dimanche 23 avril 2017

Chercher Sam, par Sophie Bienvenu, éditions Cheval d'août

Il fait toujours du bien de tomber sur une exception. Parce que les exceptions font que le monde change et se poursuive. Sans elles, tout resterait tel quel. Avec Chercher Sam, et sans doute aussi, grâce à Sophie Bienvenu et quelques autres auteurs québécois, la littérature québécoise évolue, et pour le mieux. Violent coup de poing au plexus, j'ai reçu ce livre un peu comme ce que d'aucuns disaient de la musique de Chopin: des canons enfouis sous les fleurs. C'est une histoire dure, hyper dure, mais racontée tellement finement!

Mathieu s'est retrouvé à vivre dans les rues de Montréal. Son seul choix a été son quartier: Rosemont. Pas le centre-ville, pas ailleurs. Il migre autour de la rue Masson. Et là, pour l'instant, il cherche Sam, son chien.

Comment il en est arrivé là, pourquoi il cherche Sam, d'où ils viennent lui et Sam: pour le savoir, il faut lire ce livre. C'est raconté en quelque 160 pages, pas plus, et c'est complètement captivant. La langue de Sophie Bienvenu est si vivante que vous entendrez Mathieu vous parler à l'oreille. Ici encore, un peu comme avec Le plongeur de Stéphane Larue, la langue parlée est retranscrite à l'écrit avec beaucoup de succès. Je crois toujours que ce n'est pas donné à tous de réussir à le faire, comme il n'est pas donné à tous d'apprécier cette forme écrite du langage parlée. Certains puristes demeurent réfractaires. Et pourtant, l'émotion ressentie ici est brute, d'où le coup de poing. On passe d'expressions "cutes" aux pires tragédies en quelques paragraphes, un peu à l'image de la vie de Mathieu, un personnage immense qui, pourtant, n'a qu'une piètre opinion de lui-même.

Le tour de force de tels écrits, c'est de peindre des tableaux réalistes en fiction. Je ne sais pas si cette histoire a déjà été vécue, mais j'imagine assez facilement que plusieurs des gens que je croise quotidiennement ont peut-être déjà vécu quelque chose qui y ressemble. Or c'est divertissant, oui, mais aussi tragique, mais aussi beau, immensément beau parce le méchant de cette histoire, on l'identifie difficilement. Bon, sans vendre trop la mèche, j'avancerai quand même que le personnage de la mère de Mathieu n'a pas grand chose pour se faire aimer. Mais quand même, est-ce seulement sa faute à elle? N'empêche, Chercher Sam humanisera les résidents de la rue même pour les coeurs les plus durs qui croient encore qu'ils n'ont "qu'à se donner un coup de pied au cul et à se chercher une job". Mon dieu, si tout était aussi facile...

Une telle voix, celle de Sophie Bienvenue, équivaut à l'avènement d'un Michel Tremblay quelque 40 ou 50 ans plus tôt: on nous parle de nous dans une langue qu'on connaît mais d'une façon dont on ne s'était pas fait raconter de telles histoires avant. C'est absolument à lire. Oh, mais, précisons: les tenants de la dictature du bonheur n'aimeront pas. Parce que c'est dur. Mais les amoureux des mots aimeront parce que comme dans plusieurs grandes oeuvres noires, les quelques couleurs qui s'y profilent deviennent majestueuses et prodigieusement belles.

Bon, pas besoin d'en ajouter plus pour dire combien j'ai aimé Chercher Sam... et que j'espère lire encore Sophie Bienvenu. Ah aussi: l'édition que j'ai lue est la deuxième de ce livre. Elle contient une préface vraiment sympathique de Marie-Hélène Poitras. Ça ajoute.

mardi 11 avril 2017

L'opossum rose, de Federico Axat, éditions Calmann-Lévy

De la part de quelqu'un qui ne court pas après les polars pour en lire, il me semble que ce blogue commence à en contenir pas mal. Presque chaque fois, il s'est agit de recommandations et presque chaque fois, je me suis surpris en tant que lecteur. Tout ça se vérifie une fois encore, et c'est bien, parce qu'un des plaisirs de lire, c'est justement de se surprendre soi-même: de se voir aimer quelque chose ou pas, de se voir touché par quelque chose... ou pas, ou de découvrir encore des choses sur soi-même, sur l'art d'écrire et sur celui de lire.

Ici, j'en appris sur moi et sur le genre. Un polar, c'est bon lorsque ça nous appelle d'une séance de lecture à l'autre, lorsqu'on a hâte d'en savoir plus. Tel est le cas avec ce bouquin: l'histoire est hyper bien ficelée, et très originale. Mais une chose demeure avec le polar: ça ne me touche pas, dans le sens d'être touché de l'intérieur, d'être retourné, de se sentir heureux ou bouleversé. Ce livre est froid, mais efficace. Il ne suscite pas l'émotion, mais stimule l'esprit cartésien. Les amateurs de polars sauront en tirer leurs conclusions.

Un homme qui est sur le point de s'enlever la vie s'en fait empêcher à la toute dernière minute. Bizarrement, les circonstances liées à cet événement l'emmèneront à commettre lui-même un meurtre... mais c'est pas clair, parce que quelques pages plus tard, on reprend l'histoire à zéro. Ça commence de la même façon, mais ça s'enchaine différemment. Pourquoi?

Ce qui ressemble un peu à du Agatha Christie s'avère totalement différent. Il est difficile d'en dire plus, question de ne rien divulguer de l'histoire, mais je soulignerai qu'une bonne partie du livre, plus de la moitié, en fait, se déroulera ensuite dans un hôpital psychiatrique. J'ajouterai enfin que l'auteur est argentin. Or, en lisant ce livre, je me suis rappelé avoir déjà lu quelque part que l'Argentine était le pays avec le taux de psys par habitants le plus élevé au monde. Je dirais que ça paraît dans l'Opossum rose, et pas à peu près. Ceci dit, encore une fois, c'est très bien fait. À croire que l'auteur s'y connaît, justement, en matière de relation patient/clinicien.

Bon, j'arrête là. En résumé, pour un bon polar enlevant: oui à L'Opossum rose. Bien traduit, sa lecture est facile bien qu'un peu confondante au départ. La fin est, pour le non-spécialiste du genre, un peu "trop", en ce sens que ça m'a semblé peut-être un peu trop spectaculaire à mon goût. Ça n'en demeure pas moins surprenant, et lorsqu'on lit un polar, n'est-ce pas ce qu'on veut, au fond: être surpris?