samedi 22 octobre 2016

Le poids de la neige, par Christian Guay-Poliquin, éditions La Peuplade

J'étais heureux de retrouver l'auteur du superbe Fil des kilomètres. Pour son deuxième roman, j'avais entendu parler d'un huis clos avec une relation aidant/aidé. C'est bel et bien le cas, et quel plaisir de constater après quelques pages que je lisais la suite du premier roman de Christian Guay-Poliquin.

Après l'histoire "road movie", c'est l'enfermement. Le contexte "général" demeure: des événements non identifiés font que le monde dans lequel évolue l'histoire se retrouve sans électricité. Les villes sont proies au saccage et tous se retrouvent en mode survie. Mais le terrain est connu. Le narrateur et personnage principal est revenu dans son village d'origine, et comme le titre l'indique, on est en plein hiver, dans un monde de lacs et de forêts denses. Les habitants des latitudes hivernales s'y retrouveront.

Confiné à une convalescence après un accident, le narrateur se retrouve sous la supervision d'un personnage inconnu beaucoup plus âgé que lui. Ce dernier veut quitter le lieu où il se retrouve, comme, d'ailleurs, à peu près tous les habitants du petit village. Mais pour quitter le village au printemps, alors que les routes redeviendront praticables, ce personnage devra s'occuper du narrateur convalescent dont les deux jambes ont été cassées, en retour d'une promesse dans une expédition de départ. Le long rétablissement du blessé deviendra l'espoir de l'aidant à s'en aller. Les deux apprendront à se connaître, pour le meilleur comme pour le pire. Et l'hiver s'étirera jusqu'à ce que le printemps s'amène. Qui s'en sortira le mieux du jeune blessé et du vieux soigneur? Est-ce plutôt l'hiver qui l'emportera? L'espoir d'une vie meilleure? La peur de l'inconnu? Et comment survivront-ils dans un monde devenu sans ressources?
Comme avec son premier livre, l'auteur a trouvé le parfait filon pour décrire les relations interpersonnelles d'une manière originale: et si la société s'arrêtait de fonctionner, comment fonctionnerions-nous entre nous? Il y a les besoins de base, et le désir de continuer, de vivre. Or, lorsqu'il n'y a plus d'artifices, il ne reste que le principal, le vrai, le cru. C'est un retour aux monde du "tel quel", parfois dur, parfois simple, mais toujours, pour le lecteur, très nouveau, d'où l'originalité du ton de Christian Guay-Poliquin.

Cet auteur a une écriture simple. Ses histoires ne s'élèvent donc pas par le style, mais par une trame narrative simple et efficace et surtout, une émotion aussi dure et crue que le monde dans lequel tout cette histoire évolue. Le poids le neige est ici celui du désir de vivre, celui de la fatalité et bien souvent le sien propre, son poids, tant en matière de corps que de pensées, d'anxiété, d'espoir. Il existe une tension tout au long de ce livre qui nous rend les personnages attachants et circonspects à la fois. Et c'est sans compter une autre des forces de cet auteur: ses descriptions superbes du temps, de l'environnement, du paysage. On comprendra que l'hiver prend ici toute la place, tellement qu'il en devient aussi un personnage. Les amants de cette saison y retrouveront la beauté et le caractère implacable. Les dénigreurs de l'hiver y trouveront plutôt la raideur et les silences lourds qui poussent à l'introspection. Mais personne ne restera indifférent à ce thriller lent, dur et beau.

Aussi réussi que le Fil des kilomètres, le Poids de la neige confirme le talent d'un auteur qui se démarque par son originalité et qu'il fera bon relire dès que possible.

