquent. De la vie d'une travailleurs dans un salon de manucure, dans les effluves de produits chimiques et la condescendance des clients, à celle de jeunes ados dont la vie se termine en overdose de fentanyl, Vuong dresse un portrait d'un pays dont on n'entend à peu près jamais parler. Et c'est sans compter la violence conjugale qu'a vécu sa mère, et de ses premiers amours à lui, jeune gars de 14 ou 15 ans, avec un autre garçon, un Américain, et tout ce que ça implique comme questionnement, tout ce que ça amène comme découverte, comme peurs. Enfin, de la vie d'immigrant il tirera des anecdotes, des portraits, mais sans tomber dans le misérabilisme, sans demander votre compassion. Là comme ailleurs, on y devine une grande peine.

Ce livre raconte la peine comme d'autres parlent de l'amour ou du courage, et pour parvenir à nous en parler sans nous décourager, Vuong utilise des images mentales qu'il nous offre comme autant de petites images colorées qu'on pourrait coller sur un tableau noir. C'est comme s'il nous prenait dans ses bras pour s'excuser de nous avoir bousculé sur la page précédente. C'est vraiment très fort, très habile, mais surtout très crédible.

La peine, c'est plus grand que le regret, plus fort que la tristesse, et si ça peut se transmettre, ça ne dure pas. C'est ce qu'on comprend d'une scène puissante et très belle que l'auteur tire de son imaginaire pour nous résumer les histoires qu'il vient de nous raconter. Pour vous donner une idée, on y commence avec des bisons qui courent se jeter en bas d'une falaise et on termine par des papillons monarques qui s'envolent pour poursuivre leur chemin.

Ce livre ne ressemble à rien d'autre que j'aie lu jusqu'ici et j'en veux encore. Ces nouveaux auteurs américains ne cessent de m'étonner. Ce sont des voix trop peu connues d'une culture qu'on connaît trop mal. S'il vous fallait ne lire qu'un seul de ces nouveaux auteurs, lisez Ocean Vuong. Même les blasés seront surpris.

mercredi 31 mars 2021

Les avenues, par Jean-François Sénéchal, éditions Leméac Jeunesse

Chris est à peine au début de la vingtaine. Avec Chloé, ils ont un petit garçon d'un an qu'ils ont appelé Joseph. Dans Les avenues, Chris raconte sa vie avec Chloé et Joseph à sa mère, partie vivre à Vancouver lorsque son garçon a eu 18 ans. Chris n'est pas dupe, il sait bien que si sa mère est partie à ce moment, c'était pour ne plus vivre avec lui, son fils. Mais pourtant il aime cette mère sans commune mesure, il le lui dit de toutes les façons au fil de son récit. La vie de sa mère n'a pas dû être facile, et Chris dit comprendre la raison de son départ même s'il est, comme il se décrit lui-même, "retardé".

Il fallait beaucoup de tact et sans doute d'audace pour écrire sur ce sujet. Chris et Chloé vivent, on le devine, avec une déficience légère. Ils en sont conscients. La vie qu'il nous raconte dans ce contexte est ordinaire, remplie de petits bonheurs sincères, sans grandes attentes envers la vie, sauf peut-être celle du retour de sa mère, ou à tout le moins, de quelques signes de vie de sa part.

Or, voir la vie du point de vue d'un tel personnage nous fait voir le monde sous un autre angle. Pour Chris, les choses simples sont rassurantes, les moindres contrariétés sont sources d'angoisse. Ses sentiments sont hyper développés envers ceux qui l'entourent et qui l'aiment, et on s'étonne de sa presque indifférence devant des situations inconnues qui nous auraient bien fait chavirer. Pour lui, tout est blanc ou noir. Il n'y a pas vraiment de zones grises.

Quel personnage attachant. L'auteur lui donne une parole franche mais dépouvue de toute malice. Si ses réactions sont sanguines à certaines occasions, on comprend vite toute la charge émotive qui le pousse à réagir de la sorte. Et si on le voit touché par quelque chose d'anodin, on comprend aussi, au fur et à mesure de son histoire, que son système de jugement de valeurs est différent du nôtre.

Sénéchal nous apprend très habilement ce que c'est que d'être différent. Chris raconte des scènes d'intimidation vécues pendant son enfance, sa relation trouble avec sa mère désemparée, laissée seule à elle même avec un enfant qu'elle ne comprend pas. Mais il nous montre aussi la force de la solidarité. Chris et Chloé sont bien entourés et les personnages secondaires qui gravitent autour d'eux sont aussi attachants, et, il faut le dire, intéressants que le narrateur. Du papa de Chris à la mère de Chloé en passant par des intervenants ou des voisins d'une résidence pour personnes vivant avec des handicaps comme les leurs, on découvre un monde dont on entend très peu parler.

