mercredi 22 novembre 2023

Le fils du Trickster, par Eden Robinson, VLB éditeur

C'est d'abord la chronique d'une communauté autochtone de l'ouest canadien de notre époque. Les personnages vivent les petites et grandes misères de vies rendues rudes par tout ce que la société peut avoir comme traversavec alcool et drogue omniprésents dans la vie de tous les jours et relations de couples bancales en tête de liste. Puis, vers le troisième tiers du livre, la chronique se transforme en une aventure pas banale avec de la magie et du fantastique.

Éden Robinson nous emmène dans un autre monde à plusieurs égards. D'abord, celui d'ados autochtones de la région de Kitimat, en Colombie-britannique. Le personnage autour duquel tourne toute l'histoire a 16 ans. Comme pour la plupart de ses amis, ses parents sont des gens qu'on dirait dénués de toute fierté. Séparés, chacun accumule les échecs financiers, les tromperies entre eux, tout ça dans des beuveries récurrentes, la vente de drogue, les petits boulots. Quant à ses amis, c'est à peu près pareil, mais en plus jeune. Pour eux, leurs parents sont des personnes plutôt inutiles, décourageantes, bref, des loosers. On dirait que les plus jeunes deviennent responsables de leurs parents tellement ces derniers sont perdus.

Le plus surprenant de ce livre, c'est le ton. Rempli de dialogues, souvent savoureux, l'ironie et le sarcasme pleuvent, tellement qu'à force, on se rend compte que c'était comme si personne n'avait de respect pour personne. ON se parle en pleine face, on s'envoie paître à qui mieux mieux, on se traite de tous les noms. Parfois, ça fait inévitablement sourire, mais souvent, c'est triste. C'est un portrait réaliste et trèes peu douceureux de cette communauté. Ça fait réfléchir.

Ici, l'espoir vient des plus vieux. Notre garçon mettra quelque espoirs en sa grand-mère et des voisins âgés pour qui il entretient un certain respect. Encore que... Puis, apparaissent des personnages et des situations hors normes, d'abord subtilement, qui nous emmènent dans le grand tourbillon de la fin du livre. Pas amateur de magie, j'ai aimé comment je me suis fait entrainer dans ceet autre monde. L'autrice est habile.

La traduction est efficace, la langue, souvent vulgaire, sans compromis, donne du punch aux dialogues. Des Européens pourraient s'y perdre un peu, les références culturelles étant souvent très nord-américaines. J'ai toutefois remarqué que certains dialogues rendaient mal ce qui devait être des jeux de mots ou des expressons propres à la langue d'origine du livre (l'anglais), certaines expressions tombant à plat. Mais ça n'enlève pas le ton mordant, coup de poing et très vif de ce livre vraiment pas ennuyant.

lundi 20 novembre 2023

Le fenêtre au sud, de Gyrdir Eliasson, éditions La peuplade

Si les livres avaient le pouvoir de se transformer en objet, je ferais de celui-ci une couverture chaude. Confortable, prétexte à prendre une pause, mais peut-être étouffante si utilisée trop longtemps, j'ai aimé m'envelopper de La fenêtre au sud. C'était une bonne idée de revenir rapidement à Gyrdir Eliasson peu de temps après Requiem, qui m'a procuré la même impression de réconfort.

Un homme vit temporairement dans la maison empruntée à un ami (comme dans Requiem). C'est une maison de vacances, sur la côte islandaise. Ses environs ne sont habités que pendant la belle saison, jusqu'à tard en automne. Autrement, notre homme est le seul résident du coin, et l'univers habité le plus près est le village, qu'il doit gagner avec sa voiture lorsqu'il en a besoin.

L'homme est là pour essayer d'écrire. Je dis "essayer" parce que l'exercice est difficile. Le livre raconte ses tentatives rarement réussies, et ses échecs qui se soldent par des marches dans les environs, vers un phare, sur le bord de l'océan, parfois au village, ou par des regards jetés sur la mer, qu'il entend de chez-lui. Constitué de courts paragraphes ou de demi-pages indépendants les uns des autres, le livre nous fait avancer lentement à travers quatre saisons que l'homme passera dans cette maison.

