mercredi 15 avril 2020

Les ravins, par Philippe Girard, éditions Mécanique générale

En sous-titre: "Neuf jours à Saint-Pétersbourg".

C'est le récit de l'auteur et d'un collègue auteur lui aussi qui vont participer à un festival de bande-dessinée à Saint-Pétersbourg. Rien d'abracadabrant, sauf une perte de passeport et des préjugés à débâtir. Autrement, Les ravins incarnent ce que la bd a de miraculeux pour un néophyte comme moi: divertir, même avec un court scénario.

C'est toujours ce qui m'a tenu à l'écart de la bd: cette peur de me retrouver avec une histoire assez mince ou des dessins qui me laissent pantois. Peu visuel, j'ai peur que l'image endorme mon imaginaire. Mais pourtant non. Ici, Philippe Girard a réussi à me rendre les deux compères tout à fait sympathiques. Le dessin simple en noir et blanc permet de faire ressortir un trait de caractère, un relief ou un détail dans le décor que trop de couleurs ou d'images m'auraient fait manquer. Je n'ai pas connu l'angoisse de rater quelque chose mais bien au contraire, le plaisir de l'identification au personnage. Ces deux Québécois en séjour dans un pays inconnu traversent les paysages et découvrent les gens comme l'auraient fait n'importe quel lecteur des Ravins. Loin de la bd éclatée, on pourrait peut-être parler ici de bd hyper-réaliste. On me l'aurait décrit de cette façon que ça ne m'aurait pas tenté de le lire, mais je me surprend à avoir apprécié.


Le temps passé en l'agréable compagnie d'une bande dessinée qui nous rejoint semble passer plus vite encore que celui à lire un livre sans images. Peut-être parce qu'on sait qu'on arrivera à la fin dans la journée, je sais pas. Mais j'aime. En tout cas, ce récit de voyage m'a donné le goût d'aller en Russie... et de plonger dans d'autres bd.

jeudi 2 avril 2020

Miroir de nos peines, par Pierre Lemaitre, éditions Albin Michel

C'est le dernier d'une trilogie et la fin d'un épisode fabuleux de ma vie de lecteur. Après Au revoir là-haut et le récit épique de personnages sortis de la Grande guerre, de Couleurs de l'incendie et d'autres encore qui vivent la Grande Dépression, Miroir de nos peines aborde la Deuxième guerre mondiale.

On n'est pas tout à fait dans la guerre, en fait elle s'en vient. On est à Paris en 1940. Un personnage tiré d'Au revoir là-haut (les lecteurs des livres précédents fonderont de plaisir en réalisant de qui il s'agit) vit un événement incongru dans sa vie personnelle alors dans son environnement, on parle beaucoup de la possibilité d'une guerre. Pendant ce temps, des soldats s'ennuient dans leur camp militaire de la ligne Maginot alors qu'ailleurs au pays, un mystérieux personnage accumule les boulots de ville en ville, mais aussi des identités différentes à chaque fois.

Encore une fois, Lemaitre crée des personnages forts avec des histoires incroyables dans un décor bien réel. Avec lui, l'époque est le prétexte pour créer des personnages. Toujours dans le désarroi mais jamais dans le misérabilisme, les trois histoires parallèles finiront bien par se rejoindre, chacun non sans avoir traversé des situations incroyables, rocambolesques mais toujours possibles. On ne parle pas de science fiction ici, pas du tout. Je dirais plutôt d'histo-fiction, où l'Histoire est parfois l'ombre, parfois la lumière qui recouvre les personnages.

À travers ses histoires, Lemaire évoque des personnages tirés des deux tomes précédents, et nous fait vivre encore de grandes scènes qui vous tiennent au bout de votre siège et qui vous font réfléchir. Dans Miroir de nos rêves, tout le monde fuit. Soit un parent, soit une erreur commise, soit la guerre. Et par-dessus tout ça, il y a toute la population de la ville qui fuit Paris. Ajoutez à ça l'irrésistible envie d'attacher tous les fils que ce spécialiste du récit épique vous tend, et vous avez... la trilogie la plus incroyable qui soit.

Je n'hésite pas à comparer Pierre Lemaitre à Michel Folco pour l'esprit, l'atmosphère, ou à Jean Echenoz pour l'écriture, son audace, ses dialogues savoureux, ses portraits de personnages tellement attachants, et si souvent tordus.

Enfin, il faut souligner que l'atmosphère dégagé par ce livre: la fin d'un monde, l'inconnu devant nous. C'est, sans contredit, exactement ce que nous sommes en train de traverser. Bref, si vous avez lu les deux premiers Pierre Lemaitre, ne manquez pas celui-là. Si vous ne connaissez pas encore cet auteur, je recommande de commencer par Au revoir là-haut, mais àa lui seul, Miroir de nos peines vaut tous les voyages que vous ne ferez pas dans les prochains mois.