Les avenues est écrit avec sensibilité, mais aussi beaucoup de franchise. La place des personnes handicapées, leur sexualité, l'importance de services de soutien, les défis d'une mère célibataire sont autant de thèmes qui le rendent tout aussi recommendable pour un adulte que pour un adolescent. C'est une histoire écrite avec acuité et lucidité, qui, on le comprend, a sans doute demandé à son auteur de la recherche et beaucoup d'empathie. Les dialgues, entre autres choses, sont souvent savoureux. Tiens, j'aimerais bien lire un roman "pour adulte", c'est à dire adressé à un public large, de Jean-François Sénéchal. J'aimerais retrouver son imaginaire et ses mots dans un autre contexte.

Je suis heureux d'avoir eu l'opportunité de lire Les avenues, qui m'a beaucoup touché. Recommendez-le à de jeunes lecteurs, mais faites-vous plaisir en le lisant avant... ou après.

mardi 16 mars 2021

La mémoire est une corde de bois d'allumage, par Benoit Pinette, éditions La Peuplade Poésie

Je lis depuis si longtemps, c'est sans doute la première fois que j'achète un recueil de poésie. Il y a longtemps que je me dis qu'il le faudrait, que je devrais m'essayer. Il a aussi longtemps que je résiste. J'avais peur de ne rien comprendre, de rester insensible. Ah la la... Y'a des préjugés qui ont la couenne dure, je suis là pour en témoigner.

Mais j'ai fait un bon choix pour commencer à lire de la poésie. Chapeau bas à mon instinct.

Benoit Pinette est connu au Québec sous son nom de chanteur: Tire le coyote. Qui est captivé par sa voix le devient vite par les textes de ses chansons. C'est plein d'images de choses qu'on connaît pour parler de choses qu'on dit peu. Bref, c'est par ses chansons que j'ai osé me lancer dans ses textes pris seuls. Attention, il ne s'agit pas de textes de ses chansons.

Ce recueil en trois parties traverse trois périodes de vie et trois atmosphères. Bon ici, il me faut préciser: j'avance dans cette description comme dans une forêt vierge. Je n'ai aucune référence, aucun comparatif. Ce résumé est celui d'un lecteur de romans qui lit un recueil de poésie en entier pour la première fois. Tenez-vous le pour dit.

Ceci dit... j'ai adoré ça. En le feuilletant, j'ai constaté que chaque page contenait quelques vers, seulement quelques courtes phrases. Bref, je craignais la prose poétique. Je sais pas si je suis prêt...

Si le début du livre est dur, âpre, douloureux, même, la fin est lumineuse. L'auteur nous allume justemenet comme un feu de foyer, d'abord avec lenteur, en nous soufflant dessus, pour qu'à la fin on s'embrase.

On commence dans une enfance pleine d'angoisses, de peurs, puis, avec lui, on retrouve le calme. De peu d'amour, on passe à beaucoup. Et le plus beau, dans tout ça, c'est que grâce au peu de mots, on le ressent plus qu'on le lit. Si le roman nous décrit une sensation, la poésie nous la suggère, et c'est ce qui m'amènera à d'autres recueils. On lit plus doucement aussi, on respire entre deux pages, on en dévore trois ou quatre, puis on s'arrête. Puis on recommence.

Ouais bon, est-ce que ce sera toujours comme ça? Je sais pas. Faudra vraiment lire d'autres auteurs. Mais merci Benoit Pinette. Tu as emmené quelqu'un à lire de la poésie.

Terminons ça en beauté avec une de mes chansons préférées de Tire le coyote. Si vos ne le connaissez pas encore, ça vous donnera une idée. Si vous aimez la chanson... vivement les autres, et le livre!

samedi 13 mars 2021

Le dernier enfant, de Philippe Besson, éditions Julliard

Faut-il pleurer Faut-il en rire Fait-elle envie ou bien pitié? Je n'ai pas le coeur à le dire On ne voit pas le temps passer

C'est le privilège du blogueur de faire un lien entre les mots de Jean Ferrat et le roman de Philippe Besson, où il n'est nullement question de la chanson ci-haut citée. Ce sont seulement ces mots qui me viennent en tête à la fin de ce roman dont je ne sais trop que penser. Le dernier enfant se lit tout seul, facilement, parce que l'histoire est racontée avec limpidité et efficacité. Mais j'ai ressenti un tel malaise...

