lundi 18 novembre 2013

Le rapport de Brodeck, par Philippe Claudel, éditions Stock

Dans son village, Brodeck est le seul qui puisse écrire un rapport sur les derniers événements. Le seul étranger du village vient de mourir. Il faut le rapporter, et on mandate Brodeck pour le faire. Il s'acquittera de sa tâche de la meilleure façon qui soit, et pour cause. Brodeck est presqu'un étranger lui-même, et si l'autre est mort en victime du reste du village, Brodeck aussi aurait pu prétendre l'avoir été.

Dans le village, on parle un dialecte allemand. On s'apercevra rapidement qu'une grande guerre s'est terminée et que Brodeck y a survécu encore plus que les autres. Ce roman est fort parce que subtil. Jamais Claudel ne nomme un événement ni un pays. Seuls ses personnages ont des prénoms. Il nous laisse deviner le décor. Bon, oui, ça ressemble drôlement à l'Autriche, à l'Anchluss, à la seconde guerre mondiale, mais ne seraient-ce là que des prétextes pour parler de différence, de l'inclusion, de l'exclusion et aussi, et surtout, de la peur de l'autre? C'est fait finement. Très finement. C'est sans doute un livre qui vieillira très ben.

Dès le début, les descriptions de Claudel nous plongent dans une atmosphère très "Délicatessen", le film des années '90. Les personnages sont sombres, le village est reculé, les chaises et les portes craques. Sans être caricaturaux, les personnages sont très typés, et c'est parfait. Brodeck en est le meilleur exemple. Dans un village où tout le monde semble être coupable de quelque chose, lui seul semble "normal". Hors qui l'est vraiment?


Rarement ai-je lu un personnage aussi attachant que Brodeck. L'auteur lui a donné une voix qui m'est allé droit au coeur. Difficile d'être indifférent à ses propos. Et pourtant, oui, Le rapport... est le ixième livre sur le sujet de cette grande guerre. Celui-là est raconté sous la presque forme d'une fable. Son originalité réside dans son ton, très simple, presque naïf, malgré la dureté du propos. Brodeck vit entouré de la cruauté du monde. Tout le porte à condamner ce monde dans lequel il vit, ce qu'il ne fera pas, et ça, juste pour ça, pour l'aboutissement de ce livre, eh bien il faut absolument le lire. Pas besoin de vous dire combien j'ai aimé Le rapport de Brodeck. Je n'ai rien lu d'autre de Philippe Claudel, ne sait trop ce que je devrais lire de ses oeuvres antérieures, mais j'attends avec hâte ses prochaines histoires.

lundi 4 novembre 2013

Dernier voyage à Buenos Aires, de Louis-Bernard Robitaille, éditions Notabilia

Sachez-le d'entrée de jeu: ce titre est une totale imposture. Dans cet ouvrage, il n'est fait mention de Buenos Aires que dans trois ou quatre phrases, maximum. Ce livre se passe à Paris, totalement à Paris. Complètement. Bon ok, on y sort peut-être un peu à un certain moment donné mais dans votre vie de lecteur, peut-être n'aurez-vous jamais rien lu d'aussi parisio-parisien, s'il est permis de le dire ainsi. Faut aimer.

Le narrateur est un jeune américain qui va faire son apprentissage (à travers des études universitaires) à Paris dans les années 60. Le mec écrit, ou le prétend. Il fera la connaissance d'une belle Allemande qui le bouleversera. Elle lui fera connaître des gens, ils emménageront ensemble, elle lui racontera sa vie tragique.

Jusqu'ici ça va. Ce sont des souvenirs d'un amour de jeunesse racontés par un vieux beau, comme l'aurait dit Balzac. Vous me trouvez prétentieux de citer Balzac? C'est vrai, ça pourrait l'être. J'aurais pu vous citer ses personnages, des titres, vous faire état de ma culture. Robitaille, lui, ne cite personne mais Paris, ah Paris...

Jamais, et je dis bien "jamais" n'aie-je lu dans un seul ouvrage autant de noms de rues et de lieux d'une seule ville dans un seul ouvrage. Véritable Guide du routard nostalgique, ce bouquin fait l'étalage d'une connaissance quasi obsessionnelle du lieu qui l'habite. Dans le même paragraphe, ils habitaient telle rue, sont sortis sur telle place, ont emprunté telle autre rue, ont fait des courses chez tel marchand, pris un pot dans tel débit, puis suivi telle autre rue pour prendre telle station de métro... Ça me faisait parfois penser à ce récit de voyage qu'une connaissance vous fait à répétition de son voyage à Paris, plaçant ici et là des références géographiques ou commerciales de lieux qu'il ou elle a peut-être vue, mais qu'il fait bon, à son sens, placer dans une conversation. Le livre de Robitaille ressemble, en ce sens, à quelque chose d'assez bavard. L'auteur connaît son décor, qu'on se le tienne pour dit. Et ça paraît. En fait, on ne voit à peu près que ça.

Je crois que ce tic d'écriture se démarque parce que l'histoire est somme toute assez banale. La rencontre commence en coup de foudre. La fille elle est belle, puis elle s'affadit, il la délaisse, la trompe et elle disparaît dans l'éther de son charme mystérieux. À la fin, il se remémorera son époque avec elle à travers ses autres conquêtes. Un certain Don J n'aurait pas fait mieux.

Pourtant, c'est bien écrit, quoi que l'auteur ait décidé de faire un Saramago de lui-même en éludant la ponctuation à certains moments. Ainsi, les dialogues sont inclus dans un phrase où ils commencent par une majuscule. Pas que je sois particulièrement strict grammaticalement parlant, mais ce genre de caprice me tape. Un exemple: Imaginez que je cite quelqu'un qui vous dise Oui c'est vrai, il a raison. Voilà, ça se passe comme ça: une phrase dans la phrase sans ponctuation. À vous, lecteur, de deviner ce qui se passe. Moi ça m'énerve. Ajouté à une séance de name dropping de lieux et d'adresses, ça finit par ressembler à quelque chose de Jean d'Ormesson en un peu plus junior.

Mais soyons francs, les amateurs du Paris dans tout ce qu'il y a de plus carte postale jaunie, de souvenirs de cafés littéraires, du jazz ouvert dans la nuit dans une rue de Paris et son ombre qui nous suit... seront servis. C'est très, très Paris. L'avais-je dit? Une escapade en Allemagne vers le milieu du livre fait du bien, mais pas de chance, ils sont fauchés, alors il faudra bien revenir assez vite...

Bref, c'est bien écrit, je le répète. Robitaille a du style, oui, mais trop à mon goût.