Avec lui, on se demandera un peu s'il est bien ou pas, s'il avance ou s'il recule, s'il va rester encore ou partir, si le temps est au soleil ou brumeux. On avance de réflexion en réflexion, on dépose le livre souvent, pour s'imprégner, et on le poursuit plus tard, sans avoir l'impression de l'avoir oublié.

Cet auteur me fait me questionner sur le temps, celui qu'on doit prendre, en se débarassant de l'impression de le perdre. Il nous fait faire un exercice subtil qui nous fait réaliser que si le passé laisse nostalgique et que le futur crée de l'angoisse, seul le présent contient du confort. C'est en tout cas ce que j'en retiens, en plus de l'univers paisible de la mer, des montagnes et des prés qui changent de couleur au gré des saisons. Le personnage semble parfois un peu perdu, mais au bout du compte, on se rend compte avec lui que son seul désir est de rester là, à vivre sa vie dans sa petite maison empruntée, loin du monde et des tracas. Rien n'est temporaire, du moment qu'on vit au présent. Vraiment, cet auteur me fait le plus grand bien, comme bien des auteurs islandais, d'ailleurs.

dimanche 5 novembre 2023

Le compte est bon, par Louis-Daniel Godin, éditions La Peuplade

Il arrive parfois que l'on décrit une oeuvre en soulignant qu'elle contient "un effet de style". Ce genre de critique exprime le plus souvent une opinion plutôt condescendante reprochant à l'auteur d'avoir utilisé un procédé hors de l'ordinaire pour un résultat qu'on trouve ordinaire. C'est souvent un prétexte pour dire qu'on n'a rien compris et que ça nous agace. "Effet de style" est une expression rarement positive. Mais attention. Lorsqu'un effet se produit, justement à la suite d'un style complètement champ gauche, on est soit interloqué, soit dérangé, soit emballé. C'est ce que je suis à la suite de ma lecture: emballé par l'effet d'un style hors pair.

La parole est d'abord donné à un enfant qui raconte sa vie compliquée avec des parents assez peu doués pour l'art d'être parents. Cette parole est nerveuse. Le narrateur parle en vrilles: il avance sur un sujet, revient un peu en arrière pour faire un lien avec quelque chose d'autre, puis revient à son histoire, pour revenir en arrière avec un autre prétexte, et ainsi de suite. Au début, on se demande quelle mouche a piqué cet enfant distrait et anxieux. Puis, l'enfant vieillit au fil de la narration et des anecdotes mais le style, lui demeure, et l'auteur se révèle peu à peu.
C'est l'histoire d'une vie pas si lointaine, passée dans des apparts de banlieue avec peu d'argent et une foule de préoccupations provenant de la mêre, bientôt séparée, et du fils qui se questionne sur tout et qui n'est jamais sur de rien. Alors il pense, et il fait des liens, il vit des anecdotes qu'il monte en épingle et à force, on entre dans sa tête et on suit le fil de ses pensées, jusqu'à ce qu'on découvre le fond de toute cette crainte de ne jamais être à sa place et de douter de soi.

On rit souvent, on est touché, aussi. L'écriture de Louis-Daniel Godin est presque mathématique tellement elle est étourdissante. Elle contient beaucoup de fragilité, qu'on ressent presqu'à chaque page. Et cette crainte, toujours. Louis-Daniel Godin a réussi à mettre par écrit la fameuse voix qui prend toute place pendant une nuit d'insomnie, cette voix aux allures de hamster qui n'arrête pas de courir. Pour moi, c'était exactement ça, et c'est complètement réussi d'avoir écrit un tel livre sans m'avoir épuisé. J'irais même jusqu'à dire que cette voix m'a bercé. Fallait le faire.

Une totale réussite, un beau et un grand livre.