Celle quon raconte voit son petit dernier quitter la maison. Les parents vont aider fiston à emménager dans son petit studio, puis ils partent, lui disent au revoir, et reviennent à la maison. Elle, la mère, n'en revient pas d'elle même: elle s'effondre.

Jusqu'ici tout va bien. C'est un récit universel, on le sait. Toute mère a vécu ça, tout enfant a fait vivre ça à sa mère (enfin... sauf les Tanguy...) Cette femme s'apperçcoit que sa raison de vivre vient de la quitter. Alors, à quoi bon vivre maintenant? C'est là où nait mon questionnement.

Comme toute époque de la vie, celle-ci mérite pourtant d'être racontée. C'est un déchirement pour certains, le début de quelque chose pour d'autres. On a vu des mères touchées, mais qui s'en remettent parce que leur vie continue, elles ne sont pas que mères. On en a vu d'autres se désintégrer, plus on moins lentement parce qu'ayant mis tous leurs oeufs dans le panier de la maternité. Les deus modèles sont prétextes aux plus grandes histoires.

Celle-ci est très forte. Le déchirement est brutal pour la mère, qui vit ça sans que ça paraisse trop, tout en finesse, comme une mère sait faire pour ne pas blesser quiconque, comme elle a toujours fait. Besson entre dans la tête de ce personnage d'une façon étonnante. On dirait que c'est lui qui a vécu ce drame. Mais...

Provenant d'un milieu on ne peut plus "classe moyenne", cette famille n'a rien pour attirer l'attention. La mère travaille dans un commerce, ce qui est secondaire, pour elle. Autrement, elle fait les courses, la cuisine, le ménage, s'occupe des enfaits avec bonheur. Elle se sait un peu "trop", mais elle assume. Elle est bien là-dedans. Et son mari? Bah, son mari... Il est gentil, pas violent, me parle pas beaucoup, n'exprime pas ses sentiments, mais c'est un bon bougre. Ils vivent en banlieue, leur pelouse est impec, les haies sont bien taillées, l'intérieur est propre... bon voilà, moi, pour tout vous dire, ces trucs là m'énèrvent.

Parce qu'il y a matière à cliché, c'est indéniable. Si la peine est profonde, le vernis, lui, est trop lisse. Besson peint ici des personnages tellement classiques qu'on pourrait les décrire nous mêmes. Oui, ces gens existent... encore. Mais sont-ils nombreux? Sont-ils de cette époque? Sont-ils heureux?

Bref, je suis agacé et impressionné en même temps. Les sentiments décrits sont si précis qu'on les ressent sans aucun filtre, ils entrent droit au coeur. Ceci dit, à force, j'en suis venu à trouver leurs traits un peu trop gros, sans nuances. Mais bon, et si c'était vrai, comme dirait l'autre...

Besson est un grand chroniqueur de cette époque. Les autres livres de lui que j'ai lui m'ont parfois jeté par terre tellement ils dépeignaient précisément des personnages ou des situations qu'on s'efforce de ne pas voir. C'est peut-être ce qu'il vient de faire encore ici. C'est ambigüe. Peut-être dénonce-t-il un modèle de femme pour qui on ne peut rien, qui s'auto-détruit à la fin de la fonction "mère au foyer". Peut-être, aussi, honore-t-il le même modèle en nous faisant ressentir toute sa douleur.

Suis-je condescendant en disant que j'ai trouvé la fin prévisible? Il faut le lire pour le savoir, car ça en vaut la peine. Philippe besson est une valeur sure. Ses livres sont captivants. Faudrait juste que je sache jusqu'à quel point il a aimé son personnage, celui de la mère du Dernier enfant.

Faut-il pleurer, faut-il en rire? Pour ma part, je n'ai pas trop le coeur à vous dire...

dimanche 7 mars 2021

L'ami arménien, par Andrei Makine, éditions Grasset

Il est bon, au sortir d'un livre, d'avoir envie d'aller prendre un café ou un verre avec l'auteur pour qu'il vous raconte, qu'il vous parle, qu'il vous fasse entendre en direct ces images qu'il vous a imprimées en tête grâce à ses mots. C'est ainsi que je me suis senti au sortir de L'ami arménien, un livre touchant, qui raconte doucement la cruauté mais qui donne quand même l'envie de croire en l'humain.

Bien que décrit comme "roman" par l'éditeur, on devine ici un récit. Makine raconte l'épisode d'une amitié de fin d'enfance, alors qu'il vivait encore dans une grande ville russe. Le narateur, orphelin d'environ 13-14 ans, se lie d'amitié avec un jeune gars de son âge originaire d'Arménie, une partie lointaine de l'immense URSS d'alors. Cet ami vit avec les membres d'une petite communauté de la même origine que lui, installés temporairement dans cette grande ville de la lointaine Sibérie pour épauler des membres de leur famille qui y sont emprisonnés, en attente de procès.

