mardi 29 mars 2016

Les maisons, par Fanny Britt, éditions Le Cheval d'août

Fanny Britt est surtout connue au Québec pour son apport au monde du théâtre. Pour ma part, j'ai surtout remarqué ses traductions de pièces d'auteurs britanniques. C'était toujours percutant, fort et sensible. Ce premier roman est marqué des mêmes sceaux.

J'ai beaucoup entendu parler de ce livre avant de le lire, aussi je savais déjà qu'il s'agissait de l'histoire d'une agent d'immeuble qui faisait la rencontre d'un ancien amant, pour ne pas dire d'un amour de jeunesse. Cette colonne vertébrale est ce qui, de toute évidence, a le plus retenu l'attention. Pour ma part, c'est toute la chaire autour de cet os qui m'a frappé. Bien plus que l'histoire d'amours fragiles, j'ai vu dans ce livre le portrait d'une époque, la nôtre, et j'ai trouvé ce portrait non seulement très juste mais aussi très vrai.

Oui, l'agent immeuble en question rencontrera son ancien amant. Ce gars-là est devenu, avec la distance amenée par le temps, un idéal, une histoire qu'elle n'a jamais pu terminer, enfin, qu'elle n'a pas vu se terminer comme elle l'aurait souhaité. Aussi l'a-t-elle magnifiée avec le temps. De toute évidence, cette histoire qu'elle s'était inventée, ce "et si ça avait continué", l'aidait à combler un vide, mais lequel?

La fille est pourtant aimée de ses enfants et de son conjoint. Sa carrière va bon train, bref, le présent lui sourit, jusqu'à ce qu'apparaisse ce mec surgit du passé. Alors l'auteure part explorer le passé de son personnage, un passé d'enfant du divorce, élevée, avec son frère, par une mère-courage misérabiliste. Sortie de sa petite ville de région (L'Abitibi) pour gagner Montréal, celle dernière vivra dans un perpétuel renoncement plus ou moins pathétique qui procurera le matériel dont ses enfants auront besoin, sauf peut-être un élément tout aussi essentiel: la faculté d'apprécier la vie.

Comme pour éviter de vivre le présent trop dur et trop morne de sa mère, la fille oubliera le sien, son présent et vivra dans le rêve jusqu'à ce que la réalité la frappe et qu'elle découvre enfin ce qu'est la vie, la sienne. Les maisons, ce sont des désillusions, mais aussi un appel au carpe diem.

Québécoise dans son décor, l'histoire est pourtant universelle, et, à mon sens, très particulière à notre époque. L'écriture de Fanny Britt est extrêmement efficace, concise, droit au but, et élégante en même temps. Il faut beaucoup de doigté pour ne pas faire de tels personnages des perdants intégraux ou des inconscients finis, comme c'est souvent le cas dans ce genre de chronique de société. Ici, l'auteure réussi à donner à chacun de ses personnages une certaine part de lumière, ce qui nous laisse ébahis à la fin du livre, ébahis comme le personnage, de sortir intact d'une histoire qui aurait pourtant pu nous débâtir.

Un livre superbe en plusieurs points.

jeudi 24 mars 2016

La puissance de la joie, par Frédéric Lenoir, éditions Fayard

On connait déjà la psycho-pop. Pour plusieurs, le genre provoque beaucoup d'appréhensions. Je suis de ceux-là. Or, si on parlait de philo-pop, devrait-on se crisper tout autant? Pas nécessairement, mais...

Moi qui lis peu d'essais, je me suis procuré celui-ci après avoir entendu Frédéric Lenoir en entrevue à la radio. Son propos m'avait séduit, je l'ai trouvé audacieux. Promouvoir la joie, proposer le bonheur en nos temps caverneux m'apparaît en effet complètement champ gauche. C'est pourtant ce que fait le bonhomme. Dans ce livre, Lenoir donne des pistes pour repérer la joie dans toutes les épisodes de nos vies. Ses démonstrations sont présentées à travers les exposés que d'autres philosophes ont faites avant lui, mais aussi à travers son expérience personnelle. Le livre commence avec une explication fort convaincante où on comprend la motivation de l'auteur. Puis, suivent les présentations de "philosophes de la joie" comme Spinoza et Nietsche.

Perso, philosopher, oui, je peux. M'intéresser aux pensées des autres, aussi. J'aime apprendre. Lenoir explique bien et vulgarise bien des systèmes de pensées qui, lorsqu'on les saisit bien, ont beaucoup de sens. Ça, j'aime. J'étais donc dans le public cible. Vers la fin du livre, l'auteur relate des expériences personnelles qui l'ont amené à se poser des questions et à réaliser des choses qui ont développé sa pensée. Là, on adhère ou pas et j'avoue m'être mis à tiquer un peu. Je comprend que l'expérience amène à structurer ses idées et à réaliser des choses. Ce que je comprends moins c'est pourquoi il faille se prendre soi-même comme exemple. Par exemple, les croyances de Lenoir ne me rejoignent pas toutes, mais ses interprétations, oui, souvent. Avec lui, je crois aussi qu'il faille tendre plutôt vers le bon que le mauvais côté des choses. Mais ses références ne me vont pas toutes. C'est normal, sans doute, de ne pas adhérer à l'ensemble des propos d'un philosophe. Mais un inconfort reste un inconfort, d'où ma propension à préférer la fiction. Là, au moins, j'ai la liberté d'interpréter comme je le veux.

