jeudi 16 janvier 2014

Le fil des kilomètres, par Christian Guay-Poliquin, éditions La Peuplade

Un homme travaille dans un garage près d'une grande raffinerie, au nord-ouest. Un appel de son vieux père qui vit loin, dans l'est, le bouleverse. Le vieux a l'air confus, apeuré. Or, une panne d'électricité généralisée oblige la raffinerie à retourner ses employés à la maison. L'homme pèse le pour et le contre, regarde où il en est dans sa vie et décide de partir pour aller rejoindre son père. Son but: arriver le plus tôt possible.

La seule scène de l'arrivée de la panne d'électricité confirme qu'on lira quelque chose de vraiment pas banal. Il fait chaud, le temps est lourd, l'atmosphère est sous tension, le personnage principal est au bout du rouleau. Dès qu'il prend la route, on ressent déjà sa fatigue. Il avancera au fil des pages, traversera un grand pays jamais nommé. Amateurs de grands espaces: vous serez servis: plaine immense, forêt de conifères, fleuve en mer intérieure, on suivra tout un itinéraire.

J'ai fait le voyage avec lui en environ une semaine. J'avoue avoir ressenti chaleur et fatigue du personnage, un inconfort... intéressant Ce "road movie" littéraire vous tient sur le bout de votre siège du début à la fin. Il arrivera peu de choses au conducteur dans les premiers temps. On comprendra toutefois l'ampleur de la panne dont il est question, ses effets, sa durée. On devine quelque chose de grave, un cataclysme, mais sans y être, on s'y dirige avec le conducteur. C'est absolument fascinant. Au fil des kilomètres, le périple prendra d'autres formes. Ne pas dormir, peu manger, trouver de l'essence. Et les rencontres seront peut-être déterminantes...

Bien sur, on fait rapidement le parallèle avec The Road, de Cormac MCCarthy, sauf qu'ici, on avance en auto, et que l'hécatombe est plus loin, latente. En fait, le risque est partout, tant dans l'actualité que sur la route, que la fatigue du conducteur rendra de plus en plus périlleuse. Et il y a aussi l'obsession de cet homme de rejoindre son père au plus vite, comme s'il voulait conjurer un sort. Là, on pensera un peu à Contre Dieu, de Patrick Sénécal, pas dans la violence de ce dernier mais dans le combat intérieur du personnage principal.

Christian Guay-Poliquin tisse une intrigue longiligne et haletante. Rien n'est compliqué, mais tout est dangereux, même le personnage principal représente un danger pour lui-même. Saura-t-il éviter tous ces écueuils?

Le fil... est presqu'un thriller. Certain que les amateurs du genre s'y plairont. D'un autre côté, l'amateur de bonnes histoires comme moi est tout aussi content. L'écriture est belle, très riche d'images. Le scénario est sans longueurs et si la fin est déroutante, on se dit qu'il devait sans doute en être ainsi.

On pourra voir une quête, dans cette histoire, ou plus simplement un désir d'arriver à ses fins coute que coute. Qu'importe les dangers ou les peurs, l'homme poursuit sa route.

Retenez ce nom: Guay-Poliquin. Procure d'excellents moments de lecture!

Pour vous mettre dans l'ambiance du Fil des kilomètres, je vous suggère cette vidéo, "bande annonce" d'environ trois minutes qui résume bien l'atmosphère du livre. C'est très bien fait.

samedi 11 janvier 2014

TransAtlantic, par Colum McCann, éditions HarperCollins

Terre-Neuve, 1919: deux hommes s'apprêtent à traverser l'Atlantique dans leur avion à cockpit non recouvert. Ils choisissent un vent favorable et partent. Réussiront-ils? Passionnant. Dublin, 1845. Un Noir, esclave affranchi et érudit, part pour une tournée de promotion de son livre sur l'anti-esclavagisme dans l'Irlande ravagée par la famine, qu'il découvrira au fil de son périple. Tout aussi passionnant, sinon plus. Belfast, 1998. Un émissaire diplomatique américain effectue un ixième voyage en Irlande du Nord pour faire avancer les négociations de paix où il joue le rôle de conciliateur. Surprenant. St-Louis, Missouri, 1870. Une femme fera s'épanouir l'entreprise familiale de livraison de glace. Stupéfiant. Et ça se poursuit comme ça sur un siècle et demi. Si les personnages du début sont forts et tirés de l'Histoire "vraie", s'agitent, en toile de fonds d'autres personnages secondaires qui prendront le devant de la scène au fil du récit. Cette seule gymnastique vaut à elle seule la lecture de TransAtlantic. Et lorsqu'on découvre que ce chassé-croisé historique répertorie l'histoire de personnages d'une même lignée, on lève notre chapeau à l'auteur et on s'attache à chacun de ces personnages, en même temps qu'on tisse le fil de l'histoire, d'un scénario qui raconte l'Irlande et les Irlandais d'aujourd'hui à travers les dernières décennies.

J'ai retrouvé ici le grand auteur de Les saisons de la nuit (This Side of Brightness) et de Et que le vaste monde poursuive sa course folle (Let the Great World Spin). C'est même à se demander si Transatlantic ne serait pas le meilleur ouvrage de McCann.

Si on compare ce livre avec le dernier critiqué sur ce blogue: The Circle, de Dave Eggers, on retrouve ici les deux opposés du spectre du côté de l'écriture. Eggers écrit en noir et blanc en nous exposant toute la froideur de son récit. McCann a l'écriture multicolore. Tout, avec lui, a un sens, une importance, une histoire propre. Chaque lieu, chaque objet, chaque personne qui passe. Certaines scènes chavireront même les moins sensibles. Aucune barbarie, ici. Seuls les sentiments les plus humains sont décrits, et de si belle façon qu'on ressent très clairement les peines, douleurs et joies. Parce qu'il y a là beaucoup de résilience. Les personnages subissent l'Histoire sans s'apercevoir qu'ils la font, et c'est ce que McCann réussi à nous exposer.

Saga ou pas, je ne saurais dire. Probablement pas. Mais beau voyage dans le temps que ce TransAtlantic. Absolument pas ennuyant. Et surprenant aussi. Les plus forts, vous le verrez, ne sont pas toujours ceux qu'on pense. Voyez de quels personnages de la famille il s'agit et voyez qui vivra, qui mourra et comment. Voyez qui poursuivra sa destinée, malgré tout ce que l'Histoire, le temps, les autres essaient de leur imposer. La dernière phrase résume à elle seule tout l'esprit de ce livre. Elle décrit, en gros, la stupéfaction de constater que le monde poursuit sa route.

Si vous aimez l'écriture fine et ciselée et la grande Histoire des petites gens, lisez TransAtlantic, c'est du bonbon.

Le livre est traduit en français sous le titre Transatlantic, traduit par Jean-Luc Piningre, aux éditions Belfond.

Et si vous aimez McCann, que vous avez déjà lu TransAtlantic ou que vous pensez vraiment le lire, je vous recommande cette entrevue sur la quelle je suis tombé par hasard. Cet entretien avec McCann est en anglais avec sous-titre en français. Il y raconte sans prétention et de façon très intéressante la création de TransAtlantic.