Mais ce n'est pas une raison pour se faire un ami lorsqu'on a 13 ans. L'orphelin russe aime d'abord le caractère étrange de son ami, sa maturité, son stoïcisme devant les inévitables intimidateurs à l'école. Puis, c'est la découverte des gens qui l'entourent, de leur monde et de son histoire.

L'ami arménien raconte la découverte du monde, de l'autre, de la différence. L'adolescent narrateur est orphelin. Le garçon étrange qui deviendra son ami est atteint d'une étrange maladie et vit dans un quartier peu fréquentable et laid. C'est justement en entrant dans l'espace habité par cette communauté étrangère que l'orphelin découvrira des atmosphères inconnus, des attentions envers lui, une curiosité, de l'écoute. Il découvrira aussi un pan de l'Histoire relié au passé trouble des Arméniens. Il faut du doigté pour raconter l'horreur d'un génocide en quelques paragraphes. Andrei Makine y parvient le plus sobrement, mais efficacement du monde.

Le narrateur découvrira donc la cruauté, celle du monde, de l'époque. On pourrait parler de "cruauté systémique". Reste que c'est écrit par Andrei Makine, un auteur à l'écriture souple, fluide, et sans prétention. En terminant L'ami arménien, on est touché. C'est un livre court, mais très enveloppant dont on aurait aimé parler avec l'auteur. En attendant, vous avec ici une bonne entrevue d'une vingtaine de minutes d'Andrei Makine qui nous parle de l'Ami arménien, un beau livre que vous lirez avec plaisir.

mardi 23 février 2021

Faire les sucres, de Fanny Britt, éditions Le Cheval d'août

C'est l'histoire parallèle et perpendiculaire de trois personnes. En parallèle, on en a deux qui forment un couple. En perpendiculaire, la troisième passe dans la vie des deux autres par un accident. Mais par la force des choses, les vies en parralèle des deux membres du couple sont en voie de prendre des chemins différents parce que l'événement fortuit de l'accident est en train de se transformer en un élément permanent pour l'un d'eux.

En vacances dans la très huppée île américaine de Martha's Vineyard avec sa copine, un célèbre et très en vogue chef médiatisé québécois aura un accident de surf qui brisera la jambe d'une habitante de l'île qui, elle, vient d'un milieu très modeste. Le touriste s'en sortira intact physiquement, mais démoli psychologiquement. Quant à la victime, ce sera plutôt le contraire.

La force de ce roman est de montrer le plus simplement du monde le caratère fragile de toute chose. On se croit heureux et au dessus de tout comme la vedette de la télé, et la vie nous rentre dedans au point qu'on ait l'impression de perdre tout le beau contrôle qu'on avait avant. Pour la femme du couple, c'est à peu près la même chose, mais avec des conséquences autres. Son amant était un roc immuable, un amour inconstable, et elle le verra se désintégrer devant elle, ce qui aura l'heur de la faire se remettre en question elle aussi. Elle le perd, lui, mais se trouvera-t-elle, elle?

Avec ces deux là, on a d'abord une petite impression d'une autre histoire de la misère des riches. Ils sont beaux et sympas, mais la vie leur fait vivre une épreuve, et oh, c'est pas drôle pour eux, non, pas du tout. Mais voilà que surgit, parfois, intempestivement au fil des pages, ce troisième personnage pour qui la vie était déjà pas facile. Alors si on ajoute un événement comme celui-là, un accident qui risque de vous couter toute votre vie en frais de soins hospitaliers, parce qu'on est aux States après tout, est-ce que de s'appitoyer sur son sort sera une façon de s'en sortir? Pas sur...

Disons-le, le destin de chacun des personnages n'est pas bien rose. On les voit tous sombrer. Les portraits décrits par Fanny Britt sont clairs, limpides, transparents. On les comprend, on a un peu mal pour chacun. Puis arrive la scène de la fin, d'une force nucléaire, même si presque personne ne bouge, où l'autrice nous fait entrer dans la tête du troisième personnage pour regarder les deux autres avec de nouveaux yeux. C'est court, mais intense et si efficace qu'on tire inévitablement une nouvelle conclusion sur ce qu'on vient de lire. Avoir l'air heureux, c'est peut-être juste avoir réussi à obtenir égoïstement tout ce qu'on voulait. Vivre simplement, c'est peut-être se contenter de ce qu'on a sans rien demander en retour.