J'ai pourtant pensé à plein de gens autour de moi qui auraient avantage à s'inspirer des idées d'un Frédéric Lenoir. Mais alors que j'avançais dans le livre, j'ai constaté que de tels livres "qui portent à réfléchir" s'adressent à un public de convertis. Ce que je veux dire, c'est que si Lenoir avait inclut ses idées philosophiques, ses concepts de joie et de lâcher prise à l'intérieur d'une fiction, non seulement j'y aurais plus facilement adhéré, mais je sais que d'autres auraient pu aussi se laisser toucher. Entre les propos doctes et les propos racontés, je préfère les seconds, et je ne crois pas être le seul.

Bref, voilà un essai qui vous propose quelque chose de bon. Si vous avez besoin d'un coup de main pour sortir de la morosité, La puissance de la joie pourrait vous donner de bonnes pistes.

mardi 15 mars 2016

Boussole, par Mathias Enard, éditions Actes Sud

Amis lecteurs. Lorsque vous vous remémorez tout ce que vous avez lu, êtes-vous capables d'identifier la lecture d'un
ouvrage en particulier que vous pourriez qualifier d'époque de votre vie? Est-ce que, le temps que vous avez lu ce ou ces livre(s(il peut bien en avoir plusieurs) vous avez l'impression d'avoir changé, grandi ou tant appris que vous en êtes sorti différent de ce que vous étiez avant sa lecture?

En voici un qu'il me sera plus facile d'évaluer plus tard, lorsqu'il aura fini de mijoter. Parce que Boussole est dense, très dense. Il se digère longtemps, mais avec délices.

Franz souffre d'insomnie. En une nuit, il se remémorera sa carrière de musicologue spécialiste des musiques orientales et par le fait même, de sa relation privilégiée avec une collègue, Sarah, une orientaliste renommée. Il est Autrichien, elle est Française. Il s'auront rencontrés partout, surtout à Istanbul, Damas, Palmyre, Téhéran. Ses souvenirs vont d'ne ville à l'autre, contiennent plusieurs autres collègues mais aussi, et surtout, font des liens entre les gens, les époques, les genres, entre Orient et Occident. Érudits à la puissance 10, les personnages de ce livre vous donneront l'impression de lire des chapitres entiers de l'Encyclopedia Britannicus ou de tout autre ouvrage de référence que vous préfériez. Dense, érudit, les mots sont faibles, mais par-dessus tout, il faut décrire ce livre comme fascinant.

Vous croyiez votre culture générale quand même assez vaste? Lisez Boussole et elle décuplera. Oui, absolument, cette lecture est parfois difficile, pas tant à cause du propos que du style de Mathias Enard. Ses phrases, longues, contiennent toutefois des perles qu'il vaut la peine de chercher. Si j'ai relu parfois quelques phrases, c'était souvent pour noter telle référence, tel compositeur, telle musique, tel ouvrage. Juste pour vous dire, je me suis procuré trois albums de compositeurs cités dans ce livre, et c'est bien peu! La quantité d'informations que contient ce livre est incroyable. Ici Beethoven est en récital, là Listz fait une tournée jusqu'en Turquie, puis Berlioz rencontre un orientaliste Allemand, Schumann vit ses derniers moments... Et pas besoin d'être amateur de musique pour apprécier. Suffit d'un esprit ouvert, et on embarque dans les chassés-croisés de l'Histoire.

Dans cet ouvrage, Enard, sans doute une montagne d'érudition lui-même, montre combien tout est relié, combien chacun influence et est influencé par l'autre, bref, que le monde se construit, s'améliore, s'ouvre, grâce aux mélanges, aux connaissances, à la curiosité des esprits.

Peut-être ai-je tort en disant (prétendant?) qu'un tel livre plaira à peu. La principale raison est qu'il fera trop peu à trop de gens. Tiens, juste cette description que j'en fais a dû en effrayer quelques uns. Et pourtant, comme un reportage télé à premier vue anodin qui a contribué à notre connaissance du onde lorsqu'on était enfant, comme un professeur qui a su rendre passionnante une matière aride à première vue, Mathias Enard a la bonhommie de nous livrer un ouvrage où nous, lecteurs, sommes considérés comme des êtres intelligents. Ne serait-ce que pour ça, le bien qu'on en retire est immense.

Attention! Si vous êtes un habitué des téléjournaux et un avide consommateur de médias, vous risquez d'être choqués, puisque ce livre raconte aussi les peuples du moyen orient, leur histoire, leur culture. Pas de généralités excessives ici. Oui, l'auteur en profite pour dénoncer ce qui se passe présentement dans les contrées traversées autrefois par les deux protagonistes. Il décrit d'ailleurs la révolution iranienne de 1979 d'une manière dont je n'en avais pas encore entendu parler.

Genre de livre qui vous élève. Bravo gens du Goncourt (Boussole en est le prix 2015). Vous ne nous l'avez pas fait facile cette année, mais vous savez ce que vous faites!