À lire cet hiver, pour l'ambiance et pour de bons moments de lecture.

samedi 8 octobre 2016

La conjuration des imbéciles, par John Kennedy Toole, éditions 10/18 - Domaine étranger

Ignatius J. Really est un personnage, et là, vous mettez le sens que vous voulez au mot "personnage". Qu'importe ce sens, il sera bon. Bardé de diplômes, Ignatius ne travaille pas et vit chez sa mère. Ignatius ne fout rien et s'en vante. Le travail n'est pas pour lui, ni la télé qu'il regarde toute la journée, ni la vie de sa mère, ni rien de ce qui se passe en ce bas monde, qu'il observe et critique sans cesse. Ignatius critique tout, lui seul a raison, toujours, en toutes choses. Ignatius est docte et vertueux, il joue du luth, il cite des auteurs, et le reste du monde ne vaut rien.

Vivant à la Nouvelle-Orléans, Ignatius et sa mère ne sont pas riches. Évidemment, puisque Ignatius est le défenseur des marginaux, un modèle à suivre, etc. etc. Or voilà, il vit aux crochets de sa mère, qui, elle, vit d'une maigre pension, et voilà que des circonstances font que Mme Reilly et Ignatius auront bientôt besoin d'argent. Ignatius ira donc travailler. Le reste, c'est la Conjuration des imbéciles, vécue par Ignatius J. Reilly.

Vous croirez qu'Ignatius est sans doute un super troll sur Facebook, un assisté social caricatural ou une victime de l'ouragan Katrina. Eh bien non puisque ce livre a été écrit dans les années 70. Son auteur est mort faute de n'avoir pas trouvé d'éditeur pour son livre. Qui s'en est chargé après sa mort? Je vous le donne en mille: sa mère. Et ce fut le succès, voir même le seul prix Pullitzer jamais accordé à un auteur à titre posthume.
Récit unique s'il en est un, on le lit sur le bout de sa chaise comme on regarderait un immense vaudeville monté au quart de tour sur une immense scène. Les personnages, les dialogues, les décors: tout est imposant, vif, large. Certaines scènes sont aussi pathétiques que croulantes de rire. Et si on rit, on rit jaune, parce que la misère y est racontée avec tellement de couleurs qu'on en est parfois étourdi. Jamais la Nouvelle-Orléans n'aura été aussi bien racontée et jamais peut-être n'aurez-vous suivi avec autant de délectation les aventures d'un personnage aussi détestable.

Autre tour de force de ce livre: sa traduction. Toutes les revues et les critiques sur ce livre parlent de la langue particulière utilisée par son auteur. J'aurais voulu le lire en anglais pour en voir la facture. En français, en tout cas, il fallait le faire. Parce que Toole donne la parole à de petites gens, souvent sans éducation, par oppositions à d'autres, plus mondains ou comme Ignatius, carrément littéraires. Or, ces dialogues de petites gens sont écrits, et traduits, avec force apostrophes et mots de la langue parlée. Tout Québécois y reconnaîtra inévitablement des traces de Tremblay et de joual tel qu'on l'écrivait dans les années 70 ou 80. Mais attention, c'est traduit par un Français, et c'est très bien fait! Si au début on tique sur "bouligne" ou "bèsebole", on s'apercevra, au fil des pages, que ces mots tiennent beaucoup plus d'une forte ironie et collent très exactement à l'image qu'on peut avoir des personnages. Première fois que je vois ça!

Critique de la société? Peut-être. Mais j'irais plutôt pour "portraits d'un fin observateur de l'espèce humaine", à moins que chacun des personnages, incluant l'infâme Ignatius, soient des pendants de l'auteur lui-même? Allez savoir. Reste qu'on en déduit qu'un tel livre est inévitablement un classique parce qu'il reste vraiment très actuel. Ignatius sévit toujours, sous d'autres identités, et il nous tape énormément. Alors aussi bien en rire... et lire La conjuration des imbéciles.

Qu'il soit précisé que l'édition que j'ai lue date de 1995. Depuis sa parution, internet en recense plusieurs en français. Une des plus récentes semble dater de 2012, chez le même éditeur. Comme quoi le succès se poursuit.

À lire absolument, pour se faire bousculer très fort, mais en riant jaune... et de bon coeur.