Ce livre est magistral parce que l'autrice est brillante. J'aime ces créateurs qui comprennent le monde. J'aime les écrivains qui savent nous montrer qu'une personne, un personnage, est le produit de son environnement, fiction ou pas. Fanny Britt sait distinguer les faux bonheurs des vraies peines, et nous montre que tout ce qui est vrai est plus beau que ce qui est factice, même si c'est une peine.

Un grand bravo. Quelle grande autrice!
#lechevaldaout

dimanche 7 février 2021

Le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, par Mathias Enard, éditions Acte Sud

Avec le temps, un auteur préféré est comme un phare qu'on suit sans se poser de question. Mais peut-il arriver que le phare tente tellement de vous éblouir qu'au bout du compte vous vous perdiez parce que vous ne pouvez plus avancer?

Ce nouveau Mathias Enard met d'abord en scène un jeune étudiant en anthropologie parti dans la campagne française pour "vivre le terrain". Le sujet de sa thèse potant sur la vie en campagne, le Parisien va donc s'installer quelques mois dans un appart loué dans l'ouest de la France. Il rencontre plein de gens du village où il habite, nous les décrit et nous fait les aimer rapidement. Sympa et étonnant, ce premier quart du livre nous change de ce qu'Énard avait habitude de nous servir, quoi que... 

Mathias Énard est un érudit. Qui aime le lire garde son Wikipédia près de lui, pas parce qu'on ne comprend rien, non, mais à cause des nombreuses références qui parsèment ses histoires. L'auteur est avide de connaissances, on le sent, et on le devient avec lui. Boussole, son dernier livre, en est la meilleure preuve. Vous dire toutes les découvertes musicales que j'ai faites en le lisant!

Cette fois, les références sont historiques, car dès la fin du premier quart, on est projeté dans le temps par un tableau qu'on devine se passer dans la même région. Fasciné mais déstabilisé, on plonge ensuite dans un autre tableau où les personnages sont d'un autre temps passé, mais là, on fait des liens avec les personnages décrits au début. Pour relier des personnages dans le temps, on pense tout de suite aux liens généalogiques. Oui, il y a de ça, mais pas seulement. Énard a trouvé une autre façon pour nous raconter l'Histoire avec un grand "H" de ce coin de planète. On va d'un siècle à l'autre de tableau en tableau et c'est fascinant, jusqu'à ce que...

Vers le milieu du livre, le titre du livre est prétexte au-dit banquet. Il faut savoir que le maire du village du début est croque-mort. Il est le prétexte au rassemblement d'une centaine de fossoyeurs, croques-orts, gardiens de cimetières et autres professions du genre, venus de toute la France pour participer à une Grande bouffe comme vous en lirez peu. Hommage immense à la gastronomie, Énard vous parlera vins, bouffe, cuisson et tout ce que vous voulez. En même temps, le banquet jouit d'une tradition oratoire qui fait que certains participants se lancent dans des récits qui prendront eux aussi une saveur historique. 

C'est là où l'auteur s'est dit que tant qu'à en mettre toute la gomme côté gastronomie, il ferait pareil côté littérature. On devinera rapidement qu'on est au pays de Rabelais et de Gargantua. Alors, Énard, pendant quelques pages, se prendra pour Rabelais. Au début, oui, c'est dans le ton du livre, mais à force, certaines envolées seront parfois longues. On parlera, racontera. On chantera les vieux poètes. On verra même passer ces "bons vieux Gaulois" à un certain moment donné. Bon. Débat de société franco-français s'il en est un... Mais fallait-il vraiment...

Et comme les estomacs des convives, certaines de ces pages deviendront vite un peu trop lourdes, alors on se perd et on regrette les personnages du début du livre.

Mais ils reviennent, à tout le moins le narrateur du début, pour le dernier quart. C'est dans l'oeil de ce personnage qu'on trouvera les plus belles pages sur le coin de pays qu'il découvre et auquel il finira par s'attacher complètement. L'hommage quitte alors l'intellect pour provenir du coeur, et on retrouve le Mathias Énard talentueux qu'on aimait tant. On aurait pu tomber dans le cliché, mais non. On n'est pas ici dans le rabaissement, le petit peuple étroit d'esprit, frustré, qui déplait au citadin instruit. Énard nous montre plutôt les meilleurs fruits du crû.

Encore une fois, Mathias Énard montre l'ampleur de son talent, peut-être avec un peu trop d'ardeur, c'est bien dommage, mais quand même. On est touchés lorsqu'on découvre que cette région qu'il décrit, c'est la sienne. Si on le connaissait déjà, à la fin du livre, on lui pardonne ses quelques écarts, en attendant son prochain roman, qu'on espère aussi bon que les autres, mais pas aussi copieux que ce dernier.