lundi 15 août 2016

L'arbre du pays Toraja, par Philippe Claudel, éditions Stock

Une autre histoire racontée au "je". En fait, l'auteur se raconte à travers sa relation avec un ami proche qui lui annonce qu'il a un cancer et qu'il n'en a plus pour longtemps. Secoué, l'auteur vit, parallèlement à cet événement, une rencontre avec une fille beaucoup plus jeune que lui. Entre tout ça, il y a sa vie, qu'il décrit sans trop de tabous dans ses réussites comme ses échecs.

Intime, un peu impudique mais pas trop, Claudel m'a surpris. De lui, je n'avais lu que Le rapport de Brodeck dont l'atmosphère m'a hanté longtemps. On est loin de ça ici. Bien écrit, L'arbre... nous emmène dans les questionnements de l'auteur sur le deuil, la vieillesse, notre rapport au travail, notre contribution au monde.

À première vue, ça ressemble étrangement au ton de D'après une histoire vraie, de Delphine de Vigan. Perso, de tels auto-récits, qu'ils soient fictifs ou pas, tendent à m'agacer un peu. Amateur de fictions, ce mélange de réalité et d'histoires inventées me ne m'attire pas. Je me trouve voyeur en lisant ça, je n'y suis pas super à l'aise. J'avoue avoir ressenti ça tout au long de ce livre, mais j'ai été charmé malgré tout. Parler de deuil n'est plus tellement commun. Le sujet devient de plus en plus tabou. La vieillesse est rarement valorisée, c'est ce que Claudel m'a fait réaliser, mais aussi, que la vieillesse en question, c'est beaucoup plus dans l'oeil de l'autre que dans le sien. On "reste jeune" plus longtemps beaucoup plus grâce à nos esprits ouverts, mois hermétiques qu'avant, et ça, c'est le secret d'une certaine jeunesse éternelle. Le désir de vivre va avec le désir d'apprendre, de découvrir. C'est ce que le narrateur/auteur découvrira en racontant son ami, puis en se racontant lui-même, qui se surprend lui-même à "tomber" dans des histoires que d'aucuns pourraient juger vaines pour toutes sortes de raison.

Philippe Claudel possède une écriture qui rend la réflexion facile. Son ton est sympathique, jamais prétentieux, bref, malgré la profondeur du sujet, il fait du bien de cheminer avec lui. Le titre à lui seul indique une recherche qui rend aussi cet ouvrage encore plus sympathique. Il commence en effet par la description d'une coutume funéraire d'un peuple indonésien inconnu. C'est une belle approche douce pour un sujet qui pourrait pourtant être rude.

Reste que bon... vivement une fiction de Philippe Claudel. Se mettre en scène, oui, mais pas seulement.

jeudi 4 août 2016

Nord Alice, de Marc Séguin, éditions Leméac

Le narrateur vient de gagner Kuujjuaq, où il travaillera comme médecin d'urgence à l'hôpital. Son arrivée dans le Grand Nord s'est fait rapidement, sur un coup de tête, après avoir rompu avec son Alice. Tous deux vivaient à New York. Ils y étaient médecins, lui, Québécois, elle, Inuit. Elle est est resté à New York. Lui a décidé d'aller vivre là d'où elle vient, pour l'oublier et travailler comme un déchainé.

Le narrateur se raconte: son bout de vie avec cette femme, sa passion, leur rupture; sa vie dans le Grand Nord, son travail, ses patients, le quotidien à Kuujjuaq, et en parallèle, il nous offre aussi le récit de ses ancêtres, à partir de son arrière-grand père, jusqu'à son père. Ces trois histoires n'en font qu'une et le résultat est absolument brillant.

Lire Marc Séguin ne me tentait pourtant pas tellement. La foi du braconnier, que j'avais lu il y a longtemps, m'avait laissé une impression de "tapage sur les nerfs". Puis bon, aussi, faut bien se l'avouer, c'est de genre de personnage "qui a tout": peintre de talent hyper-reconnu, totalement intéressant en entrevue, beau mec, intelligent, je n'avais sans doute pas envie de le voir aussi réussir en littérature. Et pourtant oui, il le fait, et fort bien.

Son écriture est d'abord très particulière. Les phrases sont courtes. On lit Marc Séguin lentement. On entend son narrateur raconter lentement, on l'entend prendre de grandes respirations entre ses phrases, ses pensées. Avec lui, on est triste dès le départ, fortement triste. Puis on se détache un peu de la difficile rupture en plongeant dans le passé de ses aïeux, en se demandant un peu ce que ça fait là. Puis on retourne au temps présent, où son passé récent avec Alice et son présent de célibataire à Kuujjuaq nous captivent. Les descriptions de la vie dans cette région trop peu connue sont saisissantes. Bon, peut-être que les mésaventures de médecin urgentistes semblent parfois un peu "trop". Tant de drames dans une si petite communauté surprennent un peu. Mais on s'en fout parce qu'au fil des pages, il y a au-delà. On voudrait partir pêcher le saumon ou l'omble de l'Arctique avec lui. On aurait voulu avoir connu son père et au bout du compte, on aimerait qu'il la revoit, son Alice, et qu'il lui dise tout ce qu'il voudrait lui dire. Parce qu'à force, Marc Séguin fait une vibrante démonstration: au fil des siècles et au fil de la vie de son narrateur, oui, le temps fait bien les choses. Il faut lui faire confiance.

J'avoue que ce livre m'a happé. Calme et fort, son ton et son histoire plaira à ceux qui savent ce que vaut une peine pour apprendre sur soi.

Superbe, vraiment.