dimanche 22 décembre 2013

The Circle, par Dave Eggers, éditions McSweeney's/Knopf Canada

Mae avait une petite vie morne, un petit emploi de rien jusqu'à ce qu'elle se fasse embaucher à The Circle par l'entremise de sa grande amie Annie. The Circle emploie plus de 9000 personnes. La compagnie développe plein d'applications pour le Web. Elle génère entre autres 90 % du trafic des recherches (ça vous dit quelque chose?), vient de développer un système de paiement, et se soucie énormément de rendre le monde plus sécuritaire. L'accueil de Mae dans la compagnie est incroyable. Les gens sont gentils, souriants, affables. Des réunions de motivation, des gyms, des cafétérias santé partout, des activités sociales, des dortoirs: c'est le paradis.

La table est mise. The Circle raconte l'ascension des médias sociaux dans notre civilisation. Egger nous projette d'abord dans un monde connu puis, au fur et à mesure que ça avance, qu'il nous décrit les intentions et les réalisations de The Circle, on tombe dans une presque science-fiction qui nous fait nous demander tout du long: et si ça nous menait jusque là?

J'ai lu que d'aucuns ont décrit The Circle comme le prochain 1984. Relativisions. Si Orwell nous a donné une histoire fictive à sa création qui s'avère presque vraie 60 ans plus tard, avec The Circle, on espère juste que tel n'est pas le cas. Alors pour le côté fiction: oui, ça a quelque chose de 1984. Mais, Dave Egger n'écrit pas spécialement bien. Le style est efficace, sobre. Ça sent inévitablement le scénario de film. Mais ça demeure froid. Si certaines scènes donnent justement froid dans le dos, c'est que Egger réussit à nous faire transposer son histoire dans nos vies quotidiennes. En ce sens, c'est très "cinéma américain" et c'est réussi. Sociologiquement, c'est très fort mais du côté littéraire, c'est correct.

Le livre commence lentement. C'est même un peu exaspérant, cette découverte d'un monde idéal, de ce monde meilleur dans lequel Mae tombe. On la trouve bien naïve ou un peu conne. Mais arrive une scène surréaliste, et encore là possiblement réelle, où Mae est rencontrée par une dame des Ressources humaines. Oui, Mae travaille bien, mais elle ne participe pas suffisamment aux activités. Pourquoi? La dame expose aussi à Mai la nécessité d'en dire plus sur elle dans les réseaux sociaux offerts de la compagnie. Il faut la connaître pour qu'on l'aime encore plus, qu'on puisse s'occuper d'elle encore mieux. Mae entrera dans le jeu, toujours certaine que, comme l'indique la devise de la compagnie: les secrets sont des mensonges. Et voilà qu'après un petit incident, Mae devient "transparente", c'est à dire qu'une caméra permet de la suivre partout et que les données de la vidéo de sa vie de tous les jours sont archivées à jamais. Mae découvre l'amour de ses "followers". Elle en donne plus, on l'aime encore plus. Puis la compagnie poursuit son programme d'installation de caméras partout, pose des chips aux enfants pour assurer leur sécurité, etc. etc.

Bien sur, il y aura des septiques dans l'entourage de Mae. On tentera de lui exposer ce qui est en train de lui arriver. Le reste, je l'avoue, est hallucinant.
Oui, c'est gros. C'est très gros comme histoire, mais la part de réalité fait peur. Et il est habile de montrer combien l'égoïsme et le désir de s'exposer, de se faire aimer, peut devenir le cauchemar des autres, voir même, le symptôme inquiétant d'une société qui vit dans le paraître plutôt que dans l'être.

Si vous avez déjà publié plus de trois statuts sur Facebook ou que vous twittez allégrement chaque jour, il vous faut lire The Circle. J'espère seulement que vous ne croirez pas à cette histoire, car si vous y croyez, vous risquez de vous trouver un nouveau loisir. Si vous n'êtes pas de cette faune branchée et hyper-exposée, lisez-le aussi pour voir dans quel cauchemar certains de vos amis pourraient tomber. Soyez charmants, ramenez-les ensuite à la réalité.

Un cauchemar bien ficelé, réaliste, commercial, et inquiétant, En souhaitant que The Circle ne fasse pas l'histoire.

Le livre n'est pas encore paru en français.